Si l’opportunité de la sanction est discutée en théorie générale du droit et notamment sur le point de savoir si elle consubstantielle au droit ou si le droit existe en dehors d’elle, elle est primordiale dans le domaine répressif. « La sanction concerne la réalisation du droit. Elle touche, à première vue, à un simple fait qui s’ajoute à lui, qui lui est externe, mais qui forme l’extrême chaînon de sa vie pratique. Il y aurait d’un côté l’existence du droit, question normative, et de l’autre son efficacité, question factuelle de sa mise en œuvre. L’évolution historique a œuvré pendant des siècles pour finir par abattre ce dualisme. L’histoire de l’attraction croissante que la sanction exerce sur le droit est le revers immédiat de la consolidation du pouvoir étatique moderne, unique source du droit et garant de la paix sociale »Note2559. .
La notion de sanction n’est pas aisément cernable. Elle peut être un moyen de réalisation du droit ou bien un mécanisme institutionnel chargé de réagir par des mesures, conséquences de violations de la légalité. Elle est protéiforme, selon la discipline à laquelle elle se rapporteNote2560. .
La responsabilité du militaire ou de l’Etat reconnue, la conséquence logique réside dans le prononcé d’une telle mesure. Si l’on reprend le schéma généralement admis en droit international et dont la logique est identiquement contenue en droit français, à la violation d’une règle primaire correspond l’obligation de réparer qui consiste à assumer les conséquences d’un acte : c’est la norme secondaire.
On peut observer une certaine similitude entre l’évolution de la sphère interne et celle de la sphère internationale. Concernant les crimes, est manifeste un passage de la loi du talion, de la justice personnelle et privéeNote2561. , à la maîtrise par l’Etat d’un pouvoir de sanction laïcisé, renouvelant son rapport au corps du criminelNote2562. . En matière internationale, on observe le passage d’un système de libre sanction au profit de l’Etat vainqueur, celui qui, par définition, ne peut avoir tort, à un système de maîtrise et de prohibition de la force, par l’intermédiaire d’une juridiction internationale à la compétence relativeNote2563. . On peut observer un phénomène identique, inégalement abouti, de contrôle social de la violence.
Mais dans le domaine particulier des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, le traitement des conséquences de la responsabilité nécessite un renouvellement de la pensée. A titre d’exemple, on peut souligner le développement des politiques réconciliatrices, fondées sur l’idée largement éprouvée de pardon. Ce dernier constitue un élément de remise de la dette du coupableNote2564. . Dans le domaine précis des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, certains Etats, conscients de la nécessité de la coexistence des victimes et des criminels, développent des mécanismes de commissions Vérité et Réconciliation, s’inspirant parfois de mécanismes ancestraux, comme les juridictions gaçaçaNote2565. .
Les juridictions nationales, françaises entre autres, sont les premiers acteurs de la répression des crimes internationaux. Dans la perspective du système de la Cour pénale internationale, elles possèdent une primauté de compétence, sous réserve d’une certaine conformité aux exigences du statut et d’une bonne volonté. L’économie du système de la CPI se veut respectueuse des souverainetés étatiques. Pour autant, le principe même d’une atteinte à la compétence répressive constitue une atteinte à la souverainetéNote2566. . Si les rapports ainsi institués entre la CPI et les juridictions françaises, fonctionnant sur le fondement d’une certaine subsidiarité, permettent difficilement de caractériser le système ainsi mis en place, il n’est pas inopportun de parler d’un système intégré ou en voie de l’être. Cette intégration suppose une harmonisation des systèmes, notamment au niveau des conséquences des responsabilités reconnues.
Les sanctions pénales individuelles sont similaires. En revanche, les sanctions étatiques diffèrent entre le système juridique international et le système juridique national, traduisant des différences de maturité et certaines contingences propres à chaque système.
La coexistence des systèmes de sanctions incite en outre à envisager le cas de l’harmonisation des sanctions entre les systèmes de responsabilité étatiques et individuels. Si le système français offre une certaine cohérence, il faut constater qu’il n’en est pas de même dans le système international et encore moins dans ce que l’on peut dénommer les relations diagonales, à savoir les relations entre la Cour internationale de Justice et le juge criminel français, et la Cour pénale internationale et le Conseil d’Etat.
Dès lors, après avoir détaillé les conséquences des responsabilités de chacun (titre 1er), il convient de s’interroger sur leur harmonisation (titre 2nd).
Les comportements criminels retenus sont avant tout caractéristiques d’une politique criminelle, menée à l’instigation soit d’un Etat, soit d’un groupe dans l’Etat possédant une structure le plus souvent hiérarchique. De tels comportements font l’objet d’une première sanction politique, au sens de sanction des membres de la société coupable. Le régime autocratique, si un tel régime il y eut, est renversé. Ses membres sont, dans l’immédiat, l’objet de la vindicte populaire, plus ou moins justifiée et raisonnée. Le trouble de la remise en ordre n’est pas sans zones sombres. De là, l’intérêt d’un rétablissement rapide non seulement d’un Etat mais d’une justice, aptes à s’imposer. La chute du régime de Vichy, en France, est un exemple de ces débordements et de ces nécessités. La défaite allemande fut le déclencheur d’une politique d’épurationNote2567. , compréhensible certes, acceptable, le point est à discuterNote2568. . Deux types d’épuration sont généralement distingués : celle dite sauvage, se développant essentiellement en 1944-1945 en France et celle dite légale ou institutionnelle la suivant immédiatementNote2569. . La période est à la fois une époque d’apurement social et d’apurement politique. La mise en place d’un nouvel ordre et d’un nouvel Etat n’est pas sans nécessiter une certaine cohésion sociale et la coopération indispensable de certains individus compromis.
Quoiqu’il en soit, le premier mécanisme reste lié à l’intervention de la justice ayant pour finalité la sanction des individus et notamment des militaires (chapitre 1er), et celle de l’Etat (chapitre 2nd).
Pour Beccaria, « ce n’est pas la sévérité de la peine qui produit le plus d’effet sur l’esprit des hommes, mais sa durée (…) le frein le plus puissant pour arrêter les crimes n’est pas le spectacle terrible mais momentané de la mort d’un scélérat, c’est le tourment d’un homme privé de sa liberté, transformé en bête de somme et qui paie par ses fatigues le tort qu’il a fait à la société »Note2570. . Il considère que la peine doit être utile à la sociétéNote2571. .
Pour le professeur Maison, la poursuite des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, au niveau international constitue un régime de réparation spécifique au crime d’Etat : la sanction individuelle serait une forme aggravée de satisfaction et une garantie de non-répétitionNote2572. . Une telle analyse, du point de vue du droit international public dont l’acteur principal est l’Etat, est indéniable. Mais face aux évolutions actuelles, et dans la double perspective du système international et du système français, il convient de traiter de manière autonome des deux responsabilités : celle de l’Etat et celle du militaire. Une telle analyse est tout à fait en accord avec les expériences des tribunaux militaires de Nuremberg et Tokyo et avec les TPI. En revanche, dans la perspective de la CPI, il semble qu’il faille l’abandonner.
Ce ne sont pas les Etats qui commettent des crimes mais les hommes. A ce titre, le militaire est bien évidemment un des plus exposés en tant que commettant direct de l’acte criminel. Pour autant, les dirigeants politiques, dont certains appartiennent à la hiérarchie militaire ne sont pas exclus. Si les procédures divergent quelques peu selon que l’on poursuit, en France, un militaire ou bien un dirigeant politique, les sanctions pénales sont similaires. Le droit international pénal offre des sanctions identiques (section 1ère). Mais ce système peut se caractériser, dans la perspective d’un jugement rendu par la CPI, par une relation de coopération avec les Etats afin d’exécuter la peine (section 2nde), ce qui n’est pas sans ajouter une certaine complexité au système.
Le militaire ayant commis un acte criminel contre la paix et la sécurité de l’humanité, dans le cadre de sa mission, relève normalement de la compétence des chambres spécialisées, en référence aux articles 697-1 et suivants du Code de procédure pénaleNote2573. . Il peut engager également sa responsabilité disciplinaire et civile.
Les sanctions encourues sont de diverses natures. Le Code pénal français et les statuts de la Cour pénale internationaleNote2574. et des Tribunaux pénaux internationaux font apparaître, au premier chef, une sanction pénale de privation de liberté, mais également la confiscationNote2575. et l’amende. Des sanctions de type civil peuvent également être prononcées, comme le dédommagement ou la réparation en faveur des victimesNote2576. .
Le militaire, en tant que membre d’un corps particulier, s’expose à des sanctions propres à l’ordre militaireNote2577. . On peut également mentionner les sanctions d’indignité nationale, comme il put y en avoir après la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement, les dirigeants politiques sont soumis, du fait de leurs fonctions et de leurs mandats, à des sanctions de type politique particulières.
Seront abordées successivement les sanctions pénales (sous-section 1ère), puis les sanctions autres (sous-section 2nde).
Par principe, l’acte guerrier n’est pas générateur de crime, faisant disparaître l’élément légal de l’infraction. A côté de cet acte naturel au conflit, les exactions qualifiées de criminelles en temps normaux, ne font guère l’objet de sanctions. « L’ordinaire barbare » des guerres des siècles précédents est aujourd’hui sanctionné au titre des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
La progressive codification des comportements des militaires a abouti à une disparition des comportements tels que le pillage au moment de la modernisation de l’armée et notamment de la structuration administrative qui assure le paiement régulier de la solde et la nourritureNote2578. . Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et plus particulièrement les crimes de guerre et la jurisprudence appliquant les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité à des militaires, s’inscrivent dans ce mouvement. Le militaire, même lorsqu’il commet une infraction en totale contradiction avec son état de militaire, est sanctionné au pénal comme un vulgaire criminel. Seule, la particularité des infractions étudiées et la spécificité de la criminalité systématique peuvent être source d’interrogations, notamment en ce qui concerne la sanction d’une pluralité d’infractions.
A la lecture des statuts des juridictions internationales pénales et du Code pénal français, la sanction principale est la réclusion criminelle, d’une durée variable. En droit pénal, le juge possède une échelle des peines qui lui permet de personnaliser le traitement pénal de l’individu. Il peut se référer à la sanction du crime de droit commun correspondant comme étalon. Une telle possibilité n’existe pas en droit international pénal où le juge possède au mieux une indication maximale de la peine.
En droit français, comme dans les autres systèmes nationaux pénaux, existe une réelle réflexion sur la fonction, la nature et les caractères de la peine. Le système international, en tant que dérivatif sur ce point des systèmes nationaux, en bénéficie. La légalité criminelle et la sanction semblent présenter les mêmes caractéristiques. Afin de le confirmer, il convient d’en distinguer alors les fonctions et caractères (§ 1er), puis les modalités de détermination (§ 2nd).
La sanction pénale, quel que soit le crime, reste un produit du pouvoir central réagissant à un acte anti-social. La peine possède une triple fonction : préventive, rétributive et réadaptativeNote2579. ; ainsi qu’un quadruple caractère : afflictif, infamant, déterminé et définitif.
Ce n’est pas réellement que les peines présentent des spécificités et des fonctions propres dans le domaine des crimes internationaux (A), mais certaines d’entre elles et certains caractères se distinguent par un approfondissement de leur objet (B).
Le TPIY, notamment dans une décision Erdemovic,a eu l’occasion d’indiquer que la sanction pénale internationale possède les mêmes fonctions que dans les systèmes étatiques, à savoir la dissuasion (I), la rétribution (II) et la réhabilitation (III)Note2580. .
La fonction préventive de la peine n’est pas dissociable de celle de l’incrimination, alors rattachée à la nécessité de l’élément légal de l’infraction pénale. Partant du principe que l’infraction pénale n’est parfaite qu’avec la sanction qui l’accompagne, elle lui est nécessaire et consubstantielle : nulla poena sine lege. Mais ici il ne s’agit pas tant de la prévention que de son aspect plus particulier d’intimidationNote2581. . Plus le trouble social sanctionné est important, plus la peine l’est. On peut d’ailleurs remarquer que les crimes contre l’humanité ou le génocide sont généralement accompagnés d’une peine maximale de réclusion à perpétuité.
Cette fonction d’intimidation est fortement liée à la deuxième fonction de rétribution, instaurant une adéquation entre la faute commise et la sanction encourue. On peut alors, en restant toujours dans la perspective de la première fonction, s’interroger sur l’adéquation entre l’intimidation et l’intérêt protégé par les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
A l’appui de la haute valeur de cet intérêt, on peut citer la décision ErdemovicNote2582. du TPIY, dans laquelle les juges majoritaires refusent la contrainte alléguée, semblant considérer que l’individu doit se sacrifier au lieu de commettre un crime contre l’humanité ; solution contestée, entre autres, par le juge CasseseNote2583. .
L’infraction marque un interdit, que la peine vient compléter et renforcer. Non seulement la peine participe de la définition des comportements autorisés, mais elle doit intimider. Posée simplement, la question serait : quelle peine peut inciter à ne pas commettre un tel crime ? Si déjà un crime de droit commun, tel qu’un simple meurtre, peut entraîner une peine de réclusion de trente ans d’emprisonnement, voire une réclusion à perpétuité, alors quelle peine serait adaptée à des crimes collectifs, caractérisant une négation totale de l’individu ? La peine de mort fut prononcée à Nuremberg, par exemple. Il n’est pas question de discuter de l’opportunité de cette peine, mais de mettre en évidence la difficulté certaine à trouver une peine dissuasive adaptée.
L’expérience démontre que ces crimes sont généralement commis durant une période conflictuelle, exacerbant les tensions et les sentiments et désorientant les hommes. Les criminels espèrent souvent que la fin des combats leur sera propice et que le statut de vainqueur les mettra à l’abri d’éventuelles poursuites. En cas contraire, une sanction pour des crimes internationaux se confondra avec la sanction du vaincu. Cette criminalité de guerre est alors difficile à prévenir.
Le TPIY considère la dissuasion spéciale et générale comme une fonction primordiale. La dissuasion spéciale porte sur l’effet précis de la peine sur l’accusé et l’aspect général est celui perceptible par les personnes susceptibles d’adopter le même comportement criminelNote2584. . L’objectif de dissuasion est un élément contemporain de son rôle. Instituée pour des faits commis avant sa création, entre autres, elle a vocation également à dispenser un avertissement, dans la perspective de la structuration d’une société internationale.
La deuxième fonction réside dans la rétribution. La peine est nécessaire en tant que juste sanction de la faute commise. L’idée est de proportionner la sanction à la hauteur de la gravité de la faute commise et de la gravité du trouble social. Le principe de personnalisation du traitement pénal intervient alors dans les phases de détermination de l’existence de l’élément psychologique, mais également dans la phase de prononcé d’une sanction. Le professeur Bouloc souligne que le juge, lorsqu’il choisit la sanction, tient « compte de la nature et de la gravité de l’acte, mais aussi de la personnalité du délinquant »Note2585. . L’article 81 du Code de procédure pénale, par exemple, prévoit que le juge d’instruction procède ou fait procéder à une enquête sur la personnalité de l’inculpé. L’économie du système pénal se traduit par une volonté de prise en compte de tous les éléments se rapportant à l’inculpé afin de cibler au plus juste, non seulement sa responsabilité, mais les mesures adaptées afin de le sanctionner et de lui permettre de se réinsérer. On perçoit alors aisément toute l’antinomie que peut recéler la relation entre le crime international et la réinsertion.
Le professeur Maison considère que la sanction individuelle a une fonction et des conséquences proches de celles de la satisfactionNote2586. .
La fonction rétributive a donc pour objet de sanctionner justement en fonction de la faute commise et donc de la culpabilité. Le principe peut être formulé de la manière suivante : nulla poena sine culpa. Si la peine est avant tout fondée sur le comportement anti-social, c’est-à-dire sur la répression, elle ne peut faire abstraction de sa fonction et de son impact moral. C’est pour cela qu’elle est tarifée. Cette tarification est contenue dans l’incrimination dans les textes pénaux, comme le Code pénal ou le Code de justice militaire. Sans prétendre à l’exhaustivité, l’article 211-1 du Code pénal, relatif au génocide, prévoit la réclusion à perpétuité comme peine maximale. Une même peine est prévue pour le crime contre l’humanité proprement dit (art. 212-1 CP).
Les articles 213-1 et suivants prévoient des peines complémentaires, comme l’interdiction des droits civiques ou bien encore l’interdiction d’exercer une fonction publique. L’accompagnement de l’interdiction par une peine est nécessaire dans le système français, comme le rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation du 17 juin 2003, dans laquelle est refusée une coutume internationale se contentant de définir l’infraction sans en préciser la sanctionNote2587. . L’article 76 du statut de la Cour pénale internationale fixe deux peines de réclusion, soit une peine maximale de trente ans, soit une peine de réclusion à perpétuité. La règle 145 du RPP ne précise pas de peine maximale mais insiste sur la personnalisation de la peine et les éléments permettant de la déterminer. Le RPP du TPIY, dans son article 101, prévoit l’emprisonnement à vie. L’article 24 se contente en revanche de préciser que la peine est la réclusion, sans indication de durée. Les deux textes renvoient à la grille des peines du tribunalNote2588. . L’article 101 du RPP du TPIR prévoit, comme peine maximale, l’emprisonnement à vie et renvoie également à une grille générale des peines, alors que l’article 23 du statut reste évasif sur la durée. L’article 3 du projet de code de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de 1996, précisant le principe de la sanction, n’insiste que sur la personnalisation de la peine.
Pour le TPIY, la fonction rétributive est celle qui doit être privilégiéeNote2589. . Les juges internationaux pénaux reprennent en cela des idées déjà soutenues par la Cour internationale de Justice, notamment, dans l’avis relatif aux Réserves à la convention pour la prévention et la répression du génocide, dans lequel il est affirmé que la peine doit être à la mesure de la souffrance ressentieNote2590. .
La question des peines adaptées à ce type de criminalité se pose alors. Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité sont reconnus comme les crimes les plus abjects. Pour autant, il ne semble guère exister de particularité de leur sanction. Comme pour tout acte criminel, l’auteur et ses complices sont passibles de peines de prison à hauteur de leur participation et de la gravité de leur comportement. Si l’on compare la peine infligée à l’auteur de quelques actes de tortures et de meurtres, qualifiés de crimes contre l’humanité et la peine infligée à un « simple » violeur ou meurtrier par les juridictions françaises, on s’aperçoit que les résultats ne traduisent pas la gradation morale existante entre le simple crime et le crime contre l’humanité.
Les peines diffèrent selon divers éléments ; par exemple, le général Galic fut condamné à vingt ans d’emprisonnement pour la commission, entre autres, de crimes de guerreNote2591. . Le commandant Jokic fut condamné à sept ans pour crimes de guerreNote2592. . Nikolic fut condamné à 23 ans pour crimes contre l’humanité. Le TPIR a condamné, en juin 2004, Sylvestre Gacumbitsi, ancien bourgmestre de la commune de Rusomo, à trente ans d’emprisonnement pour génocide, extermination et viol en tant que crime contre l’humanité. Certes les peines sont importantes, mais il n’est pas rare que pareilles sanctions soient infligées à l’encontre d’un criminel de droit commun. Ces similitudes peuvent alors inciter à s’interroger sur la spécificité des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité en termes de sanction.
Ces réflexions renvoient à l’existence d’une échelle des crimes. La culpabilité et la sanction qui s’ensuit nécessitent une appréciation préalable de la gravité des crimes. Le TPIY, dans ses décisions Erdemovic et Tadic, a eu l’occasion de confirmer l’existence d’une telle hiérarchie des crimesNote2593. , ce qui fut d’ailleurs critiqué par le juge Robinson dans le second jugement de fixation de la sentence dans l’affaire TadicNote2594. . Cette hiérarchie fut confirmée par le TPIRNote2595. . Le crime le plus grave serait donc le génocide, suivi du crime contre l’humanité et du crime de guerreNote2596. . Cependant, le rapport de gravité entre ces deux derniers crimes est contesté. Le cas Erdemovic, qui se caractérise par le passage d’une qualification de crime contre l’humanité à une qualification de crime de guerre, a permis au coupable de voir sa sanction diminuée et se réduire à cinq ans d’emprisonnementNote2597. .
Le débat trouve une première approche dans la distinction, en terme de gravité, que l’on peut établir entre les crimes commis sur une large échelle et de manière systématique et les crimes que l’on dénommera simplesNote2598. . Par conséquent, les crimes, dont ces caractéristiques sont un élément indispensable, sont plus graves que ceux dont c’est un élément facultatif, comme les crimes de guerre. L’esprit de l’article 8 du statut de la CPI, réservant principalement le cas des crimes de guerre commis de manière systématique, semble aller en ce sens. Plusieurs éléments comme la nature du dol ou bien encore la possibilité d’invoquer des causes d’exonération de responsabilité précises comme la légitime-défense, ce qui se réduirait aux crimes de guerre, plaideraient en faveur d’une gravité moindre pour ces derniersNote2599. . En outre, l’étude de certaines législations nationales, notamment au niveau des sanctions infligées ou des délais de prescription, confirme cette impressionNote2600. .
Un point à remarquer est que, lors des procès de Nuremberg et de Tokyo, certaines personnes poursuivies furent condamnées à mort. Cette peine n’existe plus aujourd’hui dans les statuts des tribunaux internationaux pénaux ni dans celui de la Cour pénale internationale. La plupart des pays signataires n’acceptent plus la peine de mort. Lors des procès qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, seuls les coupables considérés comme les plus importants subirent cette peine. En France, par exemple, Laval fut fusillé. Pétain fut condamné à mort, mais la Haute Cour de Justice demanda à ce que la peine soit commuéeNote2601. .
La chancellerie en 1789 résumait les cahiers de doléances, sur le point précis des supplices, de la manière suivante : « que les peines soient modérées et proportionnées aux délits, que celle de mort ne soit plus décernée que contre les coupables assassins, et que les supplices qui révoltent l’humanité soient abolis »Note2602. .
Depuis cette époque, l’utilisation de la peine de mort a fait l’objet d’une rationalisation de son utilisation au point de disparaître, au profit d’un système d’emprisonnement dont la finalité réside dans la rééducation et la réinsertion, ce que Mabillon définit comme la double fonction de resocialisation et de rétributionNote2603. .
Déjà Beccaria s’y opposait à la fin du 18ème siècleNote2604. , estimant la peine de mort inutile socialement, excepté pour deux raisons : si le condamné, bien que privé de liberté, conserve des relations et un pouvoir tel qu’il reste dangereux pour la sécurité de la nation ; ensuite si son existence risque de provoquer une révolution dangereuse pour le régimeNote2605. .
Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, par leurs caractères politique et surtout abominable, incitent à s’interroger sur la peine adaptée aux hommes les plus animés d’un esprit criminel. Si en France ce débat est clos, en revanche certains Etats dans le monde pratiquent encore la peine de mort. Les juridictions internationales pénales actuelles ont opté pour son abandon. Le choix n’était pas si évident, les Tribunaux militaires internationaux n’hésitant pas à la prononcer, sur le fondement de leur statuts.
Il ne s’agit pas ici de discuter de l’opportunité de la peine de mort, le sujet étant sûrement plus passionnel et politique que juridique. Si des Etats ne la reconnaissent plus dans leur arsenal pénalNote2606. , pour autant, par principe, elle n’est pas interdite par le droit international. La France l’a abandonnée avec la loi du 9 octobre 1981. Sa prohibition est contenue dans la Charte des Droits fondamentaux, contenue dans le projet de traité constitutionnel de l’Union européenne, à l’article II-62 § 2nd.
A l’article 5 de la résolution 1984/50 du 25 mai 1984 du Conseil économique et social des Nations Unies, il est précisé que la peine de mort ne peut être prononcée et surtout exécutée qu’après une procédure et un jugement rendu par un tribunal compétent offrant toutes les garanties du procès équitable, c’est-à-dire des garanties au moins égales à celles de l’article 14 du PIDCP. Une solution identique est retenue par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme du 12 mars 2003Note2607. , se fondant sur l’autorisation offerte par l’article 2§ 1 de la Convention européenne des droits de l’HommeNote2608. . Le Comité des droits de l’Homme possède une jurisprudence identiqueNote2609. , ainsi que la Cour interaméricaine des droits de l’HommeNote2610. .
Cependant, il convient de souligner, dans l’affaire Ocalan, que la Cour, s’appuyant sur sa jurisprudence SoeringNote2611. , constate qu’une pratique des Etats en défaveur de la peine de mort pourrait donner lieu à une modification de la Convention et notamment de l’article 2§ 1. Ceci confirme que la Convention européenne des droits de l’Homme est un instrument vivant devant être interprété à la lumière des conditions actuelles. La prise en compte d’une pratique ultérieure modifiant le traité même est confortée par une sentence arbitrale du 9 décembre 1978Note2612. . Mais l’utilisation du protocole n° 6, facultatif, fut considérée par la Cour EDH, dans sa décision Soering au sujet de l’abolition de la peine de mort, comme ne démontrant pas une pratique amendant la ConventionNote2613. . Selon le professeur Carrillo-Salcedo, la peine de mort est aujourd’hui considérée comme inacceptable, inhumaine, et ne serait plus autorisée par la Convention européenne, sur le fondement de son article 3.
Quoiqu’il en soit, on peut remarquer que ni les juridictions internationales pénales ni les juridictions françaises n’ont une telle sanction à leur disposition. L’absence de mention de cette peine dans le statut de la CPI semble n’induire aucune prohibition pour les Etats membresNote2614. .
La gravité des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité ne fait pas obstacle à la réadaptation du criminel (a). Cependant, le développement du dogme de l’impunité n’est pas sans influence sur le pardon nécessaire à cette réadaptation (b).
Si la rétribution est une des fonctions primordiales de la peine, elle ne doit pas être exercée au détriment de la fonction de réadaptation. Le criminel, une fois sa peine purgée, a vocation à sortir et à reprendre une vie libre. L’article 1er de la loi du 22 juin 1987Note2615. précise que la peine doit s’exécuter « dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ».
Les crimes de droit international, pour les plus importants criminels, se soldent par le prononcé de la réclusion à perpétuité. D’autres condamnés, de moindre importance, ont vocation à recouvrer rapidement leur liberté. Partant de cette idée de réadaptation, inspirée de la miséricorde judéo-chrétienne et par l’amendement, la peine de mort fut abolie en France et dans nombre d’autres pays. L’économie pénale prévoit même, en cas de constatation d’une amélioration du comportement du criminel ou d’un amendement, une série de dispositions allant de la grâce à la réduction de peine, et ce après examen, en droit français, de la dangerosité du condamné. Les statuts des juridictions pénales prévoient également de telles possibilitésNote2616. .
La prise en compte de l’amélioration du comportement du criminel se fait même avant le jugement, en droit international pénal. En effet, lors de sa période d’emprisonnement préventive, son comportement en tant que détenu peut venir en réduction de sa peineNote2617. . Le TPIY prend en compte clairement la dimension et l’importance de la capacité de réinsertionNote2618. . Les juges de la Haye s’expriment ainsi :
« Punishment is also understood as having a rehabilitative purpose. The loss of freedom, which is the form of punishment imposed by the Tribunal, provides the context for the convicted person’s reflection on the wrongfulness of his acts and may give rise to an awareness of the harm and suffering these acts have caused to others. This process contributes to the reintegration of the convicted person into society »Note2619. .
Il n’est donc pas inutile de s’interroger sur la réinsertion de ces criminels et sur l’adéquation du système pénitentiaire à leurs crimes. Avant d’aborder ce point, il convient de souligner la gravité des crimes commis. Y a-t-il une différence entre le violeur, celui qui tue pour le plaisir dans certains cas, et le criminel de guerre ou bien le criminel contre l’humanité qui commet les mêmes actes ?
On peut légitimement douter d’une distinction stricte, la volonté de nier l’humanité de la victime étant présente à chaque fois et le manque d’humanité de l’infracteur également. C’est pourquoi, si l’on est surpris au premier abord de la similitude de peines entre un simple criminel et un criminel contre la paix et la sécurité pour un acte équivalent, en définitive les éléments subjectifs sont similaires. Mais les motivations sont différentes, ainsi que les résultats et les circonstances.
Lorsque l’on connaît la difficulté de réinsertion des violeurs ou criminels, parfois inconnus du grand public, on peut s’interroger sur celle des criminels contre la paix et la sécurité. Nombre de criminels de la Seconde Guerre mondiale subirent leurs peines de prison et sortirent après, dans des sociétés majoritairement en phase d’oubli. Mais aujourd’hui, ces longues phases d’oubli n’existent plus.
La réinsertion suppose une double condition : l’acceptation du criminel et celle de la société qui doit l’accueillir. La seconde est la plus difficile à obtenir.
Si la prison peut permettre la réadaptation du criminel, elle ne fait pas disparaître l’infraction ni l’opprobre qui l’accompagne ; c’est pourquoi on peut s’interroger sur l’absence de spécificité en la matière. Pour autant, il n’est guère aisé de proposer d’autre solution.
La détention à perpétuité peut être, dans certains cas, une solution, mais elle n’est guère satisfaisante. Le désordre social engendré par les crimes contre la paix n’est en rien comparable à celui du simple crime. En outre, il faut remarquer que de tels crimes ne sont pas commis à n’importe quel moment. En effet, leur commission s’insère dans des bouleversements étatiques, des périodes de conflits violents et destructeurs des sociétés. L’Allemagne du milieu des années trente jusqu’à 1945, l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, le Darfour… sont les exemples les plus probants. On pourrait bien évidemment en citer d’autres, notamment en Amérique Latine et en Afrique du Sud ou bien encore en ex-URSS.
Les Etats sont alors détruits socialement et moralement par ces faits et en général, des phases de reconstruction sociale et démocratique et de réconciliation succèdent à ces périodes troublesNote2620. . Le propre de l’Etat nouveau sera d’instaurer la paix, ce qui n’est pas évident dans une période naturellement propice à la vengeance.
En marge de la justice pénale, qu’elle soit nationale ou internationale, il existe, dans certains Etats, des mécanismes originaux, comme les commissions Vérité et Réconciliation, qui tiennent compte de cette nécessité de réadaptation et de réinsertion des criminels. Celle d’Afrique du Sud semble notamment la plus aboutieNote2621. . La reconstruction étatique et sociale, après de graves troubles ayant permis la commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, n’est guère aisée. Les victimes peuvent être amenées à vivre à court ou moyen terme aux côtés de criminels, ou bien aux côtés d’individus qui restèrent passifs.
L’exemple de la commission sud-africaine est intéressant à plus d’un titre ; d’une part, il offre une solution para-judiciaire adaptée à un contexte très particulier, d’autre part, il n’est pas sans rappeler l’importance du pardon dans l’histoire des sociétés judéo-chrétiennesNote2622. , ce qui incite à une réflexion sur ce thèmeNote2623. . En effet, si la réadaptation du criminel suppose un comportement actif de sa part, il suppose également une acceptation de la part de la société victime qui aura accordé son pardon.
« Si la peine peut être analysée comme la dette du délinquant (…), le pardon représente la remise de cette dette »Note2624. . Il convient de voir successivement la signification du pardon, son destinataire et son détenteur et son processus qui se décompose en deux temps : l’aveu et la délivrance du pardon. Trois éléments seront retenus : l’aveu, la procédure publique et, le cas échéant, le prononcé du pardon et ses conséquences.
Le pardon est étroitement lié à la peine. L’exemple sud-africain démontre clairement que l’Etat dispose et use à la fois du pardon et de la peineNote2625. . L’Etat justicier, « à l’image du Dieu de la Bible, est à la fois vengeur des crimes et miséricordieux, donc dispensateur de la grâce »Note2626. .
Il faut distinguer le pardon-transaction du pardon-renonciation. Le premier consiste en une remise de la dette de manière négociée entre les parties. Le second est oubli de soi et compassion de l’offensé pour l’offenseur qui avoue sa faute et se repentNote2627. . C’est ce dernier type de pardon qui sera retenu. Une autre distinction doit être faite entre le pardon qui absout de la faute criminelle et qui émane du représentant de la société et celui qui émane de la victime ou de l’un de ses proches.
Le pardon puise sa signification dans la doctrine chrétienne. Il n’efface pas la faute mais absout, suite à l’aveu et à l’acte de repentance. Il traduit une volonté de don gratuit. Pour autant, il n’est pas synonyme de grâce. Il pourrait être « une démarche personnelle, intérieure, qui est de l’ordre de la morale et de la religion, qui n’est surtout pas l’oubli et qui n’efface pas pour autant la faute »Note2628. . Par principe, le pardon est donc moral mais pas juridique. Pour autant il n’est pas dénué d’influence sur le droit.
La fonction de juger consiste à rétablir l’équilibre sacré et social mis en péril. Le principal souci des religions et de l’Etat est la paix. La justice en est la condition ; or cet objectif n’est pas séparable de la réconciliation. La pardon serait une réponse à l’existence des pathologies du corps socialNote2629. . Il est moins fondé sur une analyse intrinsèque de l’acte que sur une combinaison de l’aveu personnel et de son acceptation par la communauté. Le pardon est corrélatif à l’amendement.
L’aveu et la demande de pardon visent à la fois les victimes directes, mais également la société qui a été troublée. Le pardon a pour objectif la réconciliation du fautif avec lui-même et avec la communautéNote2630. . Dans les Etats qui se sont accaparés la justice au détriment des individus, si un droit de pardon moral subsiste chez la victime, le droit de pardon institutionnalisé est détenu par l’Etat en tant que pendant du droit de punir. « De nos jours, dans un système de droit pénal public, seul l’Etat, unique dispensateur de cette ‘violence légitime’ que constituent les peines, a le droit de pardonner »Note2631. .
Le pardon ne peut être donné que suite à l’aveu sincère du fautif. Le christianisme ne l’accorde qu’à cette condition. Le mécanisme institué en Afrique du Sud semble constituer une laïcisation de ce processus. L’aveu est à la fois exercice d’introspection, élément de preuve, élément de révélation de la vérité, élément historique et témoignage.
Le processus de pardon débute par l’aveu du criminel mais, et c’est le deuxième élément, dans le cadre d’une procédure publique particulière. Une fois encore, l’exemple de la commission sud-africaine montre l’importance d’un certain formalisme cérémonial, à savoir le passage devant la commission en séance publique. L’aveu a vocation à réconcilier le fautif avec la victime, mais surtout avec la communauté. Il est formulé devant les représentants de la communauté et de l’Etat. Il n’est pas un acte de contrition secret. La publicité de la procédure permet à la communauté d’assister à l’amendement et de donner un certain caractère sacré à l’acte. La publicité permet également la démonstration de la puissance de l’Etat. Le coupable sera le héraut de sa propre condamnation, il est chargé de proclamer et d’attester la vérité de ce qui lui est reprochéNote2632. .
Enfin, le processus aboutit au prononcé du pardon. C’est un acte d’affirmation du pouvoir. Il permet donc de réconcilier, mais il ne constitue pas une amnistie. En effet, la commission sud-africaine a une démarche à la fois morale et juridique, en accordant l’amnistie. Cette dernière contient vraisemblablement un pardon, l’inverse n’est pas vrai. L’amnistie est synonyme d’irresponsabilité, tandis que le pardon n’est pas exclusif d’une pénitence ou d’une sanction. Le pardon et la réconciliation sont à distinguer clairement, et si la réconciliation implique le pardon, l’inverse n’est pas vrai.
Dans les Etats modernes ayant connu la commission de tels crimes, le processus de réconciliation est d’autant plus pertinent que la vie commune entre victimes et criminels est une nécessité.
La procédure sud-africaine n’est pas non plus sans rappeler l’amende honorable, système connu, sous des formes autres, depuis l’antiquité, et largement pratiqué en France depuis le Moyen Age. Sans détailler ce processus complexeNote2633. , on peut retenir la définition de Furetière, selon lequel l’amende honorable « est une peine afflictive qui emporte note d’infamie, quand on est condamné d’aller nu en chemise, la torche au poing et la corde au cou, devant une église ou dans un auditoire, demander pardon à Dieu, au Roi et à la Justice de quelque méchante action »Note2634. . Quand elle se répand au 13ème siècle, elle a pour fonction de rétablir la paix entre les parties privées. Avant le 16ème siècle, le destinataire de la demande de pardon était la victime privée, soit exclusivement, soit concurremment avec la partie publique. La procédure revêtait un caractère hybride. Puis au 16ème, elle devint exclusivement publique, ce qui fut confirmé par l’ordonnance criminelle de 1670, qui en faisait une peine.
L’amende honorable est avant tout conçue comme un spectacle. Le professeur Carbasse parle de « théâtralisation », élément essentiel à la peineNote2635. . Ce spectacle voit le coupable exprimer son repentir et solliciter le pardon de la victime. L’honneur blessé de la victime est alors réparé par l’humiliation publique du criminelNote2636. . On peut y voir une évolution de la loi du talion. C’est une véritable mise en scène judiciaire. Mais, devant la peur de l’oubli de l’humiliation, progressivement, l’idée de cristalliser l’évènement émerge notamment grâce à des images commémoratives, très souvent sous la forme de médailles, accrochées dans des lieux publics. Le premier exemple date d’une décision prise par le Parlement en 1347, suite à l’amende honorable exécutée en réparation d’un préjudice subi par l’évêque de MeauxNote2637. .
La procédure sud-africaine présente des similitudes évidentes avec l’amende honorable, notamment au niveau de l’aveu, de l’amendement, de la demande de pardon et de la procédure publique au caractère expiatoire et humiliateur. Mais surtout, l’idée de laisser une trace de la sanction incite à s’interroger sur les moyens actuels pouvant remplir la même fonction. Trois moyens viennent à l’esprit : l’enregistrement des procédures et notamment des procès dits historiques, tel les procès Papon, Touvier et Barbie ; la création d’un jour ou d’une semaine dédiée à un événement précis, comme le jour de l’holocauste ; et enfin la création de mémoriaux ou de musées comme ceux d’Oradour-sur-Glane ou d’Auschwitz. Enfin, de manière plus générale, on peut souligner l’existence de quelques lois dites « mémorielles », gravant dans le « marbre législatif » certains événements historiques, ce qui n’est pas d’ailleurs sans être critiquableNote2638. .
Mais ces crimes sont-ils réellement pardonnables ? Et si la réponse est positive, chaque criminel l’est-il ?
Le pardon est-il limité ?Note2639. Jankélévitch écrit, parlant de ceux qui avaient commis Auschwitz, « Seigneur, ne leur pardonnez pas, car ils savent ce qu’ils font »Note2640. . Si on peut contester cette pensée, on ne peut en revanche que difficilement accepter l’amnistie totale. Les crimes contre la paix et la sécurité étant des crimes de masse, tant du point de vue des victimes que de celui des criminels, tous les participants n’ont pas eu le même rôle ni la même importance. C’est pourquoi, si l’amnistie est concevable pour le « petit » criminel, elle semble devoir être rejetée pour les instigateursNote2641. , voire exclue en totalité, car le crime contre l’humanité, pour prendre cet exemple, ne peut être pardonné par un Etat, même victime, qui à lui seul n’est pas représentatif de l’humanité. Il ne faut pas perdre de vue le lien entre le pouvoir de pardon et d’amnistie et l’intérêt violé. Cette idée de refuser l’amnistie aux instigateurs et aux criminels les plus actifs est à mettre en rapport avec la compétence de la Cour pénale internationale qui n’a vocation à juger normalement que les criminels les plus importants et qui ne possède pas explicitement de droit équivalent au pardon.
Les fonctions de la peine ne présentent pas de particularités dans le domaine précis des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité ; en revanche, les caractères de la peine se révèlent légèrement amplifiés.
Le droit pénal français reconnaît généralement quatre caractères à la sanction pénale, qui semblent repris en droit international pénal, mais certainement exacerbés par la nature même des actes criminels commis : afflictif (I), infamant (II), déterminé (III) et définitif (IV)Note2642. .
Ce caractère découle directement de l’aspect rétributif de la sanction. La peine est alors vécue comme un châtiment censé permettre au criminel de mesurer la gravité de sa faute. Privation et souffrance, elle est surtout une modalité moderne de l’ostracisme, retirant l’individu de la société qu’il a troublée. Le droit pénal moderne tend à minimiser en partie cet aspect afin de permettre une meilleure socialisation. L’aspect afflictif est inhérent à toute sanction, quelle qu’elle soit, mais elle prend une réelle dimension avec la réclusion. Sur ce point, les crimes internationaux ne semblent pas présenter de spécificités particulières par rapport aux crimes de droit commun.
Si le caractère afflictif recouvre plutôt une dimension interne au criminel, l’aspect infamant est tourné vers la société et ceux qui la composent. La peine désigne le condamné à la réprobation populaire. La justice pénale existe pour canaliser les pulsions des victimes et du public. Afin de mener sereinement le processus pénal, on peut considérer le caractère infamant comme le reste irréductible d’une justice privée. Il intervient tout au long du procès, lors de la mise en examen, lors du déroulement du procès, une fois la sanction prononcée, mais également à la sortie de prison.
Par leur nature, les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité augmentent cet aspect de la sanction. D’où le développement de certains mécanismes particuliers comme les commissions Vérité et Réconciliation. Ce caractère est d’autant plus exacerbé que les affaires de ce type font l’objet d’une publicité accrue, tant au niveau national qu’au niveau international. Pour s’en convaincre, il suffit de relever les qualificatifs dont sont affublés les inculpés, mais également les coupables.
L’Etat doit minimiser un tel caractère. Mais la tâche n’est pas aisée, notamment du fait du caractère prétendument « historique » largement invoqué lors de chaque affaire. Par exemple, les procès Barbie, Touvier et Papon furent filmés en application d’un régime spécial lié à leur intérêt historiqueNote2643. . Les deux premiers d’entre eux furent diffusés, de manière relativement confidentielle, une fois les coupables décédés, sur la chaîne de télévision Histoire. Une telle publicité est tout à fait compréhensible, mais elle n’est pas sans inconvénients majeurs non seulement pour les juges devant exercer leur fonction mais aussi pour le coupable qui voudrait se réinsérer. On peut d’ailleurs mentionner la récente ordonnance de référé du TGI de Paris en date du 18 octobre 2004, autorisant la chaîne Histoire à diffuser environ 80 heures du procès Papon. A cet égard, il convient de rappeler l’existence de la loi du 11 juillet 1985 relative à la diffusion de ce genre de procès, dont l’article 1er souligne le caractère et l’intérêt historique. Ce système est critiqué, notamment par MM. Garapon et Finkielkraut, qui considèrent que le média télévisuel exacerbe le côté spectaculaire et ne permet pas une appréhension corporelle du cérémonial de la justiceNote2644. . Pour le premier de ces auteurs, les médias auraient même réveillé un intérêt pour la vengeanceNote2645. .
Le TPIY prévoit la possibilité, sur son site internet, de suivre le déroulement des débats, avec un léger différé. En soit, cela est en conformité avec le principe de publicité des débats. On peut alors s’interroger sur la possible résurgence d’un véritable travail sur l’image de l’inculpé et du coupable, en contradiction avec non seulement la tendance actuelle mais avec les travaux de M. FoucaultNote2646. . L’accusé, et cela est valable une fois sa culpabilité confirmée, est montré. Ne serait-on pas face aux prémices d’une résurgence du spectacle punitif ?
On peut également relever, dans l’hypothèse de certaines commissions Vérité et Réconciliation, l’utilisation par le système juridique du caractère infamant de la procédure, afin de valoriser la confession, comme cela semble être le cas en Afrique du SudNote2647. .
La peine, afin de remplir l’objectif d’intimidation, doit être déterminée en fonction de la gravité du trouble occasionné et de la faute de l’individu. Elle permet également au coupable de connaître les limites temporelles de sa sanction. Sa fixation n’est pas une tâche aisée. Si la mesure de l’acte criminel passé n’est pas l’élément le plus difficile à déterminer, le temps nécessaire à la rééducation l’est plus. Cette peine varie en fonction de circonstances aggravantes ou atténuantesNote2648. . Elle peut être complétée par une période de sûreté, comme le prévoit par exemple l’article 211-1 du Code pénal français. L’absence prédéterminée d’une échelle des peines dans les statuts des juridictions internationales pénales est critiquéeNote2649. .
Une fois la peine prononcée et les voies de recours refermées, le jugement acquiert autorité de chose jugée. La peine n’est alors plus susceptible de modification, hormis cas particuliers d’extinction de la sanction. Il faut cependant préciser que dans l’économie du système de la Cour pénale internationale, si cette dernière estime que la procédure suivie et la sanction prononcée ne satisfont pas aux exigences de l’article 17 de son statut, elle peut, sans condition de délai, se saisir de l’affaire, ce qui n’est pas sans remettre en cause le caractère définitif des décisions rendues par des juridictions nationales. En outre, l’absence de délai d’action dans le statut de la Cour pénale internationale laisse ouverte la situation d’un inculpé qui aurait bénéficié d’une mesure d’amnistie ou de grâce ou bien même d’un non-lieu devant les juridictions nationales. Un simple changement de procureur à la CPI peut constituer une réorientation de la politique pénale revenant sur des situations acquises.
Concernant les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, les fonctions et les caractères des peines se révèlent en définitive relativement classiques ; en revanche, la détermination des peines présente plus de difficultés du fait du caractère massif des crimes et des différentes conceptions retenues dans les systèmes de common law et de continental law.
Une vision globale des systèmes criminels français et internationaux permet de constater une certaine similarité dans les sanctions pouvant être prononcées. Le droit français prévoit, pour le génocide, une peine maximale de réclusion à perpétuité (art. 211-1 al. 2), ainsi que pour le crime contre l’humanité (art. 212-1). L’article 213-1 du Code pénal prévoit des peines complémentaires, à savoir l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, par renvoi à l’article 131-26, ainsi que l’interdiction d’exercer une fonction publique, voire l’interdiction de séjour ou bien encore la confiscation totale ou partielle des biensNote2650. . A cela s’ajoutent des peines ponctuelles accompagnant certaines infractions définies précisément, telles que les pillages (art. 427 et 428 du CJM), sanctionnés de dix ans de réclusion, avec une exception pour les instigateurs, notamment s’ils sont gradés ; en ce cas, la peine peut être la réclusion à perpétuité. On peut encore citer l’article 441 du Code de justice militaire sanctionnant les incitations à commettre des actes contraires au devoir ou à la discipline, la sanction de principe étant de cinq ans, voire de dix ans en temps de guerre ou sur un territoire en temps de siège ou d’urgence. A cela, il convient d’ajouter les dispositions de l’article 8 de la loi portant statut des militaires de 2005 et du RGDA du 28 juillet 1975 faisant référence à une responsabilité pénale pour des crimes identiques à ceux des conventions de Genève, mais sans en préciser les peines (art. 7, 8, 9, 9-1 renvoyant aux conventions régulièrement ratifiées en ces domaines et art. 30§ 1 sur la coexistence de sanctions pénales et disciplinaires). Les conventions de Genève et leurs protocoles, aujourd’hui ratifiés, n’ont pas été incorporés dans le droit français, ce qui constitue un obstacle à la sanction des comportements qu’elles prohibent par le juge nationalNote2651. . Pour autant, droit pénal français et DIH ne s’ignorent pas, on peut observer des recoupements substantielsNote2652. . Les statuts militaires y font allusion, mais de manière imprécise. Enfin, on peut se demander si l’article 689 du Code de procédure pénale, comme un cheval de Troie, ne permettrait pas de faire entrer les crimes de guerre tels que définis par le statut de Rome, dans le droit pénal français.
Il existe également des sanctions pénales spécifiques aux militaires, comme la destitution (c’est une peine principale facultative dans certains cas prévus par le CJM, ou bien une peine complémentaire dans d’autres cas ou bien encore complémentaire facultative), peine applicable aux sous-officiers et officiers de carrièreNote2653. et la perte de grade (art 79 du statut des militaires) qui est une peine soit complémentaire, soit accessoire, en fonction de l’infraction commiseNote2654. .
En droit international pénal, les statuts offrent une certaine identité sur ce point. Les articles 24 et 23, respectivement des statuts du TPIY et du TPIR, prévoient la peine d’emprisonnement. L’article 101 des RPP du TPIY et du TPIR prévoit l’emprisonnement à vie. Les articles 24 et 23 se réfèrent également à une échelle des peines qui n’est formalisée nulle part. Un rapport a été rendu sur ce point par le professeur Sieber du Max Planck Institut de Fribourg en BrisgauNote2655. . L’article 77 du statut de la Cour pénale internationale prévoit une peine d’une durée de réclusion de trente ans et une peine exceptionnelle pour les crimes d’une extrême gravité de réclusion à perpétuité. A cela s’ajoutent l’amende et la confiscation des profits, des biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime.
Le statut de Rome, quant à lui, prévoit une plus grande prise en considération des victimes au plan civil, à l’article 75Note2656. . Les peines sont déterminées en fonction de circonstances aggravantes ou atténuantes.
A l’instar du droit pénal français, le droit international pénal reconnaît le principe de personnalisation de la responsabilité et de la sanction. Ceci ressort de l’économie des statuts, de l’article 3 du projet de code de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de la CDI de 1996, mais également de la jurisprudence internationale. Ce principe est affirmé à l’article 132-24 du Code pénal : « Dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. Lorsque la juridiction prononce une peine d’amende, elle détermine son montant en tenant compte également des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction ».
Eu égard au principe de personnalisation de la peine, seront successivement envisagées les modalités et règles de détermination de la peine (A), puis le cas particulier de la pluralité d’infractions (B) qui trouve particulièrement à s’appliquer.
La détermination de la peine relève du pouvoir discrétionnaire des juges. La chambre d’appel du TPIY effectue alors un contrôle « d’erreur manifeste »Note2657. . On peut souligner, sur ce point, une similitude avec la jurisprudence administrative française en matière disciplinaire. La consistance du contrôle est ambiguë. Il pourrait s’agir d’un contrôle de proportionnalité, comme pourrait le suggérer la jurisprudence Akayesu du TPIR qui se demande clairement si la « peine infligée est proportionnée à la gravité des infractions commises »Note2658. . Dans la détermination de la peine, une hiérarchie semble être établie, respectivement dans l’ordre croissant suivant, entre le complice, le coauteur et l’auteurNote2659. .
Bien que la confiscation et l’amende soient prévues, tant en droit international pénal qu’en droit français, seules les peines de réclusion seront détaillées.
La personnalisation de la peine est importante. Les statuts des juridictions internationales et leurs règlements de preuves et procédures, précisent qu’il doit être tenu compte de la gravité du crime, de la situation personnelle de l’accusé et du temps passé en détention (art. 78 du statut de la CPI ; art. 24 §2 du statut du TPIY ; art. 23§ 2 du statut du TPIR). L’article 101 b) fait, en outre, référence aux circonstances aggravantes et atténuantes, ainsi que la règle 145 du RPP de la CPI, qui est d’ailleurs plus complète que l’article 101. Elle précise clairement un principe de proportionnalité de la sanction aux éléments de culpabilité, ce que l’on retrouvera dans la jurisprudence des TPI.
Le droit international pénal diffère du droit français pour déterminer la peine ; il se fonde essentiellement sur les circonstances atténuantes et les circonstances aggravantes. Le droit français retient plutôt les faits justificatifs et l’abolissement ou la diminution du discernement ; il n’est pas sans utiliser également ces circonstances. Par exemple, le traité de droit criminel des professeurs Merle et Vitu retient les circonstances, mais le contenu en est beaucoup plus sommaireNote2660. .
Dans l’affaire Barbie, la Cour de cassation refuse d’inclure dans les circonstances atténuantes l’ordre du supérieurNote2661. . Les faits justificatifs et les éléments touchant au discernement ayant déjà été traités, en référence à la jurisprudence des TPI, seront étudiées les circonstancesNote2662. dont l’influence joue sur la sanction et non sur l’élément légal ou moral de l’infraction comme en droit français. Ce qui en définitive revient au même. Les circonstances en faveur de l’accusé (I) et les circontances aggravantes (II) permettent alors d’établir le quantum de la peine (III).
Au principe de la reconnaissance de circonstances atténuantes devant être prises en compte pour la fixation de la peine de l’accusé, s’ajoutent d’autres éléments, comme la durée de la détention déjà effectuée ou des circonstances dites proches des motifs d’exonération de la responsabilité pénale (règle 145, 2, a du RPP de la CPI). Le comportement de l’accusé pendant le procès, le plaider coupable ou bien encore l’expression d’un repentir interviennent également.
Le droit français ne fait pas réellement référence à ces notions de circonstances aggravantes ou atténuantes, il se réfère plus volontiers aux causes d’exonération ou d’atténuation de responsabilité où l’on distingue classiquement faits justificatifs et causes de non imputabilité. On observe donc à cet égard une divergence plus que sémantique entre droit international pénal et droit pénal françaisNote2663. . Pour autant, la règle 145, 2, a), i) du RPP de la CPI semble plus ou moins reprendre une telle logique, mais sans réellement l’expliquer, vu les incertitudes d’interprétation des articles 30 à 33 du statut de la CPI. En l’absence de jurisprudence de cette juridiction, seule celle du TPI permet de présenter une ébauche des circonstances atténuantes.
En droit international pénal, l'atténuation se traduit au niveau de la peine, alors qu’en droit français, des conditions similaires auraient une influence sur l’élément matériel de l’infraction, ce qui, en définitive, se traduit également au niveau de la peine.
Le rapporteur Thiam propose de distinguer « entre les circonstances atténuantes et absolutoires, qui ont une relation avec l'application de la peine, et les faits justificatifs, qui, d'une certaine façon, constituent une exception au principe de responsabilité »Note2664. . Le rapporteur, afin de dépasser les divergences conceptuelles, propose d'adopter une conception large des faits justificatifs : « tout fait qui, indépendamment de sa source, conduit à l'élimination de la responsabilité, tout fait qui constitue une exception au principe de la responsabilité pénale ». Il faut ensuite les déterminer, ce qui n'est pas évident vue la multiplicité des solutions apportées par les différents systèmes pénaux. L'essai de conceptualisation a, semble-t-il, échoué sur l'écueil de la difficulté de la tâche. En effet, le projet de code de crime contre la paix et la sécurité de l'humanité de 1991 affirme :
« le tribunal compétent apprécie l'existence de faits justificatifs conformément aux principes généraux de droit, compte tenu du caractère de chaque crime ».Note2665.
Ayant déjà traité des motifs d’irresponsabilité du militaireNote2666. , ne seront pas de nouveau détaillés ce qui constitue des faits justificatifs pour le droit français ou des circonstances atténuantes pour le droit international pénal. Seuls seront précisés les points remarquables. Le premier constat qui doit être fait est que les juridictions s’interrogent encore sur l’exact contenu et la détermination des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantesNote2667. .
Le TPIY fixe une liste de ce qu’il considère comme des circonstances atténuantes. Si l’on observe quelques décisions récentes, fruits de l’expérience décennale du tribunal, à quelques exceptions près on trouve des listes identiques ; par exemple, les décisions de la chambre II, Simic, Tadic et Zaric du 17 octobre 2003Note2668. et la décision d’appel Blaskic du 29 juillet 2004Note2669. . Dans la première, se trouvent : la reddition volontaire, le plaidoyer de culpabilité, la coopération avec le bureau du procureur, le jeune âge, l’expression de remords, la bonne moralité et l’absence d’antécédents judiciaires, la situation personnelle et familiale, les mesures prises en faveur des victimes, l’altération du comportement et la contrainteNote2670. . Suite à cette liste, le juge vérifie l’existence de certaines de ces circonstances à l’égard des accusés et semble ajouter le « geste de générosité », sorte de variation du geste en faveur des victimesNote2671. . La décision Blaskic reprend la même liste et ajoute le comportement de l’accusé lors de la détention, l’assistance à des détenus en plus de l’aide à des victimes et les problèmes de santé de l’accuséNote2672. .
Les circonstances atténuantes doivent être établies au-delà de tout doute raisonnableNote2673. . Les juges les présentent parfois en distinguant circonstances atténuantes personnelles et matériellesNote2674. . Il convient d’envisager certaines de ces circonstances, les plus caractéristiques du droit international pénal. Soulignons tout d’abord qu’existent certaines circonstances atténuantes limitées à certains types de criminels, notamment l’absence de participation directe dès lors que l’accusé occupe un niveau subalterne dans la hiérarchie civile ou militaireNote2675. .
Tout d’abord, la coopération du coupable et de son conseil à la chambre afin d’aboutir de manière plus efficace et plus rapide à la décision des juges. Le moyen est quelque peu surprenant mais semble constituer une circonstance atténuante. Dans l’affaire Krnojelac, une telle attitude semble bénéficier au coupable. Cependant, les juges prennent le soin de préciser qu’une attitude plus attentiste ne constitue pas une circonstance aggravanteNote2676. . Mais la chambre d’appel revient sur cette circonstance atténuante, considérant que ce comportement est celui que l’on peut attendre d’un accusé et de son conseil et qu’il ne doit pas être pris en compteNote2677. . Pourtant, la décision Blaskic du 29 juillet 2004 y fait toujours allusionNote2678. .
Dans la décision Blaskic du 3 mars 2000, le TPIY a précisé les modalités de coopération avec le bureau du procureurNote2679. . Cette circonstance est considérée comme particulière car explicitement prévue par le règlement du tribunal à l’article 101, b) ii). Le juge y voit une sorte de faculté de « rachat ». Le sérieux et l’étendue de la coopération sont pris en compte, mais tout dépend de la qualité et de la quantité des informations fournies. Encore faut-il que cela soit fait de manière spontanée et gratuite. C’est alors une circonstance atténuante « majeure ».
La variabilité de la prise en compte de ces circonstances est également illustrée avec la reddition. La décision Simic, Tadic et Zaric l’illustre. Son acceptation de principe est réaffirmée, mais Simic se la voit refuser, car sa reddition serait intervenue tardivement, contrairement aux deux autres co-accusés, qui se seraient rendus trois ans plus tôtNote2680. .
Un mécanisme mérite d’être précisé : le plaidoyer de culpabilité. Mécanisme classique de droit anglo-saxon, il permet une négociation avec le procureur. Il constitue un élément atténuant la peine. Permettant un traitement plus rapide du procès, il formalise l’aveu, fixe la vérité et permet le soulagement des victimes ; d’une certaine manière, c’est un élément de repentance. On trouve d’ailleurs cette logique de l’aveu de culpabilité devant les commissions Vérité et RéconciliationNote2681. . Le droit français lui fut longtemps hostile ; une application partielle en est faite aujourd’huiNote2682. .
Les TPI l’appliquent. Malgré un plaidoyer de culpabilité, Serushago, se désignant comme l’un des chefs les plus virulents des Interhamwe, avait été condamné à quinze ans de prisonNote2683. . Peine considérable mais justifiée par l’ampleur des crimes. Le plaidoyer n’est pas toujours pris en compte, semble-t-il, car Jean Kambanda fut condamné à perpétuité. Au contraire, dans l’affaire Ruggiu, la peine fut largement moindre. Dans ce cas, le plaidoyer avait été considéré comme « facilitant l’administration de la justice en accélérant la procédure et en économisant les ressources »Note2684. .
Pour être pris en compte, il doit répondre à certains critères déterminés par la jurisprudence. Il semble que les juges se sont fortement inspirés de la jurisprudence américaine sur ce pointNote2685. . Le TPIY l’a précisé dans ses décisions Erdemovic, Jelisic et BabicNote2686. . Dans la première, sont requis les éléments suivants : un plaidoyer volontaire, en connaissance de cause et non équivoque. Dans l’affaire Jelisic, il est ajouté que cela doit porter sur des faits avérésNote2687. . « Volontaire » signifie que l’accusé ne doit pas avoir été contraint et qu’il doit comprendre la portée de ses actes. « En connaissance de cause » suppose qu’il comprend non seulement la nature des crimes commis mais la peine qu’il encourt.
Le plaider coupable se réalise suite à des négociations donnant lieu à un mémorandum d’accordNote2688. . Une peine est conjointement définie par le procureur et l’accusé et proposée à la chambre devant statuerNote2689. . Les juges vérifient alors la sincérité et la véracité du plaidoyer et décident de la peine à prononcer. L’accord passé entre la défense et le bureau du procureur recommande en général une peine.
Le mécanisme du plaider coupable est également prévu par l’article 65 du statut de la CPI. Cette faculté est offerte à l’accusé par la chambre de première instance, au titre de l’article 64§ 8 a). L’article 65 prévoit le contrôle de l’aveu de culpabilité par la chambre de première instance, notamment la compréhension des conséquences par l’accusé, ainsi que son caractère volontaire. En revanche, le paragraphe 5 de cet article précise clairement que toute négociation entre le procureur et la défense n’engage nullement les juges de première instance.
On peut rattacher à l’esprit du plaider coupable le remordsNote2690. et la reddition volontaire. Le premier constitue un acte de repentir et d’excuse, à la condition d’être sincère et réel ; le second est un acte visant à accélérer le mouvement de la justice. Il s’agit, selon les juges, d’un indice de remordsNote2691. .
Le mécanisme du plaider coupable fait, cependant, l’objet de critiques de la part des victimesNote2692. .
Un exemple plus surprenant peut être relevé. Ruggiu, ayant admis avoir incité au génocide par ses déclarations à la télévision et à la radio des Mille collines, est considéré comme « un brave homme ». Sa nationalité belge a, semble-t-il, joué un rôle dans l’atténuation de sa peine. Selon la chambre : « d’un niveau d’instruction moyen, l’accusé est un Européen inspiré par un sens de la justice. Il semble également être un idéaliste (…). La chambre prend en compte le fait qu’il n’était pas suffisamment informé de la situation politique et sociale au Rwanda pour s’en faire une opinion objective »Note2693. .
« En tant qu’homme, l’accusé a une conscience, une histoire personnelle et une personnalité qui sont susceptibles d’expliquer le processus l’ayant conduit à commettre des actes criminels dont la gravité justifie que ce même homme soit jugé devant le Tribunal »Note2694. . Sans plus détailler ces éléments qui varient d’un accusé à l’autre, il convient désormais de préciser les éléments constituant des circonstances aggravantes.
Si certains éléments rendent compréhensible un comportement criminel, voire peuvent l’excuser partiellement, d’autres, en revanche, viennent renforcer la conviction de criminalité. Comme les circonstances atténuantes, les circonstances aggravantes doivent être établies au-delà de tout doute raisonnable par le procureur.
La décision d’appel dans l’affaire Blaskic propose une liste des circonstances aggravantesNote2695. : la position de l’accusé, notamment la position de commandement dans la structure hiérarchique soit locale, soit nationale, l’intention discriminatoire si ce n’est pas un élément requis par le crime commis, la durée de commission du crime, la participation directe et active en ce qui concerne les supérieurs, le rôle d’instigation, la participation du supérieur au crime de ses subordonnés, la participation volontaire, en connaissance de cause, la préméditation et la motivation, la nature violente, sexuelle et humiliante des actes et la vulnérabilité des victimes, le statut des victimes, leur jeunesse, leur nombre et l’effet des crimes sur eux, ainsi que sur des détenus civils, les caractères de l’accusé et les circonstances généralesNote2696. . Il est précisé que le silence n’est pas considéré comme une circonstance aggravanteNote2697. .
A cette liste, on peut également ajouter la prise en compte du niveau social, du niveau d’étude, de la profession et de la connaissance des victimesNote2698. . Certains de ces éléments sont confirmés et précisés dans diverses décisions. Par exemple, Simic, premier magistrat de la municipalité de Bosanki Samac, également médecin, fut lourdement condamné. Entre autres circonstances aggravantes furent retenus son niveau d’étude, sa profession qui est à l’opposé de son comportement et sa connaissance de nombre de victimesNote2699. .
Tout d’abord, la gravité du crime est un élément de détermination de la peine qui est notamment pris en compte dans les circonstances aggravantesNote2700. . Mais au-delà de la gravité, c’est également le mode de perpétration qui est retenu. Par exemple, un comportement « révoltant, bestial et sadique » est aggravantNote2701. .
On peut observer que dans la perspective de condamner plus fortement les instigateurs considérés comme les agents les plus caractérisés par un esprit criminel, les juges classent dans les circonstances aggravantes la position de supérieur, soit qu’elle ait été utilisée pour la commission des crimes, soit qu’elle n’ait pas été utilisée pour en empêcher la commission, à condition que cela traduise une adhésion même implicite aux actions criminelles se déroulantNote2702. . « La Chambre de première instance fait observer que, comme dans le cas de la criminalité en col blanc, celui qui tire les ficelles et ne se salit pas les mains pourrait mériter une peine plus sévère que l’auteur direct, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce »Note2703. .
Notons en guise de conclusion sur ce point, et pour souligner la spécificité du statut de militaire, que dans les circonstances aggravantes, plus la position hiérarchique est élevéeNote2704. , plus le niveau d’éducation l’est, plus la faute commise est jugée impardonnable, ce qui justifie donc une peine élevée. Un argument fut soulevé par le général Galic, consistant à faire valoir son statut de simple militaire de carrière, ce à quoi les juges répondent :
« En outre, l’accusé n’était pas, contrairement à ce qu’il a affirmé, un simple militaire de carrière. Le général Galić était un officier chevronné de 49 ans lorsqu’il a été nommé commandant du SRK. En tant que militaire de carrière, le général Galić connaissait parfaitement l’étendue des obligations que lui imposaient les codes militaires de l’ancienne JNA puis de la VRS. La majorité a déjà souligné la participation volontaire du général Galić aux crimes dont il a été reconnu coupable. Il avait officiellement le devoir de faire respecter les lois ou coutumes de la guerre. Les crimes commis par ses troupes (ou au moins une grande partie d’entre eux) n’auraient pas été commis sans son accord. La majorité n’ignore pas que Sarajevo était assiégée et que l’un des belligérants (l’ABiH) se trouvait mêlé à la population civile de la ville, de sorte qu’on peut parler de situation inextricable ; elle garde aussi à l’esprit les éléments de preuve qui portent à croire que, par moments, le camp adverse a essayé de s’assurer les sympathies de la communauté internationale en attirant la riposte ou le feu du SRK sur ses propres civils. Cependant, le comportement de l’autre partie n’excuse en rien les tirs délibérés sur les civils et n’atténue donc pas la responsabilité de l’Accusé. La majorité conclut que le fait que le général Galić ait exercé les fonctions de commandant de corps de la VRS, et qu’il ait à maintes reprises manqué au devoir lié officiellement au poste très élevé qu’il occupait, constitue une circonstance aggravante »Note2705. .
Une fois le crime et les circonstances aggravantes et atténuantes identifiés, le juge peut procéder à l’évaluation du quantum de la peine.
Les articles 23 et 24, respectivement des statuts des TPIY et TPIR, se réfèrent à une échelle des peines qui n’est formalisée nulle partNote2706. . Seule une ébauche d’échelle existeNote2707. . La chambre d’appel semble se refuser à préciser des lignes directrices pour la détermination des peines, estimant qu’il s’agit là d’une compétence d’appréciation large appartenant aux juges de première instanceNote2708. . Les peines sont également déterminées en fonction de la gravité du crime, c’est le principe de proportionnalitéNote2709. . Il existe aussi une hiérarchie des peinesNote2710. .
Le renvoi aux grilles de peines appliquées par les tribunaux de l’ex-Yougoslavie ou du Rwanda n’est qu’indicatif et ne lie pas les jugesNote2711. . Mais la gravité de l’infraction reste l’élément principal à prendre en compteNote2712. . Les professeurs Ascensio et Maison proposent d’opérer un encadrement réglementaire de la peine à partir d’un certain nombre de critères, comme la gravité intrinsèque des actes, le nombre de victimes, le mode de participation à l’infraction collective…Note2713. .
On peut observer que jusqu’à présent, les TPI ont prononcé des décisions allant de l’acquittement à la réclusion à vieNote2714. . La chambre a récemment apporté des précisions sur la détermination du quantumNote2715. :
« La chambre de première instance a tenu compte de l’importance d’une cohérence dans les sanctions prononcées par la même juridiction, qui constitue l’un des fondements de tout système rationnel et équitable de justice pénale. Il ne s’agit pas de suggérer qu’une chambre de première instance est tenue de prononcer des peines identiques dans deux affaires différentes simplement parce que les circonstances générales sont similaires. Cela entamerait le large pouvoir discrétionnaire que toute juridiction de jugement doit exercer pour garantir que la peine est juste au vu des circonstances de l’espèce. Néanmoins, dans la plupart des systèmes juridiques internes, une échelle des peines ou un mode de sanction s’est dégagé au fil des années. Dans ces systèmes, les juridictions sont obligées de prendre en compte cette échelle des peines ou ce mode de sanction, sans être liées par lui, pour garantir que, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, la peine qu’elles prononcent dans un cas particulier n’entraîne pas de disparité injustifiée pouvant ébranler la confiance du public dans l’intégrité de l’administration de la justice pénale. Il n’existe à l’heure actuelle pas d’échelle de ce genre au tribunal mais elle se dégagera nécessairement avec le temps ».
La fixation de la peine semble régie par le principe de proportionnalité, qui dicte le pouvoir normalement discrétionnaire du juge. Les juges du TPIY qualifient le principe de proportionnalité de principe fondamentalNote2716. .
Contrairement au droit pénal français, dans lequel une échelle des peines apparaîtNote2717. , le droit international pénal, malgré une référence allusive, est en apparence moins clair sur ce point. Mais il n’est pas anormal qu’un droit récent hésite encore. Cependant, à regarder de près, il n’est pas évident que ces droits soient si différents des droits nationaux. Notamment, le droit français relatif aux crimes contre l’humanité ou au génocide se contente de fixer une peine maximum, ce qui n’est guère plus précis que le droit international pénal. Par exemple, Klaus Barbie fut condamné à perpétuité le 4 juillet 1987 par la Cour d’assises du département du Rhône.
En matière de contrôle du quantum de la peine, il est intéressant de signaler le rôle de la chambre d’appel du TPIY. Elle n’exerce pas un procès de novo se fondant sur l’article 25 du statut. Tenant compte du large pouvoir d’appréciation des juges de première instance, elle ne corrige que les erreurs de droit et de fait et semble, le cas échéant, exercer une sorte de contrôle d’erreur manifeste d’appréciationNote2718. .
Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité présentent la particularité d’être une accumulation de comportements criminels, commis par une multitude d’intervenants aux rôles et aux motivations diverses. Par conséquent, la détermination de la peine se révèle délicate.
Cette hypothèse, du point de vue de l’étendue du droit pénal français, fait l’objet de réflexions particulières. Mais dans le cas des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, commis majoritairement de manière collective, dans des circonstances conflictuelles, il n’est pas rare qu’un accusé soit à l’origine de divers comportements criminels pouvant faire l’objet de diverses qualifications juridiques. Les juges internationaux pénaux, comme les juges criminels français, sont alors face à des difficultés identiquesNote2719. .
Le concours réel d’infraction suppose qu’une seconde infraction est commise alors que la première n’a pas encore donné lieu à un jugement. Deux hypothèses posent également difficulté : d’une part le cas dans lequel un même acte criminel peut donner lieu à diverses qualifications, ce qui est qualifié de cumul idéal en droit français ; d’autre part, le cas dans lequel une action criminelle continue peut, en fonction de la variation de certains éléments, donner lieu, dans une même continuité, à diverses qualifications.
L’intérêt de la distinction réside dans les modalités de fixation de la peine. Par exemple, la récidive va entraîner une aggravation de la sanction ; à cet égard, on peut d’ailleurs se demander si la prise en compte de la gravité du crime, par les TPI, dans la fixation de la peine, et notamment le nombre de victimes, n’aboutit pas à un résultat similaire à la récidive en droit français, alors même qu’aucun jugement n’est jamais intervenu.
En droit français, le concours réel d’infractions aboutit à une minoration de la peine car l’auteur n’est exposé qu’à la peine frappant l’infraction la plus grave. Il y aurait alors une confusion des peines (art. 132-3 du Code pénal)Note2720. . Cela mérite d’être précisé, avant d’aborder le point du cumul idéal d’infractions, se posant en droit pénal français et en droit international pénal. Cette question présente une véritable difficulté, car le droit français est l’objet de divergences sur ce point, et les traditions juridiques des avocats, procureurs et juges des TPI compliquent encore plus la situation. A la lecture de la décision Kupreskic, il n’est pas toujours évident que les intervenants s’appuient sur les mêmes théoriesNote2721. . Voyons successivement le concours d’infractions (I), puis le cumul idéal (II) dans la perspective de leur application aux crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
Le premier point à préciser est la divergence de dénomination, à savoir concours réel ou cumul réel d’infractionsNote2722. . La première semble plus adéquate à retenir car le droit international pénal la retient. Il convient tout d’abord de souligner la différence d’avec le cumul idéal, qui suppose un acte unique pouvant faire l’objet d’une pluralité de qualifications pénales. Avec le concours réel, il existe plusieurs infractions, la première n’ayant pas encore fait l’objet d’une condamnation définitive, alors que la seconde, ou de nombreuses autres, ont été réalisées. Il est nécessaire de bien la distinguer du cumul idéal, car cette catégorie peut être rejetée par le juge au profit du concours réel. Pour cela, il faut que les qualifications possibles ne soient pas inconciliables et qu’elles sanctionnent la violation d’intérêts distincts, les deux éléments moraux devant alors être différentsNote2723. . En ce cas, il y a prédominance du fait juridique sur le fait matérielNote2724. . A la définition de principe échappent quelques situations dérogatoires définies par la loi. Parfois, une seule infraction est retenue et la seconde constitue une circonstance aggravanteNote2725. .
Une circulaire d’application du nouveau Code pénal, du 14 mai 1993, opère une distinction entre deux situations, selon que les infractions font l’objet d’une même poursuite ou qu’elles sont poursuivies séparément.
Ce n’est pas parce que plusieurs infractions ont été commises que plusieurs peines seront prononcées et exécutées. Le cumul n’est pas pratiqué en France. Le principal argument réside dans l’absence de décision pénale intervenue relativement à la première infraction, donc un défaut d’avertissement pénal.
Le nouveau Code pénal a modifié les anciennes règles et désormais les juridictions peuvent prononcer chaque peine encourue (art. 132-3 du CP). Toutefois, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, une seule peut être prononcée, dans la limite du maximum légal le plus élevé ; elle est alors réputée commune à l’ensemble des infractions en concours, dans la limite du maximum légal applicable à chacune d’elles (art. 132-3 al. 2 du CP). Seuls les crimes et délits sont concernés. Il faut alors prendre en compte la distinction instituée par la circulaire de 1993.
Dans le cas de l’unité de poursuite, le juge suit donc la règle ci-dessus décrite. Il prononce chaque peine, mais lorsqu’elles sont de même nature, il les confond dans la limite du maximum de la peine prévue pour l’infraction la plus grave retenue. Par exemple, les peines privatives de liberté peuvent être confondues avec une peine perpétuelle.
En revanche, dans une situation de poursuites séparées, la solution diverge quelque peu. La technique de la confusion des peines est retenue, alors qu’auparavant, il s’agissait plutôt d’une confusion de l’exécution des peinesNote2726. . Les poursuites séparées peuvent s’expliquer, par exemple, par la découverte de la première infraction après la commission et la poursuite de la seconde, sachant que la condamnation de la première n’est pas encore définitive au moment de la sanction de la seconde infraction. L’article 132-4 du Code pénal résout cette question. Le juge peut alors choisir entre ne pas confondre les peines ou les confondre totalement ou partiellement, avec les peines précédentes prononcées mais non encore définitivesNote2727. .
Dans l’hypothèse où la peine résultant du cumul serait supérieure au maximum de la peine de même nature encourue pour l’infraction la plus sévèrement sanctionnée, son exécution est réduite jusqu’à concurrence de ce maximum légalNote2728. .
Enfin les concours réels posent également le problème des relations des peines complémentaires entre elles, ainsi que des mesures de faveur pour une seule des infractions sanctionnées. Les peines complémentaires sont prononcées cumulativement si le juge le souhaite. Si la même peine complémentaire est prévue pour chacune des infractions en concours, il y a lieu d’appliquer la règle du non cumul, de façon à ce que le total ne dépasse pas le maximum légal prévu pour l’infraction la plus grave.
Concernant les mesures de faveur, il convient de distinguer le sursis de la grâce et de l’amnistieNote2729. . Pour le sursis, l’article 132-5 alinéa 4 prévoit que : « le bénéfice du sursis attaché en tout ou partie à l’une des peines prononcées pour des infractions en concours ne met pas obstacle à l’exécution des peines de même nature non assorties du sursis ». La peine ferme s’exécutera donc.
La grâce et le relèvement de peine sont régis par les mêmes règles. Pour l’application de la confusion, il convient alors de tenir compte de la peine après réduction ou commutation et non de la peine initiale.
La réduction de peine s’applique par nature à la durée globale d’incarcération restant à subirNote2730. .
Le droit international pénal retient la notion de concours d’infractionsNote2731. . Se fondant sur l’étude des systèmes pénaux, les juges ont essayé de dégager un certain nombre de règles. Dans un premier temps, deux critères permettent de retenir une seule infraction en cas de multiples qualifications. On peut alors voir qu’ici il ne s’agit pas du concours d’infractions tel que retenu en France, mais plutôt du cumul idéal. Cependant, il convient de préciser que si une infraction recouvre l’autre, alors un principe d’absorption joue, comme dans le cumul idéal. Mais si les deux infractions (qualifications) protègent des valeurs distinctes, l’on reviendrait alors sur une hypothèse proche du concours d’infractionsNote2732. , au sens français du terme.
Le cumul idéal d’infractions intervient lorsqu’un même acte pénal est susceptible de diverses qualifications pénales. Il convient donc de trouver l’exacte qualification : c’est un conflit de qualification. En droit français, ceci est différent du concours d’infraction. Le TPIY utilise explicitement cette dernière expressionNote2733. . Il ne faut donc pas se fier aux dénominations employées, sur ce point, les concours d’infractions du droit international pénal correspondent au cumul idéal du droit français. Dans l’affaire Kupreskic, à la lecture des arguments du procureur et de la défense, la notion de concours d’infractions soutenue ne semble pas correspondre à celle du droit français, elle correspond à celle d’autres pays européens ou de common lawNote2734. .
Dans l’affaire Kupreskic, le procureur soutient qu’un même fait peut être à l’origine de diverses violations qui peuvent toutes être poursuivies séparémentNote2735. , s’appuyant sur la possibilité de cumul de charges ayant eu lieu dans les affaires Akayesu et TadicNote2736. . La décision Akayesu pose les conditions suivantesNote2737. : les infractions comportent des éléments constitutifs différents, les dispositions créant les infractions protègent des intérêts différents, et il est nécessaire d’obtenir une condamnation pour rendre pleinement compte du comportement de l’accusé. La chambre dégage donc les critères d’une telle techniqueNote2738. , en se fondant sur des législations nationales, sur la jurisprudence des juridictions nationales et des cours internationales des droits de l'Homme.
Elle propose plusieurs critères : le critère dit BlockburgerNote2739. (lorsqu'un même acte ou une même opération viole deux dispositions légales distinctes, il convient, pour décider s'il y a deux infractions ou une seule, de voir si chaque disposition n'exige pas la preuve d'un fait que l'autre ne requiert pas). Il s'agit alors de déterminer si chaque infraction comprend un élément que l'autre n'exige pas. Ensuite, le principe lex specialis derogat generali peut, à défaut, être utilisé lorsqu'une des infractions est intégralement couverte par l'autre. On choisit la normela plus spécifique, c'est-à-dire la plus appropriée (§§ 683 et 684). Troisième critère : si chacune des deux infractions exige la preuve d'un fait que l'autre ne requiert pas, la chambre préconise le recours à la doctrine civiliste de la « spécialité réciproque », ce qui aboutit au même résultat que le critère Blockburger (§ 685). Quatrième critère : le principe d'absorption permet au juge, lorsqu'une des infractions recouvre l'autre, de retenir seulement le chef d'infraction le plus grave (§§ 686 à 688). Enfin, il convient de vérifier que les deux infractions protègent des valeurs différentes. Si un acte contrevient simultanément à deux dispositions protégeant des valeurs différentes, il y a infraction au regard des deux dispositions. Ce critère n'est toutefois pas indépendant et doit s'appliquer conjointement aux critères susmentionnés afin de les renforcer (§ 693 à 695).
Les quatre premiers critères en constituent finalement un seul, celui du principe d'absorption. Comme le précise la chambre, seul ce critère est primordial, le dernier n'étant qu'une adjonction permettant de renforcer la preuve d'un concours d'infractions.
La chambre en conclut que l’assassinat comme crime contre l’humanité peut couvrir l’accusation de meurtre comme crime de guerreNote2740. et que l’acte inhumain comme crime contre l’humanité peut recouvrir le chef de traitement cruel comme crime de guerreNote2741. . Au-delà des cas de cumul idéal ou de concours pour les TPI, il y a un cumul de charges qui, s’il débouche sur une déclaration de multiples culpabilités, se solde par une confusion de peinesNote2742. . Déjà, le TMI de Nuremberg avait reconnu coupables pour les mêmes faits certains accusésNote2743. .
La chambre d’appel du TPIY, dans l’affaire Celebici,confirme que le concours d’infractions ou cumul idéal en droit pénal français n’est possible que si les infractions présentent des éléments matériels distincts. En cas contraire, si les multiples chefs d’accusation s’attachant à une même conduite présentent une unicité, il ne faut retenir que la qualification la plus spécifiqueNote2744. . Cette solution est confirmée par les décisions Simic, Stakic, Kunarac et NikolicNote2745. : il faut, pour qu’il y ait multiplicité de qualification et de déclaration de culpabilité, qu’existe alors « un élément nettement distinct qui fait défaut dans l’autre. Un élément est nettement distinct s’il exige la preuve d’un fait que n’exigent pas les autres »Note2746. .
Une nuance est à signaler : les juges peuvent restreindre le cumul de culpabilité en déclarant l’accusé coupable du crime qui rend compte le plus exactement et le plus complètement de l’ensemble de son comportement criminelNote2747. .
Dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité, la sanction du comportement pénal est avant tout de nature pénale. Pour autant, deux points supplémentaires méritent de retenir l’attention : les sanctions spécifiques des militaires, que l’on trouve uniquement en droit français, et la sanction civile des dommages ainsi occasionnés, par le droit français et par le droit international, dont le statut de la CPI offre la version la plus élaborée.
Il ne s’agit pas ici de développer la responsabilité civile du militaire ayant commis un crime international. L’individu, victime d’une infraction pénale, peut, en droit français, réclamer un dédommagement de nature civile, soit lors d’un procès civil séparé du procès pénal, soit en se constituant partie civile au procès pénal. L’une comme l’autre de ces solutions n’existent pas en droit international. Malgré quelques avancées avec les TPI, c’est réellement la CPI qui s’ouvre à l’indemnisation des victimes. Pour autant, le statut et le mécanisme proposés ne sont pas identiques à ceux du système français. Bien que certaines victimes contestent le statut de la CPI sur ce point, comme insuffisament novateur, il semble qu’eu égard à certaines contraintes matérielles, mettre en place un tel système provoquerait une véritable paralysie. Quoiqu’il en soit, il existe une nette amélioration du statut de la victime.
Le second point qu’il convient de traiter est celui des sanctions spécifiques aux militaires français. Elles sont uniquement le fait des textes français. Le jugement, civil ou militaire, par une juridiction étrangère n’est pas à exclure, en principe, bien que la portée d’une telle situation soient réduite par l’existence d’accords particuliers réglant les conflits de compétences juridictionnelles.
Par leur aspect secondaire et au vu du sujet, nous aborderons brièvement le problème des sanctions autres que pénales, en envisageant successivement les sanctions disciplinaires militaires (§ 1er), les mesures civiles (§ 2ème) et les modalités de sanctions alternatives (§ 3ème), même si ce dernier point s’écarte légèrement du champ de l’étude.
De manière générale, le fonctionnaire est soumis à certains devoirs, notamment l’obéissance. La sphère militaire est très imprégnée par l’obéissance au supérieur et aux lois du pays. D’où un véritable dilemne lorsque l’ordre du supérieur est manifestement illégal. Quoiqu’il en soit, le militaire doit suivre une certaine conduite. Le comportement contraire est sanctionné pénalement et disciplinairement.
Comme tout membre de l’administration, le militaire s’expose à des sanctions disciplinaires. Le régime disciplinaire militaire est réglé, de manière dérogatoire au régime commun fixé pour les fonctionnaire d’Etat par le statut général issu de la loi du 13 juillet 1983 (art. 18, 29 et 30)Note2748. et de la loi du 11 janvier 1984 (art. 67)Note2749. . Il s’agit de la loi du 24 mars 2005 portant statut des militairesNote2750. .
Il convient de distinguer la faute disciplinaire, la procédure, le prononcé de la sanction et la contestation de cette dernière.
L’article 40 du statut des militaires précise que :
« Sans préjudice des sanctions pénales qu’ils peuvent entraîner, les fautes ou manquements commis par les militaires les exposent :
1° A des sanctions disciplinaires prévues par les dispositions de l’article 41 ;
2° A des sanctions professionnelles prévues par décret en Conseil d’Etat, qui peuvent comporter le retrait partiel ou total, temporaire ou définitif, d’une qualification professionnelle.
Pour un même fait, une sanction discipllinaire et une sanction professionnelle peuvent être prononcées cumulativement (…) »
L’article 40 est complété par l’article 395 du Code de justice militaire qui précise que « les infractions aux règlements relatifs à la discipline sont laissées à la répression de l’autorité militaire et punies de peines disciplinaires qui, lorsqu’elles sont privatives de liberté, ne peuvent excéder soixante jours ». Les articles 30 et suivants du RDGA du 28 juillet 1975 énumèrent également les modalités du régime et des sanctions disciplinaires.
L’appartenance au corps militaire est porteuse d’obligations supplémentaires pour le militaire. La commission d’une infraction pénale n’entraîne pas obligatoirement violation d’une obligation disciplinaire, les deux fautes étant distinctes. Une action pénale et une action disciplinaire peuvent cependant coexisterNote2751. . La gravité des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité est telle que, si les deux procédures sont distinctes, en pratique, l’aspect pénal prédomine, mais n’efface pas pour autant la réalité de la sanction disciplinaire.
« Dans une certaine mesure, les infractions militaires constituent des infractions disciplinaires. Elles sont, en effet, un manquement à la discipline particulière de l’armée et, à ce titre, elles devraient être complètement séparées des infractions du droit pénal, dont elles sont profondément différentes. On les rapproche de ces dernières (…) parce que la discipline militaire plus évoluée et plus rigoureuse que les autres disciplines, destinées à assurer la cohérence et la force de l’armée, comporte des sanctions qui sont de véritables peines »Note2752. . Conscient de cette difficulté de distinction, seul l’aspect disciplinaire sera retenu.
Le pouvoir disciplinaire appartient au ministre de la Défense et aux officiers habilités. Il s’agit de sanctionner les atteintes à la discipline et donc de préserver l’intégrité du corps militaire. Il représente le complément immédiat de l’autorité dont les dirigeants de l’institution ont besoin pour permettre à celle-ci d’atteindre son butNote2753. . Les sanctions disciplinaires peuvent être contestées sur le fondement de l’article 13 du RGDA, article modifié par le décret du 20 juin 2001Note2754.
Les infractions à la discipline, perçues largement, ne sont pas sans liens avec un comportement criminel. Par exemple, la faute grave dans le service ou contre la discipline et la faute contre l’honneur peuvent constituer des infractions qualifiant un comportement hautement criminel de la part de militaires. S’il y a autonomie du pénal et du disciplinaire, il n’y a pas spécialement étanchéité. Des faits identiques peuvent être poursuivis sous une double qualification pénale et disciplinaireNote2755. . Les deux procédures seront alors autonomes, ce qui n’empêche pas que si le juge pénal a statué le premier, le juge disciplinaire est tenu au moins par l’appréciation des faitsNote2756. . Par exemple, le juge disciplinaire n’est pas obligé de surseoir à statuer au profit du juge pénalNote2757. , mais il peut le faire si deux critères sont réunis : une identité stricte des faits dont les juges sont saisis et le bénéfice des travaux de la procédure pénale pour le juge disciplinaireNote2758. . Les rapports entre juge pénal et juge disciplinaire sont complexes, notamment en ce qui concerne les influences de la décision judiciaire pénale sur l’instance disciplinaire.
Des liens existent donc entre disciplinaire et pénal. Ils sont confirmés par l’article 357 du Code de justice militaire prévoyant que les arrêts disciplinaires s’imputent sur la durée d’une peine d’emprisonnement. A l’inverse, une condamnation pénale peut entraîner la perte du grade du militaire (art. 389 CJM). Une mise en examen au pénal peut entraîner une suspension du militaireNote2759. .
La procédure est mise en œuvre par le supérieur en charge du service dans lequel le militaire ayant manqué à la discipline est en posteNote2760. . L’appréciation de l’opportunité des poursuites revient donc à cette autorité ainsi que le prononcé de la sanction, après avis d’un organe consultatif paritaire, siégeant en formation disciplinaire pour l’occasion. Le plus souvent l’autorité hiérarchique disciplinaire suit l’avis de l’organe consultatif.
La procédure doit respecter les droits de la défense et les prescriptions de l’article 6§ 1 de la Convention européenne des droits de l’HommeNote2761. . La jurisprudence Engel de la Cour européenne des droits de l’Homme précise que les militaires jouissent des mêmes droits que les citoyens, à la différence d’une adaptation liée aux impératifs du statut de militaireNote2762. . L’article 34§ 4 du RGDA souligne que la procédure doit être impartiale et la sanction proportionnée.
Les sanctions ne peuvent être infligées qu’après consultation d’un conseil d’enquêteNote2763. et le retrait de qualification professionnelle après avis d’une commission, ces deux organes étant exclusivement composés de militaires (loi du 24 mars 2005, art. 42).
Les sanctions encourues sont précisées aux article 41 du statut général des militaires et 31 du RGDA. Elles sont prononcées soit par les autorités habilitées, soit par le ministre (art. 29). Un cumul de ces sanctions est possible (art. 30-1, al. 1er RGDA).
Le Conseil d’Etat exerce un contrôle normal sur la faute et un contrôle d’erreur manifeste d’appréciation sur la sanction prononcéeNote2764. . La sanction est rétroactivement annulée si elle est injustifiée et le militaire retrouve sa situation antérieureNote2765. . Il a droit à la reconstitution de sa carrièreNote2766. .
Les sanctions disciplinaires militaires (art. 31 du RGDA) présentent une similitude avec celles du régime commun des fonctionnaires d’Etat, à savoir une répartition en groupes et dans l’ordre croissant allant de l’avertissement, du blâme, de la radiation du tableau d’avancement à la révocation. A cela s’ajoutent des sanctions spécifiques au domaine militaire comme les arrêts et la réduction de grade.
La sanction disciplinaire peut bénéficier d’une amnistie. Certaines sanctions sont supprimées au-delà d’un certain délai ; d’autres doivent faire l’objet d’une procédureNote2767. .
Le nouveau statut ne fait plus référence aux sanctions statutaires. D’après la présentation faite par le ministre de la Défense, Mme Alliot-Marie, le 21 juillet 2004 à l’Assemblée Nationale, se substituent aux punitions disciplinaires et aux sanctions statutaires de véritables sanctions disciplinaires (commentaire projet article 40). L’article 41 de la loi de 2005 énumère ces sanctions sous forme de groupe, dans une présentation beaucoup plus proche du statut général des fonctionnaires d’Etat. On y trouve successivement : l’avertissement, la consigne, la réprimande, le blâme et les arrêts pour le premier groupe ; le blâme du ministre, l’exclusion temporaire de fonction pour une durée maximale de cinq jours privative de rémunération, l’abaissement temporaire ou définitif d’échelon et la radiation du tableau d’avancement pour le deuxième groupe ; enfin le troisième groupe comporte le retrait d’emploi et la radiation des cadres.
Outre les mesures d’ordre disciplinaires, l’acte criminel du militaire peut entraîner des conséquences de type civil.
Le militaire criminel peut être sanctionné civilement, soit dans une procédure devant le juge civil, soit dans le cadre d’une constitution de partie civile lors du procès pénal. Dans le système juridique international, il n’existe pas d’équivalent. Cependant, avec la Cour pénale internationale, la prise en compte de la victime s’est améliorée.
L’article 106 du RPP des TPI prévoit que l’indemnisation peut être obtenue auprès des juridictions nationales compétentes et en fonction des législations nationales. Cette formulation exclut donc un quelconque rôle de la part des TPI en ce domaine. L’article 106 prévoit la transmission de la déclaration de culpabilité et surtout donne une force juridique liant les juridictions nationales afin d’indemniser la victime.
L’article 105 est consacré aux restitutions de biens. Or ce n’est ni une sanction pénale, ni une mesure de réparation civile. Il ne faut pas la confondre avec la confiscation pénale. La restitution est une mesure d’administration juridictionnelle, tournée vers la victime et non vers l’Etat. Les articles 23§ 3 du statut du TPIR et 24§ 3 du statut du TPIY prévoient la restitution de tous biens et ressources acquis par des moyens illicites, y compris par la contrainte. Dans le RPP des TPI, elle intervient après la condamnation et la chambre de première instance doit, sur requête du procureur ou de sa propre initiative, tenir une audience spéciale. La mesure concerne le bien lui-même et ses produits. Il est ajouté, dans l’article 105 d), que la chambre peut prendre toute mesure qu’elle juge appropriée. On peut alors se demander si cela ne pourrait inclure l’indemnisation.
En cas de difficulté de détermination du propriétaire légitime du bien litigieux, le TPI peut renvoyer l’affaire aux autorités nationales compétentes (art. 105 e).
Mais le principe d’une indemnisation adéquate semble devoir céder devant l’ampleur du nombre des victimes faites par un seul criminel et devant l’ampleur du montant des dégâts ayant pu être causés lors d’actions militaires ou paramilitaires. Ceci constitue dans certains cas un argument en faveur d’une responsabilité étatique, sous certaines conditions. Cette situation explique également le développement de fonds d’indemnisation. En décembre 1998, un greffier du TPIR, M. Okali propose dans une note un fonds d’indemnisation des victimes alimenté par des cotisations volontairesNote2768. . Les TPI ont, semble-t-il, constaté la nécessité d’une telle pratique, tout en préférant que cela soit exercé par une autre instanceNote2769. .
L’article 75 du statut de la Cour pénale internationale, en revanche, est explicitement consacré à la réparation des victimes.
« REPARATION EN FAVEUR DES VICTIMES
1. La Cour établit des principes applicables aux formes de réparation, telles que la restitution, l’indemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Sur cette base, la Cour peut, sur demande, ou de son propre chef dans des circonstances exceptionnelles, déterminer dans sa décision l’ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causé aux victimes ou à leurs ayants droit, en indiquant les principes sur lesquels elle fonde sa décision.
2. La Cour peut rendre contre une personne condamnée une ordonnance indiquant la réparation qu’il convient d’accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Cette réparation peut prendre notamment la forme de la restitution, de l’indemnisation ou de la réhabilitation.
Le cas échéant, la Cour peut décider que l’indemnité accordée à titre de réparation est versée par l’intermédiaire du Fonds visé à l’article 79.
3. Avant de rendre une ordonnance en vertu du présent article, la Cour peut solliciter, et prend en considération, les observations de la personne condamnée, des victimes, des autres personnes intéressées ou des Etats intéressés, et les observations formulées au nom de ces personnes ou de ces Etats.
4. Lorsqu’elle exerce le pouvoir que lui confère le présent article et après qu’une personne a été reconnue coupable d’un crime relevant de sa compétence, la Cour peut déterminer s’il est nécessaire, pour donner effet aux ordonnances qu’elle rend en vertu du présent article, de demander des mesures au titre de l’article 93, paragraphe 1.
5. Les Etats Parties font appliquer les décisions prises en vertu du présent article comme si les dispositions de l’article 109 étaient applicables au présent article.
6. Les dispositions du présent article s’entendent sans préjudice des droits que le droit interne ou le droit international reconnaissent aux victimes ».
Outre la restitution, l’article 75 prévoit donc de véritables mesures de réparation, comprenant l’indemnisation et la réhabilitation. La Cour rend alors une ordonnance et l’indemnisation est versée par l’intermédiaire d’un Fonds alimenté par des amendes ainsi que par le produit des biens confisqués, et complété par des contributions volontairesNote2770. , prévu à l’article 79 du statut et à la règle 98 du RPP. Mais ce qui est remarquable, c’est que le dernier paragraphe de l’article 75 précise que le régime ainsi institué est sans préjudice des mécanismes nationaux de réparation. On peut donc soutenir que le juge français, qu’il soit criminel, civil ou administratif, dans une telle situation, évaluera globalement le préjudice duquel il retranchera ce qui a déjà été obtenu devant la Cour pénale internationaleNote2771. .
La règle 97 du RPP de la CPI complète l’article 75. C’est la Cour pénale internationale elle-même qui évalue le préjudice, éventuellement sur la base d’une expertise, avec une possibilité d’échanges contradictoires entre les juges, le coupable et la victime.
Afin de faciliter les mesures réparatrices, la Cour peut solliciter les Etats parties de donner effet à ses décisionsNote2772. . Comme elle n’est compétente qu’à l’égard des individus, elle ne peut envisager une réparation à la charge d’un Etat. Reste alors à savoir, si après la condamnation par le juge international pénal, le militaire peut saisir le juge administratif par le biais d’une action récursoire, dans le cas où l’Etat a bien évidemment une part de responsabilité. Cette logique, encore illustrée dans la décision Papon du Conseil d’Etat, est-elle applicable en cas de condamnation par la Cour pénale internationale ? Il semble que la réponse devrait être positive.
Cette faculté offerte aux victimes d’obtenir réparation devant le juge international pénal succède à une période d’ignorance, compréhensible au regard de l’absence de juridictions permanentes en ce domaine. Les quelques juridictions internationales pénales ayant existé ou existantes n’avaient pas de telles préoccupations.
Le plus grand obstacle à l’indemnisation des victimes dans ce type de contentieux semble être la difficulté à obtenir des informations et des preuves. Le caractère pénal des juridictions n’est pas non plus un élément favorisant une approche civile de ces problèmes. D’ailleurs l’engorgement d’un tribunal sous une activité civile n’est pas à exclure.
L’existence d’un droit personnel à l’indemnisation du préjudice découlerait d’une déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies du 29 novembre 1985, intitulée Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoirNote2773. . Un rapport, rendu par un rapporteur spécial, à la commission des droits de l’Homme, en 1999, souligne également ce droit qui prendrait les formes suivantes : indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non renouvellementNote2774. . L’existence de la commission d’indemnisation des Nations UniesNote2775. confirme cette tendance ou bien encore celle de la division d’aide aux victimes et aux témoins, prévue à l’article 43§ 6 du statut de la CPINote2776. .
Les sanctions pénales et civiles sont des modalités classiques de la mise en œuvre de la responsabilité. Mais le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité est propice à l’apparition de procédés alternatifs, comme les commissions Vérité et Réconciliation.
Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité dépassent le simple acte criminel. Ils constituent la mise en œuvre d’une véritable idéologie violente et d’une politique délibérément criminelle. L’ampleur des victimes, l’ampleur des agents criminels, la compromission de l’appareil étatique, les nécessités d’une reconstruction constituent autant d’éléments incitant à retenir un traitement particulier de ces crimes. A ce titre, deux points méritent d’être soulignés en marge du traitement des responsabilités : la pratique des commissions Vérité et Réconciliation (A), répondant à la « fracture sociale » engendrée par la politique criminelle et l’opportunité des procès intervenants plusieurs dizaines d’années après les faits (B).
Le Conseil de sécurité de l’ONU, dans sa résolution 1593 du 31 mars 2005, relative au Darfour, voit dans les commissions Vérité et Réconciliation un complément adapté à la Justice. Au-delà de l’exemple particulier de ces commissions, c’est l’instauration d’un mécanisme traditionnel ou particulier, en marge de la Justice classique, qui est à considérer.
Deux exemples peuvent illustrer cette réflexion : celui du Rwanda et celui d’Afrique du Sud. Dans une approche prospective d’un éventuel traitement de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité commis par les militaires français, il n’est pas inopportun d’envisager le mécanisme de telles commissions qui se développe comme le prouvent les différents projets, mis en œuvre ou non.
Une loi organique rwandaise du 26 janvier 2001 a créé des juridictions GaçaçaNote2777. , considérant « la nécessité, pour parvenir à la réconciliation et à la justice au Rwanda, d'éradiquer à jamais la culture de l'impunité et d'adopter les dispositions permettant d'assurer les poursuites et le jugement des auteurs et des complices sans viser seulement la simple répression, mais aussi la réhabilitation de la société rwandaise mise en décomposition par les mauvais dirigeants qui ont incité la population à exterminer une partie de cette société ». En outre, « il importe de prévoir des peines permettant aux condamnés de s'amender et de favoriser leur réinsertion dans la société rwandaise sans entrave à la vie normale de la population ».
Les Gaçaça s’inspirent d’une tradition rwandaise. Avant la création des « tribunaux indigènes » par les colonisateurs en 1943, les gens se rassemblaient autour de l’arbre parasol pour « laver leur linge sale en famille ».
La première mission des Gaçaça est de faire émerger la vérité. De grandes séances d’encouragement à l’aveu sont organisées dans les centres de détention. Les Gaçaça réunissent les informations, puis jugent au niveau de la cellule, du secteur ou du district selon la catégorie des accusés.
Les juridictions ainsi créées sont compétentes pour des faits commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 par des personnes n'ayant pas exercé des fonctions d'autorité, n'ayant pas manifesté un zèle particulier et n'étant pas non plus coupables de crimes sexuels. Trois catégories sont distinguées selon que l'auteur avait ou non l'intention de donner la mort ou en cas d'infractions contre les biens.
Ces tribunaux sont composés de juges élus et répondant à des conditions draconiennes de probité, mais dont la formation intellectuelle et juridique peut être quasi-inexistante, ce qui en fait plus des juridictions populaires que de véritables tribunaux. Une procédure d'aveu et de plaider coupable est instituée. Elle est mise en place devant le ministère public ou à l'audience, avant ou après que soit dressée la liste des auteurs d'infractions. Si cette procédure est acceptée, la peine encourue est réduite et seule la moitié est subie en prison, l'autre étant commuée en travaux d'intérêt général. S'il s'agit d'une infraction contre les biens, seule est possible une réparation civile.
Madame Aloysie Cyamayire, présidente du département des juridictions Gaçaça à la Cour suprême, considère que la justice ne pouvait être rendue par une justice classique. Il s'imposait donc « comme une nécessité absolue de recourir à une justice unique en son genre, inspirée du système traditionnel rwandais de règlement des différents qui recherchait, non seulement la répression du coupable, mais aussi et surtout l'entente, la cohésion et l'harmonie sociale ». Cela répond à trois attentes : la reconstitution de ce qui s'est passé durant le génocide, l'accélération des procès, « la réconciliation des Rwandais et le renforcement de leur unité car ce système offre un cadre propice de dialogue, de collaboration pour la recherche d'une solution concertée aux problèmes de justice ».
Avant la saisine de la juridiction, une enquête a lieu sur la place du village pour présenter les suspects et recueillir les témoignages à charge et à décharge. A cette occasion, un procureur général indique qu'il ne faut pas laisser aux enfants un héritage de malédiction et que, selon la loi, « le procureur c'est ton voisin, l'avocat c'est ton voisin, le juge c'est ton voisin ».
L'aveu n'entraîne pas amnistie mais diminution de peine. L'avenir ne passe pas le pardon mais par une relative mansuétude. Dans les deux cas, la réconciliation est nécessaire parce que les crimes ont été commis entre communautés d'un même pays qui devront coexister pacifiquement dans l'avenir. Au Rwanda, à la différence de l'Afrique du Sud, les deux communautés vivaient ensemble.
Dans son rapport final du 20 octobre 1997 sur l'impunité des violations des droits de l'hommeNote2778. , M. Joinet pose les principes de droit inaliénables à la vérité, de devoir de mémoire, du droit de savoir des victimes, du droit à réparation. Toutes ces obligations sont rappelées tant en Afrique du Sud qu'au Rwanda. Selon le principe 30 de ce rapport, « le fait que l'auteur, postérieurement à la période des persécutions, révèle ses propres violations ou celles commises par d'autres, en vue de bénéficier des dispositions favorables des législations relatives au repentir, ne peut l'exonérer de sa responsabilité, notamment pénale. Cette révélation peut seulement être une cause de diminution de la peine afin de favoriser la manifestation de la vérité ».
Pour le professeur Delmas-Marty, « plus modeste, et parfois décevante, notamment lorsque l'aveu était seulement utilisé comme un stratagème pour obtenir l'amnistie, l'expérience de ces commissions (de vérité et réconciliation) semble néanmoins positive dès lors que les Etats n'utilisent pas cette formule pour contourner leur obligation de garantir aux victimes le droit à un procès équitable. Pour maintenir l'originalité et le succès de telles commissions, l'on pourrait proposer de vérifier qu'elles garantissent les droits de la défense, l'indépendance et l'impartialité des membres qui la composent et un droit de recours devant des juridictions »Note2779. .
La commission sud-africaine constitue un autre exemple intéressant et beaucoup plus abouti. Il convient d’envisager successivement et brièvement les raisons de sa mise en place, puis son fonctionnement.
La commission débute ses travaux le 15 avril 1996. Elle est constituée de seize membres et est présidée par Desmond Tutu, archevêque anglican du Cap et prix Nobel de la paix en 1984. Sa durée de fonctionnement fut fixée à dix-huit mois, assortie d’une prolongation de six mois. Elle remit un rapport de trois mille pages au Président Mandela sur les crimes de l’apartheid qu’elle qualifia de crime contre l’humanité.
Cette commission présente l’avantage, par rapport aux autres, et celles d’Amérique Latine en particulier, d’avoir plus de pouvoirs. Elle peut notamment prononcer une amnistie, suite à une procédure quasi-juridictionnelle. La réconciliation passe donc par ce mécanisme, mais sous trois conditions. Tout d’abord, le crime doit avoir été commis dans les limites temporelles définies, puis il doit avoir un caractère politique. Enfin, il doit y avoir une confession. La première condition est tout à fait claire, en revanche, les deux dernières méritent d’être précisées.
La commission dispose notamment du droit d’amnistie, d’un droit d’enquête, de la possibilité de faire comparaître certaines personnes et d’ordonner la production de certains documents. Elle est considérée comme un organe indépendant du pouvoir politique et du pouvoir judiciaire. Pour autant, il n’est pas question d’étudier en détail son fonctionnement, mais plutôt de s’en servir comme prétexte à réflexions.
Lors de la transition démocratique en Afrique du Sud, l’idée selon laquelle le passé ne s’oublie pas, mais qu’il faut vivre avec, est bien évidemment présente. Afin de construire un Etat nouveau dans une atmosphère de paix, il fut décidé de faire la lumière sur les violations des droits de l’Homme et sur les crimes politiques. L’objectif était de favoriser la compréhension et non la vengeance, la réparation et non les représailles et surtout de favoriser la réconciliation et la reconstruction de l’unité nationale : l’ubuntu. Une loi d’amnistie fut donc envisagée, mais écartée, au profit de l’instauration d’une commission dite de Vérité et de RéconciliationNote2780. par la Constitution intérimaire du 27 avril 1994. Le fonctionnement en est précisé par une loi de juillet 1995. Elle est compétente pour les faits se déroulant du 1er mars 1960, date du massacre de cinquante-neuf noirs à Sharpville, au 5 décembre 1993, jour de l’établissement du gouvernement provisoire, puis étendue au 10 mai 1994, date à laquelle Nelson Mandela devint chef de l’Etat.
Le législateur sud-africain, afin de vérifier le caractère politique, c’est-à-dire le lien avec la politique d’apartheid, exige la vérification des motifs de l’auteur, du contexte et l’absence d’avantages personnels. En outre, il convient de vérifier si le crime a été commis sous les ordres d’une organisation ou d’une institution ou pour son compte ou avec son approbation.
Le dernier élément important est la confession de l’auteur de l’acte. Il faut bien observer que la commission, outre la réconciliation est là pour faire émerger la vérité. La confession est à la fois acte de repentir et d’introspection. C’est un moyen d’aveu et de preuve et un élément de véracité historique. Pour confirmer les confessions, des enquêtes sont menées.
Cette confession est publique et devant la commission, afin d’être exemplaire. La sincérité suffit. La victime est entendue de manière large. Elle peut être individuelle ou collective et avoir subi un préjudice moral, physique, une perte financière, une atteinte substantielle à leurs droits de l’Homme
Le commission comprend trois instruments : le comité des violations des droits de l’Homme, le comité d’amnistie et le comité de réparation et de réhabilitation.
D’après la loi de 1995, la commission doit établir les causes et la nature des violations et des crimes, faciliter l’octroi de l’amnistie et établir le destin de certaines victimes. Elle peut également recommander des mesures de réparation. Le comité des droits de l’Homme recueille les plaintes et, le cas échéant, transmet le dossier au comité d’amnistie. Mais, et c’est un point important, toute personne souhaitant l’amnistie peut saisir la commission qui transmet le dossier au comité d’amnistie. Le comité de réparation et de réhabilitation peut proposer des modalités de réparation et d’indemnisation.
Le pouvoir d’amnistie est très important et surtout n’est pas automatique. En effet, il comporte des conséquences importantes, car l’amnistié n’est plus responsable civilement et pénalement. De plus, si une instance est en cours ou si l’amnistié purge une peine d’emprisonnement, tout s’arrête au jour de l’amnistie. Cependant, le processus d’amnistie n’est pas sans soulever des interrogations en matière de crimes contre la paix et la sécurité, qui ont valeur de jus cogens, ce qui semble naturellement exclure une telle possibilité.
De telles solutions parajuridiques présentent un caractère original, mettant en lumière l’importance du pardon et de la vérité comme élément de justice, permettant éventuellement une vie en commun et une remise de la detteNote2781. .
En guise de conclusion sur ces commissions, on peut s’interroger sur leur compatibilité avec le système judiciaire national et international.
Le système sud-africain n’est pas sans heurter certaines victimes. La Cour constitutionnelle sud-africaine eut d’ailleurs à se prononcer sur la compatibilité de ce mécanisme avec l’impératif de Justice. Elle a considéré que cette procédure s’intègre dans le processus de réconciliation et de reconstructionNote2782. . Certains auteurs soutiennent même que le passage devant une telle commission peut bénéficier du principe non bis in idem, en ce cas, le bénficiaire de la procédure ne peut être poursuivi devant une autre juridictionNote2783. .
Concernant plus précisément la conformité de ces systèmes avec la compétence de la CPI, on peut légitimement penser qu’il faut réserver ces mécanismes aux délinquants de faible niveauNote2784. . Peut-être que l’article 53 du statut de la CPI, relatif à l’opportunité des poursuites, pourrait constituer un semblant de mécanisme articulatoire, surtout par l’intermédiaire de la possibilité offerte au procureur de ne pas poursuivre dans « l’intérêt de la justice »Note2785. . Ces mécanismes s’insèrent dans une volonté de reconstruction nationale, qui n’est pas négligeableNote2786. . D’ailleurs, lors de l’élaboration du statut de la CPI, la délégation sud-africaine a demandé la reconnaissance d’un tel mécanisme par le statut. Son admission est en tout état de cause à envisager.
Le mécanisme des commissions Vérité et Réconciliation manque encore d’une certaine homogénéité mais se révèle intéressant. Dans la perspective d’une recherche de solutions adaptées à la particularité des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, on peut également envisager, dans certains cas, la dissociation du procès pénal et de la sanction prononcée.
La justice « à chaud » n’est pas sans poser de problème, mais permet au moins une sanction contemporaine à l’acte à un moment où le criminel possède encore sa dimension de criminel ; une justice intervenant trente ou quarante ans après les faits n’est pas totalement satisfaisante non plus. Elle peut posséder plus le goût de la vengeance que celui de la justiceNote2787. . Divers inconvénients, diverses critiques s’attachent à toutes les expériences qu’il y eut en ce domaine.
Barbie, Touvier et Papon, malgré leur âgeNote2788. d’une part, et malgré l’ancienneté des faits, d’autre part, devaient-ils être jugés ainsi ? Il n’est pas question de nier leur responsabilité ni d’amoindrir leur culpabilité et le sort des victimes. Il s’agit d’approfondir certains points au regard de certaines critiques et problèmes. Le professeur Jeanneney, en introduction de l’un de ses ouvrages, commence ainsi :
« Fallait-il juger Maurice Papon ? Devait-on lui faire répondre de ses actes dans le prétoire, après tant d’années ? L’épisode servirait-il la mémoire contre l’oubli, la vérité contre l’erreur, le bien contre le mal ?
On a beaucoup débattu, en France, à l’automne de 1997, des conséquences d’un tel procès pour l’équilibre psychique et moral de la nation. Cette histoire portée au tribunal et violemment médiatisée serait-elle utile ou néfaste pour un pays qui affronte son passé ? Serait-elle propre à renforcer les valeurs morales et civiques qui fondent la démocratie ? L’aiderait-elle à combattre les doctrines d’infamie que colportent les ennemis de ses principes et de sa vertu ? »Note2789. .
Le temps n’est pas sans influence ni sur la victime, ni sur la justesse du processus pénal. Une justice « à chaud » ne risque-t-elle pas d’être empreinte de partialité, de manque de recul, d’artificialité des preuves ? Ces crimes politiques vont au-delà d’une approche historique tronquée, ils sont bien souvent l’aboutissement d’un long processus historique d’affrontement religieux et ethniques. Il est difficile de démêler les sources des crimes ; chaque camp possède une part de responsabilitéNote2790. .
Il s’agit de suggérer quelques pistes de réflexions pour le cas où une hypothèse identique se présenteraitNote2791. , les crimes contre l’humanité et le génocide étant imprescriptiblesNote2792. .
La justice pénale, confiée à l’Etat a pour objectif de couper court à la vengeance. Cette dernière induit l’écoulement d’un laps de temps entre le fait et la réaction à vocation sanctionnatrice. La peine a pour fonctions, entre autres, la rétribution et la resocialisation. La fonction resocialisatrice est claire. Un homme, certes criminel, mais qui s’est construit une vie et n’a plus de comportement criminel n’a pas besoin de subir une peine, dans l’objectif d’une resocialisation. Reste l’aspect rétributif. On peut dès lors se demander si la peine de prison, dans ces hypothèses-là, constitue une peine adaptée. L’homme n’est plus dangereux pour la société et l’emprisonnement n’a pas vocation à être prononcé pour le protéger contre autrui, contre d’éventuelles vengeances.
En bref, la justice pénale et la sanction pénale sont-elles adaptées ? On peut aborder la question sous l’angle des victimes. Elles y trouvent à l’évidence une satisfaction morale, juridique et financière. Leur comportement peut être perçu parfois comme empreint de vengeance, ce qui n’est pas critiquable. La justice pénale n’est pas là pour permettre la vengeance, ni assouvir des besoins moraux ou psychologiques, en revanche son utilité juridique et financière est avérée. La prescription n’est-elle pas le moyen de séparer justice et vengeance et d’accorder, non pas l’oubli, mais la possibilité à l’individu qui par la suite s’est comporté conformément à la société, un nouveau départ ? Quoiqu’il en soit, le droit international pénal ne reconnaît pas de délai de prescription, ce qui l’ouvre au péril de l’anachronisme, selon le professeur JeanneneyNote2793. .
Là n’est d’ailleurs pas l’essentiel du problème, mais c’est plutôt la forme de justice devant être exercée, des dizaines d’années après les faits, qui mérite peut-être d’être repenséeNote2794. . La justice pénale étatique, si elle trouve sa matière première dans le crime et la victime, doit se dissocier de cette victime de façon à exercer sa fonction sereinement. J. Bentham écrivait : « C’est le triomphe de la scélératesse sur l’innocence, car le spectacle d’un criminel jouissant en paix de son crime, protégé par les lois qu’il a violées, est un objet de douleur pour les gens de biens, une insulte publique à la morale »Note2795. . Il est normal que les victimes soient choquées. Pour autant, la justice n’est-elle pas là pour offrir une autre approche du problème ? Plus sereine !
L’histoire n’est-elle pas un juge suffisant ? On peut se le demander. Au-delà d’une certaine durée, l’historien n’est-il pas mieux placé que le juge pour éclairer la situation ?Note2796. Le juge a d’ailleurs besoin de lui, comme le prouve le procès de M. Papon devant la Cour d’assises de BordeauxNote2797. . Le risque d’une telle justice est la judiciarisation de l’histoire, qui n’est sûrement pas un phénomène à rechercher. Et si le juge se défend de se faire historien, il arrive qu’il le soit malgré lui. Se plaçant plus sous l’angle de la méthode pour juger du crédit à accorder aux historiens, il cède parfois, ou est obligé de céder, à l’attrait de l’histoireNote2798. .
Le rapport du temps aux faits criminels est exacerbé par d’autres éléments. Prenons deux exemples. La jurisprudence Barbie de la Cour de cassation est le fruit de juges d’un certain âge ayant connu cette époque, alors qu’ils étaient plus jeunes. Selon certains auteurs, la définition du crime contre l’humanité résultant de la décision de la chambre criminelle limitant la commission de crime contre l’humanité aux agents de pays de l’Axe, pourrait ne pas être sans rapports avec la difficulté d’admettre la commission de tels crimes par les Français, dans la logique de la pensée gaullienne relative à la France résistanteNote2799. .
Le second exemple concerne cette fois-ci le jugement d’une génération par une autre et pose plus largement le problème de l’anachronismeNote2800. . Les procès Touvier et Papon en sont une illustration. La mauvaise connaissance de l’époque des faits par les juges, la difficulté de perception de l’ambiance de l’époque, le recours à des historiens comme témoins au sens de la procédure pénale, avec ce que cela implique de débats et d’interprétations historiques, sans pour autant remettre en cause la compétence de ces historiens, sont autant d’éléments posant le problème d’un procès anachronique. Le risque de juger un fait vieux de cinquante ans avec la mentalité d’aujourd’hui est également à releverNote2801. .
Le professeur Jeanneney s’interroge sur ce problème d’anachronisme du jugement, au regard notamment de l’affaire Papon. Trois points sont à signaler selon lui : l’évolution éventuelle des principes moraux et philosophiques fondant le jugement ; l’évolution de l’accusé depuis la commission des faitsNote2802. . Enfin la distance entre les faits et le jugement, rendant difficile la restitution de la latitude d’action des acteurs et de leurs marges de libertéNote2803. .
Le jugement d’une génération par une autre, l’attitude et les souvenirs de témoins qui, au fil du temps, peuvent s’émousser ou bien inconsciemment être dénaturés, faisant de l’historien un meilleur témoin que les témoins, sont-là quelques exemples des difficultés soulevées par de tels jugementsNote2804. .
Quoiqu’il en soit, la question reste la suivante : le procès pénal est-il adapté après tant d’années avec des criminels complètement réinsérés ? On peut se demander si une solution intermédiaire ne serait pas à privilégier. Un procès pénal, « pour la forme », aux conséquences uniquement civiles et politiques. Si les frustrations qu’un tel système peut provoquer chez les victimes est normal, la justice y garde la sérénité et le recul qui doivent être les siens. La stigmatisation médiatique qui existera lors du procès pourrait constituer le pendant afflictif à la sanction civile. Le mécanisme ainsi proposé pourrait permettre plus facilement l’aveu et la vérité. L’acceptation par l’inculpé de la demande de pardon et de l’aveu, à l’instar d’un plea guilty, pourrait être la condition sine qua non d’un tel mécanisme.
Le grand âge de certains détenus est une condition de remise de peine qui a tendance à réduire la portée sanctionnatrice du procès pénal ; alors, dans ces hypothèses-là, pourquoi ne pas directement prévoir un mécanisme excluant la peine privative de liberté ?
Cette proposition, s’inspirant des grands principes des commissions Vérité et Réconciliation, pourrait être envisageable. Dans le domaine pénal, cela aboutirait à la dissociation entre procès pénal et sanction pénaleNote2805. , cette dernière n’étant pas exécutée mais prononcée pour la forme, au profit d’une sanction civile et d’une sanction « diffamatoire ».
Afin de compléter cette ébauche de proposition, on peut s’inspirer d’un mécanisme relevant du droit romain et surtout du droit canonique des 12ème et 13ème siècles : la fama. Il ne s’agit bien évidemment pas d’en proposer une transposition dans un contexte contemporain complètement différent. Il s’agit plutôt d’en utiliser la logique et de s’en inspirer pour ébaucher une proposition adaptée au sujet. La fama non seulement conditionne le type de procédure pouvant être mise en œuvreNote2806. , mais elle peut résulter du jugement prononcé ; c’est ce second aspect qui sera privilégié.
Plus que la fama, ce sera l’infamie qui sera utiliséeNote2807. . Présente dans le droit romain postclassique, elle peut constituer une peine accessoire ou principaleNote2808. . Elle fait l’objet d’une utilisation par le droit canoniqueNote2809. , après la redécouverte du droit romain. L’infamie est la suite nécessaire de certaines condamnations ; ce n’est pas qu’une notion morale, c’est également un statut juridique emportant une incapacité partielle. Les infâmes sont déchus de tout ce qui est fondé sur la réputation et la dignitéNote2810. .
Sans détailler excessivement cette notion complexe, il convient tout de même d’en préciser les contoursNote2811. .
Il existerait deux types de fama : la fama inter homines et la fama hominis. La première correspondrait à la renommée et pourrait porter sur un individu ou un objet, la seconde porterait sur une personne précise dans un contexte précis. Elle serait un élément de l’identité sociale. C’est à la seconde qu’il convient de s’intéresser. Cette fama sert tant au déroulement de la procédure en terme de crédibilité, qu’elle est un produit de la procédure. Elle est donc clairement appréhendée par le droit.
En elle-même, la fama n’est ni bonne ni mauvaise. Elle doit donc être qualifiée. Certains auteurs, comme BartoleNote2812. , précisent que la fama hominis serait positive, alors que son contraire serait l’infamia. Cette fama est relative, en ce sens qu’elle reçoit son contenu de personnes ou d’institutions dont l’autorité garantit la valeur. La fama et l’infamia ne présentent pas qu’un aspect pénal, mais également socio-politique.
La fama serait : « le statut d’une dignité intacte attesté par les lois et les mœurs ». Sa double dimension sociale et juridique a incité les juristes à distinguer l’infamia juris et l’infamia facti. La seconde se rapporte à l’opinion des gens honnêtes et sérieux, tandis que la première se rapporte à l’infamie dite légale et à l’infamie dite judiciaire. L’une est donc juridique. L’autre, bien que n’ayant pas ce caractère, n’est pas dépourvue de lien avec le droit. Les deux ne sont d’ailleurs pas sans relations l’une avec l’autre, car amoindrissant le statut socio-juridique de la personne visée. L’infamia juris se distingue par certaines conséquences capacitaires qu’elle entraîne comme l’impossibilité d’être accusateur, d’être témoin ou bien encore d’exercer certaines professions. L’infamie est toujours une peine.
L’infamia facti est une réprobation sociale pas toujours clairement identifiable, alors que l’infamia juri est le produit d’une volonté précise, émanant d’une institution et notamment de l’institution judiciaire. Cette dernière est le fruit du processus judiciaire, pris dans sa globalité et pas uniquement fruit de la sentence. L’aspect retenu sera celui de l’infamie judiciaire, la procédure pouvant être civile ou pénale. En fonction du type de litige et de l’existence d’un aveu, ainsi que du stade procédural où il intervient, l’infamie judiciaire sera prononcée ou non.
A cela, il faut ajouter le cas de l’infamie, en tant que conséquence d’une sentence non infamante. Dans ce cas, on se trouve dans une hypothèse intermédiaire entre l’infamia facti et l’infamia juri.
L’infamia juris ex genere poenae existe également pour les crimes ignominieux. La doctrine semble divisée sur ce point car le sujet est complexe. On peut remarquer qu’un crime, entre autres, entache la renommée et la réputation de manière factuelle, c’est-à-dire dans les rapports socio-politiques de l’individu avec les membres de la société dans laquelle il vit. L’infamie peut également constituer une sanction attachée au processus pénal, se traduisant par une réduction de la capacité juridico-sociale de l’individu.
D’ailleurs, elle est perçue, déjà au Moyen Age, comme une construction socio-politique affectant le statut de dignité de l’individu. La confiance sociale en l’individu est ruinée. La publicité donnée à la condamnation ou au processus pénal poursuivi amplifie cette atteinte à la confiance. Il est d’ailleurs intéressant de signaler que cette infamie peut être rappelée à la mémoire collective de la communauté par des supports visuels.
L’infamie, en général, est tournée vers la société. L’infamia facti dépend réellement de la société alors que l’infamia juri peut disparaître par l’intervention du pouvoir souverain, comme l’empereur, processus alors politique. Il pourra alors y avoir une rémission de la peine et une restauration intégrale de la confiance sociale.
De ce mécanisme, on peut tirer des éléments de réflexions. S’il n’existe pas de procédés équivalents aujourd’hui, on peut tout de même percevoir des réminiscences. Le caractère infamant de la peine est toujours décrit. L’infamia facti précédemment évoquée se retrouve dans l’opprobre populaire pour qui, souvent, mise en examen est synonyme de culpabilité. Le rappel de l’infamie par des supports visuels peut se retrouver aujourd’hui sous la forme de retransmissions télévisées ou d’adaptations télévisées. L’indignité nationale ayant été prononcée par une cour de justice au sortir de la Seconde Guerre mondiale peut présenter un certain lien avec l’infamia juri. Certaines sanctions pénales actuelles (art. 213-1 du CP) ne sont pas sans rappeler les effets de l’infamie judiciaire. Mais ne pourrait-on pas imaginer le développement d’une peine autonome d’infamie, réductrice de capacité juridique et politique, aux effets socio-politiques lors de procès sanctionnant des comportements ayant eu lieu il y a quarante ou cinquante ans, sous conditions de comportement irréprochable entre temps et sous condition d’aveu ? Cela serait un complément à une éventuelle sanction civile. Après ce procès pénal, la sanction ne serait pas prononcée. Seul les aspects civil et socio-politique suffiraient.
Pour conclure sur le thème du temps et de la sanction, on peut relever les propos de certains auteurs relatifs au droit intertemporelNote2813. . La question sous-jacente posée consiste à savoir si l’on peut appliquer à des faits passés des normes contemporaines, la question se posant avec plus d’acuité dans le domaine du jus cogens. On retrouve le thème de l’anachronisme. A l’évidence, les systèmes juridiques s’y opposent au nom de l’interdiction de la rétroactivité. En ce cas, il est proposé de transférer le débat du domaine juridique au domaine social et politique. Il est défendue, notamment, l’idée selon laquelle une loi spéciale pourrait permettre la réparation, pour des raisons morales, ce qui ne signifierait nullement une reconnaissance rétroactive de la violation d’une obligation internationale. Les fondements de telles prétentions restent cependant à identifierNote2814. .
A observer les diverses sentences rendues, en France et devant les Tribunaux pénaux internationaux, le criminel contre la paix et la sécurité est soumis aux peines communes, depuis l’abolition de la peine de mort. Tout au plus constate-t-on plus de prononcés de réclusions à perpétuité. Les victimes et les spectateurs sont souvent désappointés par le prononcé de peines de cinq, huit ou même quinze ans. Comment les crimes jugés les plus horribles ne peuvent-ils pas donner lieu à des peines plus sévères ? Si la question est légitime, la réponse semble résider dans l’appréciation que le juge essaye de faire de la participation réelle de l’individu au crime, dans la logique d’un droit pénal également tourné vers la réadaptation du criminel.
Après le prononcé de la sanction, débute son exécution qui se caractérise, pour les juridictions internationales, par une « sous-traitance » avec les Etats.
Le militaire qui aurait commis un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité risquerait de multiples condamnations : disciplinaire, civile et pénaleNote2815. .
La peine en résultant est susceptible d’évoluer pour diverses raisons. La justice internationale pénale présente cependant un trait remarquable, à savoir que les peines qu’elle prononce ne sont pas exécutées dans des centres pénitentiaires propres, mais dans ceux des Etats. Pour autant, l’exécution et l’évolution de la peine ne leur sont pas dévolues, elles font l’objet d’un contrôle par les organes des juridictions internationales pénales. L’article 80 du statut de la Cour pénale internationale semble dissocier les peines prononcées par cet organe des peines étatiques, précisant que le statut de la CPI n’affecte en rien le droit des Etats.
La mise en exécution de la sentence prononcée par les juridictions internationales pénales suppose que les décisions ainsi rendues bénéficient d’une portée juridique. Il existe une controverse sur le caractère juridictionnel de telles décisions. Pour certains, ce sont des actes juridictionnels internationauxNote2816. ; pour d’autres, ce ne serait que des actes d’administration du juge répressifNote2817. . Les travaux relatifs aux statuts ne semblent en tout cas laisser aucun doute sur ce point, en faveur de la première visionNote2818. . Deux points sont à préciser : l’obligation de reconnaître et d’exécuter les jugements des juridictions internationales pénales et leur force exécutoireNote2819. . Tant les statuts des TPI que celui de la CPI ne prévoient pas de clauses générales sur l’autorité des jugements, ni sur l’obligation des Etats de s’y conformer. L’adhésion aux statuts est dissociée de la reconnaissance du consentement à devenir Etat d’exécutionNote2820. . Il y a distinction entre effet automatique de la chose jugée et exequatur. Contrairement à un jugement rendu par une juridiction étrangère, la décision rendue par une juridiction internationale pénale n’est pas sans rapport avec les Etats. Ceci justifie donc l’application d’un régime différent. Pour les TPI, l’aura du chapitre VII de la Charte de l’ONU n’est pas sans effets. Et concernant le statut de la CPI, le système intégré se mettant en place dans le domaine particulier des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, donne une portée quasi-automatique à ces jugementsNote2821. .
L’exécution est considérée comme relevant d’une fonction politiqueNote2822. . Cela est largement avéré concernant l’exécution des décisions internationales.
Il convient de distinguer les lieux d’exécution de la peine (sous-section 1ère), eu égard à cette spécificité en droit international, des modalités d’exécution et d’évolution de cette même peine (sous-section 2nde).
Le militaire français jugé en France y exécute tout naturellement sa peine, selon le régime prévu à cet effet. En revanche, si la peine est prononcée par une juridiction internationale pénale, l’exécution est sous-traitée par un Etat, sur la base d’un accord. La France faisant partie de ces Etats, si certains de ses agents sont condamnés, ils exécuteront vraisemblablement leurs peines en France. Il convient alors de préciser les relations en ce domaine entre les juridictions internationales pénales et la France. Une politique de collaboration est instituée, qui soumet l’exécution de la peine au système français.
Les relations entre les juridictions internationales pénales et les autorités nationales, en ce domaine, sont réglées sur le mode de la coopération et du double consentement. Cependant, les relations avec les TPI se font sur un mode plus contraignant qu’avec la CPI où prime le consensualisme. Les solutions retenues garantissent le respect des souverainetés étatiquesNote2823. .
Les inculpés, en attente d’un jugement ou pendant le jugement qui a lieu devant le TPIY, sont détenus à La Haye, sur le fondement d’un accord de siège entre les Pays-Bas et l’ONU signé le 14 juillet 1994Note2824. . Si l’on se limite à cet exemple, on peut remarquer l’existence d’un règlement portant régime de détention des personnes en attente de jugement ou d’appel devant le tribunal ou détenues sur l’ordre du tribunalNote2825. , d’un règlement fixant les modalités d’un dépôt de plainte par un détenuNote2826. , d’un règlement établissant une procédure disciplinaire à l’encontre des détenusNote2827. , d’un règlement interne définissant les modalités des visites et des communications avec les détenusNote2828. et d’un règlement intérieur à l’intention des détenusNote2829. .
En France, les militaires criminels sont normalement détenus, préventivement, dans des locaux séparés des criminels de droit commun (art. 698-5 du CPP).
Les Tribunaux pénaux internationaux comme la Cour pénale internationale disposent d’une liste d’Etats acceptant de prendre en charge la détention des condamnés par les juridictions internationalesNote2830. . Concernant la CPI, l’acceptation peut être conditionnée, mais doit recevoir l’aval de la CourNote2831. . A cet égard, la Cour attache une grande importance aux conditions de détention dans les choix qu’elle opèreNote2832. .
Concernant les TPI, cette coopération peut prendre deux formes. Certains Etats, comme la Suisse et la Belgique, ont adopté une législation spéciale. D’autres ont procédé par voie contractuelle entre l’ONU et le pays concerné, comme par exemple, l’Italie et la Norvège.
La loi française du 2 janvier 1995, relative à la coopération avec le TPIY ne prévoit rien à ce sujet. Un projet de loi séparé fut donc envisagé. Afin de ne pas heurter la Constitution, notamment au regard des prérogatives du Président de la République qui peut exercer le droit de grâce, il est prévu, conformément au statut du TPIY, que les peines sont exécutées selon les règles nationales. Le détenu peut alors bénéficier de la législation française, comme la libération conditionnelle (article 3 de l’accord), d’une grâce ou d’une commutation de peine (article 8 du projet). En ce cas, l’Etat en informe le président du Tribunal. En cas de refus, le condamné est alors restitué au TPIY. Cette façon de procéder avait déjà été envisagée lors de la ratification du statut de la CPI et validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 janvier 1999.
Un projet d’accord avait donc été soumis par le TPIY à la France le 17 janvier 1997. Il s’inspire d’un accord type passé avec les Pays-Bas, mais la France souhaite un assentiment des prisonniers au cas par casNote2833. .
Concernant le TPIR, bien que plus éloigné de la France, sa Présidente, Mme Navanethem Pillay a proposé un accord identique à celui signé par la France et le TPIY en mai 2000 ; il a été signé le 14 mars 2003 à Arusha. Ce projet est soutenu par le rapporteur de l’Assemblée NationaleNote2834. . Mais le TPIR privilégie l’exécution des peines en AfriqueNote2835. . Le décret portant publication de l’accord passé entre le Gouvernement français et l’ONU pour l’exécution des peines prononcées par le TPIR a été adopté le 29 juin 2005Note2836. .
Dans ces deux derniers accords, il est prévu que les autorités françaises choisissent le lieu exact de détention. Concernant le TPIY, l’autorisation d’approbation de l’accord fit l’objet de la loi du 28 février 2002Note2837. . Enfin, dans la perspective d’une relation avec la CPI, fut adoptée la loi n° 2002-268 du 26 février 2002, relative à la coopération avec la CPI, codifiée aux articles 627 et suivants du Code de procédure pénale.
Une observation croisée des statuts des trois juridictions internationales pénales permet de faire ressortir deux points : l’existence d’un principe de double consentement et un consentement conditionnéNote2838. .
Tout d’abord, il convient d’observer que le statut et le règlement de preuves et procédure de la Cour pénale internationale sont beaucoup plus précis et développés que ceux des Tribunaux pénaux internationauxNote2839. . Une différence normale est à souligner entre les statuts des TPI et celui de la CPI. Les deux premiers prévoient que les Etats intéressés informent le Conseil de Sécurité, tandis que le statut de la CPI prévoit une relation directe entre la Cour et les Etats.
Seul l’article 103 du statut de la CPI prévoit la possibilité pour les Etats intéressés de poser des conditions à leur engagement. En pratique, cela avait été envisagé avec les TPI. Les articles 627-18 à 627-20 du Code de procédure pénale s’articulent avec l’article 103 du statut de Rome.
L’adhésion au statut de la CPI n’oblige nullement les Etats à assumer l’exécution des peines de réclusion, car de telles obligations sont lourdes. Ils sont libres de se porter candidats, au cas par cas : c’est la règle du double consentement.
L’accord se fait alors sous forme consensuelle. Les statuts des TPI ne prévoient rien ; en revanche, l’article 200§ 5 du RPP de la CPI prévoit la possibilité d’accords bilatéraux.
La France a d’ailleurs passé un tel accord avec le TPIY qui permet d’observer le mécanisme ainsi mis en placeNote2840. . L’interlocuteur principal de la France est le greffier du TPIY, agissant de concert avec le Président de la juridiction (art. 3). Il adresse alors une requête accompagnée de certains documents, comme la copie certifiée conforme du jugement, une déclaration précisant la durée de la peine déjà purgée, également un rapport médical et psychologique. Cet accord prévoit, par la suite, les modalités d’exécution de la peine, de son contrôle et les obligations de chacune des parties.
Le consentement donné par l’Etat étant facultatif, il peut être retiré à n’importe quel momentNote2841. . Cela est également vrai pour les Nations UniesNote2842. .
Le tribunal choisit librement l’Etat d’exécution et la CPI peut même modifier librement l’Etat d’exécution, mais son choix est limité par le respect du principe de répartition équitable des détenus entre les Etats destinatairesNote2843. , ce qui est vérifié par la pratique des TPINote2844. . En outre, le détenu peut donner son avis sur le lieu de sa détentionNote2845. . La Cour pénale internationale se distingue, là encore, des autres juridictions par le fait qu’elle consulte le détenu. On peut donc imaginer qu’un militaire français condamné par la Cour se verrait proposer de purger sa peine en France et qu’il pourrait accepter, à moins de considérer, ce qui pourrait également être pris en compte par la Cour, que sa vie y serait menacée. D’ailleurs, l’article 104§ 2 du statut, ainsi que la règle 210, lui permet à tout moment de demander un changement de l’Etat d’exécution. Ce choix peut également être dicté par les conditions de détention.
Le TPIY s’est doté d’une directive pratique relative à la procédure que doit suivre le tribunal international pour désigner l’Etat dans lequel un condamné purgera sa peine d’emprisonnement. Pour chaque détenu, la procédure à suivre est celle décrite dans ce document. Le TPIY précise, dans sa décision Erdemovic,que « s’agissant des mesures affectant l’exécution de la sentence, telles que la remise de peine et la libération conditionnelle, en vigueur dans un certain nombre d’Etats, la Chambre ne peut que recommander qu’il en soit tenu compte lors du choix de l’Etat »Note2846. .
Les Etats, et c’est le cas de la France, possèdent une situation carcérale en général critique. L’acceptation de prise en charge de détenus supplémentaires n’est donc pas évidente. De fait, les TPI connaissent des difficultés pour trouver des candidats. En février 1995, le président du TPIY avait alors proposé aux Etats la possibilité de s’engager pour une durée restreinte ou de se limiter à un certain nombre de condamnés par anNote2847. . Les Etats en profitèrent pour poser leurs conditions, ce qui fut repris par l’article 103 du statut de la Cour pénale internationale.
En France, une telle pratique a été validée par le Conseil constitutionnel le 22 janvier 1999. Cela permet aux Etats d’engager des relations plus souples et en accord avec leurs législations. Cependant, ces conditions doivent être agréées par la Cour et être conformes au chapitre 10 du statut, d’après l’article 103. La règle 200§ 2 du RPP complète cette disposition en précisant que si l’Etat et le Président de la Cour ne peuvent s’entendre, alors ce dernier n’inscrit pas l’Etat sur la liste prévue à cet effet. Le consensualisme de cette procédure est confirmé par la règle 200§ 5 du RPP qui permet aux Etats de modifier leurs conditions et qui réaffirme la nécessaire acceptation du Président de la Cour.
Une des conditions à relever est relative à la nationalité. La Suisse, dans l’article 50 alinéa 1er de la loi fédérale sur la coopération avec la CPI du 22 juin 2001, a prévu qu’elle exécutera un jugement si la personne condamnée est un ressortissant suisse ou bien s’il réside habituellement en Suisse. L’accord de coopération avec les TPI ne prévoyait que la condition de résidenceNote2848. . Reste à savoir si la France prévoira une clause identiqueNote2849. . L’article 103§ 3 d) prévoit la prise en compte de la nationalité du coupable lors de la fixation du lieu d’emprisonnement.
Une fois l’Etat d’exécution choisi et ce dernier ayant expressément accepté, il reste à préciser que, si le détenu est soumis aux lois nationales pour l’application de sa peine, cela se fait sous la surveillance de la juridiction internationale (art. 627-20 du CPP). L’article 627-20 prévoit que si le détenu demande à bénéficier de certains aménagements de peine, la requête est adressée au procureur général de la cour d’appel compétente territorialement qui la transmet ensuite à la CPI avec les documents pertinents. La juridiction internationale décide des suites à donner. En cas de refus, le Gouvernement français indique s’il souhaite ou non garder la personne sur le territoire français. En cas d’impossibilité à trouver un Etat hôte, le détenu purge sa peine aux Pays-Bas (article 103§ 4 du Statut de la CPI). En outre la CPI possède la faculté de transférer le détenu dans une prison d’un autre Etat (art. 104§ 1).
L’article 627-19 du Code de procédure pénale prévoit que, dès l’arrivée du condamné sur le territoire français, il est présenté au procureur de la République du lieu d’arrivée qui vérifie son identité. Si la rencontre ne peut avoir lieu immédiatement, il est conduit à la maison d’arrêt et est présenté dans les 24 heures au procureur par les soins du chef d’établissement. Une fois la vérification effectuée, le procureur ordonne l’incarcération.
Les relations entre les juridictions internationales pénales et l’Etat français, bien que soumises à des accords différents, pas tous encore en vigueur, présentent une similitude dans les logiques. Le consensualisme reste le mode principal de relation. Le statut de la CPI, certes plus élaboré, se situe dans la ligne textuelle et jurisprudentielle définie, entre autres, par le TPIY. Cette logique se retrouve dans les modalités d’exécution de la peine.
Si la juridiction à l’origine de la condamnation est française, la peine est exécutée en France selon le régime français. En revanche, si elle est prononcée par une juridiction internationale pénale, le militaire n’est pas totalement assuré d’être transféré en France. Il possède même la possibilité de formuler son opposition à un tel transfèrement. Cependant, la pratique actuelle des TPI ainsi que certains accords peuvent laisser penser que dans une telle situation le militaire français sera remis aux autorités françaises.
Apparemment, le régime d’exécution de la détention pénale en France semble conforme aux standards internationaux et donc aux exigences des statuts des juridictions internationalesNote2850. . D’un point de vue substantiel, il ne devrait pas y avoir de différence de régime selon la juridiction de condamnation. Cependant, le régime de surveillance de l’exécution est différent. En cas de condamnation par une juridiction internationale, le condamné bénéficie d’une possibilité de contestation auprès de cette même juridiction, alors que le militaire condamné par une juridiction française est soumis au régime français. Donc pour un fait similaire, le militaire, selon l’origine de sa condamnation, est vraisemblablement soumis aux mêmes conditions de détention, mais différemment contrôlées.
Une seconde différence est remarquable. L’évolution de la peine est, elle aussi, soumise à l’approbation du système à l’origine de la sanction. Dans un cas, la France maîtrise donc toute l’exécution de la peine, dans l’autre, elle n’est qu’une exécutante, aux pouvoirs limités. Nous distinguerons donc successivement le contrôle de l’exécution de la peine (§ 1er), puis la maîtrise de son évolution (§ 2nd).
Pour le soldat condamné en France, il n’y a que peu de choses à dire, il est soumis au régime français. En revanche, une fois le lieu de détention choisi suite à une condamnation internationale, l’application de la peine se fait sous surveillance internationale.
Les TPI et la CPI nécessitent l’aide des Etats pour l’exécution de leurs décisions. Cela est vrai pour les ordres ou les mandats émis, ainsi que pour les remises d’inculpés et pour l’exécution des sanctions prononcéesNote2851. .
Ce principe de surveillance de la part des juridictions internationales de l’exécution des peines est prévu aux articles 27 du statut du TPIY et 26 de celui du TPIR, complétés par l’article 104 du RPP. Les articles 103§ 2 a) et 104§ 1 du statut de la CPI semblent reprendre implicitement cette règle. Mais c’est surtout l’article 106 du statut qui prévoit explicitement son rôle de surveillance, ce qui est précisé par la règle 211§ 1 a) du RPP et par l’article 627-20 du Code de procédure pénale.
Cependant, on peut observer de légères différences de formulation entre les articles 26 et 27 des statuts du TPIR et du TPIY et l’article 106 du statut de la Cour pénale internationale. L’article 27 du statut du TPIY prévoit que l’exécution est « sous le contrôle du tribunal », tandis que l’article 26 du statut du TPIR parle de « supervision du tribunal », ce qui ne semble pas entraîner une quelconque différence.
En revanche, l’article 106§ 1 du statut de Rome est plus intéressant, car il précise les éléments de référence du contrôle : « les règles conventionnelles internationales largement acceptées en matière de traitement des détenus ». L’article 106 distingue les règles d’exécution de la peine (§1er) des conditions de détention (§ 2nd).
Il reste à préciser quelles sont ces conventions. On peut trouver une réponse en ce qui concerne la France dans le décret de publication du 26 mars 2004 de l’accord avec le TPIY, signé le 25 février 2003 et dans le décret de publication de l’accord entre la France et le TPIR du 29 juin 2005. L’Etat français précise les règles minimales relatives au traitement des détenus approuvées par le Conseil Economique et Social des Nations Unies dans ses résolutions 663 (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2067 (LXII) du 13 mai 1977, puis l'ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement adopté par l'Assemblée générale dans sa résolution 43/173 du 9 décembre 1988 et les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus adoptés par l'Assemblée générale dans sa résolution 45/111 du 14 décembre 1990Note2852. .
A cela, il convient d’ajouter les prescriptions de la Convention européenne des droits de l’Homme, telle qu’interprétée par la Cour européenne et notamment l’article 3 relatif aux traitements inhumains et dégradants. Dans sa décision Kudla, la Cour européenne des droits de l’Homme a pour la première fois affirmé que l’article 3 s’applique aux détenus, et notamment à leurs conditions de détention, dans une perspective de dignitéNote2853. . Antérieurement était affirmé le droit du détenu à ne pas subir de sévices de la part des agents de l’EtatNote2854. , mais la décision Kudla porte sur les conditions de détention mêmes. Elles sont alors définies par rapport à la jurisprudence relative à l’article 3, telles que définies par la décision Irlande c/ Royaume-Uni de 1978Note2855. . Non seulement la jurisprudence apporte des réponses à certaines pratiques, mais surtout elle impose à l’Etat d’assurer des conditions de détention conformes à la dignité humaineNote2856. . Par exemple, cela a un impact sur l’obligation de protéger la santé des détenusNote2857. . Le maintien en détention d’un prisonnier en mauvais état de santé est sanctionnéNote2858. . Il est également intéressant de constater que le détenu bénéficie de la possibilité d’obtenir une enquête en cas de contestation de ses conditions de détentionNote2859. . La France, en tant qu’Etat membre de la Convention européenne, est soumise à ces prescriptions. En outre, elle fait l’objet d’un contrôle, notamment de la part du Comité européen pour la prévention de la torture, ou bien encore de certaines associations, comme l’observatoire international des prisons.
De ces quelques éléments énoncés, on peut constater que dans le cadre des relations avec les TPI et la CPI, des éléments similaires relatifs aux détenus apparaissent, que ce soit sur le principe du contrôle ou sur celui des normes de référence utilisées.
Sur le principe, le contrôle est avant tout assumé par la juridiction internationale à l’origine de la condamnation. Un contrôle régulier est également exercé par des organes extérieurs. Par exemple, l’article 6 de l’accord entre la France et l’ONU relatif à l’exécution des peines prononcées par le TPIY prévoit une inspection périodique et impromptue par le Comité international de la Croix Rouge. Un rapport s’ensuit, remis aux autorités françaises et au Président du TPIY. Une consultation peut ensuite avoir lieu entre l’Etat et le Président du Tribunal, notamment en ce qui concerne les suites à donner au rapport. En cas de désaccord, le détenu peut être transféré dans un autre centre de détention, conformément à l’article 3 de cet accord. Cet article doit être lu à la lumière du préambule qui rappelle un certain nombre de ces règles et principesNote2860. . Ceci est renforcé par la jurisprudence du TPIY, qui souligne que « la sanction imposée et son exécution doivent se conformer aux principes minimaux d’humanité et de dignité qui inspirent les normes internationales en matière de protection des condamnés, consacrés notamment dans le Pacte international des droits civils et politiques en son article 10, la convention américaine relative aux droits de l’Homme en son article 5 paragraphe 2 et, plus particulièrement en ce qui concerne les peines, l’article 5 de la déclaration universelle des droit de l’Homme et l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme »Note2861. . Et les juges poursuivent en précisant certains principes fondamentaux. On remarque enfin que pour donner une cohérence au système, les Nations Unies ont alloué des sommes à la rénovation de certains centres de détentionNote2862. .
L’article 106§ 2 du statut de Rome est formulé de telle manière que les conditions de détention soient réglées par le droit national. Ce dernier doit être en conformité avec le droit international conventionnel en ce domaine. Il se cache une volonté d’uniformiser au maximum les conditions de détention des détenus, quel que soit l’endroit où ils se trouventNote2863. .
Le contrôle exercé par la présidence de la Cour pénale internationale sur les conditions de détention est réaffirmé par la règle 211 de son RPP. Notamment, il y est inscrit que le Président peut demander des renseignements à l’Etat en question ou peut s’adresser à toute source digne de foi (211§ 1 b). Il peut également désigner à cet effet un juge ou un membre du personnel de la Cour, en le chargeant de rencontrer le détenu, mais après avoir prévenu l’Etat (211§ 1 c).
Divers événements peuvent affecter l’exécution d’une peine tels qu’une remise de peine, une amnistie ou une grâce. D’autres éléments peuvent être pris en compte, comme la maladie ou la vieillesse.
Les autorités en charge du suivi des peines, comme le juge d’application des peines en France, en suivent donc l’évolution. Mais la situation se complexifie dès le moment où le militaire est condamné par une juridiction internationale pénale. Les autorités en charge de l’exécution de la peine ne sont alors pas totalement libres d’appliquer le régime français. Dès lors que la peine peut être modifiée, il convient pour les autorités françaises d’obtenir l’aval de la juridiction internationale pénale. La question de la marge d’appréciation laissée aux Etats en général, et à la France en particulier, concernant l’aménagement des peines, fut un point d’achoppement dans l’adoption d’accords réglant les relations en ce domaine.
Les autorités du TPIY avaient insisté sur la durée de la peine prononcée par le tribunal et notamment sur le principe de « l’égalité de traitement des prisonniers, ainsi que sur le souci de réduire les disparités de mise en œuvre »Note2864. . L’Etat n’est en ce cas qu’un sous-traitant de la juridiction internationale. C’est la raison pour laquelle les juridictions internationales à l’origine de la sanction gardent le contrôle de son exécution (A). Pour autant, il convient de ménager les Etats, d’où la nécessité de rechercher un équilibre entre les prérogatives étatiques et celle des juridictions internationales (B).
Le droit français prévoit diverses hypothèses de modification de la peine : la libération conditionnelle ou anticipéeNote2865. , le placement à l’extérieur, l’amnistie, la grâce… Les statuts des TPI retiennent, quant à eux, la grâce ou la commutation de peineNote2866. . Celui de la CPI, dans son article 103§ 2 a), envisage, de manière beaucoup plus générale, toute mesure qui pourrait modifier les conditions ou la durée de la peine.
L’article 105§ 1 énonce déjà l’impossibilité pour l’Etat de modifier la peine, sous réserve des conditions émises à l’accord de coopération. Mais c’est surtout l’article 110 qui porte sur ces hypothèses. Restant dans des termes généraux, cet article rappelle l’impossibilité de principe des autorités nationales de libérer le détenu avant la fin de sa peine. Cette compétence reste du ressort de la CPI.
On peut distinguer trois phases, plus ou moins distinctes, dans les statuts et règlements de preuves et procédures : l’information quant à l’éligibilité du prisonnier (I), l’avis retenu par le juge international (II) et enfin la confrontation entre cet avis et l’Etat d’exécution de la peineNote2867. .
Dans la loi du 26 février 2002 relative à la CPI, la France a clairement prévu, en la codifiant à l’article 627-20 du Code de procédure pénale, l’information de la CPI de toute demande déposée par le condamné « de placement à l’extérieur, de semi-liberté, de réduction de peine, de fractionnement ou de suspension de peine, de placement sous surveillance électronique ou de libération conditionnelle » ; « sont seules exclues les permissions de sortir et les autorisations de sortie sous escorte, qui, à la différence des aménagements de peines précédemment cités, sont des mesures d’administration judiciaire non susceptibles de recours. En outre, elles s’apparentent d’avantage à des mesures d’aménagement de la détention, qui, en application de l’article 106 du statut, relèvent de l’Etat chargé de l’exécution, qu’à des mesures d’aménagement de la peine »Note2868. .
Les articles 27 et 28 respectivement des statuts du TPIR et du TPIY prévoient que l’Etat voulant prononcer une grâce ou une commutation de peine doit en aviser le tribunal. Ces articles sont complétés par les articles 124 à 126 du RPP du TPIR et 123 à 125 du RPP du TPIY.
Une fois informés, les juges doivent se prononcer ; pour cela, il convient de vérifier si les statuts et RPP des juridictions contiennent les mêmes modalités de réduction de peine. Il semble que la grâce et l’amnistie ne soient pas toujours prévues de façon identique.
D’une part, les statuts et RPP des TPI n’envisagent que la grâce et la commutation de peine, tandis que la CPI, bien que s’attardant sur ces deux points, semble retenir une formulation plus large, pouvant inclure l’amnistie. D’autre part, le droit de grâce du Président de la République française, prévu à l’article 17 de la Constitution, prime normalement sur le droit international. Enfin, il reste à aborder le problème de la révision, ainsi que quelques autres hypothèses prévues par le statut de la CPI.
Selon le vocabulaire juridique du professeur CornuNote2869. , « amnistie » signifie mesure qui ôte rétroactivement à certains faits commis à une période déterminée leur caractère délictueux, ces faits étant réputés avoir été licites. En filigrane, la racine grecque du mot, contient une idée de pardon et d’oubliNote2870. . Dans la Constitution de 1958, l’article 34 alinéa 5, réserve l’amnistie au législateur. Il existe également des grâces amnistiantes. Brièvement, l’amnistie est à distinguer des hypothèses de grâce ou de commutation de peine. L’amnistie fait disparaître rétroactivement le caractère délictueux du comportement à l’origine de la condamnationNote2871. . Cela entraîne alors la caducité de la condamnation. C’est l’élément légal de l’infraction qui est concerné (art. 133-9 du Code pénal). Elle est décidée par le législateur, selon l’article 34 de la Constitution de 1958. Elle est souvent utilisée dans le cadre de troubles politiques graves. Selon certains auteurs, elle a été déformée, notamment en s’individualisant progressivementNote2872. . Elle constitue une mesure d’oubli officielNote2873. .
Elle éteint en principe l’action publique ou, du moins, bloque l’action en cours quelqu’en soit l’avancement. Du point de vue des victimes, elle peut être mal vécue, ce qui fut le cas, par exemple, avec la loi d’amnistie du 18 février 1953 suite au procès de Bordeaux. L’amnistie semble aujourd’hui impossible en matière de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Fruit d’une loi, elle ne peut normalement s’opposer à une prescription internationale contraire. On peut observer actuellement une désapprobation pour les lois d’amnisties adoptées, par exemple au Chili. Pour autant, le mécanisme reste possible, sa logique étant utilisée par les commissions Vérité et Réconciliation. Le Conseil constitutionnel s’est interrogé sur la compatibilité du statut de Rome en matière d’inefficacité de l’amnistie avec la Constitution française. Il considère que l’obligation de remise d’une personne ayant été amnistiée est susceptible de porter atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souverainetéNote2874. .
La grâceNote2875. , dans le domaine pénal, est une mesure de clémence par laquelle le Président de la RépubliqueNote2876. , en vertu de l’article 17 de la Constitution, soustrait en tout ou partie un condamné à l’exécution de la peine prononcée contre lui (art. 133-7 CP), ce qui équivaut, en quelque sorte, à une remise de peine. Il peut également substituer une peine à une autre. La grâce amnistiante relève également des pouvoirs du Président, dans les conditions spéciales prévues par une loi d’amnistie. Aujourd’hui, ce type d’action est considéré par certains comme un mécanisme portant atteinte à la séparation des pouvoirs et à l’autorité de la chose jugéeNote2877. . La critique n’est pas infondée. C’est également un élément caractéristique de la souveraineté étatique et un attribut du monarque ou du Président. Le principe de la grâce et de la commutation de peine n’est pas écarté par les statuts des juridictions internationales pénales, mais il est conditionné. Cette condition n’existant pas si la condamnation est d’origine française.
La grâce est une faveur en vertu de laquelle un coupable, définitivement condamné, est soustrait à l’application de tout ou partie de sa sanction. Elle constitue un mécanisme nécessaireNote2878. . La grâce peut être individuelle ou collective, pure et simple ou bien conditionnelle. Selon l’article 133-7 du Code pénal, la grâce dispense de la peine, mais elle laisse subsister l’infraction et son caractère délictueux.
Le statut de la CPI ne parle que de réduction de peine (article 110 du statut et 223-224 du RPPNote2879. ). En cas de peine prononcée par la CPI, seule cette dernière est compétente pour décider d’une réduction de peine. En revanche, les statuts des TPI envisagent la grâce et la commutation de peine (articles 28 du STPIY et 123 à 125 du RPP, article 27 du STPIR). Il y est précisé que, si un détenu condamné par un des TPI peut bénéficier dans le pays dans lequel il se trouve d’une grâce, les autorités étatiques en informent le président du TPI concerné, qui consulte les autres juges et tranche selon les principes généraux du droit et les impératifs de Justice. La grâce étant proche de la réduction de peine, on peut sûrement assimiler l’article 110 du statut de la CPI à ceux des TPI.
Il reste à voir comment les juges saisis se prononcent. Le RPP de la CPI le précise, tout d’abord dans la règle 211§ 1 relative au bénéfice d’un programme ou d’un avantage offert par la législation étatique, mais sous le contrôle de la Cour. Ce sont surtout les règles 223 et 224 qui s’y rapportent et qui opèrent un lien avec l’article 110 du statut. Il est alors précisé que ce sont les trois juges de la chambre d’appel qui se prononcent, prenant en considération les éléments suivants : un comportement du condamné traduisant son repentir, des possibilités de resocialisation et de réinsertion, la perspective d’une bonne réinsertion, une volonté de pardon et également son état de santé. Une audience a alors lieu, réunissant les juges d’appel, le procureur, le condamné et un représentant de l’Etat d’exécution de la peine, voire les victimes.
L’article 110§ 3 prévoit un réexamen de la peine soit au bout de 25 ans, soit dès les deux-tiers de l’exécution de la peine. En cas de décision négative, le réexamen a lieu régulièrement, tous les trois ans (règle 224 RPP), sauf exception. En cas de désaccord de la Cour, l’article 103§ 2b) prévoit, par renvoi à l’article 104, un changement d’Etat d’exécution.
Lorsque c’est l’Etat d’exécution de la peine qui est à l’origine de la possibilité de réduction de peine, il doit informer la CPI au moins quarante-cinq jours avant ( art. 103§ 2).
Selon certains auteurs, la combinaison des articles 103§ 1 b), 103§ 2 et 105§ 1 dévoile la possibilité pour l’Etat d’exécution de procéder à des réductions de peineNote2880. .
Dans une telle hypothèse, le président du TPI saisi, après consultation des juges, tranche selon les intérêts de la justice et les principes généraux du droit. Que ce soit dans le RPP du TPIR ou du TPIY, le Président apprécie l’opportunité d’une telle mesure, notamment en fonction d’éléments propres au condamné. Cette décision est définitive et sans appelNote2881. . La décision est communiquée immédiatement par le greffe à l’Etat.
Selon leurs critères nationaux, les Etats peuvent souhaiter faire bénéficier les personnes incarcérées chez elles des avantages de leur législation. Ceci doit alors être négocié avec les juridictions internationales à l’origine de la condamnation. La situation peut être d’autant plus tendue s’il s’agit d’amnisties ou de grâces, notamment si le condamné est l’un de leurs ressortissants. Au-delà de cette situation, se pose le problème, sensible, de la maîtrise par les Etats de leurs pouvoirs de grâce et d’amnistie, que l’on soit d’ailleurs dans l’hypothèse précédemment évoquée ou que l’on soit dans celle d’une affaire uniquement menée par les autorités nationales.
Des différents accords passés actuellement avec le TPIY, on peut distinguer trois solutions en cas de désaccord avec les juges internationaux : l’acceptation de la décision de la juridiction internationale pénale, l’impossibilité de poursuivre l’exécution de la peine ou le choix laissé à l’Etat de poursuivre ou nonNote2882. . La France relève de la troisième formule. Cela est valable également dans ses rapports avec la CPINote2883. .
Le droit de grâce semble plus ou moins explicitement faire l’objet de dispositions, mais son exercice paraît fortement encadré. En revanche, l’amnistie ne semble pas faire l’objet d’égards particuliers, pour autant, l’esprit du droit international pénal n’est pas sans influence sur elle. Cependant elle mérite une attention particulière, du fait de la place qui lui est réservée dans les processus de réconciliation, en marge du processus pénal.
Mais dans la perspective réductrice de souveraineté du système de la CPI, on peut légitimement supposer que ces droits sont atteints. Les droits de grâce et d’amnistie sont soumis à l’aval des juridictions internationales pénales.
La question mérite d’autant plus d’être soulevée que la grâce et l’amnistie sont consubstantielles au pouvoir de répression ; le monopole de la grâce est lié à celui de la sanction répressive par le souverainNote2884. . Ces droits ne sont pas retirés aux autorités françaises, dans le système de la CPI, mais l’exercice en est surveillé et peut être source de contestation. En l’absence de toute indication sur ce point, il convient d’en préciser clairement l’utilisation, même si l’on peut penser que, du fait de la pression populaire, rares seront les Présidents osant les exercer.
L’amnistie n’est pas totalement exclue du droit des conflits. L’article 6§ 5 du protocole II aux conventions de Genève invite les Etats à « accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part aux conflits armés ». Mais de manière générale, l’objectif d’impunité constitue un obstacle à l’amnistieNote2885. .
La ratification du statut de la CPI par la France fait vraisemblablement naître nombre d’effets secondaires affectant le système français. Les statuts des TPI et de la CPI sont clairs. Si un condamné l’est par eux, le droit de grâce leur appartient. On peut alors en déduire que si la condamnation résulte du jugement d’une juridiction française, le Président peut exercer son droit de grâce.
Pour autant, on peut se demander si une grâce accordée pendant ou juste après une condamnation ne serait pas considérée comme un moyen de soustraire l’accusé à la justice, ce qui pourrait alors justifier la compétence de la CPI. Une même remarque vaut pour l’exercice de l’amnistieNote2886. . Faudra-t-il attendre un délai substantiel pour exercer l’un ou l’autre de ces droits sans risquer une réprimande de la part de la CPI ?
La question est donc la suivante. Le système de la CPI est-il porteur d’une dépossession des droits de grâce et d’amnistie des autorités étatiques ? Le domaine des crimes internationaux devient interétatique, selon le professeur BassiouniNote2887. , mais à terme, il ne serait pas étonnant qu’il devienne supraétatique. A cet égard, on peut souligner l’existence de projets, soutenus par les pays arabes et la France, de création d’un Conseil de grâce qui aurait pu être créé par le Conseil de sécuritéNote2888. , ou bien encore d’un projet confiant cette tâche au Conseil de sécurité lui-mêmeNote2889. .
On peut donc soutenir l’idée selon laquelle les droits de grâce et d’amnistie sont fortement réduits par l’influence de la CPINote2890. . Pourtant, en marge de la justice pénale nationale, nombre d’Etats développent des mécanismes à la force juridique variable, comme les commissions Vérité et Réconciliation, dont l’aboutissement dans certains cas est l’amnistieNote2891. .
Les processus d’amnistie et de grâce ne sont pas sans poser de difficultés en matière de crimes internationaux, qui ont valeur de jus cogensNote2892. . Ce système est-il compatible avec le système judiciaire ordinaire et ne constitue-t-il pas un déni de justice ? Qu’en est-il de l’antagonisme entre amnistie et obligation de poursuite ?
Par exemple, le système sud-africain, pour la Cour constitutionnelle sud-africaine, s’intègre dans le processus de réconciliation et de reconstructionNote2893. . En revanche, les juges espagnols refusent l’opposabilité de tels mécanismesNote2894. .
D’autres mécanismes d’amnistie eurent lieu, cette fois-ci en dehors de systèmes dont la vocation était la réconciliation nationale. Certains régimes dictatoriaux se sont notamment dotés de lois d’amnistie. Ce fut le cas par exemple au ChiliNote2895. . Au contraire, dans d’autres cas, la transition démocratique fut facilitée par la prise de telles lois, contre le retrait des anciens dirigeantsNote2896. .
Concernant les lois d’amnistie ou les grâces, ces actes se heurtent à l’inopérance du droit interne devant les juridictions internationales et à l’esprit du droit internationalNote2897. . Le problème de l’application du principe non bis in idem peut se poser. En effet, si un jugement ou une procédure devant une commission de Vérité et Réconciliation est intervenu, un nouveau jugement est impossible pour les mêmes faits Note2898. . Peut-être est-ce d’ailleurs là que l’on peut identifier une exception au principeNote2899. . L’économie du statut de la CPI qui reconnaît ce principe (article 20), consacre la compétence de la Cour en cas de mauvaise foi étatique, lorsqu’une procédure a pour objectif de soustraire le prévenu à la justice (article 17)Note2900. . Les principes de la grâce et de l’amnistie ne se heurtent-ils pas non plus au principe aut dedere aut judicare ?
Le statut de la Cour pénale internationale n’est guère clair sur la question de l’amnistie, notamment ses articles 16, 17 et 53. L’article 16 prévoit la possibilité pour le Conseil de sécurité de l’ONU de demander à la CPI de surseoir à enquêter ou à poursuivre. Certains auteurs y voient une disposition qui pourrait être favorable à l’amnistie. Deux conditions à cela : d’une part l’identification d’une menace ou d’une rupture de la paix au sens de l’article 39 de la Charte ; d’autre part que la résolution de l’ONU soit en accord avec un objectif de maintien ou de restauration de la paix. Cependant, des auteurs soulignent l’indépendance de la CourNote2901. . A l’argument du caractère permissif du statut de la Cour sur ce point, certains auteurs sont catégoriques, le statut ne permet aucune dérogation, car cela aurait pour effet de remettre en cause le droit international humanitaireNote2902. . Il semble cependant que l’action du Conseil de sécurité n’ait qu’un caractère temporaire. Le choix d’entamer ou non une procédure dans l’intérêt de la justice restera alors à la discrétion du procureur. Enfin, en rapport avec le premier point, l’article 53 du statut de la Cour pénale internationale et notamment le § 2nd c) prévoit que le procureur pourrait ne pas poursuivre, lorsque cela ne servirait pas les intérêts de la justiceNote2903. .
L’article 17 du statut de la CPI permet la compétence de la Cour en cas de défaillance ou de mauvaise foi de la part d’un Etat. Les lois nationales d’amnisties et les décisions des commissions Vérité et Réconciliation prononçant une telle mesure peuvent entrer dans le champ de l’article 17. Dans le second de ces cas, les pratiques présentent des modalités hétérogènes. Certains auteurs soulignent, entre autres, les différences existantes entre les pratiques chiliennes, par exemple, et sud-africainesNote2904. . D’ailleurs, l’Afrique du Sud avait demandé que l’article 17 du statut prenne en compte l’existence de tels mécanismes. Le Conseil de sécurité de l’ONU paraît accréditer une telle technique afin de faciliter les transitions démocratiquesNote2905. .
Si le statut de la Cour pénale internationale semble permettre une certaine prise en compte, dans des cas particuliers, de procédures d’amnistie, la Cour reste maîtresse de ses choix. Un problème peut cependant être soulevé : l’absence de mention relative à l’acceptation d’une amnistie dans le statut. L’acceptation ne serait donc qu’implicite, reposant sur la non action du procureur. Dès lors, et sachant que n’existe pas de délai de prescription, la situation de l’amnistié reste précaire et à la discrétion des successeurs du procureur.
En France, après la Seconde Guerre mondiale, des lois d’amnistie furent votées. Par exemple la loi du 20 février 1953, portant amnistie en faveur des Français incorporés de force dans les formations militaires ennemies. Ces lois avaient un objectif de réconciliation nationale. D’autres furent votées en rapport avec les événements d’Indochine et d’AlgérieNote2906. . On remarquera d’ailleurs que la Cour de cassation, dans les affaires Lakdhar-Toumi et Yacoub, n’a pas utilisé la loi d’amnistie du 31 juillet 1968, mais a préféré s’en tenir à des arguments tels que l’irrecevabilité de l’action civile et l’autorité de la chose jugéeNote2907. . Pourtant, dans l’affaire Boudarel de 1993 et dans des affaires de 2000 et 2003, la chambre criminelle se réfère aux lois d’amnistie, mais avec nuance, car elle refuse la qualification de crime contre l’humanité, avant d’appliquer la loi d’amnistie. Il semble donc qu’a contrario, une telle qualification aurait conduit à l’inapplication des lois d’amnistieNote2908. .
A la fois parce que la CPI a vocation à être l’organe central du nouveau système permanent de droit international pénal et parce que son statut produit des effets secondaires, on peut soutenir que l’amnistie et le droit de grâce à l’égard d’accusés ou de condamnés par les juridictions françaises font l’objet d’un très strict exercice qui résulte de la perte du monopole étatique sur la justice pénale en ce domaine. Ces prérogatives, liées au monopole du pouvoir de sanction, disparaissent à mesure que ces droits sont partagés avec la CPI et avec les autres Etats membres de son statut. Enfin, se pose le problème de la corrélation entre le possesseur de ces droits et les intérêts dont il a la charge et les intérêts protégés par les crimes internationaux. Dans la perspective d’une limitation de la sphère d’action étatique, il paraît alors évident que les autorités nationales ne sont guère aptes à pardonner.
Au soutien de cette idée de limitation, on peut citer la Commission internationale de juristes, au sujet des traités internationaux de protection des droits de l’Homme, selon laquelle : « such treaties have binding legal value : states that ratify of edhere to a treaty on human rights freely accept limitations on their sovereignty out of a common interest considered to be superior (…). They are, therefore obliged to fulfil their obligations under such treaties, both vis-àvis the other states that have signed the treaty as well as with regard to their own population »Note2909. .
Concernant les lois d’amnistie sud-américaines, la commission interaméricaine des droits de l’Homme a posé comme condition de validité le fait qu’elles aient été votées par une institution démocratique. Elle a donc refusé celles « votées » par les personnes directement au pouvoirNote2910. .
Un courant favorable à la prohibition des lois d’amnisties et mesures équivalentes se dessine actuellementNote2911. . On observe enfin que nombre de dirigeants ayant bénéficié de telles dispositions sont aujourd’hui poursuivis, comme par exemple le général JaruzelskiNote2912. . Une partie de la doctrine considère que la supériorité du droit international pénal sur la loi interne rend l’amnistie impossibleNote2913. .
Pour conclure, une amnistie ou une grâce ne lient ni les juridictions étrangères, ni même les juridictions internationales. Ceci a été confirmé par le TPIY, dans sa décision FurundzijaNote2914. et par la chambre d’appel du TSSL, le 13 mars 2004, à propos de l’amnistie accordée en vertu de l’accord de LoméNote2915. .
On peut citer une décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation française du 23 octobre 2002, dans laquelle les juges approuvent une juridiction d’instruction pour avoir renvoyé un individu de nationalité mauritanienne devant une Cour d’assises pour torture et actes de barbarie en application de la compétence universelle des tribunaux français, donc en ignorant une loi mauritanienne d’amnistieNote2916. . Il reste cependant à savoir si cette attitude est à analyser de manière générale, c’est-à-dire si face à une loi d’amnistie française, le juge aura la même attitude ou bien s’il n’y pas simplement un refus de tenir compte de la loi étrangèreNote2917. . Certains pays décident de tenir compte des lois d’amnistie étrangères, comme les Pays-BasNote2918. .
Outre ces deux mécanismes, relativement utilisés dans des périodes troubles, existent des mécanismes plus communs comme la réduction de peine, relevant du juge de l’application des peines, depuis deux lois du 29 décembre 1972 et 11 juillet 1975 et régi par l’article 721 du code de procédure pénaleNote2919. .
Il reste à souligner l’hypothèse de la révision de la condamnationNote2920. . C’est encore la juridiction à l’origine de la condamnation qui maîtrise le processus de révision, sur demande du procureur ou du condamné.
Le militaire criminel contre la paix est soumis en premier lieu à la justice pénale. Mais son appartenance au corps militaire n’est pas sans entraîner l’application d’un régime pénal particulier et surtout d’un régime disciplinaire. La multitude de responsabilités encourues classiquement au regard du droit français commence à se retrouver dans la sphère internationale. Bien qu’ayant écarté l’aspect civil, il convient tout de même de rappeler que le statut de la Cour pénale internationale constitue une avancée en ce domaine en prévoyant un volet civil, mais également en enrichissant l’arsenal pénal d’amendes et de confiscations dont l’application peut être renvoyée aux autorités françaises (art. 627-16 et 627-17 du CPP).
Le particularisme de ce type de crimes est d’entraîner, sur divers fondements, la responsabilité étatique, alors que normalement elle serait exclue. Cette responsabilité coexiste et ne se conçoit qu’en l’appréhendant comme un régime civil. Autant le droit français en permet une approche relativement cohérente, autant le droit international nécessite vraisemblablement que soit repensée la corrélation entre, non seulement, la responsabilité internationale pénale et la responsabilité internationale étatique, mais également entre chaque type de sanctions prononcées, en application de chacune de ces responsabilités.
Une fois les responsabilités administrative et internationale de l’Etat constatées, une sanction est prononcée. S’il ne semble pas faire de doute que la responsabilité administrative est de type civil, aboutissant à une réparation, la responsabilité internationale est plus incertaine. Longtemps sujette à interrogations sous l’influence de la notion de « crime » soutenue par Ago, il semble que la « décriminalisation » opérée par le rapporteur Crawford ait recentré le débat sur sa nature civileNote2921. , les types de sanctions pouvant être prononcées étant un indicateur sur la nature du régime de responsabilité. Si l’on se réfère à l’économie du dernier projet de la CDI de 2001, la réparation est la conséquence de la responsabilité internationale (art. 32)Note2922. .
La réparation semble donc constituer la principale conséquence de la responsabilité, tant en droit administratif français qu’en droit international. Mais les comportements étudiés prennent place dans des contextes bien particuliers, conflictuels. Par conséquent, les enjeux, notamment humains, incitent les autorités compétentes à intervenir sur différents fondements juridiques, non seulement pour exiger la cessation des comportements illicites, mais également pour forcer la situation. Par exemple, des interventions sur le fondement du chapitre VII de la Charte des Nations Unies peuvent être utilisées.
La réparation en droit international est considérée comme une obligation secondaire qui répond à la violation d’une obligation primaire initialement violéeNote2923. . Un tel schéma peut être repris en droit administratif. Pour autant, la réparation prononcée (section 1ère) peut ne pas être effectuée et se heurter à la réticence de l’Etat condamné, ce qui pose alors le problème de son exécution (section 2nde).
Les systèmes administratif français et international public permettent tous deux de sanctionner un acte illicite ou dommageable. La sanction, au sens large du terme, peut s’entendre aussi bien d’une mesure visant à régler définitivement un conflit en faisant peser des réparations sur la source de ce litige, que d’un mécanisme provisoire de cessation du comportementNote2924. . En ce cas, il convient de distinguer l’autorité exécutive prenant des mesures provisoires et l’autorité judiciaire sanctionnant définitivement le comportement. Les moyens de règlement des différends et les contre-mesures ou les réactions à l’illicite, au sens large, partagent une même finalité, ils participent à la mise en œuvre du droit internationalNote2925. .
Dans sa thèse relative aux réactions décentralisées à l’illiciteNote2926. , le professeur Sicilianos précise qu’il convient de distinguer la réaction décentralisée et les sanctions institutionnaliséesNote2927. , également appelées corporativesNote2928. , ce à quoi s’apparente une distinction entre réaction verticale et réaction horizontale. Le fondement de la réaction serait alors différent. L’une repose sur l’illicite, l’autre sur la violation d’un instrument institutionnel. Dans le premier cas, une situation subjective est créée entre les deux Etats protagonistes, alors que, dans le second cas, une situation objective apparaît.
La réaction décentralisée à l’illicite doit être distinguée des conséquences automatiques du fait internationalement illicite. Ces conséquences sont au nombre de cinq : l’obligation de cesser l’illicite, la restitution en nature, la réparation par équivalence, la satisfaction et la garantie de non répétitionNote2929. .
Le système international se distingue clairement des systèmes étatiques, dont celui de la France. Dans ce dernier, existe une organisation politique où les différents pouvoirs sont clairement identifiés et possèdent une légitimité. L’exécutif est présent pour veiller, entre autres, à la bonne application et exécution des lois, et le cas échéant pour maintenir l’ordre, au moyen de mesures de contraintes ayant pour objectif de faire cesser ou de prévenir des comportements illicites. Le juge judiciaire intervient souvent après coup pour reconnaître juridiquement l’existence des comportements fautifs et la nécessité de les réparer ou de les sanctionner.
Dans le système international, la division des pouvoirs est moins nette. Différents organes existent, plus ou moins liés à l’ONU, qui incitent à conclure à l’émergence d’une véritable société internationale en voie de structurationNote2930. . Il faut ajouter, en marge de l’ONU, une justice pénale, la Cour pénale internationale, ainsi que les scories du Conseil de sécurité, les TPI. Mais la sphère internationale, fortement politisée et anarchique, ne permet pas d’identifier clairement les rôles et compétences de chacun. En outre, la justice internationale étatique n’est pas obligatoire, contrairement au système françaisNote2931. . Du point de vue de la réparation, le système international se trouve alors bipolarisé, partagé entre la Cour internationale de Justice et l’Etat victime,.
Au-delà de ses différences structurelles, on peut cependant observer deux constantes d’applications successivesNote2932. : une obligation de cessation de l’illicite (sous-section 1ère) et une obligation de réparation (sous-section 2nde).
Les enjeux humains des conflits internes ou internationaux, de génocides ou de politiques criminelles diverses incitent les représentants de la communauté internationale à agir le plus rapidement possible, à l’instar, toute proportion gardée, des autorités en charge de l’ordre public en France. Les mesures prises en faveur d’une telle cessation, s’appliquant à un comportement considéré comme criminel ou dangereux, peuvent entrer dans une définition large de la sanctionNote2933. . Plusieurs situations sont envisageables en fonction du type de conflit. Tout d’abord, si les faits sont circonscrits à un Etat, la cessation de tels comportements relève des autorités étatiquesNote2934. . Mais si ces dernières en sont les instigatrices, alors la communauté internationale semble devoir prendre le relais. Si la politique criminelle est le fait d’un Etat sur le territoire d’un ou plusieurs autres, une fois encore, la communauté internationale trouve matière à agir, soit sur le fondement du chapitre VII, soit sur celui d’une clause d’assistance mutuelle, comme pour l’OTAN. Dans le domaine des violations graves, l’article 41 du projet de 2001 de la CDI, précise que « les Etats doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave au sens de l’article 40 ».
Une obligation générale de cessation et de non répétition de l’illicite est posée par le projet d’articles de la CDI de 2001 à l’article 30Note2935. . L’article 29 souligne d’ailleurs l’obligation de continuer à appliquer l’obligation qui a été violée. La troisième partie du projet, dans diverses dispositions, souligne les modalités de mise en œuvre de cette obligation de cessation (art. 43§ 2 a et surtout art. 49). Partant de la distinction signalée par le professeur Sicilianos entre réaction décentralisée et sanction, ou plus largement conséquences du fait illicite, il convient de distinguer l’obligation (§ 1er) des procédés incitatifs, à savoir les réactions à l’illiciteNote2936. (§ 2nd).
L’article 30 du dernier projet d’articles de la Commission du droit international de 2001 envisage deux points : l’obligation de cesser le comportement illicite et l’offre de garantie de non répétition. Ces deux exigences ont pour objectif de permettre la restauration de l’ordre juridique violéNote2937. . La cessation est une obligation de l’Etat ayant un comportement illicite. Elle découle de « la conjonction d’un comportement illicite en cours et de l’action normative de la règle primaire à laquelle le comportement illicite contrevient »Note2938. .
On peut s’interroger sur la nature de l’obligation de cessation et de garantie : primaire ou secondaire. Celle-ci pourrait être considérée comme une conséquence de la violation de la règle primaire ou bien comme la mise en œuvre de la règle primaire en cours de violation, dont le respect est du. Le rapporteur Riphagen y voit les deux faces d’une même situationNote2939. . La CDI, quant à elle, à défaut de se prononcer clairement, souligne la distinction entre cessation et réparationNote2940. . Le rapporteur Crawford suit cette positionNote2941. . Mais l’un et l’autre peuvent se confondre dans des hypothèses particulières comme, par exemple, la restitution d’otages. Le professeur Weil, quant à lui, préfère parler de « para-réparation »Note2942. .
L’obligation de fournir des garanties de non répétition est également à bien distinguer de la réparation pour les rapporteurs Riphagen et Arangio-RuizNote2943. ; pourtant, d’autres auteurs y voient une forme particulière de réparation et la CDI elle-même n’est pas toujours claire sur ce pointNote2944. . Le professeur Crawford, y voit une conséquence de la violation du droit, sans reprendre ni l’expression de réparation, ni celle de mécanisme sui generisNote2945. . La CIJ, dans l’Affaire Lagrand, s’estime compétente pour vérifier les garanties de non répétitionNote2946. .
Selon la sentence arbitrale Rainbow warrior, deux conditions doivent être réunies pour que naisse l’obligation de cessation : un acte illicite ayant un caractère continu et la violation d’une règle en vigueur au moment de l’ordonnanceNote2947. .
Les comportements illicites continus constituent ceux qui se prêtent le plus à l’obligation de cessationNote2948. . On peut y ranger sans difficulté les politiques criminelles génocidaires ou bien encore la violation du jus ad bellumNote2949. . La cessation d’un comportement semble être la première obligation primordiale, conséquence de la violation antérieure d’une obligation. Elle est un moyen de restaurer rapidement l’intégrité du droit et les intérêts non seulement de l’Etat – victime, mais également de la communauté internationale ou d’un groupe d’Etats, selon l’obligation précisément violée. Pour la CDI, l’obligation de cessation est plus qu’un « simple élément du devoir d’exécuter l’obligation primaire »Note2950. . L’article 14§ 2 du projet de 2001 envisage le cas de la violation continue. Il est alors précisé que l’acte illicite perdure le temps de la violation.
Parfois, l’obligation de cessation se confond avec la restitution. La CDI, à cet égard, prend l’exemple de la libération d’otagesNote2951. . La seule différence réside dans l’inapplication à la cessation de l’exigence de proportionnalité.
En droit français, la cessation de l’illicite n’est pas formalisée de la même manière. Restant dans la même hypothèse que celle précédemment envisagée, il convient d’exclure l’intervention des autorités étatiques pour faire cesser un comportement privé criminel, ce qui se situe dans le cadre de l’obligation de neutralisation. Il s’agit plutôt d’obtenir la cessation d’un comportement étatique. Pour ce faire, le juge administratif possède désormais un pouvoir d’injonction. La loi du 8 février 1995 dote le juge d’un réel pouvoir d’injonction à l’égard de l’administration. Progressivement, il en usera sans complexe, jusqu’à enjoindre le Premier ministre d’adopter un certain comportementNote2952. . A cela, il convient d’ajouter les possibilités de sursis à exécution et notamment les référés, que ce soit le référé – suspension (art. L 521-1 CJA) ou le référé – liberté (art. L 521-2 CJA). Il faut tout de même souligner que de telles possibilités, efficaces dans un Etat de droit, se révéleront vraisemblablement inefficaces dans un contexte politique agité et notamment devant un Gouvernement ayant délibérément décidé de s’exonérer du respect de la légalitéNote2953. .
L’alinéa b de l’article 30 du projet de la CDI de 2001 se rapporte à l’obligation de garantir la non répétition des actes illicites, mais uniquement si les circonstances l’exigent. L’objectif est de restaurer une certaine confiance en l’Etat. Ces obligations sont essentiellement exigées lorsque la ou les victimes ont des raisons de penser que le retour provisoire à la situation licite n’est qu’une apparence et qu’un retour à l’illicite est possible. Par exemple, suite aux manifestions répétées contre l’ambassade des Etats-Unis à Moscou, en 1964-1965, le Président Johnson a demandé que des mesures soient prises, car l’expression de regrets et l’offre d’une indemnité n’étaient pas satisfaisantesNote2954. .
Les demandes de garanties sont soit contemporaines aux actes illicites et immédiates, soit tournées vers le futur, dans un objectif préventif.
La question de savoir si l’obligation d’offrir des assurances de non répétition est une conséquence juridique d’un fait internationalement illicite a été débattue lors de l’affaire Lagrand. La CIJ ne se prononce pas clairement sur le sujet, mais il semble qu’elle la considère comme une conséquenceNote2955. . Les juges semblent mettre en garde les USA en cas de violation future, en laissant le libre choix des modalitésNote2956. .
Les modalités d’exécution de cette obligation peuvent être diverses, cela dépend de la source de l’illicite. Par exemple, cela peut être l’abrogation d’une loi ou bien l’adoption d’une législation. Il conviendrait de distinguer plus clairement assurance et non répétition. Dans le second cas, les modalités doivent être beaucoup plus certainesNote2957. .
Parfois, l’Etat lésé propose certaines modalités précises afin d’éviter le renouvellement des actes. Dans d’autres cas, l’Etat se contente de demander une simple assurance. Par exemple, en 1901, l’Empire ottoman donne l’assurance formelle que les postes anglaises, autrichiennes et françaises fonctionneraient librement sur son territoireNote2958. .
Une fois l’obligation de cessation formulée, il convient de procéder, le cas échéant, à sa mise en œuvre.
Si le comportement illicite a cessé, les Etats en litige peuvent passer au stade du règlement de la responsabilité. En cas contraire, si le comportement illicite et préjudiciable perdure, l’Etat victime ou bien la communauté internationale, en fonction de l’intérêt violé, possèdent la faculté de réagir afin de le faire cesserNote2959. . Les procédés utilisables sont en définitive assez restreints : les contre-mesures, catégories aux contours relativement flous, et semble-t-il, la légitime-défense. Les mesures de rétorsion et les représailles sont excluesNote2960. . Il convient de distinguer clairement les hypothèses où un Etat est victime d’un autre et celles où des Etats, représentant la communauté internationale, exigent la cessation d’un comportement au sein de l’Etat infracteur.
Le domaine particulier des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité semble en définitive peu se prêter à l’utilisation des contre-mesures, qui, définies négativement, semblent ne pouvoir constituer une réponse réellement adéquate face à des comportements violents. La légitime-défense se situe dans une autre logique car, comme son nom l’indique, elle est avant tout un acte de défense, mais qui n’est pas sans conséquences sur la poursuite de l’infraction. Un autre type d’action principale est alors envisageable, l’intervention au nom de la communauté internationale d’Etats, agissant soit hors organisation internationale, soit au sein de l’une d’elles. L’exemple type est l’intervention de l’ONU et plus précisément du Conseil de sécurité, mais également d’autres organisations comme l’OTAN ou l’UE, soit en tant que force coercitiveNote2961. , soit en tant que force d’interposition ou de maintien de la paix. Dans les hypothèses d’intervention pour faire cesser une situation interne à un Etat, la question du droit d’ingérence se pose en filigrane.
La réaction à l’illicite, notamment dans l’objectif d’obtenir une cessation et une garantie de non répétition des actes, est à envisager dans la perspective de l’opposition entre une vision individualiste et une vision communautariste des rapports de la victime à la société internationaleNote2962. . Cette distinction a notamment des influences sur les modalités et la procédure à suivre en cas de contre-mesure. Par exemple, dans la vision individualiste, le recours aux contre-mesures pourrait précéder une tentative de règlement du différend. A l’inverse, une vision dite communautariste inciterait à faire précéder le règlement du différend. Certains auteurs considèrent qu’il existe une autonomie des contre-mesures par rapport au règlement des différendsNote2963. .
Si actuellement, la plupart des situations conflictuelles voient l’intervention d’organisations ou d’Etats extérieurs à l’Etat sur le territoire duquel ont lieu les faits, il convient de ne pas oublier que le premier garant de la paix et de la sécurité sur un territoire est cet Etat. On peut distinguer deux types de situations : soit les crimes sont le fait de l’Etat, en ce cas, la seule opposition concevable provient des citoyens eux-mêmes, pouvant user de leurs pouvoirs, par exemple les fonctionnaires ; soit les crimes sont le fait de dissidents. En ce cas, l’Etat doit assurer la sécurité par ses moyens armés. En pratique, les situations sont souvent plus complexes, l’Etat n’étant jamais totalement innocent, comme le prouve la politique ambiguë du Soudan, concernant les faits au Darfour.
Bien qu’une telle hypothèse soit proche du cas d’école, dans le cas où des militaires français mèneraient une politique criminelle, sur ordre de l’Etat, il est possible d’envisager les moyens à la disposition du juge administratif afin de faire cesser lesdits comportements (A). Ensuite, il convient de traiter d’une hypothèse largement plus probable, celle des mécanismes internationaux pouvant être mis en œuvre pour faire cesser les comportements criminels d’un Etat (B).
Les crimes contre la paix portent atteintes aux libertés fondamentales. Le juge administratif possède plusieurs instruments pour remédier à de telles violations. Le référé-liberté, prévu à l’article L 521-2 du Code de justice administrative, semble le plus adéquat.
Les procédures de référé, de manière générale, sont justifiées par l’urgence d’une décision à prendre afin qu’une situation ne s’aggrave pas irrémédiablement. La loi du 30 juin 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2001, a doté le juge administratif d’un pouvoir relativement comparable à celui du juge judiciaire, renforçant le rôle de gardien des libertés du juge administratif. Cette loi a créé essentiellement trois types de référés : le référé suspension (art. L 521-1 CJA), le référé-liberté (art. L 521-2 CJA) et le référé-conservatoire (art. L 521-3 CJA).
La procédure de référé se déroule devant un juge unique, statuant par ordonnance ; le plus souvent le président de la juridiction ou le magistrat délégué par lui à cet effet (art. L 511-2). L’intervention d’une formation collégiale n’est pas exclue pour certaines situations présentant des difficultés (art. L 522-1 et R 522-11 CJA).
La procédure de référé est accessoire à une procédure au fond et les mesures prises possèdent alors un caractère provisoireNote2964. .
Avec l’article L 521-2 du Code de justice administrative, le juge des référés possède la faculté de prendre toutes mesures utiles et justifiées par l’urgence afin de sauvegarder une liberté fondamentale si une personne publique ou une personne privée chargée de la gestion d’un service public y porte atteinte dans l’exercice de l’un de ses pouvoirs, l’atteinte devant être grave et manifestement illégale. En ce cas, le juge doit se prononcer dans les 48 heures. Cette action est dispensée du ministère d’avocat. Cet article s’appuie sur les possibilités présentes dans la loi du 8 février 1995.
Si la définition de la notion de liberté fondamentale peut prêter à discussionNote2965. , il semble évident que la commission ou le risque de commission de crimes contre la paix et la sécurité porte atteinte à des principes et à des droits que l’on peut aisément qualifier de libertés et droits fondamentaux. Le génocide pour raisons religieuses ou politiques peut se caractériser par de tels actes.
Concernant la condition d’urgence, elle est le présupposé de la demande de référé et doit être caractérisée par le requérant. Quant à l’atteinte grave et manifestement illégale, on retrouve une expression commune à la fois à la voie de fait, ce qui fit penser à certains qu’elle disparaîtrait, et à l’ordre manifestement illégal qui permet à l’agent public de désobéir à son supérieur hiérarchique.
Cette procédure n’a vocation à être utilisée que lorsque l’administration sort des limites de l’action que l’on peut attendre d’un Etat dit de droit et démocratique.
Si l’on se reporte à la formulation de l’article L 521-2, il convient de remarquer qu’il est précisé que l’administration doit avoir exercé un pouvoir lui appartenant. Cela pourrait être le cas lorsqu’un militaire agit soit sur ordre, soit en se cachant sous les couleurs de l’Etat. Dans ce dernier cas, est mis en lumière un aspect permettant au juge administratif d’intervenir dès que l’apparence d’une intervention de l’administration est relevée, alors même qu’elle est sortie de son rôle.
Le juge peut, une fois les conditions nécessaires réunies et si les faits le justifient, prendre les mesures nécessaires et enjoindre à l’administration d’adopter un certain comportement afin de faire cesser l’illicite ou d’éviter l’aggravation d’un préjudice.
La cessation de l’illicite et la demande de garanties peuvent être le fait soit de l’Etat victime, soit de la Cour internationale de Justice. Le premier possède des moyens juridiques pour y parvenir, la seconde n’a pu que confirmer récemment et explicitement la portée obligatoire de ses ordonnances, de l’article 41 du statut, à fins de mesures conservatoires, dans la décision Lagrand du 27 juin 2001Note2966. ; pour autant elle ne possède pas les moyens de les faire exécuter, ce qui incite à s’interroger sur une éventuelle intervention du Conseil de sécurité. En définitive, seuls les Etats (I) et le Conseil de sécurité (II) possèdent la faculté de mettre en œuvre les obligations de cessation et d’obtenir la mise en place de garanties de non répétition.
Les contre-mesures de la part de l’Etat victime peuvent constituer un début de réponse à la cessation ou à la non répétition de certains comportementsNote2967. . L’expression apparaît à la fin des années 1970 dans le texte de la sentence arbitrale rendue en 1978 dans l’affaire relative à l’interprétation de l’accord aérien du 27 mars 1946. Elle est alors reprise par la CDI, puis par la CIJ dans diverses décisionsNote2968. . Il s’agit de mesures prises unilatéralement par un Etat en réaction au comportement d’un autre, jugé illiciteNote2969. . La doctrine est divisée sur la définition à en retenir : restreinte ou large. Dans la première, les contre-mesures ne recouvreraient que les représailles ; pour d’autres, elles s’entendraient de toute mesure de riposte, licite ou nonNote2970. . Dans la seconde, en revanche, l’approche est plus autonome. Les contre-mesures sont distinguées des représailles. La typologie définie par le professeur Sicilianos, dont les travaux portaient précisément sur ces notions, distinguant les contre-mesures des représailles et autres formes de riposte, semble la plus rigoureuse et sera retenueNote2971. .
Dans le domaine des violations graves, l’article 41 du projet de la CDI de 2001 prévoit que les Etats doivent coopérer pour mettre fin à ces violations, de manière licite. Et surtout, l’article 41§ 2 prévoit une obligation de non reconnaissance du comportement illiciteNote2972. et une interdiction d’assistance.
L’article 49, consacré aux contre-mesures et contenu dans la troisième partie du projet relative à la mise en œuvre de la responsabilité internationale de l’Etat, dispose que l’objet de ces mesures est d’amener l’Etat à s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la deuxième partie ; le procédé est incitatifNote2973. . Or l’article 30 relatif à la cessation et à la non répétition de la violation, ainsi que les articles 40 et 41 se trouvent dans la deuxième partie. Il est d’ailleurs précisé, dans l’article 49§ 2, que les contre-mesures sont limitées à l’inexécution temporaire d’obligations internationales.
L’article 50 limite ces contre-mesures et impose le respect des normes impératives, des droits de l’Homme, l’interdiction du recours à la force tel que défini dans la Charte des Nations Unies et des représailles. L’article 51 du projet précise le caractère proportionné des contre-mesures à l’acte illicite. Les contre-mesures, d’après les articles 52 et 53, constituent des moyens exceptionnels à utiliser en dernier recours. Selon le professeur Alcaide Fernandez, les contre-mesures devraient suivre une certaine procédure, à savoir présenter une demande de cessation ou de réparation, ce qui est confirmé par l’article 52 du projet de la CDI de 2001Note2974. . S’il existe un débat sur l’obligation de négocier avant de mettre en œuvre des contre-mesuresNote2975. , il ne perdure pas en matière de commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. En effet, une exception dans les situations d’urgence et pour les violations graves semble existerNote2976. .
Si la distinction présente un certain intérêt, notamment concernant les mesures conservatoires, les violations graves incluent le plus souvent un caractère d’urgence. En ce cas, tant l’Etat victime que les Etats tiers pourraient prendre des contre-mesures. D’ailleurs, dans une approche réaliste, le professeur Alcaide Fernandez, conscient du caractère particulier de crimes tels que le génocide, admet la possibilité d’une réaction immédiateNote2977. .
Enfin, le professeur Alland s’interroge sur l’existence de contre-mesures d’intérêt général, dans la perspective des violations graves. Selon lui, depuis le début des années 1970, il semble ressortir des travaux de la CDI que les contre-mesures doivent jouer un rôle dans de tels domainesNote2978. . Mais elles firent l’objet de méfiance, notamment du fait du risque de leur utilisation par les grandes puissances militaires et économiques, préoccupées par leurs intérêts personnelsNote2979. . D’ailleurs, le dernier projet de la CDI semble être revenu sur ces types de contre-mesures ; à tout le moins, l’approche qu’il en fait se révèle plus neutreNote2980. .
L’existence de telles contre-mesures soumet le respect des obligations impératives à l’appréciation subjective de chaque Etat, ce qui ne semble guère compatible avec le principe même du jus cogens ; ce ne serait pas des conséquences adaptéesNote2981. . Quoiqu’il en soit, il existe une pratique en ce sens.
Le principe de l’utilisation de contre-mesures est acquis. Leur substance, puis leurs auteurs, dans l’hypothèse de violations graves, restent flous. L’incertitude relative aux contre-mesures est exacerbée par l’incomplétude institutionnelle internationale. Si les mécanismes de règlement pacifique des différends fonctionnaient de manière satisfaisante, nul n’aurait besoin des contre-mesuresNote2982. .
L’article 41, sur la question des Etats pouvant répondre, reste très général. A l’évidence, l’Etat – victime est concerné. Mais cela ouvre-t-il un droit ou bien une facultéNote2983. aux membres de la communauté internationale ? Le commentaire du projet reste laconique et se contente de préciser que la réponse peut être le fait de plusieurs Etats, agissant au sein d’une organisation internationale, ou bien agissant de manière ponctuelle hors d’une telle organisationNote2984. .
Concernant la substance des mesures, une fois encore le commentaire de la CDI laisse la question en suspendNote2985. . Ago, avant de parler de contre-mesure, lors des travaux de la CDI, évoquait « l’exercice légitime d’une sanction »Note2986. . En définitive, cela ne préjuge pas de leur substance. Tout au plus peut-on trouver une première ébauche de réponse quelques pages plus loin, lorsque commentant le chapitre II de la troisième partie, il est précisé que les contre-mesures sont des mesures qui normalement seraient illicites, sauf lorsqu’elles constituent une réponse à un acte illiciteNote2987. . Or l’article 41 parle de coopération pour faire cesser le comportement illicite, de manière licite. On ne sait donc pas si cet article se réfère réellement aux contre-mesures en apportant une limitation implicite ou bien s’il se réfère à un autre procédé. La première hypothèse semblerait la plus logique, il s’agirait alors d’éviter les abus.
Et les commentateurs poursuivent en précisant que les contre-mesures désignent la partie du sujet des représailles qui n’est pas associée à un conflit armé, suivant en cela la jurisprudence moderneNote2988. . Dans la perspective d’une définition temporairement négative, les contre-mesures ne seraient pas, ou du moins partiellement pas, des représailles, ni même des actes de rétorsion. A la lecture du commentaire de l’article 50§ 1 a), soulignant l’obligation de ne pas recourir à la menace ou à l’emploi de la force telle qu’énoncée dans la Charte des Nations Unies, les contre-mesures à caractère coercitif semblent exclues. Ceci est conforté par la référence à la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les EtatsNote2989. et est confirmé par la jurisprudenceNote2990. . Cela implique alors que la légitime-défense n’est pas considérée comme une contre-mesureNote2991. .
En outre, les exigences de proportionnalité et les autres limites posées aux contre-mesures excluent totalement l’aspect violent. Les contre-mesures sont essentiellement pacifiques, notamment économiquesNote2992. .
La question des représailles est ambiguë. Le dernier projet de la CDI paraît les exclure, tandis que certains auteurs semblent beaucoup plus incertains, penchant tout de même également pour l’illicéité du mécanismeNote2993. . Un auteur traite les représailles comme une réaction à l’illicite. Pour cela il se réfère à l’affaire dite des Pêcheries de la côte septentrionale de l’AtlantiqueNote2994. , l’affaire Naulilaa de 1928Note2995. , ou bien encore à l’affaire opposant les USA à la France concernant l’application de l’accord relatif aux services aériens du 27 mars 1946Note2996. . Les représailles sont alors une réaction à un comportement illicite et doivent être proportionnées. L’Institut du droit international a précisé en 1934 que les représailles constituent des « mesures de contrainte, dérogatoires aux règles ordinaires du droit des gens, prises par un Etat à la suite d’actes illicites commis à son préjudice par un autre Etat »Note2997. .
Ago, distingue clairement les aspects civils et pénaux. Il reconnaît la possibilité des représailles au titre d’une sanction punitive d’un Etat contre un autreNote2998. . Malgré un engouement après la Seconde Guerre mondiale pour ce type de responsabilité, il semble qu’aujourd’hui il soit écarté, ce qui justifierait la prohibition des représailles. Le professeur Eustathiadès voit dans la Charte de l’ONU et notamment dans les pouvoirs du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII une telle responsabilitéNote2999. . Mais les organes de l’ONU se sont gardés de qualifier les sanctions coercitives prises de sanctions de type pénalNote3000. .
En définitive, la pratique juridique des représailles est assez maigre. A lire la Charte de l’ONU, seule la légitime-défense constituerait une réaction armée licite, les autres cas relèveraient de l’agression. Pour autant, certains auteurs considèrent comme inévitable de distinguer plus clairement agression et représailles et donc légitime-défense et représaillesNote3001. . Prenant l’exemple de la situation israélo-palestinienne, le professeur Sicilianos constate que toutes les incursions armées ne sont pas qualifiées d’agression par le Conseil de sécurité. Admettant les interférences entre le domaine politique et le domaine juridique, il conçoit aisément les justifications d’un tel comportement. Il propose alors de distinguer représailles armées et agression et représailles armées et légitime-défense au risque sinon de « s’exposer à un nivellement simplificateur »Note3002. . Pour reprendre les propos du professeur Sicilianos, les représailles sont condamnées in abstracto, mais il existe en fait une sélection in concretoNote3003. . La forte connotation politique de la pratique du droit international est tout à fait perceptible dans les résolutions du Conseil de sécurité, en ce domaine.
La légitime-défense constitue également une réaction à un comportement illiciteNote3004. . Appréciée dans un rapport purement bilatéral, elle est une modalité avant tout de défense qui vise également à contraindre l’Etat agresseur à cesser son comportement criminel. En ce sens, elle peut être considérée comme un procédé de cessation de l’illicite, à connotation défensive. Mais l’aspect relatif à la cessation de l’illicite ressort encore plus clairement dans la légitime-défense collective.
L’article 51 de la Charte prévoit cette possibilité en cas d’agression armée, tant que le Conseil de sécurité n’a pas pris les mesures nécessaires. Ce principe est confirmé, notamment par l’article 41 du projet de la CDI de 2001. A cela, on peut ajouter les accords de défense collective. Cette possibilité, appréciée dans la perspective de la consolidation d’un ordre public international fait de la légitime-défense un moyen provisoire de cessation de l’illicite, en attente de solutions judiciaires devant la Cour pénale internationale et la Cour internationale de Justice ou bien de solutions politiques autres. La « défense d’autrui » confirme cet aspectNote3005. . Quelles que soient les modalités d’assistance de la part des Etats tiers, elles sont dictées par un partage de certaines valeurs, une volonté de ne pas voir s’étendre l’agression et sûrement par une volonté de respect et de garantie des normes et de l’ordre public. Si la légitime-défense collective fut l’objet de débatsNote3006. , notamment la justification de l’intervention d’Etats tiers, alors non agressés, la mise en perspective avec le système juridique international actuel et le développement d’un ordre public tendent à affermir une telle pratique et à clore le débat. Le respect des normes de jus cogens justifie ces interventions. Le professeur Sicilianos semble le confirmer partiellementNote3007. . Pour la CIJ, l’utilisation de la force armée par un Etat en réponse à un fait illicite commis contre un autre Etat ne serait légitime qu’en cas d’agression arméeNote3008. .
En dehors de tout mécanisme de règlement de telles situations, seule la légitime-défense semble possible, en réaction à une agression armée. Les hypothèses de crime contre l’humanité, de génocide ou de crimes de guerre dans des relations interétatiques ne peuvent se concevoir que dans une relation de type conflictuelle. Il reste alors à envisager encore deux points. D’une part les mécanismes institutionnels de règlement de ces comportements ; d’autre part pour les comportements internes à un Etat, les possibilités de l’ingérence. En définitive, le recours à un mode de règlement des conflits institutionnalisé ou le règlement unilatéral par l’Etat victime ou par plusieurs Etats est à replacer dans la perspective de l’opposition entre une vision individualiste et une vision communautariste du rapport de l’Etat à la société internationaleNote3009. .
Il existe divers mécanismes institutionnels mais nous nous limiterons à celui de l’ONU qui semble le plus adapté et usité. Le Conseil de sécurité est le responsable principal du maintien de la paix et de la sécurité internationale (art. 24 de la Charte). Pour autant, l’ONU incite les organisations régionales à régler leurs conflits (art. 52). Le Conseil n’eut pas toujours une action satisfaisante, du fait des blocages notamment des membres permanents par l’utilisation de leur droit de veto pendant la Guerre Froide. On peut identifier, au sein de l’ONU, deux principaux mécanismes de cessation de l’illicite et un de garantie de non répétition. Le Conseil de sécurité, notamment sur le fondement du chapitre VII permettant l’utilisation de moyens coercitifs, peut assurer ses deux obligationsNote3010. . La Cour internationale de Justice peut, quant à elle, constituer un instrument sanctionnant un comportement et incitant à le faire cesser, mais sous le bénéfice de l’aura du Conseil. A cet égard, une remarque peut être reformulée concernant la possible intervention du Conseil de sécurité pour garantir l’exécution des ordonnances conservatoires de la CIJ.
L’existence d’un cadre institutionnel aurait tendance à faire primer le règlement du conflit sur la contre-mesure ou sur les réactions armées. Le professeur Arangio-Ruiz, s’appuyant sur l’article 33§ 1 de la Charte des Nations Unies, considère que l’épuisement préalable des moyens de règlement des différends est une condition à l’emploi des contre-mesuresNote3011. . Mais ni la pratique ni la jurisprudence ne semblent le confirmerNote3012. . Si la CIJ est un instrument utilisé dans une affaire de type économique, par exemple, elle semble insatisfaisante dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité qui ont tendance à appeler une réaction immédiate et armée que seul le Conseil de sécurité serait susceptible d’autoriser. Mais il faut nuancer cette affirmation, car la violation de normes de jus cogens autoriserait n’importe quel Etat à intervenir.
La saisine d’un organe juridictionnel comme la CIJ ne semble pas être compatible avec l’utilisation d’autres moyens de garantieNote3013. . En ce cas, cette juridiction prendra des mesures conservatoiresNote3014. . Le principal élément lui faisant défaut étant la possession de procédés de contrainte ou d’injonction comme certains juges internes. A cela, il convient d’ajouter le caractère facultatif de la CIJNote3015. . L’article 78 du règlement de la Cour lui donne simplement le droit de « demander aux parties des renseignements sur toutes questions relatives à la mise en œuvre des mesures conservatoires indiquées par elle »Note3016. .
Le Conseil de sécurité semble pouvoir venir appuyer ses décisions. L’article 94§ 2 de la Charte ne fait cependant référence qu’aux arrêts de la Cour. L’article 41§ 2 prévoit la notification des mesures aux parties et au Conseil. Faut-il alors y voir un fondement à une compétence d’intervention ? La pratique semble répondre positivement à une telle interrogation. Dans l’affaire relative aux otages de l’ambassade des USA à Téhéran, et suite au rejet de l’ordonnance en mesures conservatoires de la Cour le 15 décembre 1979 et au mutisme de l’Iran, les USA avaient demandé une réunion du Conseil. Le 31 décembre 1979, une résolution suivit dans laquelle le Conseil déplorait « le maintien en détention des otages à l’encontre de sa résolution 457 et de l’ordonnance de la Cour internationale de Justice en date du 15 décembre 1979 ». On peut observer une même attitude de la part du Conseil dans sa résolution 819 du 16 avril 1993 relative à l’ordonnance de la Cour du 8 avril 1993, dans l’affaire de l’application de la convention relative au génocide. Mais cela ne permet pas de savoir si le Conseil serait susceptible d’intervenir. En effet, le caractère éminemment politique de ces situations fut longtemps propice à l’exercice du droit de veto, ce qui fut le cas dans l’affaire des otages à Téhéran, avec l’Union soviétique. Parallèlement à cela, le Conseil peut aussi prescrire des mesures conservatoires.
Dans l’affaire des activités armées sur le territoire du Congo, la CIJ a rendu une ordonnance, le 1er juillet 2000. La RDC se plaignait du comportement du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda, relatif à des actes d’agression armée, des violations de sa souveraineté territoriale, de violations du droit international humanitaire et de violations des droits de l’HommeNote3017. . Dans cette affaire, le Conseil de sécurité avait déjà rendu une résolution n° 1304Note3018. , le 16 juin 2000, qualifiant les faits de menace sur la paix et la sécurité internationales dans la région. Reprenant à son compte cette conclusion, la CIJ indique trois mesures conservatoires à l’encontre de l’Ouganda : s’abstenir de tout acte, en particulier armé, risquant d’aggraver ou d’étendre le différend, prendre toutes mesures pour se mettre en conformité, notamment avec la Charte et la résolution du Conseil. Enfin, prendre les mesures nécessaires pour faire respecter les droits de l’Homme dans les zones conflictuelles. La CIJ, sur le fondement de l’article 41 de son statut, indique ainsi des mesures conservatoires si elle estime que les circonstances l’exigent, à condition, entre autres, qu’il existe un risque de préjudice irréparableNote3019. et une urgenceNote3020. . Dans l’affaire Lagrand, la Cour affirme la force obligatoire de ses ordonnances en indication de mesures conservatoiresNote3021. .
Hormis l’hypothèse de légitime-défense, le recours à la force est prohibé, notamment par l’article 2§ 4 de la Charte des Nations Unies. Seul le Conseil de sécurité de l’ONU possède la faculté, au titre du chapitre VII, et en dernier recours, de prendre les mesures nécessaires, ce qui inclut la force armée. Le mécanisme prévu par le chapitre VII n’ayant jamais totalement fonctionné, la pratique des opérations de maintien de la paix fut développée. Leur aspect dissuasif, qui a vocation à faire cesser l’illicite, est perceptible, mais il se révèle parfois inefficace.
N’ayant pu constituer un état-major et des forces permanentes, le Conseil sous-traite avec les Etats ou avec certaines organisations régionales (art. 53 de la Charte)Note3022. . L’OTAN est l’une d’elles. A cet égard, on peut signaler la polémique autour de l’intervention armée de l’OTAN en ex-YougoslavieNote3023. . Une crise dans le pays, débutant en mars 1998, fut l’objet d’une attention particulière par le Conseil qui prit quatre résolutions sur le fondement du chapitre VII. La résolution 1160 du 31 mars 1998, notamment, condamna l’usage excessif de la force par les autorités serbes et les actes de terrorisme par l’armée de libération du Kosovo. Un embargo sur les armements fut également décidé. La résolution 1189 du 23 septembre 1998 exigea le cessez-le-feu. Parallèlement, l’OTAN menaçait d’intervenir si les autorités ne mettaient pas fin aux actes de répression contre la population. Les autorités yougoslaves cessèrent mais furent mises sous surveillance de l’OTAN et de l’OSCE. Dès le 24 mars 1999, l’OTAN entame des bombardements afin de forcer les autorités à régler politiquement la situation. Cette action fut critiquée, car menée en dehors d’une quelconque autorisation du Conseil de sécuritéNote3024. , ce que réclame l’article 53-1 de la CharteNote3025. . Concernant cette intervention, elle ne semble s’apparenter à aucune des justifications classiques, à savoir l’intervention d’humanitéNote3026. ou l’ingérence humanitaire. Il s’agirait d’une exception aux dires de certains EtatsNote3027. ou bien d’un précédentNote3028. . Dans cette affaire, la CIJ a refusé de prendre des indications de mesures conservatoires, dans son ordonnance du 2 juin 1999Note3029. . De manière unanime, mais pour des raisons différentes, l’intervention de l’OTAN fut critiquéeNote3030. .
Elargissant de nouveau le propos au fonctionnement du Conseil de sécurité, l’autorisation donnée est formulée généralement de manière permissive, offrant alors la faculté à un ou plusieurs Etats d’intervenir. En ce cas, le ou les bénéficiaires de l’autorisation sont soustraits à la légalité ordinaire et dans la stricte mesure de ce qui est nécessaire.
En l’absence d’une autorisation préalable, il peut y avoir une régularisation ultérieure, comme ce fut le cas par exemple pour l’intervention de la CEDEAO au Libéria en 1993, par la résolution 813 du 26 mars. Mais régularisation n’est pas autorisation, le facteur temporel étant alors différent.
Le Conseil de sécurité n’a vocation à utiliser le chapitre VII que lorsqu’existe une menace ou une rupture de la paix ou un acte d’agression au sens de l’article 39. La menace pour la paix est, selon le professeur Combacau, « une situation dont l’organe compétent pour déclencher une action de sanctions déclare qu’elle menace effectivement la paix »Note3031. , cet organe étant le Conseil de sécurité. L’agression, quant à elle, est définie dans la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1974Note3032. . Les menaces sont par définition sujettes à une définition empirique. Elles ne se limitent pas au conflit interétatique ou interne, mais peuvent être étendues aux déséquilibres économiquesNote3033. . Le Conseil de sécurité, réuni au niveau des chefs d’Etat et de Gouvernement, le 31 janvier 1992 déclare : « La paix et la sécurité internationales ne découlent pas seulement de l’absence de guerre et de conflits armés. D’autres menaces de nature non militaire à la paix et à la sécurité internationales trouvent leur source dans l’instabilité qui existe dans les domaines économique, social, humanitaire ou écologique »Note3034. .
L’interrogation sur le rôle réel du Conseil, consistant à sanctionner un comportement ou/et à le faire cesser, est encore présente. Elle est d’autant plus durable que le système international reste à un stade certain de primitivité. La question du contrôle des actions du Conseil demeure également. Celui-ci joue les deux rôles, l’un et l’autre n’étant pas réciproquement exclusifs. Les mesures incitant à faire cesser l’illicite pouvent être considérées comme une sanction et la sanction peut se confondre avec une mesure faisant cesser l’illiciteNote3035. . Peut-être conviendrait-il alors, dans un premier temps, de dissocier plus clairement la rupture avérée, la menace et le risqueNote3036. . Le professeur Combacau a souligné la double fonction du Conseil : celle d’exécution de la loi, dans la mesure où elle lui confère une compétence, et celle de la création du droit, « dans la mesure où il reconnaît dans les faits de l’espèce un cas d’application de la loi et concrétise ainsi ce qu’elle avait laissé dans le vague »Note3037. . Le contrôle du Conseil reste pour l’heure hypothétique ainsi que la délimitation de ses compétencesNote3038. . Sa nature politique demeure un obstacle difficilement franchissable.
Le Conseil peut être amené à réagir dans l’urgence. Par exemple, la résolution 660 de 1990 est intervenue le jour même de l’invasion du Koweït par l’Irak. Il intervient plus comme une autorité de police. Selon M. Merle, « le Conseil de sécurité a, comme son nom l’indique, compétence pour assurer la sécurité ou, si l’on préfère, le maintien de l’ordre international. C’est une fonction de police, qui implique une capacité d’intervention immédiate pour prévenir un conflit ou pour en arrêter le cours. On ne demande pas aux pompiers chargés d’éteindre un incendie d’établir la cause du sinistre ni aux gendarmes qui tentent de neutraliser un forcené de statuer préalablement sur sa responsabilité pénale »Note3039. . Un quelconque rôle juridictionnel du Conseil est à exclureNote3040. . On pourrait alors défendre, faisant un parallèle avec le système français, que le Conseil prend réellement des mesures provisoires d’administration, mais sûrement pas des sanctions, qui relèvent par nature de l’autorité judiciaire. L’Etat actuel du système international et plus précisément de l’ONU n’est pas sans parenté avec un système monarchique absolutiste dans lequel l’exécutif confond pouvoir politique, pouvoir de police et justiceNote3041. . Même si les interrogations sont encore nombreuses à son sujet, il reste un organe de cessation de l’illicite. Le professeur Sur résume la situation de la manière suivante : « beaucoup d’interventions ou d’observations ont en effet témoigné d’un certain malaise des juristes ou de l’approche juridique à l’égard du Conseil de sécurité (...) Au fond, ce malaise ou cette interrogation tiennent sans doute au fait que le droit du Conseil de sécurité n’est pas un droit fait par les juristes, et n’est pas non plus un droit fait pour les juristes. C’est un droit de l’urgence, c’est un droit d’exception, et en tout cas un droit d’injonction et de commandement »Note3042. .
Si, depuis le début des années 1990, le Conseil de sécurité tend à faire la preuve de son efficacité, il est toujours prisonnier des contingences géopolitiquesNote3043. , ce qui n’est pas sans soulever des interrogations quant à son contrôle et éventuellement à une substitution en cas de défaillanceNote3044. . Au-delà de son action, on peut observer certaines actions unilatérales, en dehors de toute autorisation donnée sur le fondement du chapitre VIINote3045. : l’action de l’OTAN précédemment évoquée ou bien encore celle des USA en Irak, soutenue par quelques Etats comme la Pologne, le Royaume-Uni et l’Italie. Une des raisons principalement évoquées est la sauvegarde des populations contre les agissements des pouvoirs politiques en place. Reste alors à s’interroger brièvement sur leurs fondements juridiques. On soulignera de manière allusive deux fondements principaux, l’intervention humanitaire et l’ingérenceNote3046. , qui ne sont pas dénuées de liens entre elles. Les deux concepts sont encore très controversés. Le principe de souveraineté s’oppose par principe à toute intervention ou ingérenceNote3047. .
L’intervention humanitaire semble manquer d’une consécration coutumière. Un auteur, s’appuyant sur les débats de la 54ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, souligne l’opposition entre les Etats à ce sujet et plus précisément une opposition entre les Etats occidentaux et les autresNote3048. . Pour d’autres, l’intervention humanitaire pourrait être présentée comme une interprétation de la Charte visant à la réalisation de ses butsNote3049. .
Elle peut être pacifique ou arméeNote3050. . Dès lors qu’elle est consentie par l’Etat sur le territoire duquel elle a lieu, il n’y a pas de violation de souveraineté. En cas contraire, s’il y a défaut de consentement, il convient de s’interroger sur sa légitimité.
L’intervention humanitaire est souvent confondue ou critiquée au titre de l’intervention idéologique. L’affaire de l’intervention vietnamienne au Kampuchea en 1978 le prouveNote3051. .
Il ressort un consensus autour des politiques de génocide et de crimes contre l’humanité pour la justifier, quelle que soit l’étendue de la définition retenueNote3052. . Un lien est alors fait avec l’ex-article 19 du projet de la CDI. La légitimité de l’intervention humanitaire armée est la plus problématique. Un seul exemple de ce type d’intervention semble devoir être relevé, celle de la France en Syrie en 1860Note3053. .
Deux arguments viennent à l’appui d’une telle action : le possible usage de la force dans certaines hypothèses et la protection des droits fondamentaux de l’HommeNote3054. . Ce second argument permet de faire le lien avec le discours sur le droit d’ingérence. Le professeur Bettati considère qu’ « il est des cas où la non-ingérence vaut non-assistance à personne en danger de mort ou peuple en voie de génocide »Note3055. . Un consensus semble émerger en ce sens, qui s’oppose encore aux corollaires de la souveraineté comme la non-ingérence. La qualification de jus cogens de certains comportements tendrait à renforcer une telle proposition. L’exclusion des droits de l’Homme du domaine réservé des Etats ouvre alors une brèche dans le principe de non-ingérenceNote3056. .
L’ingérence (militaire), si elle existe, et sans présumer de son caractère de droit ou de devoir, trouverait un fondement dans la violation par des Etats d’obligations qu’ils auraient contractées, par exemple en ratifiant la convention relative au génocide de 1948Note3057. . On pourrait donc proposer provisoirement comme fondement à de telles actions le non respect d’obligations conventionnelles violées par l’Etat signataire, ce qui permettrait, dans une certaine mesure, d’éviter les interventions dictées par l’idéologie ou par d’autres raisons politiques.
L’ingérence humanitaire, notamment armée, est en définitive à la recherche d’une brèche dans l’économie de la Charte. L’article 2§ 7, renvoyant au chapitre VII, pour l’instant n’offre pas de solution. Si l’idée d’une dérogation à la prohibition du recours à la force en cas de violation des droits de l’Homme était déjà contenue dans une lettre du 21 mars 1945 de la France lors de la négociation de la Charte, cette proposition avait été rejetée. L’argument est aujourd’hui reprisNote3058. .
Mais il convient de constater que les auteurs sont assez confus sur les notions d’intervention humanitaire, d’intervention d’humanité et d’ingérence humanitaireNote3059. . Le professeur Bettati distingue intervention et ingérence. L’ingérence signifie s’immiscer indûment sans être requisNote3060. ; pour autant la notion d’intervention n’est pas non plus sans contenir un tel aspect. M. Spiry distingue également intervention et ingérence, s’appuyant sur la distinction opérée par le professeur Bettati. Il considère que les interventions d’humanité et les interventions humanitaires peuvent être armées. L’intervention humanitaire militaire consisterait en un soutien logistique et militaire pour assurer les convois d’aide ; l’intervention d’humanité aurait réellement pour objet de soustraire des personnes à des politiques criminellesNote3061. . Pour l’instant, les justifications de ces interventions sont floues et contestées. Les auteurs ne sont guère convaincants, ayant une approche trop extensive de certains précédents ou de certaines interprétations. Cela ne veut pas dire pour autant que les droits d’ingérence et d’intervention ont vocation à rester dans les limbes du droit international. L’apparition d’un ordre public international peut à terme justifier de telles interventions. Mais une utilisation politique de ces possibilités constitue malheureusement un obstacle qui incite nombre d’Etats à se retrancher derrière une vision absolutiste de la souveraineté. Pour l’heure, les obstacles juridiques sont largement présents ; c’est pourquoi il convient de recentrer momentanément le débat sur certains mécanismes alternatifsNote3062. . La Charte des Nations Unies prévoit des sanctions corporatives pouvant être appliquées, comme l’exclusion suite à des violations persistantes de ses principes (art. 6)Note3063. . Mais ces modes alternatifs ne sont pas toujours applicables à l’urgence et à la gravité de certaines politiques criminelles.
Un autre point mérite d’être mentionné, comme mesure provisoire d’administration, non seulement afin de faire cesser l’illicite, de garantir la non répétition, mais également de permettre la restauration d’une situation stable et démocratique dans un Etat : la suspension de souveraineté.
Cette idée tend en premier lieu à faire référence à la situation d’occupation militaire d’un Etat par un autre. Mais ici, il s’agit d’un cas différent, à savoir un mécanisme transitoire. La France eut la chance d’échapper à l’AMGOT ; en revanche l’Allemagne fut un temps sous administration alliée, ainsi que le JaponNote3064. . On retrouve plus ou moins cette logique dans la récente pratique du Conseil de sécurité notamment au Kosovo et au Timor Oriental (MINUK et ATNUTO)Note3065. . La résolution 1244 du Conseil de sécurité du 10 juin 1999, relative au Kosovo, et la résolution 1272 du 25 octobre 1999, relative au Timor Oriental prévoient la mise en place, sur le fondement du chapitre VII d’une administration provisoire, sous l’égide de l’ONU, exerçant des pouvoirs d’administration civile, de police, et plus largement de réorganisation de ces territoires, le plus souvent dans une perspective d’autonomie ou d’indépendance. Des droits souverains sont délégués, exercés sous la responsabilité d’un représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU. Il s’agit là d’un procédé de transition démocratique, passant certes par une suspension de souveraineté, mais permettant de clarifier certaines situationsNote3066. .
Enfin, la condamnation pénale, notamment des investigateurs de tels crimes, est considérée comme une mesure de sûreté ou une garantie de non répétitionNote3067. . Un auteur considère déjà que l’emprisonnement de Napoléon, sur l’île d’Elbe et sur celle de Saint Hélène, constitue une mesure de sûreté prise par les vainqueursNote3068. . Cette position soutenue entre autres par certains juges comme le juge Röling est considérée comme un précédent adéquat à la solution retenue à NurembergNote3069. . La solution est critiquée par le juge Pal qui souligne que ce précédent est trop isolé pour être créateur de droit positifNote3070. .
La cessation du comportement illicite, mais également l’établissement de garanties de non répétition, constituent un préalable nécessaire, reposant soit sur les Etats, soit sur le Conseil de sécurité. Ces deux acteurs interviennent en premier lieu comme autorité de police. Mais le préjudice alors subi, entraînant responsabilité, ne peut plus relever du Conseil ; il relève soit de l’Etat victime, soit d’une juridiction, la Cour internationale de Justice semblant alors être la plus adaptée, mais pas nécessairement la plus efficace.
Traditionnellement, lorsque les ouvrages généraux de droit international public abordent le règlement de la responsabilité internationale, ils le résument essentiellement à la réparationNote3071. , même lorsqu’ils distinguent le régime commun de responsabilité et celui pour violations gravesNote3072. . En revanche, le droit administratif français est bien plus clair sur ce point. Seule la réparation est possible.
Normalement, la sanction, en droit, possède une connotation négative et s’applique à un comportement dommageable. Le terme trouve une récurrence en droit pénal. Pour autant, il convient de constater que très souvent, il fait l’objet d’une déformation sémantiqueNote3073. . Quoiqu’il en soit, le terme semble utilisé pour certaines actions du Conseil de sécurité, vraisemblablement à tort. Il y aurait en fait une confusion avec des mesures d’administrationNote3074. . Les exemples de la commission d’indemnisation, concernant le conflit Irak – KoweïtNote3075. , et des Tribunaux internationaux pénaux, sont à cet égard intéressant. De telles situations appellent en effet des solutions situées à la frontière du droit et du politiqueNote3076. . On peut d’ailleurs observer, plus généralement, une orientation de la part des Nations Unies vers une mission de restauration de l’EtatNote3077. .
Les affaires de crime contre la paix et la sécurité de l’humanité se prêtent bien évidemment à la réparation. Mais le fait qu’elles caractérisent généralement une véritable politique criminelle implique que d’autres mesures soient envisagées. Sur ce point, le projet d’articles de 2001 de la CDI reste muet, se contentant de supposer l’existence d’un régime particulier. L’avis de la CIJ relatif au Mur de palestine ne semble pas non plus ouvrir de régime spécialNote3078. .
Dans une première approche empirique, l’exemple du Troisième Reich prouve qu’au-delà de la simple réparation, une mise sous tutelle provisoire est envisageable. Toute tentative visant à restaurer un régime national socialiste fut enrayée. La France elle-même, sortant du régime de Vichy, est suspecte, échappant de peu à l’AMGOT. On peut donc observer qu’aux formes traditionnelles de réparation s’ajoutent d’autres modalités, comme la mise sous tutelle ou bien encore le démantèlement territorial, pour l’Allemagne. Faut-il pour autant qualifier ces mesures de sanction ?
A un fait internationalement illicite correspond une obligation secondaire de réparation, à laquelle il convient d’ajouter peut-être une sanction. Après avoir envisagé l’existence de ces principes (§ 1er), les modalités en seront détaillées (§ 2nd).
Le domaine particulier des violations graves se prête à une réflexion sur l’obligation de réparation et sur celle de sanction. Le professeur Decaux semble envisager ce double aspect de la responsabilité internationale. Parlant des implications de la fonction réparatoire, il les étend de la simple compensation matérielle à la sanction moraleNote3079. .
Le droit international prévoit un régime de responsabilité des Etats, essentiellement d’origine jurisprudentielle. Mais il n’existe aucune indication sur l’éventuelle existence d’un régime spécial en cas de violations graves. Le projet de 2001 de la CDI est sur ce point sujet à interrogations. Paradoxalement, une première réponse peut être trouvée dans l’avis consusltatif de la CIJ, relatif au Mur en Palestine. Peut-être y aura-t-il une réponse apportée lors d’un contentieux avec l’affaire relative aux activités armées sur le territoire de la RDC ; la Cour entre actuellement en phase de délibéré.
De l’avis, il ne semble ressortir aucune affirmation en faveur d’un régime spécial ; au contraire, on peut observer un alignement sur le régime de droit communNote3080. . Un seul point semble notable, la CIJ envisage expressément l’indemnisation des victimes, personnes physiques ou morales, rompant avec le schéma classique interétatique du système international. Le paragraphe 153 de l’avis prévoit cette indemnisation de manière subsidiaire, en cas d’impossibilité de restitutio in integrum.
Il convient donc de se reporter, momentanément, au régime de droit commun.
Le principe de la réparation ne souffre pas d’exceptions en droit international et en droit français. Ces droits ne se tournent pas vers le même destinataire. Le particulier peut se faire entendre en droit français uniquement, et l’Etat dans les deux systèmes, mais avec une prédilection pour les mécanismes internationaux. Si le principe semble posé globalement pour le droit international, notamment concernant les violations graves, il ne l’est que rarement précisément pour chaque violation grave prise individuellement. Seule la quatrième convention de La Haye de 1907 prévoit, dans son article 3, que l’Etat doit réparer, ce qui est confirmé par l’article 91 du protocole additionnel I de 1977.
Répondant à une violation d’une obligation primaire, l’obligation de réparation constitue une obligation secondaire. Il convient de bien distinguer l’obligation de réparation, et pour l’instant hypothétiquement la sanctionNote3081. , des obligations de cessation et de garantie de non répétition de l’illicite, examinées précédemment.
L’obligation de réparer est contenue dans les différents projets d’articles de la CDI ainsi que dans la dernière mouture de 2001, à l’article 31§ 1. L’obligation fut clairement formulée dans une décision de la CPJI, le 13 septembre 1928, Usine de ChorzowNote3082. .
L’article 31 du projet de la CDI précise que la réparation doit être intégrale. Le Tribunal international du droit de la mer, quant à lui, parle de forme adéquateNote3083. . Le droit administratif français ne présente pas sur ce point de réelles particularités, le principe est également affirméNote3084. . L’idée est la suivante : « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit »Note3085. .
L’obligation de réparation est une conséquence de l’illicite, imposée par l’ordre juridique, qu’il soit internationalNote3086. ou français, sans le consentement de l’Etat source de cet illicite et sans que cela soit même inscrit dans la convention violéeNote3087. , si tel est le cas. La question se pose encore moins en cas de violation de jus cogensNote3088. .
Selon la jurisprudence de la CPJI, Usine de Chorzow, la réparation signifie « effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis »Note3089. . Effacer et rétablir peuvent parfois se confondre, mais ce sont là deux objectifs distincts, dont la définition n’est pas toujours aiséeNote3090. . Si, à l’évidence, la notion de réparation trouve sa place dans le cadre de commissions de violations graves, les idées d’effacement et de rétablissement ne semblent pas couvrir tous les dommages ainsi causés. Il conviendra de le préciser lorsque seront étudiées les modalités de la réparation.
La réparation semble être présentée comme un droit de l’Etat lésé par le rapporteur Arangio-Ruiz, dans le projet de la CDI de 1996. Mais comme le remarque le professeur d’Argent, peu importe que cela soit qualifié de droit ou d’obligation dans une relation bilatérale ; la question prend en réalité toute son ampleur lorsque la relation est multilatéraleNote3091. , ce qui est le cas au moins virtuellement, en cas de violations graves. Le même auteur souligne le problème de la qualification en termes de droit. En effet, dans une hypothèse multilatérale, tous les Etats n’ont pas été touchés au même degré. Et en définitive, le fait que l’Etat, victime directe du dommage, puisse ne pas réclamer réparation, ne fait apparemment pas obstacle aux autres Etats. La réparation serait donc une obligation pour le débiteur et une faculté pour le créancier. Une telle vision permet de mettre en adéquation la problématique de la réparation avec la nature du système juridique international, à savoir un système encore partagé entre individualisme étatique et communautarisme. L’obligation dégagée par la CPJI dans Usine de Chorzow semble encore d’actualité, ce que confirme le rapporteur CrawfordNote3092. .
Quant à savoir si tout fait internationalement illicite entraîne réparation, les projets d’articles de la CDI présentent une attitude constante. Le dernier projet parle de tout fait illicite (art. 1er du projet de 2001). Pourtant M. Iovane, après avoir examiné la pratique, soutient que cette obligation découlerait essentiellement d’un emploi de la force armée entraînant des dommages matériels aux biens d’un autre Etat ou à ses ressortissantsNote3093. .
L’obligation de réparation est clairement admise en droit international, mais dans le domaine bien précis des violations graves, on peut légitimement penser que les modalités de réparation seront insuffisantes. On peut dès lors s’interroger sur l’existence ou non d’une véritable possibilité de sanction.
La responsabilité internationale, aujourd’hui dépouillée de la notion de « crime », se réoriente vers un aspect civilNote3094. , ce qui n’est pas partagé par tous les auteursNote3095. . Pourtant, face aux mutations du système international et notamment à la consolidation d’un droit international pénal, il semble que la possible coexistence d’une responsabilité étatique internationale et d’une responsabilité pénale internationale visant des individus ne puisse se comprendre qu’à la condition de limiter la responsabilité internationale à un mécanisme civil. Il reste alors à déterminer si l’idée de sanction peut être compatible avec cette vision et si le terme même de sanction est adaptéNote3096. .
Les violations graves, notamment mises en rapport avec les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, révèlent le plus souvent l’existence d’une politique criminelle. En ce cas, il convient de distinguer selon que cette politique est interne à l’Etat la pratiquant ou externe, créant alors une situation internationale.
Dans le premier de ces cas, soit la communauté internationale peut prendre la décision d’agir, avec plus ou moins de célérité, soit elle peut inciter à cesser cette politique. L’exemple de l’Irak peut l’illustrer. Pendant longtemps soumis à un embargo et à une politique d’échange pétrole contre nourriture, un des buts officiels était de contraindre Saddam Hussein à cesser. Mais, il s’agit d’une obligation de cessation et non du règlement d’une responsabilité.
La communauté internationale, un Etat ou un groupe d’Etats peuvent intervenir, peu importe alors qu’il y ait autorisation du Conseil de Sécurité. Un conflit s’ensuit qui peut aboutir de deux manières : soit une victoire des autorités menant une politique criminelle, soit celle des Etats intervenants. Dans ce dernier cas, et là encore le cas iraquien l’illustre, le régime n’est pas uniquement contraint de cesser sa politique et de réparer, mais il est renversé. Des mesures sont ensuite prises afin d’empêcher le retour des anciens dirigeants, ces derniers pouvant être désormais jugés pénalement devant la CPI. Non seulement le renversement du régime et l’obligation, bien souvent inavouée, d’en changer peuvent être perçues comme une modalité de cessation forcée de l’illicite, mais également comme une sanction du refus de cesser cet illicite. En elle-même, elle ne semble pas devoir constituer une des conséquences finales du comportement illicite, mais une conséquence temporaire. En revanche, l’interdiction de remettre en place le même régime en constitue une conséquence. Cette dernière est de type politique et non pénale.
Dans la seconde hypothèse du comportement internationalement illicite ayant des répercussions externes comme une agression, une guerre s’ensuit immédiatement et aboutit à la défaite de l’une des parties. Si cette dernière est l’agresseur, on observe l’annexion et la soumission politique de l’Etat agresseur. Là encore, la conséquence est de type politique et non pénal. La défaite allemande de 1945 et ses conséquences l’illustrent.
Le renversement d’un régime et l’interdiction de le restaurer, voire l’imposition d’un modèle constitutionnel pour l’Etat vaincu, possèdent certains des caractères de la sanction au sens pénal du terme : afflictif et « resocialisateur ».
Ce type de conséquence ne fait pas partie de l’arsenal de la CIJ et encore moins de celui des tribunaux nationaux des Etats. Il ne peut que résulter soit de l’action du Conseil de sécurité, soit de l’action d’Etats agissant en tant que victimes ou bien en tant que représentants ou non de la communauté internationale.
La responsabilité internationale étant encore enveloppée dans une structure mixte, mi-institutionnelle, mi-privée, cela semble être logique, vu l’état actuel de développement de la société internationale. A défaut de principe clairement formulé sur ce point, la pratique semble être, en un certain sens, la survivance des pouvoirs du vainqueur comme cela se pratiquait encore en 1945, lorsque les alliés se partageaient l’Europe.
Une fois le principe de l’obligation de réparation arrêté, il convient d’envisager ses modalités de mise en œuvre.
Le droit international et le droit administratif prévoient l’indemnisation (B). Mais en fonction des dommages, leur calcul peut se révéler délicat, voire impossible. De réelles difficultés existent d’ailleurs dans le domaine de la violation des droits de l’HommeNote3097. , des violations graves du droit international et des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Le droit international propose d’autres modalités de réparations : la restitutio in integrum (A) et la satisfactionNote3098. (C), auxquelles il convient d’ajouter une réflexion sur les sanctions d’administration politiques (D).
Dans sa décision Usine de Chorzow, la CPJI considère que l’objectif premier de la réparation est d’effacer toutes les conséquences du fait internationalement illicite, c’est pourquoi il conviendrait, chaque fois que cela est possible, de privilégier le mécanisme de la restitution, c’est-à-dire de remettre les choses dans leur état antérieurNote3099. . Par exemple, dans la récente affaire Yérodia, la CIJ estime que la Belgique doit, « par les moyens de son choix, mettre à néant le mandat d’arrêt », jugé illiciteNote3100. . Dans les affaires Lagrand et Avena, concernant certaines personnes qui ont vu leurs droits violés, il est prévu un réexamen des verdicts de culpabilité et de la peineNote3101. .
Pour des préjudices de type matériel, comme la destruction de bâtiments d’habitation, militaire et civil au sens large du terme, la réparation est possible par le biais de la reconstructionNote3102. . En revanche, en ce qui concerne des bâtiments historiques, la difficulté est bien plus grandeNote3103. . D’ailleurs, le TPIY, concernant la vieille ville de Dubrovnik, souligne l’impossibilité de restitution en l’état parce que les matériaux originaux et historiquement authentiques ont été détruits ce qui diminue sa valeur intrinsèqueNote3104. .
Le dernier projet de la CDI ne retient que la notion de restitution. Il faut alors remarquer que certaines versions précédentes du projet, notamment celle de 1996, parlent de « restitution en nature », ce qui signifie rétablir la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis (art. 42 et 43)Note3105. . Cette réparation a pour objectif le rétablissement du statu quo ante.
Mais l’article 35 du projet de la CDI apporte deux tempéraments alternatifs : soit la restitution est impossible, soit cela fait peser une charge trop lourde sur l’Etat responsable, c’est-à-dire « hors de proportion avec l’avantage qui dériverait de la restitution plutôt que de l’indemnisation ». Le projet de 1996 (art. 43) en compte quatre ; aux deux précédentes, il ajoute que la restitution ne doit pas entraîner « la violation d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général », et qu’elle ne doit pas menacer sérieusement « l’indépendance politique ou la stabilité économique de l’Etat qui a commis le fait internationalement illicite, alors que l’Etat lésé ne serait pas affecté dans la même mesure s’il n’obtenait pas la restitution en nature ».
Par exemple, un territoire annexé, suite à une agression armée s’étant soldée par une occupation militaire, peut être rendu. Des biens volés, des œuvres d’art ou bien des machines industrielles peuvent également être restitués. Mais des biens culturels détruits ou des personnes tuées ne peuvent pas faire l’objet d’une telle réparation.
Quelques exemples tirés de la thèse du professeur d’Argent peuvent être cités ; l’auteur distingue les restitutions en nature au sens strict et celles au sens largeNote3106. . L’Allemagne fut condamnée, suite à la Première Guerre mondiale, outre les réparations, à restituer l’encaisse de la Banque Nationale de Belgique, ainsi qu’à remettre tous les documents, espèces et valeurs touchant aux intérêts publics et privés dans les Etats envahisNote3107. . Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne dut restituer les biens pris dans les pays occupés, ainsi que ceux pris dans le pays même, notamment aux Juifs. Cette obligation de restituer les biens pris lors de la campagne militaire fut réaffirmée par le Conseil de sécurité à l’encontre de l’Irak dans la résolution 686 du 2 mars 1991, au profit du Koweït.
Dans les restitutions au sens large, il n’est plus question de la remise soit de l’objet soit de la situation antérieure, dont la privation de jouissance fut cause de l’illicite. Dans une appréciation plus large, il s’agit de remettre une chose similaire, de même nature et de valeur comparableNote3108. . En ce cas, une indemnité complémentaire peut être envisagée. Par exemple, le traité de Versailles, dans son article 247, fait obligation à l’Allemagne de remettre des manuscrits incunables à la Belgique pour compenser ceux détruits lors de l’incendie de la bibliothèque de LouvainNote3109. . On peut également citer la remise de bateaux de pêche pour compenser la destruction de tels navires par l’AllemagneNote3110. . Le protocole de Yalta, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, retient une même logique. Le professeur d’Argent s’interroge sur la possibilité, aujourd’hui, de compensation en nature en matière d’objets d’art par des équivalents depuis la convention de La Haye du 14 mai 1954, relative à la protection des biens culturels en cas de conflits armés (notamment l’article 1er§ 3 du protocole qui lui est annexé)Note3111. .
Il convient cependant de préciser que si pendant longtemps la réparation par restitution fut exclue du droit administratif, elle tend à émerger aujourd’hui. En effet, par l’intermédiaire du pouvoir d’injonction conféré au juge administratif, depuis la loi du 8 février 1995, ce dernier possède la faculté d’enjoindre l’autorité administrative compétente d’annuler, d’abroger ou de retirer, par exemple, un texte administratif portant préjudice à un ou plusieurs individusNote3112. . Un telle faculté permet alors le rétablissement de la situation antérieure à l’entrée en vigueur du texte préjudiciable, ce qui n’est donc pas sans s’apparenter à certaines formes de restitution du droit international public. Mais de manière plus large, le contentieux du recours pour excès de pouvoir pouvant aboutir à l’annulation de l’acte, il rétablit les parties dans leur situation antérieure. Cela constitue donc une forme de restitutio in integrumNote3113. . Pour autant la mesure principale retenue par le droit administratif reste l’indemnisation, en matière de plein contentieux.
La deuxième modalité de réparation est l’indemnisation. L’article 36§ 1 prévoit l’indemnisation lorsque la restitution n’est pas possible. Le paragraphe 2nd précise qu’une telle modalité est applicable dès lors que le dommage est chiffrable financièrement, ce qui couvre également les manques à gagnerNote3114. . L’indemnisation, même si elle semble être reléguée à la seconde place après la restitutio in integrum, est la modalité la plus souvent retenue par le juge et par les accords passés entre les parties en litige. Cependant, l’Etat victime bénéficie d’une certaine liberté de choix quant à la forme de la réparationNote3115. .
La décision Usine de Chorzow, qui reste la décision de principe en la matière, prévoit également, en cas d’impossibilité de restitutio in integrum, la réparation par équivalent financier. Il y est même ajoutée la possibilité de dommages et intérêts pour les pertes subies qui ne seraient pas couvertes par la restitution ou par le paiement qui s’y substitueNote3116. . Pour le professeur Charles Rousseau, les réparations sont « la rançon de la défaite »Note3117. .
On peut citer par exemple les accords de Pékin des 30 juillet et 16 décembre 1999 fixant la compensation financière pour les dommages humains et matériels subis à la suite du bombardement par l’OTAN de l’ambassade de Chine à Belgrade.
Sur cette modalité de réparation, le droit administratif français rejoint le droit international. Par exemple, le Conseil d’Etat, dans sa décision du 12 avril 2002, Papon, après avoir reconnu une faute de service de la part de l’Etat, condamne ce dernier à prendre en charge une partie de l’indemnisation à laquelle M. Papon fut condamnéNote3118. .
En droit administratif, les victimes ou les associations de victimes demandent directement réparation à l’Etat. En revanche, en droit international, le règlement de la responsabilité se passe entre EtatsNote3119. . L’Etat lésé intervient aussi bien pour lui que pour ses ressortissants ; l’indemnisation concerne aussi bien un préjudice porté à l’Etat qu’à ses ressortissantsNote3120. . Dans le dernier de ces cas, il reste libre de redistribuer les indemnités comme il le souhaite, soit individuellement au plus près du préjudice subi, soit par l’intermédiaire de fonds d’indemnisation, le plus souvent d’origine législative.
M. Camuzet écrit dans sa thèse, en 1928, que l’indemnité mentionnée dans un traité de paix au profit du vainqueur répond à divers objectifs, à savoir souvent un remboursement des dépenses de guerre et des réparations des dommages, parfois une peine à l’Etat vaincu et une modalité d’affaiblissementNote3121. .
Le droit international et le droit administratif acceptent le principe de l’indemnisation pour des préjudices matériels et morauxNote3122. et des dommages – intérêts. Mais si cela paraît adapté dans la première hypothèse, dans la seconde, le procédé peut paraître inique. Sans reproduire le débat sur l’effet de l’indemnisation sur la douleur morale, constatons simplement que dans le domaine des violations graves ce caractère inique semble ressortir avec d’autant plus d’acuité. Quoiqu’il en soit, l’indemnisation reste une modalité clairement affirmée, tant par la CDI que la CIJ, notamment dans l’affaire Gabcikovo-NagymarosNote3123. .
On peut citer un exemple d’indemnités. Dans l’affaire du Détroit de Corfou, le Royaume-Uni réclame des indemnités pour le remplacement d’un contre-torpilleur, le « Saumarez » qui avait été détruit, pour un contre-torpilleur endommagé, le « Volage », ainsi que pour le décès de certains personnels. La Cour en accepte le principeNote3124. .
Mais si l’indemnisation est tout à fait possible, sous réserve du calcul de la hauteur des dommages, pour quelques biens identifiés, comme des bâtiments ou biens des engins de guerre, elle présente beaucoup plus de difficultés suite à un conflit ou lors d’une politique criminelle d’envergure. Cette difficulté est soulignée par le professeur Mampuya, concernant les événements en République démocratique du Congo qui ont débuté vers 1996. Il précise que si les dommages causés aux biens publics, aux usines, aux habitations sont chiffrablesNote3125. , en revanche les atteintes aux biens plus personnels le sont beaucoup moins et surtout plus fastidieux. A cela, le professeur Mampuya ajoute qu’un pays comme la RDC, désorganisé depuis longtemps, avec un état civil peu suivi, des documents de cadastre ou de propriété incertains, fait réellement obstacle à une politique d’indemnisation juste. Concernant les dommages – intérêts pour les pertes subies, par exemple de type économique, il précise que les entreprises de RDC n’étant pas toujours stables, il est impossible de les chiffrerNote3126. .
A l’indemnisation des biens matériels s’ajoute celle des préjudices moraux, là encore difficilement chiffrable, notamment lorsqu’une famille entière est quasiment décimée. Le droit international comme le droit administratif les indemnisentNote3127. . Dans l’affaire du Lusitania, le surarbitre Parker considère que le droit international permet d’obtenir une indemnisation pour la souffrance morale, pour une blessure d’ordre affectif ou une humiliation, une honte, le déshonneur, la perte d’une position sociale, une atteinte au crédit ou à la réputation. Et il ajoute que même s’ils sont difficiles à mesurer ou à estimer en valeur monétaire, cela ne doit pas empêcher de les indemniserNote3128. .
Le Conseil d’Etat accepte également d’indemniser la douleur morale, mais celle-ci doit répondre à des conditions assez strictesNote3129. . La difficulté d’évaluation n’en est pas pour autant absenteNote3130. . Tout d’abord, la douleur morale doit être incontestableNote3131. , ensuite, l’indemnisation est de type forfaitaireNote3132. .
L’indemnisation est une réparation très usitée en droit international public, et l’unique modalité en droit administratif. Si le principe d’une telle modalité ne fait pas de doute, il peut se heurter à l’insolvabilité du créancier, à tout le moins à son incapacité à honorer entièrement sa detteNote3133. .
Toutes ces considérations incitent donc à envisager les modalités de calcul des indemnisations. Selon l’article 38 du dernier projet de la CDI :
« 1. Des intérêts sur toute somme principale due en vertu du présent chapitre sont payables dans la mesure nécessaire pour assurer la réparation intégrale. Le taux d’intérêt et le mode de calcul sont fixés de façon à atteindre ce résultat. 2. Les intérêts courent à compter de la date à laquelle la somme principale aurait dû être versée jusqu’au jour où l’obligation de payer est exécutée ».
La réparation intégrale de violations graves n’est pas sans poser des difficultés d’évaluation. Une brève remarque peut suffire à l’illustrer. La mort d’individus, dans le cadre de politiques génocidaires, ne peut être réparée de manière satisfaisante par aucune des modalités prévues, ni même des séquelles physiques ou psychologiques. En revanche, les atteintes aux biens s’y prêtent mieux.
Une seconde difficulté peut résider dans l’impossibilité pour l’Etat jugé responsable de couvrir financièrement l’ampleur des dégâts causés. A cet égard, l’article 232 du traité de Versailles de 1919 disposait que « Les gouvernements alliés et associés reconnaissent que les ressources de l’Allemagne ne sont pas suffisantes (…) pour assurer complète réparation de toutes ces pertes et de tous ces dommages ». Les gouvernements français et britannique renoncèrent d’ailleurs à réclamer le remboursement des frais de guerreNote3134. . Ceci peut alors inciter à la création d’un fonds d’indemnisation.
Ces deux difficultés illustrent les limites des modalités de réparations classiques qui ne sont pas pour autant dénuées d’efficacité.
Concernant plus précisément les modalités de calcul des indemnisations, les seules indications sur ce point, dans le dernier projet de la CDI de 2001, sont contenues aux articles 31 et 36§ 2. Le premier précise que la réparation doit être intégrale et le second que « l’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière y compris le manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi ». Le manque à gagner est également pris en compte par le juge administratifNote3135. . Ce dernier octroie également une réparation qui a vocation à couvrir l’intégralité du préjudiceNote3136. . En outre, l’article 38 du projet d’articles précise la possibilité d’intérêts, si cela est nécessaire pour obtenir une indemnisation intégrale. Le droit administratif procède de mêmeNote3137. . Les intérêts courent à compter de la date à laquelle la somme principale aurait du être versée jusqu’au jour où l’obligation de payer est exécutéeNote3138. .
Mais ces règles sont lacunaires ; par conséquent il convient, tant en droit administratif qu’en droit international, de compléter avec la jurisprudence. Les indemnisations peuvent ainsi s’effectuer, en droit international, de manière négociée entre les parties, ce qui peut aboutir à des compromis. Très souvent, les juridictions ou les arbitres procéderont eux-mêmes à une évaluation compromissoireNote3139. .
La décision Usine de Chorzow précise que ce calcul doit être effectué sur la base de règles internationales et non nationalesNote3140. . Les juridictions spécialisées en matière de droits de l’Homme se fondent sur les principes généraux de la réparation en droit internationalNote3141. . D’autres auteurs soulignent la liberté du juge relative au quantum de la réparation, précisant qu’il « s’appuie fréquemment sur les principes généraux admis par les droits civils modernes »Note3142. . En droit administratif, le quantum est vérifié par le Conseil d’Etat par l’intermédiaire du contrôle de cassationNote3143. .
Sur le choix des méthodes d’évaluation et de détermination du montant de l’indemnité, le juge administratif possède une certaine liberté d’appréciation ; l’évaluation du préjudice, notamment son chiffrageNote3144. , relève largement des juges du fond.
L’importance du préjudice, en droit international, doit être fixée au moment de l’appréciation de la fixation de l’indemnitéNote3145. . En droit administratif, le juge distingue entre les dommages causés aux personnes et ceux causés aux biensNote3146. . Concernant les personnes, l’un des problèmes majeurs qui se pose est le temps qui peut s’être écoulé entre le moment du fait dommageable et celui du jugement qui va fixer l’indemnitéNote3147. . A cela, il faut ajouter le problème de la variation monétaire, comme par exemple l’inflation. Dans sa décision, Veuve Aubry, le Conseil d’Etat opte pour l’évaluation du dommage au jour où le juge statueNote3148. . Concernant les rentes, elles peuvent être indexées, voire réévaluées à chaque époque où leurs arrérages sont versésNote3149. . Il ne faut pas confondre avec la possibilité d’une réévaluation de la rente en cas d’aggravation du dommageNote3150. .
Concernant l’évaluation de dommages causés aux biens, le juge retient en premier lieu la règle selon laquelle le dommage s’évalue le jour où il s’est produit. Cependant, il admet des hypothèses dans lesquelles il n’y a pas nécessairement coïncidence entre le jour du dommage et la date d’évaluation de celui-ciNote3151. .
L’article 38 du projet de la CDI prévoit des intérêts « sur toute somme principale due en vertu du présent chapitre (…) dans la mesure nécessaire pour assurer la réparation intégrale. Le taux d’intérêt et le mode de calcul sont fixés de façon à atteindre ce résultat ». Le paragraphe second ajoute que « les intérêts courent à compter de la date à laquelle la somme principale aurait dû être versée jusqu’au jour où l’obligation de payer est exécutée ». Sur ce point, la décision n° 16 du Conseil d’administration de la commission d’indemnisation des Nations Unies est claire : « Il sera alloué des intérêts aux requérants dont la réclamation aura été acceptée à partir de la date à laquelle la perte leur a été infligée jusqu’à la date du paiement, à un taux suffisant pour compenser la perte découlant pour eux de l’impossibilité de faire usage pendant l’intervalle du principal de l’indemnité octroyée »Note3152. .
Il convient de distinguer préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniauxNote3153. . Les premiers sont en général plus faciles à évaluer, notamment au titre de la valeur en capital ou concernant un manque à gagner. Le prix d’une maison est calculé sur le critère de la « valeur loyale et marchande »Note3154. . Mais un bien culturel n’ayant jamais fait l’objet d’une estimation ou de transaction fréquentes présentent une réelle difficultéNote3155. . L’estimation des entreprises présentent également certaines difficultés. Sont alors pris en compte les actifs, l’activité, la rentabilité et une appréciation par rapport au marché dans le domaine duquel l’entreprise intervientNote3156. .
Tant en droit administratif qu’en droit international, la victime présente une demande chiffrée d’indemnisationNote3157. qui fait alors l’objet d’une appréciation par le juge, ou par la partie adverse si le juge est exclu ou n’est pas encore saisi. En cas contraire, cela obligerait le juge à statuer ultra petita ; seule l’attente d’un résultat d’expertise peut constituer une dérogation à cette exigence. En droit administratif, c’est une condition de la recevabilité de la demande de dommages et intérêtsNote3158. . En droit international, tout dépend si la procédure est négociée ou juridictionnelle. Dans le premier cas, l’Etat victime fait valoir ses prétentions ; dans le second, en saisissant le juge, il procède de même. Mais en matière de violations graves, le montant de l’indemnisation est le fait du vainqueur, sans possibilité de négociation.
On peut observer qu’en droit international, l’indemnisation peut soit être versée en totalité sous forme de capital, soit par échéance, lorsque les sommes dépassent une certaine importance, notamment suite à un conflit. En droit administratif, la réparation par équivalent est l’indemnitéNote3159. , versée sous forme de capital en une fois ou sous forme de rente, par exemple pour une invaliditéNote3160. .
L’affaire du Détroit de Corfou peut illustrer l’évaluation des préjudices. Le Royaume-Uni réclamait des indemnités pour la destruction d’un contre-torpilleur, pour les dommages causés sur un autre et pour la perte et les blessures de ses agents. La Cour internationale de Justice eut recours à des expertisesNote3161. . Dans le cas du contre-torpilleur détruit, la Cour a considéré que la « juste mesure de la réparation » était « la valeur de remplacement » du navire « au moment de sa perte ». Les Britanniques reçurent 700087 Livres sterling. Pour les dommages causés à l’autre contre-torpilleur, ils reçurent 93812 Livres, puis 50048 Livres au titre des dépenses résultant des pensions et indemnités allouées aux victimes et à leurs ayants droit, ainsi que pour les frais médicaux et les frais d’administrationNote3162. .
Aujourd’hui, les indemnités de réparation faisant suite à la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat source de la violation du droit international, sont calculées de manière à éviter de constituer une charge humiliante et de créer les risques de revanche, comme ce fut le cas après la Première Guerre mondiale. A cet égard, on peut souligner qu’en 1919, Keynes l’avait finement pressentiNote3163. , d’où la mise en place du plan Marshall après le démantèlement de l’Allemagne en 1945Note3164. .
Deux derniers points méritent d’être abordés : celui des dommages-intérêts punitifs et celui de l’indemnisation directe des victimes envisagée par la CIJ.
D’un point de vue sémantique, la notion de dommages-intérêts punitifs renvoie aux fameux crimes de l’article 19. Une partie de la doctrine s’interroge sur l’existence de telles sanctions. Le projet de la CDI sur la responsabilité internationale des Etats de 1996, dans son article 45§ 2 c), semble les accepter, dans un objectif symbolique. Mais le projet de 2001 n’y fait plus allusion. Il semble qu’il faille voir-là une volonté de ne pas retenir, en l’état actuel, une telle possibilitéNote3165. . La jurisprudence paraît encore fortement incertaineNote3166. .
Enfin, l’avis de la CIJ relatif au Mur en Palestine, du 9 juillet 2004, prévoit l’indemnisation des victimes, en cas d’impossibilité de restitution intégrale (§ 153). Une telle attitude mérite d’être signalée car, en principe, la CIJ s’adresse aux Etats et non à leurs ressortissants. La Cour semble prendre acte des mutations du système international qui ne serait désormais plus uniquement centré sur l’Etat. Cependant, si le principe est affirmé, les modalités de réalisations ne sont pas préciséesNote3167. . Peut-être convient-il plutôt d’y voir une nouvelle modalité de satisfaction
L’article 37 du dernier projet de la CDI reconnaît la satisfaction et la place en troisième position après la restitution et l’indemnisation. Elle ne doit normalement intervenir que lorsque les deux autres modalités de réparation se révèlent impossibles. Le deuxième paragraphe de l’article 37 indique que la satisfaction peut prendre la forme d’une reconnaissance de violationNote3168. , d’une expression de regrets, d’excuses formelles ou bien encore de sanctions internes, comme des mesures administratives ou disciplinaires à l’encontre d’agents fautifs. L’affaire du Rainbow Warrior entre la France et la Nouvelle-Zélande l’illustreNote3169. . Mais le paragraphe trois précise qu’elle ne doit pas être disproportionnée ni être humiliante pour l’Etat qui doit la formuler.
Par exemple, l’attaque d’un appareil soviétique ayant à son bord le Président Brejnev par des avions de chasse français a donné lieu à une demande de satisfactionNote3170. .
La possibilité de règlement ex gratia doit enfin être mentionnéeNote3171. . Mais c’est un mode de règlement qui semble devoir être écartée, car il serait en contradiction avec le caractère de jus cogens des violations étudiées.
La satisfaction se prête peu aux violations graves. En tant que forme unique de réparation, elle vient s’ajouter aux réparations précédentes. Cependant, si on analyse le régime de responsabilité pénale internationale, sous l’angle du droit international public, il convient, comme le professeur Maison, de classer dans la satisfaction la mise en œuvre de poursuites pénales à l’encontre des criminels présumés, par les autorités de leurs Etats ; et d’y voir même une forme aggravée de satisfactionNote3172. . Certains auteurs, comme le rapporteur Arangio-Ruiz, pensent que l’extradition de nationauxNote3173. , suspectés d’avoir commis de tels crimes, pourrait constituer une autre forme de satisfactionNote3174. .
En matière de violation du jus ad bellum, au-delà des autres modalités de réparation, la satisfaction peut avoir sa place. On peut considérer, pour les autres politiques criminelles, qu’elles soient contre l’humanité ou génocidaires, que l’instauration de processus de vérité, de réconciliation et de pardon peut constituer une forme de satisfaction, par exemple entre deux ethnies, pour des faits ayant eu lieu au sein d’un Etat.
Après avoir envisagé le règlement de la responsabilité étatique, notamment dans sa branche civile, il convient d’émettre quelques réflexions sur les éventuelles sanctions réellement afflictives pouvant atteindre l’Etat à la source de la violation grave.
La première question qu’il faut envisager est celle de l’autorité légitime à agir, à savoir l’Etat lésé ou la communauté internationale, cette dernière agissant ou non avec l’aval du Conseil de sécurité. A ce niveau-là, toute l’ambiguïté de la notion de communauté internationale ressort. Ensuite, il convient de se pencher sur la nature de ces sanctions. A n’en pas douter, la reconnaissance de responsabilité, même civile, n’est pas exempte de caractère afflictif. Il s’agit ici d’aller au-delà des aspect réparatoires classiques, précédemment étudiés.
Un Etat agressé, au sens large du terme, possède la faculté de répondre et de se protéger. La légitime-défense en est un exemple. Mais quel que soit le type de réponse, non seulement il ne peut aboutir à une violation de normes de jus cogens, mais il ne peut non plus excéder ce qui est strictement nécessaire. Sa riposte doit donc respecter le principe de proportionnalité. Si les violations graves ont lieu au sein d’un Etat, la situation présente une difficulté supplémentaire et les incertitudes sur les interventions humanitaires et d’humanité, selon les auteursNote3175. , constituent encore un obstacle dont certains Etats, à tort ou à raison, s’exonèrent occasionnellement.
La communauté internationale, dont on ne sait réellement qui a le droit de se prétendre son représentantNote3176. , peut trouver un fondement à intervenir dans un amas de textes que seule une exégèse incertaine peut éclairer.
En définitive, seul le Conseil de sécurité, grâce au chapitre VII, possède un sésame officiel. Non seulement il peut autoriser une action de type militaire, mais il peut mettre un territoire sous administration de l’ONU ou d’une organisation internationale, comme l’OTAN ou l’Union européenne. On aboutit alors à une suspension de souveraineté, comme c’est le cas actuellement pour le territoire du Kosovo. Il s’agit d’une mise sous tutelle, par l’intermédiaire de la MINUKNote3177. .
Le Conseil de sécurité ressemble plus à une instance exécutive que judiciaireNote3178. . Par conséquent, il ne peut pas punir. Mais il peut prescrire des mesures temporaires de manière à maintenir la sécurité internationale, en application de l’article 24 de la Charte des Nations Unies. Le terme de sanction, parfois employé jusqu’ici, sied mal aux mesures prises par le Conseil.
Concernant la mise sous tutelle d’Etats, au sens large du terme, il serait alors plus juste de parler de mesures d’administration, normalement provisoiresNote3179. , voire politiques : des mesures d’administration provisoires politiques ; le temps que la situation se stabilise et qu’un régime politique conforme aux objectifs de la Charte se mette en place. Une telle hypothèse s’est produite dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec le statut d’occupation de 1949 du territoire allemand et divers accords postérieursNote3180. ou bien plus récemment en IrakNote3181. . Encore convient-il de ne pas assimiler toutes ces situations qui, selon le professeur Kohen, relèvent de régimes différentsNote3182. . Quelle que soit la formule, elle n’est pas dénuée de caractère afflictif pour les populations qui y sont soumises.
Il y aurait alors passage de mesures de police à des mesures d’administration politiques dans la pratique du Conseil de sécurité, traduisant l’évolution de son action et de sa conception du droit international, d’un droit des Etats à un droit des Etats légitimes et démocratiques. L’influence des Etats occupants peut aller jusqu’à imposer une nouvelle forme de l’EtatNote3183. . Ceci n’est d’ailleurs pas sans révéler un écart avec les règles coutumières qui régissent l’occupation et sans soulever de contradictions avec le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmesNote3184. .
Mais ces mesures ne se limitent pas à la mise sous tutelle de la souveraineté de l’Etat vaincu ou à l’occupation. D’autres modalités peuvent l’accompagner. Par exemple, le traité de Versailles de 1919 prévoyait le désarmement intégral de l’Allemagne. Ce fut un échec, car l’Allemagne réussit, par des moyens contournés, à maintenir en place un système militaireNote3185. . Notamment, l’article 181 prévoyait un seuil de forces navales au-delà duquel les excédents seraient donnés aux alliés. L’article 198 supprimait l’aviation militaire et navale et prescrivait sa livraison aux alliés. Et l’article 203 mettait en place une commission interalliée pour surveiller l’exécution de ces mesuresNote3186. . Mais surtout, les parties II à IV s’attachaient à redéfinir les frontières de l’Allemagne et à distribuer son empire colonial.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne fut partagée en quatre zones et sous le contrôle du Conseil de contrôle interalliéNote3187. . De même, le Japon fut occupé et placé sous le contrôle d’un commandement suprême des puissances alliéesNote3188. . Aujourd’hui encore, nombre de pays illustrent des situations identiques.
L’Assemblée générale de l’ONU, concernant les résolutions du Conseil, précise que « les sanctions ont pour objectif de modifier le comportement d’une partie qui menace la paix et la sécurité internationales et non de punir ou d’infliger un châtiment quelconque »Note3189. . Les mesures d’administration provisoires ne seraient donc que des mesures de rétablissement de la paix ou d’une situation stable.
A cet égard, on peut noter que certaines résolutions du Conseil posent cet événement comme marquant la fin du mandat conféré. A ce titre, on peut citer la résolution 940 de 1994, concernant HaïtiNote3190. . L’ONU n’étant pas un Etat, il est difficile de parler d’occupation.
Le terme apparaît très clairement lorsque l’on envisage l’actuelle situation en Irak, suite à l’intervention d’une coalition dirigée par les USA et la Grande-Bretagne. L’existence d’un quelconque fondement résidant dans les résolutions du Conseil de sécurité semble devoir être rejetéeNote3191. . Il s’agirait d’une action se situant en dehors de toute autorisation du Conseil, faite au nom de la communauté internationale, mais par un groupe d’Etats. En référence à l’article 42 du règlement de La Haye de 1907, et malgré la glose d’une partie de la communauté internationale sur les événements en Irak et le bien-fondé de l’intervention, la situation est qualifiée d’occupationNote3192. . D’ailleurs, les Nations Unies et notamment, le Conseil de Sécurité dans sa résolution 1483 du 22 mai 2003, parlent des « pouvoirs, responsabilités et obligations spécifiques de ces Etats en tant que puissances occupantes agissant sous un commandement unifié en vertu du droit international applicable »Note3193. . Et un auteur ajoute qu’il n’y aurait pas de transfert de souveraineté au profit de la puissance occupanteNote3194. . Si juridiquement cela semble juste, la pratique semble l’infirmer. La coalition ne fait qu’administrer officiellement. Elle doit maintenir l’ordre public selon l’article 43 du règlement de La Haye de 1907. Le 13ème considérant de la résolution 1483 précise que les puissances occupantes se doivent de « promouvoir le bien-être de la population irakienne en assurant une administration efficace du territoire, notamment en s’employant à rétablir la sécurité et la stabilité et à créer les conditions permettant au peuple irakien de déterminer librement son avenir politique ». La résolution 1511 du Conseil de sécurité, du 16 octobre 2003, adoptée sur le fondement du chapitre VII, rappelle que l’Autorité de coalition exerce à titre provisoire le pouvoir et est tenue par les obligations du droit international, et ce jusqu’à l’arrivée d’un gouvernement représentatif et internationalement reconnu, mis en place par le peuple iraquienNote3195. . Elle ajoute que le Conseil de Gouvernement provisoire et ses ministres sont les principaux organes de l’administration iraquienne et incarne la souveraineté de l’Etat iraquienNote3196. .
Diverses actions furent menées tant par les USA que par l’ONU. Diverses instances transitoires furent mises en place afin de permettre un retrait progressif de la coalitionNote3197. . Malgré les récentes élections, une analyse globale de la situation iraquienne tend à désavouer le retour de la souveraineté iraquienne. La fin des périodes conflictuelles ou post-conflictuelles ne consiste jamais en un simple acte de retrait des forces occupantes. Cela se fait progressivement et la situation actuelle iraquienne de guerre civile semble s’orienter vers de longs atermoiementsNote3198. .
Très souvent la mise en place de tels régimes transitoires d’administration sont le fait de l’exploitation par le Conseil de sécurité de l’obscurité de la formulation de l’article 42. Le Conseil peut alors s’écarter des traditionnelles mesures coercitives pour créer non seulement les Tribunaux pénaux internationaux mais également la commission d’indemnisation pour le conflit Irak – Koweït. La légitimité des TPI fut longtemps discutée et critiquée. Aujourd’hui elle fait l’objet d’un consensus. Les résolutions 827 de 1993 et 955 de 1994 se contentant de préciser qu’elles se fondent sur le chapitre VII sans plus d’informations, il est difficile d’en apprécier la légitimitéNote3199. . La formulation de l’article 42 ne semble pouvoir en constituer le fondement. L’article 41, en revanche, par sa large formulation, semble pouvoir être retenu. On peut tout de même s’interroger sur la faculté d’un organe dénué de pouvoir judiciaire à confier de tels pouvoirs à un organe qu’il crée. A cet égard, le TPIY confirme le principe, mais pas l’étendueNote3200. . Le second fondement permettant la création d’organes subsidiaires au Conseil, réside dans l’article 29 de la Charte.
Le Conseil de sécurité n’hésite plus à identifier la responsabilité des individus et à la dissocier clairement de celle des Etats, allant jusqu’à prescrire leur poursuite et leur condamnationNote3201. . Maintenant, avec l’article 13 b) du statut de la CPI, il peut même saisir la CPI, par une résolution adoptée sur le fondement du chapitre VII, ce qu’il fit récemment concernant la situation au Darfour avec sa résolution 1593 du 31 mars 2005.
Une autre modalité utilisée par le Conseil de sécurité fut la commission d’indemnisation des Nations UniesNote3202. . Il s’agit d’une instance de mise en œuvre de la responsabilité internationale, créée par le Conseil de sécurité et imposée à l’Irak en dehors de toute procédure consensuelle, contrairement au principe régissant le règlement des différends, confirmé par la jurisprudence de la CPJI, Carélie orientaleNote3203. . Or M. Kolliopoulos s’interroge sur l’existence d’une telle faculté au profit du Conseil de sécuritéNote3204. . La création de la commission résulte des résolutions 687 et 692 du Conseil de sécurité de 1991, prises sur le fondement du chapitre VII. Selon ces résolutions, la commission doit traiter des réclamations en liaison avec le conflit Irak-Koweït, et les régler par l’intermédiaire d’un fonds d’indemnisation alimenté par les recettes du pétrole iraquien. Par ces résolutions, le Conseil a très clairement reconnu la responsabilité de l’Irak et certains auteurs s’interrogent là encore sur sa faculté à le faire. D’autres lui dénient clairement cette possibilitéNote3205. . Ce type de commission pourrait peut-être constituer un organe adéquat pour mettre en œuvre l’indemnisation des victimes d’un Etat, qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales, comme le suggère un auteur, au vu de l’avis de la CIJ relatif au Mur en PalestineNote3206. .
L’intervention du Conseil de sécurité dans ce conflit ne se limite pas à la création de la commission. Par exemple, une commission spéciale de désarmement de l’Irak fut également crééeNote3207. . Son objectif, dans la perspective du maintien de la paix et de la sécurité internationales, est de désarmer l’Irak pour éviter une nouvelle rupture de la paix. Mais si les mesures prises habituellement par le Conseil de sécurité se réduisent à prescrire des comportements, la solution, appréciée globalement concernant l’Irak, semble dépasser cet aspect. Pour le professeur Sur, il s’agit là d’une réponse à la fois préventive et visant à remédier à la situationNote3208. . Si toutes ces mesures de « surveillance » peuvent se justifier de la sorte, la commission d’indemnisation semble relever d’une autre logique. Cette commission est difficilement intégrable dans ce schéma sécuritaireNote3209. . Pourtant, l’affaiblissement économique résidant dans l’affectation des recettes du pétrole à l’indemnisation, pourrait présenter une certaine parenté avec le plan britannique Morgenthau de 1944, visant à briser l’industrie allemande afin d’éviter toute reconstitution de forces allemandesNote3210. .
Quoiqu’il en soit, les actions de l’ONU, et surtout celles du Secrétaire général et du Conseil de sécurité, s’orientent de plus en plus vers une approche démocratique des régimes politiques, sanctionnant ceux qui s’en écartent à la première occasion. Tant les résolutions du Conseil que les discours de certains secrétaires vont en ce sensNote3211. . L’ONU a compris que le rétablissement de la paix passait par une prise en charge totale des Etats ayant connu des situations conflictuelles et ce dans tous les domainesNote3212. .
Le Conseil de sécurité intervient par la qualification, au sens de l’article 39, d’événements telles que des conflits, mais également des violations du droit international humanitaire et des tragédies humaines d’ampleur, comme ce fut le cas, par exemple, au Rwanda avec la résolution 929 de 1994. En définitive, il peut intervenir pour maintenir la paix de diverses manières, en créant une administration provisoire (MINUK), en surveillant les élections (ONUMOZ au Mozambique créée en vertu de la résolution 797 de 1992), en réorganisant la police nationale et en assurant le maintien de l’ordre dans la capitale en Centrafrique (résolution 1159 de 1998). Les exemples deviennent de plus en plus nombreux, ce qui fait dire à M. Kolliopoulos que la commission d’indemnisation se situerait dans ces nouvelles missions résultant d’une nouvelle conception de la paixNote3213. . Il reste que le principe de la commission d’indemnisation doit être distingué des autres mesures qui s’apparentent à des mesures d’administration provisoires politiques, tandis qu’ici, et cela est également vrai avec les TPI, le Conseil dérive dans le domaine judiciaire et outrepasse vraisemblablement ses compétences.
L’aspect apaisant peut être avéré, mais est-il pour autant suffisant ? Juridiquement, on peut critiquer cette manière de procéder. Un auteur considère que l’action du Conseil, lors du conflit Irak-Koweït constitue un moyen de règlement des différends internationaux, non consentiNote3214. . Certes il peut constituer un procédé non-juridictionnel, mais à la condition d’être accepté ; sinon, il s’apparente plus à un organe appliquant la loi du vainqueur, même à raison. Dans un système international qui se veut le propagateur des droits de l’Homme et de l’Etat de droit, un tel comportement est sujet à caution et seul un organe juridictionnel peut prétendre intervenir de manière consentie. L’idée d’une compétence quasi-juridictionnelle du Conseil est soutenue en se fondant sur la distinction entre différend primaire et différend secondaire. Le premier serait un différend n’ayant entraîné que la contestation pacifique d’un point de droit ou de fait. Le second se caractériserait par l’utilisation de moyens prohibés par la Charte et permettant la mise en œuvre du chapitre VII. Mais une telle distinction ne ressort pas clairement de la Charte ni même de la jurisprudence de la CIJNote3215. . Cette dernière, dans sa décision Nicaragua,affirme : « il est évident que la plainte du Nicaragua ne concerne pas un conflit armé en cours entre ce pays et les Etats Unis, mais une situation qui appelle, et même exige, le règlement pacifique d’un différend entre les deux Etats. Il s’ensuit que c’est à juste titre que cette plainte a été portée devant l’organe judiciaire principal de l’Organisation aux fins d’un règlement pacifique »Note3216. . Au mieux, l’économie des chapitres VI et VII laisse place au Conseil de sécurité pour régler les différends politiques. Mais rien n’est explicitement prévu lui donnant une quelconque compétence juridique. Le Conseil subit les contrecoups de son comportement ambigu, oscillant entre le politique et le juridique.
Les incertitudes de la Charte et de la jurisprudence de la CIJ incitent donc certains auteurs à soutenir non seulement une dichotomie des fonctions du Conseil mais aussi une dichotomie des moyens à leur dispositionNote3217. . Le Conseil constate l’illicite, mais il n’est écrit nulle part qu’il le juge. Et si la dichotomie soutenue par certains auteurs existe réellement, en tant que mécanisme voulu à l’origine de l’ONU en 1945, elle se présente en contradiction avec l’évolution du système international actuelNote3218. . A l’instar du débat sur la réorganisation soit de l’ONU globalement, soit du Conseil de sécurité, il semble souhaitable d’envisager une restructuration avec une ébauche plus claire de répartition et de séparation des fonctions et des pouvoirsNote3219. . La commission d’indemnisation reste un exemple unique d’immixtion du Conseil de sécurité dans la mise en œuvre de la responsabilité internationale. Et rien ne s’oppose à y voir un mécanisme de responsabilité pour crimeNote3220. .
L’appréciation que l’on peut porter sur cette action du Conseil dépend, en définitive, de la nature qu’on lui attribue et également de la qualification de ses actesNote3221. . Une chose est sûre, l’importance des enjeux géopolitiques au sein du Conseil de sécurité constitue un obstacle qui devrait être infranchissable pour une quelconque activité à connotation juridictionnelle. Et si, depuis le début des années 1990, le Conseil s’impose comme un véritable protecteur des droits de l’Homme, cela ne justifie pas qu’il s’écarte tant de ses missions. Pour autant, il n’oublie pas ses missions premières : la garantie de la légalité internationale et la garantie de l’exécution des réparations, le cas échéant.
Une fois l’Etat déclaré responsable et les conséquences en ayant été tirées, deux situations peuvent se présenter : soit une exécution soit une inexécution, de bonne foi ou non. Il s’agit alors, dans le dernier de ces cas, de préciser quels peuvent être les moyens pour assurer la mise en œuvre des conséquences de l’illicite.
Afin de savoir quelles peuvent être les voies d’exécution, il convient de distinguer préalablement l’organe qui s’est prononcé : le juge administratif, la Cour internationale de Justice, l’Etat vainqueur, la communauté internationale ou bien, indépendamment d’elle, le Conseil de sécurité.
Nous distinguerons les pouvoirs du juge administratif français, en droit français, (sous-section 1ère) des mesures de réparation en droit international (sous-section 2nde).
Cette hypothèse relève du cas d’école. En effet, si les autorités françaises menaient réellement une politique criminelle, très rapidement elles trouveraient le moyen soit de noyauter l’institution judiciaire, soit de réduire ses pouvoirs. Mais tant que cela n’est pas fait, le juge reste un obstacle à une activité criminelle étatique insidieuse. Certains témoignages historiques montrent comment il est possible, par pressions diverses, de réduire les juges au silenceNote3222. .
En droit français, le Conseil constitutionnel a précisé sa vision du droit de l’exécution forcée d’une décision de justice, dans sa décision du 29 juillet 1998, lors de l’examen de la loi relative à la lutte contre les exclusionsNote3223. . La règle selon laquelle tout jugement peut donner lieu à exécution forcée « est corollaire de la séparation des pouvoirs » et elle ne peut être écartée que pour « des circonstances exceptionnelles tenant à la sauvegarde de l’ordre public »Note3224. , ce qui est contenu dans la décision Couitéas du 30 novembre 1923 du Conseil d’EtatNote3225. .
Il convient en fait de distinguer deux hypothèses : la première consiste en la saisine directe du juge français afin d’obtenir une décision de sa part ; la seconde consiste dans la saisine du juge français pour obtenir, par son intermédiaire, l’exécution, par les voies d’exécution françaises, d’un traité de règlement des conséquences de violations graves ou d’une décision de la CIJ non exécutée.
Dans le premier de ces cas, les victimes directes, que ce soit des individus ou un Etat, peuvent saisir le juge. C’est surtout le second cas qui mérite quelques précisions. Il s’agit alors pour l’Etat créancier ou éventuellement pour les victimes physiques pour lesquelles cet Etat a fait jouer la protection diplomatique, d’obtenir le respect du traité ou de la décision de la CIJNote3226. . Eu égard à la primauté du droit international écrit (art. 55 de la Constitution), le juge français devrait faire primer le traité et pourrait donc mettre en œuvre les voies d’exécution qu’il possède. Les quelques obstacles pouvant subsister étant le défaut de consentement libre, si le traité fut imposé, ou bien une divergence d’interprétation. On peut bien évidemment envisager d’autres vices affectant n’importe quelle phase de l’édiction du traité ou bien encore concernant sa publication, puisque le juge, aujourd’hui, contrôle très largement le traité, notamment depuis sa décision SARL du parc d’activités de BlotzheimNote3227. .
En revanche, il convient de voir quelle place est accordée à une décision de la CIJ. Il n’existe pas de solution clairement établie. Partant de l’idée que l’exécution et le respect d’une décision rendue par la CIJ, concernant la France, font naître une obligation conventionnelle fondée sur la Charte, on pourrait penser que l’article 55 lui est applicable. Mais il ne semble pas exister de décision en ce sensNote3228. . L’alinéa 14 du préambule de 1946 pourrait également constituer un fondement.
La question de l’intervention du juge national trouve un exemple dans l’affaire société commerciale de Belgique de 1951, jugée par une juridiction bruxelloise, et faisant suite à un arrêt de la CPJI de 1939Note3229. . En 1925, un contrat avait été signé entre la société belge Socobel et le Gouvernement grec pour la construction de lignes ferroviaires et la fourniture de matériel ferroviaire. Suite à une multitude de décisions arbitrales et juridictionnelles, la société a demandé une saisie-arrêt par le tribunal de Bruxelles sur des fonds déposés en Belgique par l’administration Marshall pour le compte de la Grèce. Mais la Grèce a soulevé trois exceptions, notamment l’absence de titre justifiant la saisie, qui fut retenue. Le tribunal avait subordonné une telle attribution à l’exequatur des titres sur lesquels s’appuyait la société, à savoir les sentences arbitrales et la décision de la CPJI. Et le tribunal belge de préciser que, s’il était souhaitable de dispenser les décisions de la CPJI de l’exequatur de lege ferenda, en l’état actuel du droit belge, cela n’était pas possible. Les décisions internationales étaient donc assimilées aux décisions étrangères.
Si la conception retenue par le système interne concernant les relations entre sphère nationale et sphère internationale est dualiste ou moniste, l’impact d’une décision de la CIJ peut varier. Aujourd’hui la France, en matière de droit international général, relève du monisme avec primauté du droit internationalNote3230. . Deux problèmes se posent réellement : celui de l’exequatur de la décision internationale et celui de la nature de la réparation. Concernant l’exequatur, l’exemple précédent montre qu’il peut constituer un obstacle. Mais aujourd’hui la doctrine s’accorde à en refuser l’exigenceNote3231. . L’exequatur trouve sa raison d’être dans l’indépendance des ordres juridiques internes.
L’autre problème pouvant se poser est celui de la nature de la réparation. Il faut que la réparation prononcée au niveau international puisse l’être au niveau national. Il peut s’agir soit d’une indemnisation, soit du retrait d’une réglementation ou d’une législation. Le juge administratif français ne possède normalement des voies d’exécution ou des mécanismes juridiques que pour ces hypothèses-là. En cas de dette, il peut se servir de l’injonction. En cas de réglementation, il peut soit annuler directement, soit enjoindre un retrait ou une abrogation. Concernant une loi, il peut au moins l’écarter du fait de sa contrariété avec le jugement international ou avec un traité international, la rendant inopérante pour l’affaire qu’il doit traiter.
Le juge administratif, notamment en tant que juge de la légalité, peut constituer un obstacle à la mise en place d’une politique criminelle en annulant des actes administratifs liberticides, de portée collective ou individuelle. Il peut également, si la responsabilité de l’Etat est engagée, prononcer des dommages-intérêts. Reste à savoir, en l’état actuel du droit, quels sont les moyens dont il dispose pour garantir ses décisions.
Tout d’abord, certains comportements peuvent être qualifiés de voie de fait, ce qui entraîne alors la compétence du juge judiciaire, mais uniquement pour la constatation et pour l’indemnisation des victimesNote3232. . Il peut également prescrire la cessation de la voie de fait en adressant des injonctions à l’administrationNote3233. . La compétence du juge judiciaire reposerait à la fois sur l’article 66 de la Constitution de 1958 et sur le fait que l’action de l’administration sort de son domaine traditionnel et ne présente plus de lien avec l’exécution du service public dans le respect du principe de légalité ; en ce cas, l’acte de l’administration ne pourrait plus bénéficier du privilège de juridiction. Le juge judiciaire peut intervenir par un « référé-préventif », en cas de menace sérieuse pesant sur un droit fondamentalNote3234. .
Les conditions cumulatives de la voie de fait sont les suivantesNote3235. : il faut que l’administration soit manifestement sortie de ses attributions, car la décision prise est manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’administration ou parce que l’exécution forcée, d’une décision même légale, est gravement irrégulière ; puis il faut une atteinte grave aux libertés fondamentales ou au droit de propriété. La mesure manifestement insusceptible de relever des attributions de l’administration peut se caractériser par son extrême gravité ou par l’extrême irrégularité de son exécution.
Les atteintes graves aux libertés fondamentales peuvent correspondre, par exemple, à une atteinte à la liberté d’aller et venir et aux arrestations et rétentions arbitraires.
Mais en temps de conflit, la situation peut être qualifiée de circonstances exceptionnelles au sens de la jurisprudence administrativeNote3236. ; en ce cas, un acte qui aurait pu être qualifié de voie de fait ne sera peut-être plus qu’une « simple » illégalité.
Pendant longtemps démuni face à l’administration, le juge administratif ne possédait pas le pouvoir de faire exécuter ses décisions par l’administration. Le principe de l’obligation d’exécuter la chose jugéeNote3237. risquait alors d’être battu en brèche. Avec la loi du 8 février 1995, il acquiert un pouvoir d’injonction.
A cela s’ajoutent les possibilités de référés, notamment le référé-liberté depuis la loi du 30 juin 2000 entrée en vigueur le 1er janvier 2001. Il existe d’autres systèmes de prévention ou d’incitation à l’exécution, comme le système d’aide à l’exécution organisé par le décret du 30 juillet 1963, modifié par un décret du 3 juillet 1995, ou bien encore certains pouvoirs du Médiateur de la RépubliqueNote3238. .
Dès notification, la décision de justice est censée être opposable et entraîner l’obligation d’exécutionNote3239. , sauf hypothèses de voie de recours suspensives ou de suspension prononcée par le juge sur demande de la partie condamnée. Mais l’administration dispose d’un délai raisonnableNote3240. au-delà duquel une nouvelle faute peut être relevée.
En outre, une validation législative peut intervenir pour contrecarrer l’obligation d’exécutionNote3241. . La ratification de l’acte administratif est également envisageable, comme ce fut le cas, par exemple, de l’annulation par le Conseil d’Etat de l’ordonnance qui avait créé la Cour militaire de justice ayant condamné CanalNote3242. . La loi du 13 avril 1963 la remplace par la Cour de sûreté de l’Etat et précise que les ordonnances prises en vertu de la loi du 13 avril 1962 ont et conservent force de loi à partir de leur publication.
Au-delà des ces hypothèses, l’exécution peut se heurter à un refus ou à diverses difficultés. Le prononcé d’injonctions accompagnées, le cas échéant, d’astreintes, peut constituer un moyen qui, il faut bien encore le préciser, est vraisemblablement de peu d’utilité face à un régime liberticide.
Pendant longtemps, la possibilité d’exercer des voies d’exécution à l’encontre de personnes publiques fut exclueNote3243. . La situation commença à se débloquer avec la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public. Mais c’est surtout avec la loi du 8 février 1995 et la possibilité offerte aux juges administratifs de toutes les juridictions qu’une nette progression va avoir lieu. Non seulement ils peuvent prononcer des astreintes, mais ils peuvent également enjoindre explicitement des mesures précises d’exécution. Le professeur Chapus distingue les astreintes et injonctions de prévention et les astreintes et les injonctions de contrainteNote3244. .
Les premières résultent des articles L 911-1 et –2 du Code de justice administrativeNote3245. . L’article L 911-3 est relatif aux astreintes. Mais pour pouvoir adresser des injonctions, le juge doit avoir été saisi de conclusions en ce sensNote3246. . Cependant, il est prévu deux cas dans lesquels la juridiction est obligée de les prononcer : lorsque le jugement « implique nécessairement » qu’une mesure d’exécution déterminée soit prise (art. L 911-1) ; et lorsque le jugement « implique nécessairement » qu’une décision soit prise après une nouvelle instruction (art. L 911-2).
En cas d’ineffectivité de ces mesures, le juge possède la faculté d’utiliser les procédés contraignants institués par les lois des 16 juillet 1980 (art. 2) et 8 février 1995 (art. 62). La situation revient alors devant le juge, auquel il appartient d’exercer les contraintes nécessaires.
L’article 2 de la loi du 16 juillet 1980 prévoyait la possibilité de prononcer des astreintes à la charge des institutions responsables de l’inexécution de la chose jugée. Aujourd’hui, ce sont les articles L 911-5 et R 931-3 et suivants du CJA. Le juge administratif, informé de l’inexécution, peut même se prononcer d’officeNote3247. . Ce pouvoir a été étendu à toutes les juridictions administratives par la loi du 8 février 1995 (art. L 911-4 et R 921-5 et s.). Dans ces dernières hypothèses, il faut une demande du justiciable et seule une formation collégiale peut se prononcer.
L’étude d’une possible intervention du juge administratif français, avec ses moyens, relève du cas d’école, ce qui incite dès lors à se tourner vers les possibilités, plus probables, offertes par le juge international
Le règlement de la responsabilité, dans le système international, est encore polycentralisé. La Cour internationale de Justice ainsi que d’autres juridictions internationales plus spécialisées ou arbitrales, l’Etat victime et le Conseil de sécurité, essentiellement, ont vocation à prendre des décisions afin de liquider les conséquences de la responsabilité internationale de l’Etat source de la violation grave. Les compétences de la CIJ et de l’Etat lésé sont certaines en ce domaine mais le régime d’exécution des conséquences des responsabilités pêche par incomplétude (§ 1er). En revanche, le Conseil de sécurité semble s’imposer comme le principal, voire l’unique organe apte à obtenir l’exécution du règlement de la reconnaissance de la responsabilité d’un Etat (§ 2nd).
La société internationale se caractérise par un manque de mécanisme centralisé de responsabilité. Tant l’Etat agressé que d’autres Etats intéressés peuvent intervenir lors de la commission d’une violation grave d’une obligation impérative du droit international général. La Cour internationale de Justice peut également avoir l’occasion de se prononcer.
Les réactions à l’illicite, même si elles font encore l’objet de débats, semblent être strictement encadrées. La légitime-défense individuelle ou collective est autorisée par l’article 51 de la Charte. Les contre-mesures le sont également. Mais l’une comme l’autre doivent être proportionnéesNote3248. , ce que rappelle l’article 51 du projet de 2001 de la CDI. En outre, une réaction ne peut porter atteinte aux normes de jus cogensNote3249. . L’article 50 du dernier projet d’articles de la CDI prévoit explicitement des limites aux contre-mesures, à savoir le respect des droits fondamentaux de l’Homme, les obligations de caractère humanitaire et les obligations découlant de normes impératives. Mais il ne s’agit ici que de réponses à l’illicite et non de facultés offertes pour obtenir l’exécution. La première question à envisager est celle de la qualification de l’obligation d’exécuter la réparation. Si l’obligation de réparation est elle-même une obligation secondaire, l’exécution de cette obligation l’est-elle aussi ou devient-elle une nouvelle obligation primaire ? Cette question se pose aussi bien de manière générale que concernant l’exécution des décisions de la Cour internationale de Justice. Il convient alors d’y répondre avant de distinguer les éventuelles variations qui pourraient exister entre l’exécution d’une réparation prescrite par la CIJ et celle prescrite par une relation interétatique.
L’inexécution d’une obligation constitue une omission ; or l’article 2 du projet d’articles de la CDI de 2001 en fait une modalité du fait internationalement illicite. On peut donc déjà conclure que l’inexécution d’une obligation identifiée de réparation constitue un acte illicite, notamment en ce qui concerne la Cour internationale de JusticeNote3250. . Mais cela n’apporte pas de précision sur sa nature. A la lecture de la présentation du dernier projet de la CDI par le rapporteur Crawford, on peut relever les règles secondaires indiquant les conséquences de la violation de toute obligation primaire applicableNote3251. . Mais là encore, il est difficile de savoir si l’inexécution d’une obligation secondaire en constitue une ou bien constitue une nouvelle obligation primaire. En effet, il semble qu’il faille clairement distinguer l’obligation de réparation de la réparation elle-même, le professeur Combacau considérant qu’il ne s’agit là que de l’exécution matérielle de l’obligation de réparation Note3252. .
Pour autant, la question n’est pas résolue. L’obligation d’exécution peut se confondre avec l’obligation de réparer, ce qui peut se comprendre si la réparation réside uniquement dans la constatation de l’illicite ou si elle prescrit un comportement passif, d’abstention de la part de l’Etat responsable. Mais dès le moment où la réparation suppose un comportement actif, la confusion présente des inconvénients.
On peut considérer comme certains auteurs que l’inexécution constitue un fait illiciteNote3253. , ce qui inciterait à qualifier l’obligation de primaire, et pourquoi pas de « primaire bis », car non dénuée de lien avec une situation conflictuelle déjà existante, ce qui permet la réutilisation du schéma classique retenu en matière de responsabilité internationale. L’exécution de la décision de la CIJ est considérée comme appartenant à la phase post-juridictionnelle de l’affaire et tout problème intervenant à l’occasion de l’exécution acquiert le caractère d’un nouveau différendNote3254. . Une telle affirmation incite alors à voir dans l’inexécution la violation d’une norme primaire, mais peut-être d’un type particulier. Malgré les divergences que l’on peut rencontrer concernant la substance des normes primaires et secondaires, à se référer à Hart, il semble s’agir d’une norme primaire, car prescrivant un comportementNote3255. .
On peut également s’inspirer de la jurisprudence de la Cour EDH. Dans la décision HornsbyNote3256. de 1997, les juges affirment que l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt, quelle que soit la juridiction, doit être considérée comme faisant partie intégrante du procès au sens de l’article 6 de la convention. Un autre arrêt parle de « droit à l’exécution des jugements »Note3257. se substituant à l’expression jusqu’alors retenue par la Cour de « partie intégrante du procès ». On pourrait donc y voir l’affirmation d’une règle primaire mais découlant de l’inexécution d’une règle secondaire ; pourquoi pas une règle « primaire bis » ?
Quoiqu’il en soit, une telle interrogation ne présente en définitive qu’un intérêt purement théorique. Dans la perspective d’une relation interétatique, l’Etat lésé à l’origine et vainqueur suite à un conflit avec l’Etat source de l’illicite possède des moyens de contrainte. Dans la perspective d’un règlement par l’intermédiaire de la Cour internationale de Justice, il semble que les Etats titulaires d’un jugement, dans la pratique, se soient toujours reconnus le droit d’user de contre-mesures pour faire pression sur l’Etat débiteur récalcitrantNote3258. .
En définitive, la question pourrait être la suivante : si les violations graves ouvrent à tous les Etats un titre à agir, au-delà des obligations de non reconnaissance formulées dans le dernier projet de la CDI, l’inexécution du règlement de la responsabilité de l’Etat criminel permet-elle, là encore, à tout Etat d’intervenir pour en obtenir l’exécution en cas de défaillance ?
Il convient de détailler successivement les hypothèses relatives à l’exécution de la sentence tout d’abord dans un rapport interétatique, puis dans un rapport médiatisé par la Cour internationale de Justice. L’intervention du Conseil de sécurité sera momentanément écartéeNote3259. .
Dans l’hypothèse d’une relation interétatique mettant fin à la violation grave d’obligations découlant du droit international général, les conséquences se règlent, comme le prouvent divers exemples historiques, par la négociation aboutissant normalement à un traité que l’on pourrait qualifier de léonin ; à la fois parce que l’Etat jugé responsable doit couvrir les dommages occasionnés, mais également parce que la situation s’est vraisemblablement soldée par un conflit, permettant au vainqueur d’imposer ces conditionsNote3260. . On peut souligner que, contrairement aux accords et traités soldant les Première et Seconde Guerres mondiales, aujourd’hui, semble se dessiner une exigence de proportionnalité. En pratique, l’inexécution est marginale, hors le cas où l’Etat devant réparer n’en possède pas les moyens. Plus l’Etat vainqueur a d’ascendant sur le vaincu, plus les risques d’inexécution décroîssent. Une telle situation sera avérée, à coup sûr, en cas de violation du jus ad bellum. Les crimes contre l’humanité et le génocide, dans un rapport interétatique, supposant également une violation du jus ad bellum, les situations se régleront ainsi. On peut également étendre l’hypothèse aux crimes de guerre.
Si la négociation est finalisée par un traité, on peut penser que l’inexécution de certaines dispositions entraîne la mise en œuvre de clauses de garanties prévues à cet effet. Il reste à déterminer si la convention de Vienne de 1969 peut s’appliquer, le consentement se révélant sûrement vicié, le vaincu n’ayant guère la possibilité de négocier et d’exprimer librement son consentement (art. 51 et 52).
La situation est en revanche plus complexe dans l’hypothèse où un ou plusieurs Etats interviennent pour faire cesser une politique criminelle à l’intérieur d’un Etat. Les fondements d’une intervention humanitaire, par exemple, ne sont pas encore clairement fixés, ni même reconnus par le projet d’articles de la CDI de 2001. Au-delà de la cessation du comportement, se pose le problème d’une réparation et d’un droit pour les Etats extérieurs à exiger une réparation, au nom des minorités persécutées. Mais même dans l’hypothèse d’un tel droit, quelles peuvent être les facultés offertes à ces Etats pour obtenir la réparation nécessaire ? A l’évidence, le droit international n’envisage aucun mécanisme, hormis l’intervention du Conseil de sécurité. Les autres interventions de la part d’Etats agissant de leur propre initiative, sont pour l’instant sujettes à interrogations. On observe alors très souvent des interventions aux justifications incertaines ou fallacieuses, pour donner une apparence de juridicité. On peut citer l’exemple récent de l’intervention américaine en Irak ou bien encore l’affaire de Chypre, qui aurait trouvé un fondement dans un traitéNote3261. .
Il faut garder présent à l’esprit que l’inexécution est une forme d’illicite permettant une réaction. Une des finalités de cette réaction à l’illicite étant d’obtenir une réparation, mais également d’obtenir un rééquilibrage des parties, si l’on se situe dans une relation conventionnelleNote3262. . Elle n’autorise pas le recours à la violence.
En revanche, lorsqu’une situation conflictuelle, uniquement entre des Etats, se règle par l’intermédiaire de la Cour internationale de Justice, la situation se présente différemment. L’inexécution de jugements, en pratique, est extrêmement marginale, puisque seulement une dizaine de cas semblent devoir être relevésNote3263. , dont l’affaire du détroit de Corfou, celle du personnel diplomatique et consulaire de l’ambassade des USA à Téhéran, et celle relative aux activités militaires et paramilitaires au NicaraguaNote3264. .
L’obligation d’exécuter les sentences internationales relève d’une règle coutumière, selon laquelle les Etats parties à un différend sont tenus de se conformer à l’arrêt rendu à leur demandeNote3265. . Confirmant ou venant nourrir cette coutume, certaines conventions contiennent cette règle. Notamment, l’article 37§ 2 de la convention de La Haye de 1907, relative au règlement pacifique des conflits internationaux, stipule que le « recours à l’arbitrage implique l’engagement de se soumettre de bonne foi à la sentence ». Donc, non seulement l’exécution de la décision répond à l’acceptation de l’intervention d’une juridiction ou d’un arbitre, mais en plus elle s’insère dans le principe de bonne foi.
Si l’on se limite à la Cour internationale de Justice, considérant que l’arbitrage devrait être écarté en matière de violation de normes de jus cogens, on peut constater tout d’abord qu’aucun article du statut de la CIJ, de la Charte ou du règlement de la Cour ne prévoit explicitement des mesures en cas d’inexécution. Seule une lecture croisée des articles 59 du statut de la CIJ, 94§ 2 du règlement de la Cour et 94§ 1 de la Charte permet de reconnaître force obligatoire aux arrêts de la Cour, dès son prononcé et l’obligation de s’y « conformer », ce qui laisse supposer l’obligation d’exécuter ladite décision. Il s’agirait-là d’une obligation conventionnelle de la CharteNote3266. .
Il convient, en outre, de constater que la Cour ne possède pas la possibilité de faire respecter ses décisions. Elle doit pour cela se reposer sur le Conseil de sécurité, qui ne peut intervenir que sur demande de l’une des parties, ce qui ne fait pas pour autant naître une compétence liée. L’exécution de la décision est considérée comme appartenant à la phase post-juridictionnelle de l’affaireNote3267. .
Avant de parler de l’exécution de ses décisions, il convient d’en souligner l’autorité. Selon l’article 59 du statut de la CIJ, elles possèdent une autorité définitive de chose jugée entre les parties en litige. Ceci est confirmé par l’article 94 de la Charte qui prévoit que les Etats membres de l’ONU doivent se conformer aux décisions de la CIJ dans lesquelles ils sont parties. En outre, l’article 61§ 3 du statut donne la possibilité à la Cour de contraindre un Etat à s’exécuter avant d’ouvrir une procédure de révision de la décision. Mais cette disposition sert plutôt à limiter les recours en révision.
L’affaire de l’Or monétaire pris à RomeNote3268. apporte déjà un début de réponse. En 1943, les Allemands s’emparent d’or à Rome, par la suite récupéré et mis sous contrôle des puissances alliées, USA, Royaume-Uni et France, chargées de le remettre à leurs détenteurs d’avant-guerre. L’affaire du détroit de Corfou étant intervenue entre-temps, le Royaume-Uni bénéficie d’un jugement favorable de la Cour internationale de Justice et souhaite conserver la partie de l’or équivalente à ce que l’Albanie, un des anciens détenteurs de l’or, lui doit. Un litige s’ensuit devant la CIJ. Sir Fitzmaurice, défendant l’action des trois puissances, souligne que toutes les nations ont intérêt à ce que les jugements de la Cour soient exécutés, reconnaissant par là un droit erga omnes à les faire exécuter. Ceci est en contradiction avec l’article 59 du statut de la CIJNote3269. .
Mais la violation d’une obligation primaire primordiale, ayant alors des effets erga omnes, peut en principe faire intervenir n’importe quel Etat autre que celui lésé. Reste alors à se demander si l’inexécution du jugement produit également un titre d’intervention erga omnes. C’est là que la qualification de l’obligation d’exécution prend toute sa valeur. Si elle est primaire, seuls les Etats parties peuvent intervenir pour obtenir l’exécution ; si en revanche on est toujours dans le cadre de l’obligation secondaire, tous les Etats auraient vocation à intervenir pour obtenir l’exécution.
L’obligation conventionnelle d’exécuter une décision de la CIJ par un Etat concerné par le litige est sans ambiguïté pour les Etats membres de l’ONU. Cependant, des hypothèses existent dans lesquelles un Etat peut être partie au statut de la CIJ, en vertu de l’article 93§ 2 de la Charte, mais non membre de l’ONU. Lorsque la Suisse, alors tiers à la Charte, décide d’être partie au statut de la Cour, l’Assemblée générale, par la résolution n° 11 du 15 novembre 1946, pose comme condition la reconnaissance des obligations découlant de l’article 94 de la Charte. De telles conditions furent exigées par la suite des autres Etats dans ce casNote3270. .
La Cour est également ouverte aux Etats tiers, non seulement à la Charte mais à son statut, ce qui est prévu par la résolution n° 9 du Conseil de sécurité du 15 octobre 1946. En ce cas, les Etats doivent s’engager à « exécuter de bonne foi la ou les sentences de la Cour et à accepter toutes les obligations mises à la charge d’un membre des Nations Unies par l’article 94 de la Charte ». On peut remarquer que l’obligation définie par la résolution est celle « d’exécution » et non de conformation, de bonne foi, comme il est stipulé à l’article 94.
Le principe de l’obligation d’exécution est renforcée par la modalité de saisine et par le consentement préalable à la juridiction de la Cour, qu’il ait été donné unilatéralement ou par un compromisNote3271. avec les autres parties en litige. Un refus d’exécution violerait le principe de bonne foiNote3272. . C’est pour cela d’ailleurs que la Cour vérifie minutieusement le consentement des Etats. Il s’agit-là d’une garantie d’exécution. En cas de contestation par un Etat de son consentement, une inexécution est alors à présumerNote3273. .
Certains auteurs proposent une définition extensive de l’article 38 du statut de la Cour. Cet article dispose qu’elle a pour mission de régler les différends qui lui sont soumis conformément au droit international. En outre, la Cour est un des organes principaux de l’ONU, qui, à ce titre, participe à la réalisation de ses missions, notamment le maintien de la paix et de la sécurité internationalesNote3274. . Cette analyse systémique du rôle de la Cour lui permettrait, par la définition de compétences implicites, d’exercer une fonction exécutrice. A cet égard, la CIJ, appliquant cette théorie, a reconnu à l’ONU des pouvoirs qui ne sont pas expressément énoncés dans la Charte. Ils en découlent nécessairement afin qu’elle puisse assurer ses fonctionsNote3275. . D’ailleurs, dans l’affaire des essais nucléaires, la Cour a reconnu qu’elle possède un pouvoir inhérent qui l’autorise à prendre toute mesure pour faire en sorte que l’exercice de sa fonction ne soit pas inutile : « un pouvoir inhérent de ce genre, sur la base duquel la Cour est pleinement habilitée à adopter toute conclusion éventuellement nécessaire aux fins qui viennent d’être indiquées, découle de l’existence même de la Cour, organe judiciaire établi par le consentement des Etats et lui est conféré afin que sa fonction judiciaire fondamentale puisse être sauvegardée ». Mais reconnaître un tel principe est une chose, encore convient-il de définir précisément les moyens à sa dispositionNote3276. .
Si la décision de la CIJ reste inexécutée, tant l’Etat bénéficiaire de l’arrêt que le Conseil de sécurité, sous certaines conditions, peuvent intervenirNote3277. . Qu’un Etat utilise certains moyens de pression de type économique ne semble pas prêter à discussion. Mais on peut s’interroger sur la possibilité et l’opportunité d’utiliser la force pour obtenir l’exécution d’un jugement de la Cour internationale de Justice.
Au début du 20ème siècle, la convention Porter du 18 octobre 1907 prohibe le recours à la force armée pour le recouvrement de dettes contractuelles, mais d’autres hypothèses en permettaient l’utilisation, notamment pour obtenir l’exécution d’un jugement ou d’une sentence arbitraleNote3278. . Un fort courant en faveur de l’interdiction du recours à la force dans de tels cas s’imposa. Par exemple, en 1907, Sir Edward Fry déclare, lors de la deuxième conférence de la paix, à La Haye, qu’il faut éviter toute mesure coercitive pour faire exécuter les décisions de la Cour permanente d’arbitrage. Lors de la conférence de paix de 1919, la délégation française propose même de doter la SDN de moyens efficaces, et notamment d’une armée, afin que l’exécution des sentences puisse être assurée par le Conseil dans le cadre d’une action sociétaireNote3279. . Les débats sur ce sujets sont abondants tout au long du 20ème siècle. L’Assemblée générale des Nations Unies, dans une résolution 42/22 du 18 novembre 1987, réaffirme le principe du règlement pacifique des différends et le met clairement en parallèle avec le principe d’interdiction du recours à la menace ou à l’emploi de la force dans les relations internationales. Un auteur conclut que l’exécution des décisions juridictionnelles internationales ne peut se faire par la forceNote3280. . Si cela est vrai pour l’ONU, on ne peut qu’étendre ce raisonnement à des règlements intervenus directement entre Etats.
Une décision de la CIJ réellement inexécutée peut alors voir l’intervention du Conseil de Sécurité en sa faveurNote3281. . L’article 94§ 2nd prévoit la possibilité pour la partie lésée de saisir le Conseil, qui peut décider ou non soit de faire des recommandations, soit d’intervenir de toute autre manière. Et si la situation d’inexécution peut s’analyser en une menace contre la paix et la sécurité internationales, alors le Conseil de sécurité peut se saisir lui-mêmeNote3282. et agir sur le fondement du chapitre VIINote3283. . Il semble également que les articles 34 et 35 de la Charte, prévoyant la possibilité pour tout membre d’attirer l’attention du Conseil de sécurité, puissent s’étendre à cette situationNote3284. .
Par exemple, suite à la décision de la CIJ du 8 avril 1993, prononçant des mesures conservatoires dans une affaire relative à la Bosnie-Herzégovine, cette dernière avait attiré l’attention du Conseil sur le fondement de l’article 94 sur la poursuite et l’intensification des attaques armées dirigées par la Yougoslavie contre la ville de SrebrenicaNote3285. . Les autorités de Bosnie-Herzégovine demandaient au Conseil d’intervenir sur le fondement du chapitre VII. Dans sa résolution 819 du 16 avril 1993, le Conseil prend note de l’ordonnance de la Cour, précise qu’il agit en vertu du chapitre VII, mais ne mentionne pas l’article 94. Malgré le caractère peu clair de la résolution, il semble qu’elle puisse être considérée comme une mesure tendant à faire exécuter l’ordonnance de la CIJNote3286. .
De manière générale, le Conseil de sécurité, surtout s’il agit en vertu du chapitre VII, peut utiliser tous les moyens qu’il juge nécessaire.
Cette compétence qu’il possède pour faire exécuter les décisions de la Cour et celles qu’il possède également pour intervenir dès qu’existe une menace contre la paix et la sécurité internationales en font un mécanisme de centralisation de l’autorisation des règlements des responsabilités étatiques.
La récente intervention des USA et de la Grande-Bretagne, entre autres, en Irak, sous des justifications jugées souvent peu convaincantes, démontre que le rôle du Conseil de sécurité en matière d’autorisation d’intervention n’est pas si incontournable que l’on peut le penserNote3287. . Une telle situation résulte de la composition même du Conseil et du rôle de membres permanents des deux Etats intervenants, ce qui n’est pas sans nourrir le débat sur la nécessité de réformer le fonctionnement du directoire internationalNote3288. . Le caractère politique du Conseil de sécurité est souvent décriéNote3289. .
On peut cependant remarquer que malgré ce contre-exemple, marque de faiblesse pour certains auteursNote3290. , le Conseil de sécurité semble constituer l’organe principal d’autorisation de la mise en œuvre des responsabilités internationales. En effet, la réaction à des violations graves ne doit-elle pas s’inscrire dans un cadre collectif ? Et les Nations Unies ne doivent-elles pas être considérées comme un moyen privilégié voire exclusif de mise en œuvre des régimes de responsabilité aggravée ?Note3291. Ceci, en apparence du moins, pourrait assurer une harmonisation des sanctions et un remède à la subjectivité des réponses par les Etats lésés et par ceux indirectement concernés.
Il semble admis, dans l’économie de la Charte des Nations Unies, une dissociation des fonctions de décision et d’exécution. Le Conseil de sécurité constate les menaces et les ruptures de la paix et l’agression. Mais l’exécution en incombe à d’autres intervenantsNote3292. ; tout ceci met en jeu ou devrait mettre en jeu un subtil mécanisme d’équilibre entre l’ONU et les autorités décentralisées d’exécutionNote3293. .
En outre, il convient de mentionner l’importance, dans certains cas, des comités des sanctionsNote3294. , chargés de contrôler la bonne exécution des sanctions mises en œuvre, à l’instigation du Conseil de sécurité.
L’article 94§ 2nd permet donc au Conseil, saisi par l’une des parties au litige ne pouvant obtenir l’exécution du jugement de la Cour internationale de Justice, d’intervenir. Il peut décider de déléguer une telle action à une organisation régionale. Le caractère central du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales affirmé par la Charte, présente au moins un aspect pratique, à savoir l’estampille « communauté internationale » lorsqu’il agit.
La question qui se pose est la suivante : le Conseil peut-il s’autosaisir lorsque la situation constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales ? Ses pouvoirs généraux semblent le supposer. Des auteurs soulignent même la possibilité pour d’autres Etats de saisir le Conseil ou d’attirer son attention lors d’une telle situation d’inexécution, au titre des articles 34 et 35 de la CharteNote3295. . N’importe quel Etat membre du Conseil permet en pratique une autosaisine.
En outre, les violations graves, selon certains auteurs, pourraient faire naître un titre autonome au profit de n’importe quel Etat pour intervenir. Le rapporteur Riphagen parle, à l’époque des crimes, d’un fondement autonome autorisant chaque Etat à intervenir, indépendamment d’une décision d’un organe de l’ONUNote3296. . En pratique, cependant, l’intervention du Conseil présente l’avantage d’écarter les interventions étatiques suspectes. Malheureusement, il présente également l’inconvénient de fonctionner selon certaines contingences politiques.
Quelle que soit la modalité de saisine, et notamment avec l’article 94§ 2nd, le Conseil garde l’opportunité d’agir. En effet, selon l’article 94, le Conseil « peut intervenir (…) s’il le juge nécessaire »Note3297. . Reste à savoir si un refus d’intervention, en cas de violation d’une norme de jus cogens, donne un titre d’intervention à des Etats tiers ou permet l’application de la résolution AchesonNote3298. .
Si l’Assemblée de l’ONU peut discuter de toute question intéressant le maintien de la paix et de la sécurité internationales, au titre de l’article 11 de la Charte, elle peut également, en cas de dysfonctionnement du Conseil (art. 12), formuler des recommandations aux membres de l’organisation. Ceci pourrait concerner l’inexécution d’une décision de la Cour. D’ailleurs, dans l’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, et suite au veto des USA, le Nicaragua s’est tourné vers l’Assemblée. Celle-ci a adopté une résolution 41/31 le 3 novembre 1986 demandant l’exécution immédiate de l’arrêt rendu le 27 juin 1986. Mais c’est surtout la résolution « Union pour le maintien de la paix », dite résolution Acheson, concernant les événements de Corée en 1950, qui peut présenter un intérêt. Dans celle-ci, l’Assemblée a précisé sa compétence en cas de blocage du Conseil par l’un des membres permanents. Dans ce cas, elle peut faire des recommandations sur « les mesures collectives à prendre, y compris, s’il s’agit d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, l’emploi de la force armée en cas de besoin, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales »Note3299. . Un débat eut lieu sur la possibilité de s’en servir pour obtenir l’exécution d’un jugementNote3300. . Pour certains, cela ne soulève aucune difficultéNote3301. . Mais si le principe semble acceptable, il reste à apprécier la force contraignante d’une telle recommandation. A tout le moins, elle donnera une légitimité d’action à l’Etat ou aux Etats décidant d’intervenir de leur propre chef et au nom de la communauté internationale.
Le refus d’intervention peut certes trouver une justification dans des contingences politiques, mais peut également se justifier juridiquement, par exemple si l’Etat récalcitrant ne possède pas les moyens d’exécuter la décisionNote3302. .
D’un mécanisme d’exécution des décisions prises par les organes de l’ONU, le Conseil de sécurité peut être perçu comme l’organe principal, voire unique, d’exécution des responsabilités internationales. La création de la commission d’indemnisation pour le conflit Irak-Koweït le confirme. Mais il convient surtout de voir quel peut être son rôle dans le cas d’une inexécution des conséquences d’un litige réglé sur un mode interétatique.
Pour cela, il faut distinguer deux hypothèses : celle où le comportement criminel fut pleinement interétatique, comportant par exemple une violation du jus ad bellum et celle possédant un caractère interétatique final, c’est-à-dire ayant vu intervenir un Etat pour faire cesser une politique criminelle, ce qui n’inclut pas nécessairement une intervention physique de l’Etat dans la sphère de l’Etat criminel.
Quelle que soit l’hypothèse, on peut imaginer deux types principaux de règlement : le traité et la promesse de cesser le comportement et de régler les dommages causés, uniquement dans la seconde hypothèse.
A cela il convient d’ajouter une autre distinction. A savoir si l’inexécution caractérise une situation menaçant la paix ou opérant une rupture de la paix et de la sécurité internationales, ou une situation ne révélant pas de telles caractéristiquesNote3303. . Avant tout, l’action du Conseil passera par l’utilisation de moyens de pression, pouvant être adoptés sur le fondement du chapitre VI ou VIINote3304. ; ce n’est qu’en cas d’inefficacité que l’on peut imaginer des actions coercitives.
Concernant le traité, l’application de la convention de Vienne de 1969 semble incertaine. Il définit sûrement des solutions en cas d’inexécution. Eu égard au jus cogens, on peut penser que ces sanctions ne pourront pas être de type violent, mais uniquement de type économique. Pour autant, la situation peut nécessiter une intervention armée, mais en ce cas, cela signifie que la violation internationale n’a pas cessé ; on est donc dans une hypothèse de cessation de l’illicite et non de règlement définitif. Mais les Etats bénéficiaires du traité, hormis cas de légitime-défense, ne possèdent pas de titre à agir. En revanche, le Conseil de sécurité, pour éviter une aggravation de la situation, a tout intérêt à intervenir. On peut soutenir que l’Etat bénéficiaire du traité a tout intérêt à saisir le Conseil, pour obtenir soit une aide, soit une autorisation à agir.
Dans le second cas, si l’illicite a cessé, il est difficile pour un Etat d’obtenir l’exécution d’une réparation, par exemple, au profit d’une minorité par des moyens juridiques, sauf à qualifier la promesse d’obligation internationale et d’en contester l’inexécution devant la CIJ, dans un premier temps.
Le Conseil de sécurité constitue un organe d’assistance et d’autorisation de l’exécutionNote3305. . Il peut agir sur le fondement du chapitre VI ou VII en fonction de la situation. On peut légitimement penser que la situation d’inexécution constitue le prolongement d’une menace ou d’une rupture de la paix et de la sécurité internationales, justifiant alors une intervention sur le fondement du chapitre VII.
Le Conseil dispose des articles 41 et 42 permettant d’utiliser une palette d’instruments, allant des mesures d’ordre économique et diplomatique aux mesures militaires.
L’action du Conseil se limite à l’autorisation d’une sanction, contraignante ou non. La paralysie qui le caractérise jusqu’au début des années 1990 fait qu’il a délégué ses pouvoirs coercitifs et notamment la contrainte militaireNote3306. . Mais une telle délégation, faite au nom de la communauté internationale dans de nombreux cas, n’est pas sans soulever des interrogations sur les modalités d’une telle délégation et sur sa mise en oeuvre, sur le contrôle des organismes ou Etats intervenants et sur le sort juridique à réserver en cas de dépassement de cette autorisationNote3307. .
Notamment les interprétations extensives des dispositions de la Charte et des résolutions de l’ONU par les USA et la Grande-Bretagne, en marge de ce que l’on nomme la seconde guerre du Golfe, ne sont pas sans implications sur les pouvoirs mêmes et le rôle du Conseil de Sécurité qui s’en trouve proportionnellement amoindriNote3308. .
En définitive, l’inexécution d’un traité de paix, sanctionnant le vaincu, ou bien l’inexécution d’une décision de la CIJ, même dans le domaine des violations graves, n’offre pas de régime particulier. Des contraintes violentes sont à exclure et seules des réactions licites et non violentes peuvent intervenir. Le Conseil de sécurité reste le pivot officiel de garantie d’exécution des conséquences de la responsabilité, sauf à envisager la création de « nouvelles architectures institutionnelles »Note3309. .
La responsabilité du militaire et celle dérivée de l’Etat peuvent être reconnues par des juridictions appartenant à deux systèmes juridiques distincts, mais non étanches : le système juridique international et le système juridique français. Pour autant, ce ne sont là que de simples possibilités, car dans certaines conditions, les juridictions d’autres Etats ont vocation à intervenir. Se limitant donc à ces deux systèmes, on peut constater qu’il n’existe pas de solution homogène et sûre réglant leurs rapports entre eux. A cette première difficulté, s’ajoute celle des différents fondements juridiques soutenant le système français et le système international.
Jusque-là, il a pu être observé que la recherche de la responsabilité fait apparaître dans bien des cas des divergences fondamentales, tant dans les définitions des infractions que dans les éléments d’excuse, ou bien encore dans les règles procédurales. Mais une fois ces points résolus et les conséquences des responsabilités identifiées par chaque juridiction, il reste à savoir si la cohérence de l’affaire, traitée dans sa globalité, trouve un point d’appui dans la réception de chaque décision prononcée par les autres juridictions ayant à intervenir à leur tour. La réflexion faite pourrait inciter à plaider pour une uniformisation des droits et des procédures. Mais si une telle solution de facilité peut résoudre certains points obscurs, elle ne semble pas répondre à la situation existante, ni à des contingences historiques propres à chaque Etat et ayant dicté leur organisation juridique et judiciaire.
Le professeur Maison, dans sa thèse, analyse la justice internationale pénale sous l’angle du droit international public. La sanction de l’individu y est alors perçue comme une modalité spécifique de sanction de l’Etat pour violations graves. Dans la perspective de l’entrée en fonction de la Cour pénale internationale, il parle de l’apparition d’un lieu de centralisation des sanctions individuelles et collectives de l’illicite étatique, y voyant le modèle d’une responsabilité double des agents étatiques et de l’Etat lui-même, telle que préconisée un temps par Vespasien PellaNote3310. . Mais au-delà de cette appréciation, il convient de se demander si la formalisation d’une justice internationale pénale ne doit pas aboutir à détacher complètement le système international pénal et le système international public. Notamment, la complémentarité avec les justices nationales y inciterait. S’il est évident que ces crimes se caractérisent par un lien Etat et individu criminel fort, une question ne doit pas être éludée : quel est le premier criminel, l’individu ou l’Etat ? La première proposition semble devoir être retenue, ce qui conduit à autonomiser la responsabilité pénale pour crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Une telle position présente le risque, en termes de droit applicable, d’appréciation des faits et surtout de sanctions, d’aboutir à des divergences ou des difficultés de règlement. Afin d’illustrer cela, il convient d’envisager deux hypothèses : celles des relations intrasystémiques ou horizontales et celles des relations intersystémiques ou diagonales entre les juridictions répressives et les juridictions compétentes à l’égard de l’Etat. Des difficultés communes existent, incitant à traiter tout d’abord des hypothèses communes de réflexions (chapitre 1er), puis des situations concrètes (chapitre 2nd).
Jusqu’à présent, deux grands types de relations pouvant naître lors du traitement de l’affaire furent envisagés. D’une part, les relations qui peuvent exister du fait du recoupement des incriminations individuelles et étatiques ; d’autre part, les relations entre les juridictions criminelles entre elles et entre les juridictions compétentes à l’égard des Etats entre elles. Le premier de ces points entraîne la possibilité d’une double qualification de mêmes faits, faisant naître une double responsabilité étatique et individuelle. On peut alors identifier une double série d’hypothèses relationnelles. Il s’agit d’une part, des relations horizontales, entre la CIJ et la CPI ou bien entre le juge administratif et le juge criminel français, c’est-à-dire au sein d’un même système juridique ; d’autre part des relations diagonales entre le juge criminel français et la CIJ ou entre le juge répressif international et le juge administratif français. Le point qui sera plus particulièrement traité ici concerne ces relations au stade du règlement des conséquences des responsabilités. Cependant, traiter successivement des relations horizontales, puis diagonales risquerait d’occulter l’existence d’éléments communs de réflexions ; c’est pourquoi il convient de distinguer préalablement deux types d’éléments : ceux en relations avec les décisions judiciaires elles-mêmes (section 1ère) et les éléments de mise en application pratique (section 2nde).
Que l’on envisage les relations intrasystémiques ou inter-systémiques, certains éléments de réflexions communs apparaissent. Que ce soit un juge répressif ou un juge compétent à l’égard des Etats, la détermination des responsabilités, en matière de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et de leurs corollaires étatiques, amènent notamment à s’interroger réciproquement sur la nature juridique des actes commis par le militaire et par l’Etat. Il reste à savoir quel statut possède cette appréciation à l’égard de l’autre juge intervenant pour les mêmes faits (sous-section 1ère). Un autre obstacle peut surgir, au stade du règlement des responsabilités : le rapport chronologique entre les différentes décisions intervenant (sous-section 2nde).
Traiter des décisions sur les conséquences des responsabilités, qu’elles soient pénales ou étatiques, implique inévitablement de remonter le cours du processus judiciaire aboutissant au dispositif. Au-delà de l’autorité de chose jugée accordée aux décisions de chaque juridiction par les autres juges, certains éléments méritent d’être soulignés.
Le traitement des faits par les juges suppose tout d’abord leur identification, puis la vérification de leur exactitude et enfin leur qualification juridique. Dès le moment où plusieurs juges interviennent, et surtout s’ils appliquent un droit différent, le risque d’une divergence d’appréciation factuelle puis juridique existe. A ce stade, il convient alors de s’interroger sur la portée de telles appréciations. Deux éléments semblent devoir être pris en compte : la détermination des interactions de l’individu et de l’Etat dans la qualification juridique des faits (§ 1er) et la double qualification (§ 2nd).
Le juge, qu’il soit saisi par les parties ou par un procureur, connaît les faits, entre autres, par leur intermédiaire. Des organes comme ceux des procureurs possèdent un pouvoir d’investigation propre, encore que les juridictions internationales pénales soient fortement tributaires des autorités locales. Par exemple, le procureur de la CPI enquête à charge et à décharge avant d’assurer les poursuites. Les juridictions françaises comprennent un organe distinct, le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction.
Selon la juridiction saisie, le juge n’effectue pas le même contrôle sur les faits. A titre d’exemple, les juges du fond, comme la Cour d’assises, apprécient souverainement les faits et la Cour de cassation s’appuie sur cette appréciation pour exercer uniquement un contrôle de cassationNote3311. .
Le Conseil d’Etat contrôle, quant à lui, l’exactitude matérielle des faitsNote3312. , et si besoin, il présente la particularité de juger lui-même dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice (art. 11 de la loi 31 décembre 1987).
Au-delà des faits et de leur exactitude, l’idée qui doit être gardée à l’esprit est celle d’une volonté d’assurer la cohérence du traitement d’une affaire, dans sa globalité, tant au niveau factuel que juridique.Le problème est le suivant : les crimes contre la paix et la sécurité sont le fait de la politique d’un groupe, ce groupe pouvant être un groupe isolé autonome, un mouvement de libération ou bien un groupe agissant sur ordre d’un Etat en vertu d’une politique étatique. Notre sujet se limitant aux militaires français, seules la première et la dernière hypothèses sont à conserver. S’interroger sur de tels crimes conduit à porter une appréciation tant sur des comportements individuels que collectifs, les uns nourrissant les autres, en quelque sorte.
Les juges pénaux, par exemple, devant se prononcer sur l’existence de tels crimes de groupe doivent préalablement vérifier si les actes perpétrés par le ou les accusés devant eux sont le fait d’une politique organisée systématique et de masse, d’autres éléments variant selon le type précis de crime. Ils doivent donc identifier le groupe menant cette politique. C’est à ce stade qu’est identifié un groupe autonome, voire l’Etat.
La reconnaissance de la responsabilité individuelle du militaire mis en cause passe par la recherche de l’implication d’un groupe, dirigé ou non par l’Etat. Sans aboutir à la reconnaissance d’une responsabilité juridique, cela n’en comporte pas moins une appréciation que l’on pourrait qualifier de politique ou morale, ou bien encore d’infra-juridique. Elle n’a pourtant qu’une importance factuelle, ayant vocation à être juridicisée ou déjà juridicisée, dans le cas où une décision de la Cour internationale de Justice ou du juge administratif serait préalablement intervenue.
A l’inverse, les juridictions chargées de se prononcer sur la responsabilité étatique doivent, dans un premier temps, identifier les agents criminels, afin de pouvoir déterminer s’il y a lieu d’imputer leurs actes à l’Etat. En l’espèce, le statut officiel de militaire facilite la tâche du juge. Cette opération passe par l’identification d’un lien avec l’Etat, ici caractérisé par le statut de militaire. Les conséquences varient selon la juridiction statuant. Pour la Cour internationale de Justice, la responsabilité est alors encourue si le lien est avéré ; en revanche, le juge administratif définit la responsabilité étatique sur le fondement d’une faute de service, par opposition à une faute personnelle et en déduit, le cas échéant, la responsabilité de l’Etat.
On peut donc observer que la responsabilité individuelle passe par l’identification d’une politique criminelle de groupe, et donc par l’identification de ce groupe. Alors que la responsabilité étatique passe par l’identification du comportement des militaires, avant de conclure, selon des modalités différentes à la responsabilité de l’Etat. Mais à chaque fois, l’étape intermédiaire possède la qualité de fait juridique déterminant. S’ensuit alors un risque virtuel de contradiction au niveau de l’appréciation des faits. Ce n’est pas tant un problème juridique qui est en cause, qu’un problème de cohérence globale de l’affaire.
Si les juridictions intervenantes s’accordent sur ces faits juridiques, cela facilite la cohérence du traitement d’ensemble de l’espèce. En revanche, si une divergence d’interprétation existe, cela peut-il avoir un impact sur la décision et surtout sur la cohérence des conséquences des responsabilités ?
Cette question se pose dans les rapports horizontaux des juridictions et dans leurs rapports diagonaux, le problème étant résolu par l’indépendance des ordres de juridiction et surtout l’indépendance d’interprétation et de qualification juridique des faits lorsque sont appliqués des droits différents dans un objectif différent. Mais cette hypothèse présente une difficulté supplémentaire du fait de l’appartenance des juridictions à deux systèmes juridiques différents.
La divergence sur ce point est d’autant plus plausible qu’en fonction du laps de temps écoulé depuis la fin des événements, il n’est pas évident qu’une juridiction interne accepte de reconnaître la responsabilité du régime précédent, aussi bien pour des raisons symboliques que financières. Sur ce point, on peut citer la jurisprudence du Conseil d’Etat refusant d’engager la responsabilité de l’Etat français pour les événements survenus sous le régime de Vichy, se fondant sur l’ordonnance du 9 août 1944Note3313. . Un revirement de jurisprudence a été opéré sur ce point avec la décision Papon du 12 avril 2002. La Cour de cassation, elle-même, concernant les faits de la Seconde Guerre mondiale, refuse l’assimilation du régime de Vichy et des pays de l’Axe, notamment dans l’affaire TouvierNote3314. . Pour reconnaître l’existence de la commission d’un crime contre l’humanité, un lien avec les pays de l’Axe est exigé de la part du criminel, ce qui permettait de refuser l’assimilation entre les politiques criminelles de l’Axe et celles de la France.
Cependant, quel que soit le temps écoulé, des juridictions internationales présenteront vraisemblablement moins de scrupules. Quoiqu’il en soit, la divergence est possible, il reste à déterminer quelles seront exactement ses conséquences.
L’opération de qualification juridique des faits consiste à considérer, pour un juge, que des faits entrent dans le champ d’application d’un texte juridique. A ce titre, ils acquièrent un caractère juridique permettant l’application d’un régime prédéterminé. Il convient alors de bien distinguer l’appréciation que le juge effectue des faits, de leur qualification juridique.
Deux hypothèses peuvent être distinguées. Celle selon laquelle le juge est tenu par un texte obligeant à la qualification du comportement individuel et du comportement étatique. Et celle, dans laquelle, le texte ne requiert que la qualification d’un des deux comportements, mais oblige à une appréciation, infra-juridique, de l’autre de ces comportements.
Pour plus de clarté, deux exemples peuvent être pris. Le juge pénal ne peut sanctionner au titre de l’agression que ceux ayant participé à un tel acte, l’agression devant avoir eu lieu. Dans un premier temps, le juge doit caractériser l’agression, fait internationalement illicite, avant de se prononcer sur des comportements individuels. L’article 16 du projet de code de 1996 de la CDI illustre parfaitement cela, puisque : « Tout individu qui, en qualité de dirigeant ou d’organisateur, prend une part active dans – ou ordonne – la planification, la préparation, le déclenchement ou la conduite d’une agression commise par un Etat, est responsable de crime d’agression». La commission par un Etat semble être un préalable nécessaire. A moins d’une décision antérieure rendue par une juridiction comme la CIJ, le juge répressif doit lui-même en reconnaître l’existence, donc porter une appréciation juridique sur ce point-là.
En revanche, des infractions existent, tel le crime contre l’humanité, qui nécessitent comme condition une action de groupe concertée ; en ce cas, le juge n’a pas à impliquer directement l’Etat, mais simplement à caractériser l’existence d’un groupe menant une action concertée. Ceci n’empêche pas, d’un point de vue purement factuel, de souligner, le cas échéant, la compromission de l’Etat.
A l’inverse, si c’est un juge comme la Cour internationale de Justice ou le juge administratif qui doit se prononcer, la responsabilité de l’Etat étant une responsabilité d’imputation, ces juges doivent analyser le comportement individuel de l’agent, avant de faire apparaître les éléments, qui, le cas échéant, pourront être qualifiés de faute de service ou de fait internationalement illicite.
Concernant la faute de service, le comportement criminel en est normalement exclusif. Le juge doit indéniablement se prononcer sur le comportement individuel, la faute de service étant le plus souvent appréciée par opposition à la faute personnelle. On peut remarquer que dans la décision Papon, le juge souligne d’abord la faute personnelle puis celle de serviceNote3315. . Le juge peut même pousser son raisonnement assez loin, comme dans la jurisprudence préfet du Tarn du 19 octobre 1998, du Tribunal des Conflits, dans laquelle, confronté à un comportement répréhensible pénalement, il va jusqu’à vérifier si le fonctionnaire en cause a eu ce comportement dans un intérêt personnel, ce qui, en définitive, tend à rechercher le mobile, qui est normalement indifférent en droit pénal français.
En droit international public, la situation est encore différente, car la responsabilité de l’Etat pour fait ultra vires existe. En ce cas, c’est le comportement criminel même qui peut entraîner la responsabilité de l’Etat. Le juge international doit donc s’attacher à déterminer préalablement le comportement criminel, avant de l’imputer à l’Etat de l’agent.
Pour autant, que l’appréciation des faits soit purement constative ou bien qu’elle donne lieu à une qualification juridique préalable et nécessaire pour le juge, les autres juges ayant à connaître de la même affaire mais sous un autre angle ne sont pas tenus. Dès lors, un risque de divergence d’appréciations est latent.
L’indépendance des ordres de juridiction et surtout l’indépendance d’interprétation et de qualification juridique des faits jouent. La jurisprudence Papon en est une illustrationNote3316. . Un second point est à considérer : la chronologie des décisions judiciaires.
Le second élément, mais qui n’est pas dénué d’importance sur les rapports entre les juridictions et les conséquences des responsabilités, est lié au temps. En effet, une même affaire présentant des aspects pénaux et étatiques relève de diverses juridictions. Elle peut être traitée de manière concomitante, quelque peu décalée voire extrêmement décalée dans le temps.
Plusieurs interrogations apparaissent alors, notamment si les juges doivent ou ont la faculté de communiquer entre eux des éléments de preuve ou bien s’ils doivent tenir compte des décisions de l’autre et de leurs conséquences. Plus le temps s’écoule, plus l’appréciation portée sur des faits peut diverger et aboutir à des anachronismes, comme le souligne le professeur JeanneneyNote3317. .
L’adage selon lequel le criminel tient le civil en l’état ne trouve pas à s’appliquer. Le juge administratif, notamment, n’a pas à surseoir à statuer. Un tel adage ne semble pas exister non plus dans la sphère internationale.
Si les affaires sont menées de manière concomitante et surtout si les décisions sont rendues en même temps ou dans un laps de temps extrêmement bref, il apparaît difficile pour les juges de tenir compte des conséquences de la responsabilité reconnue par l’autre juge, surtout quand il existe un décalage entre la rédaction de la décision et la sentence rendue publiquement.
En revanche, la prise en compte est facilitée si un large laps de temps sépare les décisions. Le juge qui se prononce en second est informé de la teneur de la décision de l’autre, ainsi que des conséquences de la responsabilité, ce qui lui permet, le cas échéant, d’en tenir compte pour fixer les conséquences de l’affaire qu’il connaît.
Ces quelques remarques se posent avec d’autant plus d’acuité que les juridictions appartiennent à deux systèmes distincts, ce qui ne favorise pas une coordination des juges.
Une telle coordination existe, mais pas sous la forme d’un mécanisme. Elle se fait par l’intermédiaire de l’intérêt à agir et de la notion de réparation intégrale des préjudices, l’un et l’autre étant liés.
Dans l’hypothèse d’une affaire portée devant la Cour internationale de Justice, face à laquelle un comportement d’un juge national est susceptible de constituer un fait internationalement illicite, les juges internationaux, avant de clore la phase préjuridictionnelle et si des instances sont programmées devant les juges nationaux pouvant régler la situation, attendent que les décisions juridictionnelles aient été rendues. Mais cela n’est valable que dans l’hypothèse où la violation d’une obligation internationale peut trouver une réparation « amiable » par l’intervention du juge national.
A titre d’exemple, on peut souligner que la Cour internationale de Justice, informée d’une procédure au niveau interne, accepte de repousser l’affaire dite de certaines procédures pénales engagées en France, opposant cette dernière à la RDC. Le représentant du Congo avait demandé un délai de six mois à la CIJ afin d’attendre le résultat d’un pourvoi en cassationNote3318. . Si cet exemple est particulier et n’entre pas directement dans le champ de l’étude, il souligne l’intérêt que la CIJ porte à des décisions juridictionnelles internes. L’inverse semble plus incertain.
L’articulation des décisions juridictionnelles sur les conséquences des responsabilités est déterminée par nombres de facteurs, relativement diverses. La difficulté est accentuée par le fait que le juge est souvent exclu au profit de réglements alternatifs.
Les politiques criminelles étudiées sont généralement facteur de bouleversement des régimes étatiques. La responsabilité de l’Etat, notamment, n’est pas toujours le fait d’une reconnaissance judiciaire, mais plutôt conventionnelle, comme peuvent l’illustrer les exemples allemands de 1919 et 1945. La mise en œuvre des règlements des conséquences n’est alors pas non plus le fruit du juge, mais bien souvent de commissions nationales ou internationalesNote3319. . La sanction pénale, appréhendée sous l’angle du droit international public, est également perçue comme une modalité de satisfaction et une garantie de non répétition permettant la mise en place de tribunaux spéciaux. Plus généralement, l’action du Conseil de sécurité vient troubler les modalités de constatation des responsabilités et leur mise en œuvre, comme le prouve l’hétérogénéité des solutions : Tribunaux pénaux internationaux et commission d’indemnisation Irak-Koweït.
Le règlement judiciaire des conséquences des responsabilités peut s’effectuer correctement en droit interne ; cependant en droit international, la compétence relative de la CIJ en matière étatique (sous-section 1ère) et la difficile mise en œuvre des règlements de la responsabilité par les juridictions internationales (sous-section 2nde) constituent un obstacle qui aboutit souvent à un traitement conventionnel de la responsabilité.
Le système international se caractérise par une multitude de juridictions plus ou moins spécialisées, à la compétence relative. Seule, la CIJ semble devoir être retenue dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Pour autant, l’arbitrage pourrait encore être envisagé, mais cela est peu probable.
L’hypothèse de travail retenue concerne donc l’intervention de la Cour internationale de Justice afin de sanctionner les violations graves. La compétence de la Cour doit être consentie par les Etats, parties au litige. Seule, la ratification de l’article 36 alinéa 2du statut de la Cour entraîne une compétence obligatoire.
Des situations telles que celles précédemment étudiées se soldent, en général, de deux manières : soit par la victoire militaire d’une des parties, soit par une reddition négociée. L’une et l’autre des voies aboutissent en général à une négociation, plus ou moins consensuelle, donnant naissance à un traité ou à un accord de reconnaissance des responsabilités et de fixation des modalités de réparation. L’unilatéralisme reste encore un des éléments clés du système international.
Entre autres exemples, on peut citer le traité de Versailles de 1919 et les accords de Dayton de 1995. Le premier résulte d’une défaite militaire, le second, d’une négociation visant à faire cesser les événements. A ces exemples, il convient d’ajouter les interventions du Conseil de sécurité, notamment concernant l’ex-Yougoslavie et le premier conflit Irak-KoweïtNote3320. .
Les modalités de règlement des responsabilités sont, dans les grandes lignes, les suivantesNote3321. : démantèlement territorial, démantèlement de la force militaire, réparations en nature ou en produits monétaires ou autres. Des commissions internationales sont en général créées ayant pour objectif d’assurer la réalisation de ces réparations. Puis, sont apparues, après la tentative manquée de 1919 à l’égard de Guillaume II, des juridictions internationales pénales jugeant les principaux responsables des événements. Ces modalités de réparations, fixées par les parties vainqueurs, se firent sans l’intervention de la CPJI ou de la CIJ.
Il se peut donc que le juge international pénal et le juge répressif français soient amenés à intervenir en dehors de toute constatation judiciaire de la responsabilité étatique par un juge, alors même que l’Etat possède une part de responsabilité. Mais très souvent, et cela est surtout valable pour le juge national, il est tenu par les accords ou traités internationaux se prononçant sur le principe d’une responsabilité et mettant en œuvre un régime d’indemnisation.
Les juges deviennent alors, dans une certaine mesure, des organes d’application des mesures décidées, parfois précisées et complétées par des lois nationales, faisant intervenir, pour l’aspect civil, des organes administratifs. Il reste alors à déterminer au cas par cas quels sont les régimes pouvant être mis ainsi en œuvre.
Laissant momentanément de côté les exemples particuliers de mise en œuvre des responsabilités lors des premiers et second conflits mondiaux, on peut constater que les juridictions internationales, CIJ, TPI et CPI nécessitent la collaboration des autorités nationales pour assurer la mise en œuvre de leurs décisions. Quand bien même il est reconnu une force juridique contraignante à ces décisions, l’exécution peut se révéler difficile.
Dès la phase pré-juridictionnelle, et même si les bureaux des procureurs disposent de personnel, leur mission ne peut être accomplie qu’avec l’aval et la coopération des autorités nationales. Il est à noter que les TPI bénéficient de l’aura du chapitre VII, tandis que la CPI doit conclure des protocoles, ce qui est le cas pour l’actuelle affaire de la RDC.
Mais cette nécessaire coopération se fait également sentir dans la phase post-juridictionnelle. Par exemple, l’exécution des peines d’amende et de confiscation, ainsi que les mesures de réparation en faveur des victimes pouvant être prononcées par la CPI, nécessitent l’autorisation du tribunal correctionnel de Paris (art. 627-16 CPP), en ce qui concerne la France. Le tribunal est lié par la décision de la CPI (art. 627-16, al. 2).
L’exécution des peines est également tributaire de la bonne volonté des Etats. Les articles 627-18 à 627-20 du Code de procédure pénale règlent cette hypothèse, tant pour la CPI que pour le TPIY.
L’article 106 du RPP des TPI prévoit que l’indemnisation peut être obtenue auprès des juridictions nationales compétentes et en fonction des législations nationales. L’article 106 prévoit la transmission de la déclaration de culpabilité et surtout donne une force juridique liant les juridictions nationales afin d’indemniser la victime.
Concernant le rapport avec la Cour internationale de Justice, cette dépendance se fait également ressentir. Par exemple, la France obtient la reconnaissance de la responsabilité d’un Etat ayant causé préjudice à des ressortissants français, par l’intermédiaire de la protection diplomatique. Les autorités françaises obtiendront une réparation financière. La France est alors libre d’indemniser intégralement ou non les ressortissants victimesNote3322. , sous réserve que la somme allouée puisse couvrir intégralement les préjudices. L’Etat aura ensuite la possibilité de régler la situation par l’adoption d’une législation spéciale prévoyant une intervention administrative, sous contrôle soit d’un juge spécial soit des juridictions de droit commun. Ceci fut le cas notamment avec la législation du 28 octobre 1946 relative aux dommages de guerreNote3323. .
Que l’on se situe dans les relations juridictionnelles intra ou inter-systémiques, des difficultés communes se rencontrent pour l’application des conséquences des responsabilités. Désormais, il convient de voir plus précisément ces relations.
Jusqu’à présent, furent envisagés des points d’achoppement portant sur des éléments matériels, comme les faits ou la date des sentences. Le point principal de réflexion réside dans l’autorité de chose jugée accordée aux décisions de chaque juridiction par les autres juges ayant à connaître de l’un des aspects d’une même affaire et dans la corrélation des indemnisations. Le système français, s’il peut être critiqué à maints égards, n’en constitue pas moins un système rôdé présentant une certaine logique et une certaine articulation lorsque des juridictions pénales et administratives ont à intervenir dans une même affaire. Le système international, en pleine évolution, notamment dans la branche du droit international pénal, est d’un degré moindre d’élaboration. Dans l’hypothèse où des juridictions de ces deux systèmes auraient à intervenir dans une même affaire, l’une dans une perspective pénale et l’autre dans une perspective étatique, la différence de système constitue un obstacle. L’articulation des décisions de ces juridictions n’est pas résolue et repose essentiellement sur le self-restreint des juges. Il convient de traiter successivement des rapports horizontaux (section 1ère) puis diagonaux (section 2nde).
L’acte criminel contre la paix et la sécurité de l’humanité commis par un ou plusieurs militaires est susceptible d’engendrer la responsabilité de ceux-ci, mais également celle de leur Etat. Une telle situation peut être jugée par des juridictions françaises et internationales. Différentes contingences et conditions juridiques peuvent déterminer les compétences de chacune. Les interférences du droit français et du droit international ne sont pas sans compliquer la tâche du juge, notamment celle du juge français. La situation devient encore plus complexe si une même affaire est traitée par différents juges appartenant à différents ordres juridiques. En revanche, elle gagne en simplicité, dans une certaine mesure, si elle est traitée intégralement par les juges d’un même système. Mais il convient de constater que chaque système, français et international, n’offre pas le même degré de développement. Il varie selon chacune des sociétés correspondantes et selon leur degré d’homogénéité, tant subjective que fondamentale.
Dans la perspective du règlement des responsabilités, cette fois-ci intrasystémique, on peut observer que le système français, si la critique peut toujours trouver sa place, se présente comme un système relativement cohérent, comme un modèle (sous-section 1ère) pour un système international encore à la recherche d’une cohérence et d’une rationalisation (sous-section 2nde).
Si chacun peut adresser des critiques à la société française, elle n’en présente pas moins l’avantage de l’expérience. Et malgré la diversité des régimes politiques s’étant succédé depuis la fin du Moyen Age et surtout depuis la Révolution, elle est aujourd’hui le fruit d’une longue maturation historique, largement influencée par les Lumières, mais également par l’Ancien Régime. S’adaptant aux exigences modernes de la démocratie, elle se présente comme un modèle largement abouti. Et si l’existence du juge administratif peut encore être contestée par certains, il n’en demeure pas moins qu’existe un système d’une relative cohérence. Son organisation et surtout l’établissement d’une séparation souple des pouvoirs permettent d’affirmer un système cohérent et fonctionnant selon une certaine logique. Chacun des pouvoirs et ses compétences sont clairement identifiés. La séparation des pouvoirs se double d’une collaboration fonctionnelle.
Un système d’une certaine cohérence est donc visible. Concernant le point précis des relations entre le juge pénal et le juge administratif, relatif aux conséquences de la reconnaissance de responsabilité, il convient de voir quelle place l’un accorde à l’autre. Ces solutions sont jurisprudentielles.
Deux points seront examinés successivement : la place accordée à la sanction, aux réparations et à l’annulation d’actes administratifs, et en cas de recoupement de ces conséquences, les solutions adoptées par le juge (§ 1er). Puis le partage entre les juges administratif et pénal de l’appréciation et de l’interprétation de la légalité des actes administratifs (§ 2nd).
Lorsque l’administration est condamnée au titre de sa responsabilité par le juge administratif, la décision bénéficie d’une autorité relative de la chose jugéeNote3324. . Comme pour le juge pénal, l’autorité s’attache au dispositif et aux motifs qui en sont le soutien nécessaireNote3325. , à la condition, par référence à l’article 1351 du Code civil, que la prétention soit fondée sur la même cause, entre les mêmes parties et que la demande soit formée par elles et contre elles en la même qualité.
Quoiqu’il en soit, de tels cas semblent assez rares. Partant de l’idée que les juges saisis doivent prononcer des dommages et intérêts couvrant l’intégralité du préjudice, à moins d’une erreur du juge administratif, on peut penser que la décision rendue sera telle. Depuis l’arrêt Lemonnier, le juge accepte de statuer sur l’ensemble de l’affaire, même lorsqu’il y a dualité de faute et de responsabilitéNote3326. . Tout naturellement, l’Etat bénéficie d’une possibilité d’action récursoire contre l’agent, si le juge estime qu’une faute personnelle a été commiseNote3327. . Une telle faute peut être confirmée, si une action parallèle est menée, par le juge répressif. En ce cas, quelle est sa position face au montant de l’indemnisation fixée par le juge administratif ? Dans la perspective de faire obstacle à l’enrichissement des victimes et dans celle d’économiser les deniers publics, on peut supposer que le juge criminel adopte une position analogue à celle du juge administratif.
La question est soulevée de la portée juridique reconnue au dispositif de la décision juridictionnelle par le juge de l’autre ordre, judiciaire ou administratif. Le juge pénal peut prononcer, pour les crimes retenus, des peines d’emprisonnement et des condamnations civiles en cas de constitution de partie civile. A cela, il faut ajouter quelques peines complémentaires, la plupart du temps sans influences réelles sur le juge administratif. Ce dernier, quant à lui, peut prononcer tout d’abord l’annulation de certains actes administratifs ou bien une réparation au profit des victimes.
Il convient de voir successivement quelle place est accordée par le juge administratif au jugement pénal et à ses conséquences civiles, puis l’hypothèse inverse. Préalablement, soulignons qu’en cas de conflit, ce qui est plausible en matière de responsabilité pour un fait criminel commis par un fonctionnaire, le Tribunal des conflits peut avoir vocation à intervenir.
Deux hypothèses doivent être distinguées. Celle des dommages intérêts prononcés par le juge pénal et celle de l’influence de la sanction pénale lors d’une procédure disciplinaire, plus précisément lors du contrôle effectué par le juge administratif sur le choix de la sanction ; mais cela ne relève pas du sujet, le juge administratif n’étant ici retenu qu’en tant que juge de la responsabilité étatique pour un fait commis par un militaire français.
Une fois tous les types de recours épuisés par les requérants et les délais de prescription des actions éteints, la décision rendue par le juge criminel passe en force de chose jugée et acquiert donc une même autorité. Il reste à savoir à qui elle s’impose. Dès cet instant, la décision est présumée être l’expression de la vérité : « res judicata pro veritate habetur »Note3328. . Plusieurs questions sont soulevées en marge de l’arrêt ainsi doté, à savoir, si l’on peut exercer de nouvelles poursuites contre une personne pour les mêmes faits ou bien si l’action publique est encore possibleNote3329. . Si les professeurs Conte et Maistre du Chambon traitent, entre autres, des rapports du criminel et du civil, ils ne s’interrogent pas sur les rapports de la décision criminelle et du juge administratifNote3330. . Mais il ne s’agit pas réellement ici de mesurer la portée de la chose jugée au pénal sur le juge administratif ayant à se prononcer postérieurement. La chose jugée au pénal, et surtout l’autorité absolue, s’attache aux faits constatés dans une décision devenue définitive sur le fond. Dans certaines hypothèses, cela peut s’étendre à la qualification juridique des faitsNote3331. .
On peut s’appuyer sur la décision Papon rendue le 12 avril 2002 par le Conseil d’Etat. Le requérant M. Papon, venant d’être condamné par la Cour d’assises de la Gironde, conteste sa condamnation, considérant qu’il a agi en tant que fonctionnaire et qu’à ce titre il doit bénéficier de la protection de l’Etat. A tout le moins, il demande à l’Etat de prendre en charge sa condamnation, à savoir des condamnations civiles pécuniaires de 4 720 000 francs. Le Conseil y fait droit à hauteur de la moitié de la somme, après avoir conclu à l’existence d’une faute de service. Cette décision illustre plusieurs points de droit, notamment, l’autorité absolue de chose jugée par le juge criminel relative aux faits. Mais le juge opère une autre qualification, au regard du droit administratif, pour déterminer l’existence d’une faute de service. Il affirme par là l’autonomie du droit administratif par rapport au droit pénal, mais également celle du juge administratif par rapport au juge pénalNote3332. . L’autorité de chose jugée ne concerne que l’objet du jugement et les motifs qui en sont le soutien nécessaire. Seul ce qui est nié ou affirmé dans le dispositif d’un arrêt d’assises bénéficie de cette autoritéNote3333. qui ne concerne que les parties au procèsNote3334. .
Mais ici, nous nous situons au-delà de cette phase, plus précisément au stade des conséquences pénales de la reconnaissance de la responsabilité et de sa portée à l’égard du juge administratif, qui, sur le fondement des mêmes faits, aurait reconnu une responsabilité de l’Etat. Ceci l’amènerait à faire partager la dette du criminel par l’Etat. C’est là l’un des points de droit de la décision Papon.
Lorsqu’une décision pénale prononcée par le juge criminel possède une dimension administrative, il n’est plus question de parler d’autorité de chose jugée, mais des effets du jugement, de nature administrativeNote3335. . Il ne s’agit donc pas réellement de la question de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le juge administratif, mais de la prise en compte du résultat du jugement pénal, notamment prononçant des dommages-intérêts, à l’égard des parties civiles dans une affaire devant le juge administratif, menée par les mêmes parties civiles, concernant les mêmes faits, ou bien dans le cadre d’une action récursoire comme c’est le cas dans l’affaire Papon.
Lorsqu’une action récursoire est effectuée par un agent public suite à une condamnation pénale et qu’il estime que l’administration doit en assumer une partieNote3336. , le juge administratif, après avoir effectué la recherche de responsabilité administrative, si elle est avérée, détermine à quelle hauteur l’administration doit supporter la dette.
Selon le deuxième alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires « lorsqu'un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d'attribution n'a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions n'est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui ». Ceci est confirmé par l’article 15 de la loi du 24 mars 2005 portant statut des militaires.
Et le juge administratif ajoute, dans la décision Papon :
« que pour l'application de ces dispositions, il y a lieu - quel que soit par ailleurs le fondement sur lequel la responsabilité du fonctionnaire a été engagée vis-à-vis de la victime du dommage - de distinguer trois cas ; que, dans le premier, où le dommage pour lequel l'agent a été condamné civilement trouve son origine exclusive dans une faute de service, l'administration est tenue de couvrir intégralement l'intéressé des condamnations civiles prononcées contre lui ; que, dans le deuxième, où le dommage provient exclusivement d'une faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions, l'agent qui l'a commise ne peut au contraire, quel que soit le lien entre cette faute et le service, obtenir la garantie de l'administration ; que, dans le troisième, où une faute personnelle a, dans la réalisation du dommage, conjugué ses effets avec ceux d'une faute de service distincte, l'administration n'est tenue de couvrir l'agent que pour la part imputable à cette faute de service ; qu'il appartient dans cette dernière hypothèse au juge administratif, saisi d'un contentieux opposant le fonctionnaire à son administration, de régler la contribution finale de l'un et de l'autre à la charge des réparations compte tenu de l'existence et de la gravité des fautes respectives ».
On peut donc constater que l’article, tel qu’il est formulé, suppose que le juge administratif, en ce qui concerne l’évaluation du préjudice, c’est-à-dire des faits et d’une indemnisation correspondante, est lié par le jugement criminel ; ce dernier est un fait juridique acquis pour le juge administratif. Il ne possède qu’une compétence pour évaluer la hauteur de la faute de service. Mais le Conseil d’Etat évalue en fait, au regard de la faute commise, ce que l’administration devrait dédommager et l’impute sur la somme due par le fonctionnaire ayant sa part de responsabilité personnelle. Se refusant au cumul d’indemnitésNote3337. , il ne prononce pas d’indemnisation distincte, dans le cas où il aurait été saisi par les victimes directement, alors qu’elles bénéficient déjà d’un jugement pénal leur accordant une indemnisation au titre de l’action civile. Tout cela doit être effectué dans la perspective d’une réparation intégrale du préjudice, et sans permettre l’enrichissement de la victime, voire une double indemnisation.
Dans sa jurisprudence Marx de 1948, le Conseil d’Etat vérifie que, lors de la détermination de la quotité de l’indemnité qu’il allouera, sa décision n’a pas pour effet « de procurer à la victime par suite des indemnités qu’elle a pu ou qu’elle peut obtenir devant d’autres juridictions à raison du même accident, une réparation supérieure à la valeur totale du préjudice subi »Note3338. . La solution retenue est la subrogation de la commune dans les droits des victimes qui peuvent résulter de condamnations prononcées par le juge judiciaire. Ce transfert de créance se fait jusqu’à concurrence de la somme retenue par le juge administratifNote3339. .
Ni le juge pénal, ni le juge administratif ne sont obligés de surseoir à statuer lorsque l’autre statue sur une même affaire, dans la limite de ses compétences. Alors, qu’en est-il de la portée de la décision du juge administratif sur le juge criminel ? L’idée d’une autonomie des deux ordres de juridictions s’impose encore. Le juge administratif peut certes prononcer des dommages-intérêts en cas de responsabilité de l’administration, mais également annuler un acte administratif. Dans le dernier de ces cas, la solution est claire, la décision rendue par le juge possède une autorité absolueNote3340. . Mais si ceci est vrai dans le cadre d’une annulation d’un acte administratif, on peut émettre des doutes sur sa véracité en cas de confirmation de validité, du fait des pouvoirs détenus par le juge criminel en ce domaineNote3341. .
Le juge administratif et le juge pénal possèdent la faculté d’apprécier la légalité des actes administratifs. Seul le juge administratif peut les annuler. Si, pour ce dernier, il s’agit d’une compétence primordiale, née des nécessités du respect du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, et lui appartenant quasi-exclusivementNote3342. , pour le juge pénal, il s’agit d’une faculté résiduelle, strictement limitée aux nécessités de l’affaire pénale en cours, d’après l’article 111-5 du Code pénal. Ledit article dispose : « les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui lui est soumis »Note3343. . Il s’agit d’une application de l’adage selon lequel le juge de l’action est celui de l’exception.
On perçoit alors aisément les interférences pouvant exister entre les deux jugesNote3344. et l’atteinte au principe de séparation des autorités, dans la ligne de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an IIINote3345. .
Si le juge administratif annule un acte administratif, un tel contentieux objectif se solde par l’autorité absolue de chose jugée de la décisionNote3346. ; cette même autorité devenant un élément de la légalitéNote3347. . Si le juge administratif est le juge naturel d’un tel contentieux, le juge pénal ne l’est que par accident. On peut dès lors se demander quelle est la portée de la décision de ce dernier à l’égard du juge administratif, mais également quelle doit être sa réaction face à un acte administratif dont la validité a été confirmée par le juge administratif saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre cet acte. L’intérêt de ce point réside dans l’opportunité offerte au juge criminel d’apprécier un acte d’une autorité, militaire, par exemple, prescrivant des comportements criminels et caractérisant la responsabilité du supérieur ou une action de groupe, comme des crimes contre l’humanité. Il convient préalablement de préciser les conditions d’un tel contrôle par le juge criminel.
Tout d’abord, il faut que l’acte soit à l’origine des poursuites pénales ou qu’il constitue un moyen de défenseNote3348. . Par exemple, un ressortissant étranger condamné à une peine d’interdiction du territoire français, peut invoquer l’illégalité de l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière pris à son encontre en exécution du jugement de condamnation. Ensuite, l’illégalité de l’acte soulevée doit l’être avant toute défense au fond. Enfin, l’issue du procès doit en dépendreNote3349. . Encore faut-il préciser que l’acte administratif doit être clairNote3350. .
La solution du juge pénal n’a alors qu’une autorité relative de chose jugée, contrairement à celle du juge administratif, ce qui signifie qu’elle ne vaut que pour l’espèce. Le juge pénal ne peut pas annuler l’acte administratif ; en fait il l’écarte. Il s’agit d’une exception d’illégalité. Si le juge pénal estime le texte illégal, il le signale à l’autorité administrative compétente pour qu’elle y remédieNote3351. .
La Cour de cassation a admis que le juge pénal considère un acte administratif comme illégal alors que le juge administratif l’avait considéré comme valideNote3352. .
Peut également se poser le cas de l’acte déclaré illégal par le juge pénal et contrôlé ultérieurement par le juge administratif qui le considère légal. En ce cas, se pose le problème de l’uniformisation des jurisprudences administrative et pénale. Certaines juridictions comme le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’Homme, ainsi que la doctrine, semblent appeler une coordinationNote3353. .
L’article 111-5 du Code pénal prend un certain intérêt lorsqu’on le relie avec les articles 122-3 et 122-4 du Code pénalNote3354. . Ces derniers concernent respectivement l’erreur de droit et l’accomplissement par une personne d’actes prescrits ou autorisés par des dispositions législatives ou réglementaires, ce qui exclut la responsabilité pénale. En matière de crimes de droit international, il semble se dégager clairement un consensus selon lequel le militaire ne doit pas obéir à un ordre ou à un texte en prescrivant la commission. La faculté offerte au juge pénal, en ce cas, permet de confirmer l’infraction pénale par la possibilité qui lui est offerte d’apprécier la légalité d’un texte réglementaire et le cas échéant de l’écarter, lui faisant pleinement jouer son rôle de protecteur des libertés ; c’est pourquoi, en pratique, il semble que le juge pénal essaie d’imiter au plus près le juge administratifNote3355. .
L’hypothèse des relations entre le juge administratif et le juge criminel, que ce soit pour l’appréciation de mêmes faits pouvant être doublement qualifiés, ou pour la prise en compte des conséquences de ces faits ou bien encore lors de l’interprétation et de l’appréciation de légalité des actes administratifs, pose le problème des relations entre les ordres juridiques en France. Si la doctrine admet généralement l’existence de deux ordres, judiciaire et administratif, elle n’hésite pas affiner ses réflexions et à conclure à l’existence de trois ordres (civil, pénal et administratif)Note3356. voire de quatre (judiciaire, administratif, Conseil constitutionnel et Tribunal des Conflits)Note3357. , ou au contraire à remettre en cause, plus ou moins vigoureusement, le dualismeNote3358. . Les réflexions pourraient être prolongées dans la perspective de l’impact du droit communautaire et de celui de la Cour européenne des droits de l’Homme. Ces réflexions interviennent dans un système juridique depuis longtemps éprouvé et qui offre certaines solutions relationnelles, malgré les controverses. Tel ne semble pas être le cas dans la sphère internationale.
La société internationale, par son ampleur et sa forte politisation, est une société naissante, pour l’heure incomparable avec les sociétés étatiques, du moins celles des Etats occidentaux stables politiquement, socialement et économiquement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle ne constitue pas une société et un système juridique dans lesquels les organes politiques et judiciaires sont clairement identifiables, ainsi que leurs relations entre eux. L’ONU reste son élément central, complété avec plus ou moins de réussite par les organisations régionales et sous-régionales, intervenant dans divers domaines, de la protection des droits de l’Homme au domaine économique ou bien encore militaire. Son évolution est diversement appréciée, mais les auteurs semblent s’accorder pour conclure à son incomplétude ou à la mixité de sa nature, institutionnelle et privéeNote3359. .
Contrairement à certains Etats, la sphère internationale ne dispose pas d’une justice obligatoire. Il est habituel que des différends soient négociés entre les parties concernées, aboutissant à des règlements conventionnels, ces derniers n’étant pas toujours synallagmatiques, mais plutôt léonins, au profit de l’Etat en position de force.
En outre, il reste à savoir si la violation de normes de jus cogens ne devrait pas constituer un obstacle dans de tels cas. Même si la question des rapports entre les juridictions au sein de la sphère internationale concernant l’appréciation de mêmes faits a déjà été abordée, se situant cette fois-ci au stade de la prise en compte des conséquences des responsabilités, il ne paraît pas inopportun de s’interroger sur les rapports entre les deux types de juridictions, se caractérisant par une absence de corrélation organisée
Selon le professeur Maison, la responsabilité individuelle de droit international serait une forme de responsabilité étatiqueNote3360. . Pour autant, cela signifie-t-il l’existence d’un même ordre de juridiction, impliquant une nécessaire prise en compte des décisions de chaque juridiction sur de mêmes faits ? Ou bien peut-on y voir tout de même un dualisme d’ordres ?
La réalité des relations entre la Cour internationale de Justice et les juridictions internationales pénales tendrait à démentir la première de ces propositions.
Les questions ne doivent pas être éludées. Notamment, les crimes de masses et systématiques, et à plus forte raison l’agression, sont des crimes politiques impliquant le plus souvent l’Etat, ce qui ne peut que créer un lien indissociable entre juridictions internationales pénales et Cour internationale de Justice. Par exemple, si les juges des TPI, mais cela sera vrai pour ceux de la CPI, doivent se prononcer sur la culpabilité d’un individu pour crime d’agression, ils ne peuvent économiser la qualification du comportement étatique. Ils empiètent donc sur la compétence de la Cour internationale de Justice, mais également sur celle du Conseil de sécurité. C’est sûrement une des raisons pour lesquelles le statut de la CPI renvoie à plus tard la définition de l’agression (article 5§ 2 du SCPI)Note3361. .
Pour l’instant, le système international relatif à la responsabilité étatique est polycentralisé, la CIJ dépendant du consentement des Etats. Cependant, on peut reformuler une remarque déjà faite, à savoir que le caractère de jus cogens, corollaire d’un ordre public internationalNote3362. se consolidant, il pourrait inciter à définir une compétence obligatoire de la CIJ, à tout le moins pour tous les Etats membres de l’ONU. En outre, le caractère erga omnes de telles obligations, pouvant justifier l’intervention de n’importe quel Etat, on pourrait imaginer qu’en pratique, désormais, tous les comportements étatiques de ce genre aboutiraient à la saisine de la Cour.
Ceci est facilité par la correspondance entre les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et les violations graves de l’article 40 du dernier projet de la CPINote3363. .
Comme en droit interne, pas uniquement français, la relation proche existant entre le droit pénal et le droit de la responsabilité étatique se fait sentir. Tous deux protègent des intérêts identiques : l’ordre public ; notamment, lorsque le second se prononce sur des violations de jus cogens.
Ceci ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une autonomie de chacun de ces ordres juridiques : droit international public et droit international pénal. Mais ne devrait-on pas plutôt parler de dualité de juridiction et d’unité de l’ordre juridique ?Note3364. S’ensuit alors une interrogation sur les relations que doivent avoir les juridictions intervenantes.
La décision Tadic de 1999, affirmant son refus de retenir une interprétation de la CIJ donnée dans l’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, semble clairement opter pour l’indépendance normativeNote3365. , induisant un risque de rupture de l’unité de l’ordre juridique international. Pour le juge G. Guillaume, il y a alors un risque d’oublier « les perspectives d’ensemble »Note3366. . Il poursuit en appelant à préserver une unité, gage de sécurité juridique pour les acteurs du droit international ; c’est pourquoi il propose l’instauration d’un mécanisme d’interprétationNote3367. . Mais à défaut d’unité, il convient mieux de parler de compatibilité, ce qui présente l’avantage de tenir compte de la distinction entre droit international public et droit international pénal.
Pour reprendre le raisonnement d’un auteur, il faut nuancer l’affirmation selon laquelle la multiplication des juridictions mettrait à l’épreuve l’unité du droit international, parce que chacune en général est spécialisée et interprète son statut ou la convention qui lui est attachéeNote3368. . Mais il est indéniable que ces juridictions peuvent être appelées à appliquer une même règle, coutumière par exemple, ce qui provoquerait une divergence d’interprétationNote3369. . Il se pose surtout le problème de la connaissance par deux juridictions de mêmes faits, pouvant déjà avoir entraîné une décision juridictionnelle de la part de l’une d’elles.
Toujours dans la perspective d’une ébauche de réflexions sur les relations institutionnelles entre la Cour internationale de Justice et les juridictions internationales pénales, il convient de les replacer dans le système international. Pour ce faire, une distinction doit alors être opérée entre les TPI, organes du Conseil de sécurité, et la CPI, organe créé sur la base d’un traité.
La première remarque consiste à souligner que la Cour internationale de Justice et les TPI appartiennent à la même organisation : l’ONU, ce qui n’est pas le cas avec la Cour pénale internationale. Pour autant, les organes principaux de l’ONU sont largement autonomes et le chapitre VII, fondement de la création des TPI, accorde une très large autonomie, voire un pouvoir dérogatoire, en matière de protection de la paix et de la sécurité internationales, ceci pouvant expliquer l’indépendance revendiquée par les juges des TPI.
Concernant la Cour pénale internationale, l’indépendance organique d’avec l’ONU et donc la CIJ est claire. La CPI existe indépendamment de toute politique concrèteNote3370. . Elle ne peut subir l’influence du Conseil de sécurité de l’ONU que pour suspendre son action.
L’autonomie, voire l’indépendance de chaque juridiction, est revendiquée. Le Conseil de sécurité, utilisant les TPI comme moyen de restauration de la paix et de la sécurité internationales, brouille le jeu. Il cumule des prérogatives exécutives, militaires et judiciaires, ce qui au regard de sa composition, et notamment des membres permanents, est largement critiquable. En revanche, la CPI se présente comme un organe indépendant et ce n’est qu’avec elle que l’on devrait s’interroger sur ses relations avec la Cour internationale de Justice.
Enfin, le dernier point qui peut être souligné est celui d’une absence de hiérarchie entre la Cour internationale de Justice et les juridictions internationales pénales. Cela relève de l’évidence, car la CIJ et les juridictions internationales pénales ne possèdent pas les mêmes compétences, la première s’occupant des Etats et les secondes des individusNote3371. . Au mieux pourrait-on envisager une relation de cassation au profit de la Cour internationale de Justice, afin d’assurer une unité juridique.
Lorsque les juridictions internationales ont à se prononcer sur de mêmes faits pour conclure soit à une responsabilité individuelle, soit à une responsabilité étatique, il n’est pas improbable que les conséquences des responsabilités s’entrecroisent. Mais l’ampleur des dégâts causés et la nature même des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité constituent un obstacle.
En outre, l’exécution des décisions de la Cour internationale de Justice relève normalement des organes politiques des Etats parties devant répartir les réparations entre leurs concitoyens. Si la corrélation est impossible entre les juridictions internationales, elle pourrait s’effectuer au niveau de la mise en exécution étatique.
Bien que la Cour internationale de Justice et les tribunaux pénaux ne soient pas en concurrence du point de vue des sujets de droit, ils peuvent l’être du point de vue de la substance des normes. Le problème se pose donc de leur coordinationNote3372. . En définitive, le point principal réside dans le maintien d’une unité d’interprétation des règles fondamentalesNote3373. . Au-delà, le problème du traitement global cohérent d’une même affaire apparaît également.
Il n’existe aucun texte, aucune pratique affirmée sur ce point. Si la Cour internationale de Justice possède une place privilégiée ainsi que sa jurisprudence, cela est du à son ancienneté et à son appartenance à l’ONU. Il y a là une sorte « d’auto-organisation spontanée »Note3374. . Cependant, le système est complexe et manque de mécanismes de corrélation ; « rien n’est toutefois prévisible »Note3375. . Le principal mécanisme de compatibilité pour l’instant réside dans le self-restreint des jugesNote3376. .
La question d’une réforme du système judiciaire international est posée par le professeur DupuyNote3377. . Il énumère quelques unes des propositions faites. Les deux principales étant la transformation de la Cour internationale de Justice en Cour suprêmeNote3378. , ce qui ne serait alors pas sans relancer le débat sur la nature constitutionnelle de la Charte. La seconde proposition réside dans l’instauration d’un mécanisme de question préjudicielle en interprétation des normes du droit international, au profit de la CIJNote3379. . Mais là aussi, des obstacles s’élèveraientNote3380. . A cet égard, le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU, entre autres, relatif à la réforme de l’organisation, envisage tous les organes principaux, à l’exception de la CIJNote3381. .
De manière plus globale, face aux problèmes croissants d’incohérence et d’instabilité du droit, les juges de la Cour internationale de Justice semblent sortir de leur traditionnel rôle de techniciens du droit pour participer plus activement au maintien de l’intégrité du système et de son unité. La décision de la CIJ du 6 novembre 2003, relative à l’affaire des Plates-formes pétrolières iraniennes semble aller en ce sensNote3382. .
S’agissant de la prise en compte des conséquences des responsabilités, il convient tout d’abord de s’interroger sur les possibilités de recoupements entre ces conséquences, et, le cas échéant, sur l’autorité de chose jugée par chacun de ces juges, toujours dans la perspective d’une identité de faits à la base de la compétence de chaque Cour.
Une telle hypothèse se rencontre dans la décision du TPIY, KvockaNote3383. . Un des requérants, Zigic, a déposé une motion demandant la suspension de la procédure devant le TPIY, afin d’attendre que la CIJ se soit prononcée, en application de la convention relative au génocide, pour éviter une opposition de vues entre les deux juridictions « sur les mêmes questions factuelles ou juridiques, sachant que la CIJ est l’organe juridique principal des Nations Unies alors que le TPIY est un organe subsidiaire »Note3384. . Mais la chambre écarte l’argument estimant qu’avec la Cour internationale de Justice, elle n’a pas la même compétence ratione personae.
Les Tribunaux internationaux pénaux et la Cour pénale internationale prononcent des condamnations de réclusion criminelle, des restitutions de biens, des confiscations et des peines d’amende. La Cour internationale de Justice prononce des réparations par équivalent, prescrit la remise de la situation en l’état antérieur ou bien des mesures de satisfaction.
Des interactions peuvent donc intervenir ; par exemple, une victime peut se voir allouer des dommages-intérêts par un TPI et l’Etat criminel à son encontre peut être condamné à verser des dédommagements à l’Etat de la victime, créant alors un risque de double indemnisation. Autre hypothèse, une victime peut obtenir un dédommagement pour un bien volé et son Etat aura pu en obtenir la restitution par l’Etat criminel par l’intermédiaire de la Cour internationale de Justice.
Dans ces hypothèses, se soldant au niveau international, une différence est notable d’avec une situation identique en droit français : le règlement passe, partiellement, par l’intermédiaire de l’Etat exerçant la protection diplomatique. En définitive, l’adéquation des mesures, conséquences des responsabilités, devra alors peser sur l’Etat de la victime.
Les juridictions internationales pénales possèdent un statut, surtout la CPI, qui leur permet au moins de prescrire la restitution des biens et de prononcer des réparations (art. 75 SCPI). Donc si elles possèdent la faculté d’individualiser ces dernières, elles ne peuvent tenir compte de la réparation obtenue par l’Etat des victimes, car elle est globale. Elles ne peuvent préjuger de ce qui adviendra de son traitement par les autorités nationales.
En outre, la Cour internationale de Justice, saisie d’un problème d’ensemble, en ce qui concerne des violations graves, ne peut matériellement que très peu se permettre d’individualiser les dommages subis. D’ailleurs, pour l’estimation de ces dommages, elle est tenue par l’Etat, qui, lui-même, ne peut pas toujours calculer au plus près les dédommagements pour chaque personne affectée. Dès lors, quand bien même une décision préalable de la Cour pénale internationale serait intervenue dédommageant certaines victimes, la CIJ pourrait difficilement en tenir compte pour fixer les réparations dues par l’Etat criminel.
La répartition pèse alors sur l’Etat victime qui peut redistribuer les sommes allouées à chaque victime individuelle.
Dans l’hypothèse où de mêmes faits auraient donné lieu à condamnation devant la Cour internationale de Justice et devant les juridictions internationales pénales, cette fois-ci au niveau individuel, la situation est la suivante. L’Etat victime, titulaire d’une décision de la Cour internationale de Justice peut bénéficier notamment de réparations à hauteur des dégâts et pillages commis, mais également de restitutions, tant de matériel industriel volé que d’œuvres d’art par exemple. L’Etat n’ayant pas uniquement agi pour lui même, les réparations portent également sur les dommages causés aux ressortissants de cet Etat.
Mais certains de ces ressortissants peuvent avoir obtenu, notamment devant la Cour pénale internationale, le prononcé de dédommagements à leur profit par le criminel ayant contribué à leurs dommages propres. Peut donc s’ensuivre, en théorie, une double indemnisation, à tout le moins une surindemnisation.
La décision de la Cour pénale internationale concerne directement la victime. En revanche, celle de la Cour internationale de Justice passe par le filtre de la protection diplomatique, les organes politiques de l’Etat possédant alors la possibilité de verser à chaque victime ce qui lui revient, après identification des dommages subis par chacun. Un fonds d’indemnisation sera mis en place ; par exemple ce fut le cas par le Conseil de sécurité : la commission d’indemnisation créée en 1991 suite au conflit Irak-Koweït traite des réclamations subséquentes par l’intermédiaire d’un fonds d’indemnisation alimenté par les recettes d’exportation du pétrole iraquienNote3385. .
A moins d’une prise en compte réciproque des décisions des juridictions internationales, on pourra observer la mise en place soit de commissions internationales chargées de régler l’indemnisation, soit de commissions strictement nationales.
L’absence de système juridictionnel obligatoire dans la sphère internationale, et notamment l’absence totale dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, fait reposer la sanction de tels comportements sur les juges internes, confirmant la théorie de G. Scelle du dédoublement fonctionnel. Malgré le développement de juridictions internationales pénales, cette théorie est loin d’être caduque, surtout si les juges nationaux se reconnaissent une compétence universelle.
La multiplicité d’interventions d’organes juridictionnels étatiques ou internationaux, les divergences actuelles de définitions des crimes, les divergences de cultures juridiques, plus ou moins variables, ne sont pas sans poser des problèmes, notamment lorsqu’une affaire est traitée partiellement par des juridictions appartenant à deux systèmes juridiques différents.
Est alors posée en filigrane la question des rapports entre les systèmes, et notamment de la réception des jugements internationaux par les juridictions internes, et des jugements nationaux par les juridictions internationales. Mais en définitive, si ces systèmes ne sont pas étanches, ils ne sont pas non plus complètement ouverts l’un à l’autre, le monisme et le dualisme ne rendant pas entièrement compte des relations pouvant exister entre euxNote3386. .
Parlant de la prise en compte des éléments légaux étatiques ou internationaux par l’autre ordre, le professeur Santulli souligne « l’indétermination réciproque des ordres juridiques », chaque ordre étant distinct de l’autre en ce sens qu’il n’en ferait pas partieNote3387. . Reste alors à voir quelle place et quelle valeur chaque ordre attribue aux éléments légaux de l’autre ordre, et, plus précisément ici, à la sentence rendue à l’occasion de mêmes faits.
De mêmes faits ne peuvent être normalement jugés deux fois au pénal, en application de la règle non bis in idem. La situation est cependant différente concernant la responsabilité étatique, car ils peuvent être jugés à la fois par le juge administratif et par la Cour internationale de Justice, du fait du dualisme systémique et juridique. La problématique des relations entre le système juridique international et le système juridique français est toujours présente. Une idée est également importante selon laquelle l’identification d’un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité suppose une appréciation sur le comportement étatique, ainsi que l’inverse.
Il s’agit donc ici de porter un regard sur ce que l’on appellera les relations diagonales, dans la perspective d’une coexistence de responsabilités étatique et individuelle criminelle : à savoir les relations, en termes de conséquences des responsabilités, entre la juridiction administrative et les juridictions internationales pénales et les relations entre les juridictions criminelles françaises et la Cour internationale de Justice.
Deux constats peuvent être soulignés préalablement. D’une part, l’attitude des juridictions nationales face aux décisions des juridictions internationales dépend du titre donnant compétence à ces juridictionsNote3388. ; d’autre part, en dehors de mécanismes juridiques, les juges peuvent tenir compte d’un point de vue factuel des décisions de leurs homologues. Au-delà des rapports juridiques qui peuvent être identifiés entre les différentes juridictions ayant vocation à intervenir, doivent être prises en compte l’influence persuasive des décisions juridictionnelles internationales, ainsi que la pression de l’opinion publique et de la communauté internationale. Ces relations diagonales semblent résiduelles et pourtant, derrière cette apparence, existent de vraies interactions, soit juridiques, soit infra-juridiques. Le sujet ne semble pas faire l’objet de réflexions et pourtant, de véritables questions se posent.
Il convient d’envisager successivement les différentes relations inter-systémiques (sous-section 1ère), puis il faudra souligner la nécessaire médiation des autorités nationales ou des commissions ad hoc (sous-section 2nde)
La nature particulière des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité faisant intervenir des juridictions répressives et des juridictions compétentes à l’égard de l’Etat, on peut imaginer qu’une affaire portant sur des mêmes faits fasse l’objet d’un traitement par des juges appartenant au système juridique international et au système juridique français. Le traitement global de l’affaire n’est pas sans se compliquer. Il convient alors d’envisager successivement les relations entre le juge administratif et la Cour pénale internationale (§ 1er) et les relations entre le juge criminel français et la Cour internationale de Justice (§ 2nd).
Il convient d’envisager successivement l’accueil que le juge international pourrait faire à une décision du juge administratif (A), puis la situation inverse (B).
La question de la portée de la décision du juge administratif à l’égard de la CPI prend toute son acuité lorsque l’on considère que la Cour pénale internationale est au sommet d’un système pénal intégrant les juridictions françaises, pour les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Après avoir étudié les relations entre le juge administratif et le juge criminel français, les mêmes interrogations se retrouvent donc, à la différence près que la CPI appartient à la sphère internationale.
Les sources du droit international sont précisées à l’article 38 du statut de la Cour internationale de Justice. L’article 38 d) prévoit la prise en compte des décisions judiciaires, ce qui ne présume pas de leur portée effective. Il est difficile de présumer quel sera le comportement de la CPINote3389. . L’article 21 de son statut définissant le droit applicable, renvoie à des notions relativement classiques. Si l’on s’inspire de la jurisprudence des Tribunaux internationaux pénaux, on doit constater que les décisions nationales ne servent que de source d’inspirationNote3390. . L’hypothèse sous-tendant ces développements ne semble pas s’être encore réalisée.
Quoiqu’il en soit, le dispositif de la décision rendue par le Conseil d’Etat, si tel est le cas, n’aurait aucune valeur juridique à l’égard de la Cour pénale internationale. Il resterait au rang de fait, non contraignant, car n’entrant pas dans sa sphère de compétence. Pour autant il n’est pas dépourvu d’influence, car si l’on se réfère à la jurisprudence des Tribunaux pénaux internationaux, les décisions internes peuvent servir à déterminer le droit internationalNote3391. .
En revanche, on peut penser que malgré l’absence d’une corrélation précisée entre les conséquences des responsabilités, le juge international peut s’en préoccuper.
L’article 75§ 6 du statut de la Cour pénale internationale dispose que « les dispositions du présent articleNote3392. s’entendent sans préjudice des droits que le droit interne ou le droit international reconnaissent aux victimes ». La règle 97 du RPP de la CPI complète l’article 75. C’est la Cour pénale internationale elle-même qui évaluera le préjudice, éventuellement sur la base d’une expertise, avec une possibilité d’échanges contradictoires entre les juges, le coupable et la victime.
Afin de faciliter les mesures réparatrices prises, la Cour peut solliciter les Etats parties pour donner effet à ses décisionsNote3393. . La Cour pénale internationale tiendra vraisemblablement compte des réparations déjà obtenues devant le juge administratif. Si elle ne le fait pas, dans l’hypothèse où elle sollicite les autorités nationales, la péréquation sera effectuée à ce niveau-là. Il reste à espérer que l’évaluation des préjudices et leurs méthodes ne diffèrent pas excessivement.
Il s’agit ici de se mettre dans la situation opposée à celle précédemment décrite, toujours uniquement dans la perspective du traitement d’une même affaire conjointement avec la Cour pénale internationale. L’hypothèse des Tribunaux pénaux internationaux est à exclure du fait de leur champ de compétence.
Deux points sont à considérer successivement. D’une part, l’adhésion de la France à la convention de Rome créant la Cour ; d’autre part, la volonté d’éviter la surindemnisation dans la jurisprudence du juge administratif.
Au titre de l’article 55 de la Constitution de 1958, le juge doit assurer l’effectivité de la convention de Rome et donc des décisions de la Cour pénale. Quand bien même une loi d’indemnisation, française, interviendrait, elle ne pourrait faire obstacle à l’effectivité du statut de la Cour, en application de la jurisprudence Nicolo du Conseil d’Etat.
De manière générale, le juge français est tenu par l’article 55 de la Constitution. A ce titre, il doit assurer la primauté des traités et conventions, notamment tels qu’interprétés par leurs juges naturels. Les organes de l’Etat, dont le juge fait partie, doivent assurer l’effectivité, au moins du droit international écrit, mais également les décisions des organes prévus par ces traités et conventions, lorsque la France en est le destinataire, ce qui est le cas concernant la Cour internationale de Justice ou bien encore la Cour européenne des droits de l’Homme. Pour autant, le juge national n’a pas intérêt à se désintéresser des décisions ne le concernant pas directement, car, en les prenant en compte, il évite la censure internationale.
Il n’existe pas de jurisprudence administrative sur ce point. En revanche, et tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit-là d’ordres juridiques particuliers pour la France, le juge réceptionne des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de Justice des communautés européennes. Mais ces décisions ne portent pas sur le même objet que celles de la Cour pénale internationale ; en effet, les premières portent essentiellement sur les Etats, tandis que celles de la Cour pénale internationale portent sur des individus. Avec la Cour pénale internationale, le rapport est en réalité plus factuel que juridique
Par exemple, concernant la Cour de Justice des communautés européennes, le Conseil d’Etat, dans sa décision du 3 décembre 2001, syndicat national de l’industrie pharmaceutiqueNote3394. , précise qu’il est amené à tirer les conséquences d’une décision de la CJCE. Il reconnaît la chose jugée par la CJCE et semble cependant la distinguer de la portée des traités eux-mêmes. Le principe d’une réception des décisions communautaires est aujourd’hui largement avéréNote3395. .
Ce qui est intéressant, c’est l’expression « tirer les conséquences » explicitement employée dans cette décision. Certes elle est large, mais, interprétée dans la perspective de ménager les intérêts financiers de l’administration, ce qui est un moyen d’ordre publicNote3396. , on peut y voir une prise en compte des conséquences déjà formulées d’une éventuelle responsabilité.
Le juge administratif tient compte de l’autorité persuasive des décisions des juridictions européennes. Il pourrait en faire tout autant pour celle de la Cour pénale internationale.
En outre, la Cour pénale internationale étant au sommet d’un système intégrant les juridictions criminelles françaises, il n’y a aucune raison pour que le juge administratif n’adopte pas le même comportement et n’opère pas la même péréquation des conséquences des responsabilités individuelles et étatiques, qu’avec le juge répressif français.
La compétence de la Cour internationale de Justice pouvant englober l’action de n’importe quel organe étatique, comme le juge français, les relations qu’elle peut créer avec lui deviennent immédiatement juridiques. Bien que les responsabilités appréciées par ces deux juges soient différentes, le double rôle du juge pénal français peut aboutir à des sanctions pénales et civiles, constituant une sorte de satisfaction, au sens du droit international public. En effet, il ne faut pas oublier qu’un comportement criminel d’un ou plusieurs militaires peut constituer un comportement ultra vires, imputable à l’Etat par la CIJ. Or, si la répression pénale est assurée, on peut penser que cela sera considéré comme une mesure de satisfaction, faisant disparaître, partiellement ou totalement, l’intérêt à agir de l’Etat lésé. Sauf si ce dernier estime et prouve que la satisfaction ainsi obtenue est insuffisante.
Pour autant, si deux décisions interviennent, sur les conséquences, la Cour internationale de Justice peut difficilement prendre en compte la décision du juge pénal (A) ; à l’inverse, ce dernier est plus à même de le faire (B).
Plusieurs hypothèses sont à envisager, selon que la décision du juge pénal français intervient peu de temps avant celle de la CIJ, les deux affaires ayant été traitées parallèlement, ou bien que la décision même du juge pénal constitue un fait étatique entraînant compétence de la CIJ, ce qui n’est pas exclusif de la première hypothèse. On peut ajouter une troisième hypothèse, celle de la décision du juge répressif français, modalité d’application d’une ordonnance de la CIJ, ce qui soit met fin à l’affaire en cours devant la CIJ, soit envenime un peu plus cette affaire.
Une décision judiciaire nationale, par nature, n’a pas de force juridique dans la sphère internationale ; pourtant, le juge étant un organe de l’Etat, la décision du juge pénal peut constituer un fait international. La décision du juge français peut alors être perçue de deux façons par le juge international, alors en train de traiter des mêmes faits sous l’angle de la responsabilité internationale de l’Etat. Soit sa décision constitue une mesure qui peut être qualifiée de mesure de satisfaction par le juge international, faisant disparaître l’objet de la procédure en cours devant la CIJ. Soit au contraire, elle peut être perçue comme constitutive d’un fait internationalement illicite, renforçant les prétentions de l’Etat lésé devant la CIJ.
Le point d’achoppement entre les deux juridictions réside principalement dans la qualification juridique des faits.
En admettant que les deux juridictions soient en accord, se pose le problème du caractère intégral de la réparation. Si le juge criminel a sanctionné pénalement, s’il a prescrit une indemnisation et une restitution des biens confisqués ou volés, la CIJ n’a que peu à faire. Cependant, les politiques criminelles ayant une certaine ampleur, la situation se complique. Non seulement le juge national ne peut juger tous les protagonistes, mais il risque de se heurter à leur insolvabilité, ou bien encore à l’impossibilité de restituer des biens qui seraient passés à l’étranger.
Au contraire, la CIJ est saisie de l’ensemble de l’affaire par l’Etat lésé qui fait une demande de réparation globale. En ce cas, il est difficile pour le juge international de déduire toutes les indemnisations prescrites au cas par cas par les juges nationaux. Il s’en suivra vraisemblablement de véritables problèmes de coordination qui devront être réglés au niveau national ; le juge international renvoyant le règlement de la dette non pas aux coupables pris individuellement mais à leur Etat.
Recenser toutes les décisions de justices intervenues préalablement, portant sur les mêmes faits et ayant abouti, de la part du juge pénal, au prononcé de réparations ou de restitutions constituerait un travail fastidieux, mais pas insurmontable.
Dans des périodes post-conflictuelles, même si la Cour internationale de Justice se prononce, des organismes gérant la dette de l’Etat débiteur sont mis en placeNote3397. . La corrélation se fera donc vraisemblablement à ce niveau-là. Mais il est peu probable que le juge pénal ait pu se prononcer de façon satisfaisante, si la justice, et l’Etat en général, sont encore désorganisés. Ce seront vraisemblablement des commissions qui interviendront pour assurer la péréquation des conséquences des responsabilités.
Dans cette hypothèse, la Cour internationale de Justice a rendu un arrêt antérieurement aux juges criminels français. Soit la décision est rendue avant même que le juge soit saisi des faits ou qu’il ait, du moins, commencé à les traiter, soit les deux affaires portant sur des faits identiques ont été menées parallèlement, la CIJ ayant été plus prompte à se prononcer.
Les rapports du juge criminel et de la Cour internationale de Justice font apparaître des différences. En effet, le juge criminel français s’occupe de la responsabilité pénale individuelle et peut également se prononcer au civil. La CIJ se prononce dans un domaine qui se rapproche plus du domaine civil, mais les formes de réparation et de satisfaction peuvent comprendre aussi bien des mesures d’indemnisation que l’obligation de poursuivre au pénal certains agents criminels. Dès lors, on perçoit quelles interactions peuvent naître, tant au niveau de la compétence du juge pénal que des conséquences pécuniaires.
On peut également se demander si la constatation par le juge international de la responsabilité étatique du fait de comportements criminels de militaires n’est pas de nature à lier définitivement le juge sur la qualification juridique des faits à retenir.
Une des questions que l’on peut soulever est la suivante : la détermination par la Cour internationale de Justice de la responsabilité de l’Etat français pour une violation grave du droit international impératif, comme la commission d’un génocide ou de crimes de guerre, est-elle susceptible de s’imposer au juge criminel français ?
Par exemple, l’Etat français est condamné sur le fondement du droit international humanitaire ; or, concernant les mêmes faits, le juge pénal français doit se prononcer sur la responsabilité de plusieurs militaires français.
On peut s’interroger sur le point de savoir si le juge français, afin de ne pas rendre une décision contraire à celle de la Cour internationale de Justice, doit suivre la décision préalablement rendue. En d’autres termes, est-il tenu par l’appréciation des faits ? D’autant plus qu’en délaissant cette décision, le juge français peut être considéré, à juste titre ou non, comme se plaçant en contradiction avec l’exigence de punir de tels comportementsNote3398. , la décision préalable de la Cour internationale de Justice pouvant légitimement faire naître un soupçon.
L’objection principale à une quelconque autorité de la décision de la CIJ réside dans la différence de textes applicables. Mais une contradiction entre les deux juges risque d’être analysée comme un fait internationalement illicite, surtout si l’obligation de poursuite pénale est une mesure de satisfaction exigée par la CIJ.
Les tribunaux ont un rôle à jouer lorsque l’exécution d’une décision de la Cour internationale de Justice concerne les droits et obligations de particuliersNote3399. . Mais au-delà de la prise en compte de la décision, il reste à savoir quelle place est accordée aux conséquences qui en découlent.
De manière générale, le juge français est un garant du droit internationalNote3400. , mais également de l’ordre public international, plus spécifiquement en matière de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
Par principe, les décisions de justice n’ont pas d’effets contraignants dans la sphère internationale. Elles constituent des faits juridiques pouvant être appréhendés par le droit international. A l’inverse, une décision d’une juridiction internationale est réputée produire des effets au niveau national. Mais il convient de préciser quelles sont ces juridictions. Si l’on se limite à la Cour internationale de Justice et à la Cour pénale internationale, on peut tout d’abord constater que les juridictions françaises sont tenues conventionnellement, en application, respectivement de la Charte des Nations Unies et du traité de Rome du 17 juillet 1998. Les décisions de la Cour internationale de Justice se limitent aux parties au litige, d’après l’article 59 du statutNote3401. . Cependant, cette obligation s’imposant aux autorités étatiques, dont le juge est un élément, pourrait être de nature à porter atteinte au droit régalien de répression des crimes, ainsi qu’à l’indépendance des juges et à l’opportunité de poursuite du procureur.
Le juge pénal ayant à se prononcer constate l’existence d’une décision rendue par la Cour internationale de Justice sur la responsabilité de l’Etat. Mais afin d’assurer une réparation intégrale des dommages des victimes s’étant constituées parties civiles devant lui, il ne peut pas présumer, avec la simple connaissance des conséquences ordonnées par la CIJ, de ce qui a été attribué aux victimes. D’une part, les réparations et restitutions sont avant tout faites à l’Etat ayant exercé sa protection diplomatique ; d’autre part, divers exemples historiques prouvent l’impossibilité pour les Etats débiteurs d’honorer leurs dettes dans de telles situations, ce qui oblige l’Etat des victimes à procéder parfois à une réparation forfaitaire et non intégrale. Pour les restitutions, on peut légitimement penser qu’elles sont effectuées par l’intermédiaire de l’Etat des victimes.
Malgré l’existence de la décision de la Cour internationale de Justice, il n’est donc pas évident que le juge pénal puisse en tenir compte. Soit certains organismes administratifs chargés des réparations et restitutions se sont déjà prononcés, auquel cas le juge pénal peut mesurer les conséquences à prononcer. Soit il prononce une réparation intégrale, quitte aux organismes administratifs, intervenant ultérieurement sur le fondement d’une décision de la Cour internationale de Justice, pourtant antérieure à celle du juge pénal, à opérer eux-mêmes la péréquation.
La CIJ pourrait prescrire l’obligation de donner satisfaction à l’Etat lésé par l’organisation de poursuites pénalesNote3402. . En soi, la réparation prononcée laisse ouverte la possibilité de poursuite pénale par le juge national. Cette possibilité peut être renforcée par l’existence d’une obligation de sanctionner les coupables. Cela est le cas lorsque le comportement de l’agent ayant entraîné responsabilité de l’Etat devant la CIJ relève d’un comportement criminel, du fait de la responsabilité de l’Etat pour comportement ultra vires.
Les juges français et les juges internationaux seront les premiers sollicités lors de la détermination des conséquences des responsabilités pour crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. La particularité d’une telle situation internationale, aux conséquences si importantes, seront propices à l’intervention de commissions ad hoc et d’autorités nationales pour les régler.
Les décisions des juridictions nationales françaises, une fois rendues et sans recours possible, sont exécutoires. Seuls des motifs tirés de l’intérêt général ou de l’ordre public peuvent y faire obstacleNote3403. . Cette mise en exécution est faite par les autorités françaises pouvant utiliser la force coercitive.
Les décisions rendues par les juridictions internationales sont tributaires des autorités nationales si ces dernières sont en état de fonctionner (§ 1er). En cas contraire, l’exécution des décisions est vraisemblablement assurée par des commissions internationales ad hoc (§ 2nd).
Dans l’hypothèse où la France et des militaires seraient condamnés actuellement pour des politiques criminelles et à la condition que le système français fonctionne, c’est ce dernier qui assurerait la mise en œuvre des conséquences des responsabilités.
Les dédommagements des dommages de guerre, une fois les modalités de réparations réglées entre l’Etat responsable et l’Etat victime, peuvent être réglés par une législation interne. Deux hypothèses sont à distinguer : d’une part, une législation prise au sein de l’Etat victime et d’autre part, si les relations entre les deux Etats s’améliorent, une loi de l’Etat responsable ouvrant des droits aux victimes individuelles.
Si l’armée française s’est rendue coupable de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, ce qui entraîne également la responsabilité de l’Etat français, on peut supposer qu’une fois arrêté le principe de la dette de la France, une législation est adoptée dans l’Etat victime afin de répartir, si possible équitablement, les indemnités de dédommagement. Afin d’illustrer ce point, on peut prendre quelques exemples liés aux conflits mondiaux et plus précisément concernant les relations franco-allemandes. Il n’est pas rare que certains dommages ne soient traités que plusieurs années après, car les périodes de guerre et d’après-guerre se caractérisent par une désorganisation et une volonté immédiate d’oubli. Ce fut le cas de l’indemnisation des biens juifs spoliés qui est encore largement d’actualité en FranceNote3404. .
Voyons deux hypothèses de législations internes françaises, consécutives à la Première Guerre mondiale et à la Seconde.
Parallèlement aux dispositions du traité de Versailles de 1919, une loi spéciale fut adoptée en France, qui entra en vigueur le 17 avril 1919, concernant la réparation des dommages causés par les faits de guerre. Affirmant l’égalité des citoyens devant les charges publiques, elle a pour fondement la solidarité entre les citoyens. Si le principe de la réparation intégrale est affirmé, elle est en fait limitée à certains biensNote3405. , sous certaines conditions, et surtout ne concerne que les Français pour des faits survenus lors du conflit. Mais le point réellement intéressant de cette législation réside dans le fait que c’est l’Etat français qui est le débiteur des citoyens français. L’obligation de réparation pèse sur lui et ce de manière totalement indépendante, notamment, d’un quelconque fonctionnement défectueux des services publicsNote3406. . Il s’agit d’un droit nouveau. Le rapporteur à l’Assemblée Nationale parle de « devoir social » de l’Etat et de reconstitution économiqueNote3407. . Les individus possèdent une véritable créance à l’encontre de l’EtatNote3408. .
Ce régime est appliqué par un système reposant sur des commissions cantonales et des tribunaux des dommages de guerre.
L’un des points, précisé par un commentateur de la loi, le professeur Rolland, réside dans le rapport entre la loi du 17 avril 1919 et les réparations et compensations que la France obtiendra par l’intermédiaire du traité de Versailles et de la commission des réparations. Constatant que la faute de l’Allemagne réside dans l’absence de motif de la déclaration de guerre du 3 août 1914, il souligne que la France, à ce titre, peut bénéficier de la responsabilité de l’Allemagne pour tous les dommages causés du fait de la guerre, principe affirmé par l’article 231 du traité de VersaillesNote3409. . Il s’interroge sur le lien entre la loi de 1919 et les conséquences du traité, pour en conclure qu’il s’agit là de deux situations distinctes, malgré les recoupements des bases d’indemnisations contenues dans les deux textes, la responsabilité de l’Allemagne étant fondée sur une faute. Ce point de vue est confirmé par le rapporteur de l’Assemblée Nationale refusant de lier les deux situationsNote3410. . La France possède une créance sur l’Allemagne, situation excluant les particuliers.
Conscient du problème de la double indemnisation, mais au regard des autres mécanismes français, l’article 18§ 1 de la loi de 1919 prohibe le cumul d’indemnités pouvant être reçues à l’occasion des mêmes faits, « sinon avec les sommes que l’Etat français aura recouvrées sur l’ennemi en vertu des conventions et traités pour les dommages de toute nature qui n’auront pas été réparés ou ne l’auront été que partiellement par la présente loi ». L’indemnité reçue de l’Allemagne peut donc compléter celle de l’Etat afin d’atteindre son caractère intégral. A contrario, un mécanisme de péréquation totale des indemnités est prévu ici afin de couvrir l’ensemble du préjudice subi par un individu. Et l’auteur conclut que « la réalisation de l’intégralité absolue de la réparation est, en somme, dans l’esprit du législateur, conditionnée par le paiement par l’Allemagne de ce qu’elle doit à la France »Note3411. .
L’Allemagne ne pouvant réparer, les Américains mettent en place, avec l’aval des autres nations alliées, les plans Dawes puis Young, avant la crise de 1929. S’ensuit la montée du parti national-socialiste, venant rejoindre le régime de Mussolini et celui de Franco avant de plonger l’Europe, puis le monde, dans la Seconde Guerre mondiale.
Dans le prolongement du second conflit mondial un régime de réparation des dommages de guerre est mis en place. Le texte français principal est la loi du 28 octobre 1946. Les sinistrés pouvent obtenir des réparations, sous certaines conditions. Pour cela il suffit de déposer un dossier, justificatifs à l’appui, auprès du délégué départemental ou interdépartemental du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, soit dans le ressort territorial dans lequel se trouve le bien immobilier, soit dans le ressort territorial où réside le demandeur s’il s’agit d’un bien autre. Sans préciser la procédure, qui est modifiée en 1949, interviennent par la suite, en tant qu’organe administratif, une commission cantonale des dommages de guerre, puis une commission départementale. Après 1949, la procédure est simplifiée. Si l’indemnisation allouée est contestée, peuvent être saisies la commission départementale des dommages de guerre, puis la commission nationale, enfin la commission supérieure de cassation des dommages de guerreNote3412. .
La loi de 1946 affirme le principe de la réparation intégrale sous certaines conditionsNote3413. . Mais, ce qui est remarquable, c’est que dans la perspective d’éviter une double indemnisation, l’article 17 prévoit des déductions à la somme couvrant les réparations. Notamment, sont déduites toutes les sommes versées aux sinistrés soit par une autorité française ou alliée, soit par l’ennemi, en réparation d’une partie du dommage subi. Les biens ayant donné lieu à réparation intégrale sont exclus du bénéfice de cette loiNote3414. .
Un autre cas complexe est celui des spoliations des Juifs de FranceNote3415. . Ce cas présente la particularité d’être mixte, car les spoliations ont été effectuées tant par les autorités allemandes que par les autorités du régime de VichyNote3416. , ce qui permet d’illustrer les modalités de règlements de ces situations lorsque les actes ont été commis par des étrangers et par des nationaux des victimes.
Les auteurs du rapport général de la mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France distinguent la spoliation des pillages – spoliations. La première résulte d’un régime « légal ». Les seconds sont interdits par le droit internationalNote3417. .
La spoliation résulte d’ordonnances allemandes, mais est appliquée grâce à la législation adoptée par Vichy et notamment par le commissariat général aux questions juives se servant des mécanismes ordinaires de l’administration tels que les séquestres et les ventes domanialesNote3418. . Entre autres mesures, on peut citer celles d’octobre 1940 relatives aux entreprises juives et qui en prévoient la vente. L’ordonnance allemande est appliquée en zone occupée et voit la mise en place de commissaires-gérants d’entreprises juives. Une telle politique est loin d’être populaire et X. Vallat, commissaire général aux questions juives, craignant des abus, met en place un service de contrôle des administrations provisoires le 9 décembre 1940. Quoiqu’il en soit et sans plus détailler, les Juifs sont exclus du secteur économique plus ou moins de forceNote3419. . Ils voient également leurs comptes et avoirs bloqués en zone occupée.
A la spoliation d’origine allemande mais effectuée par les autorités françaises, s’ajoutent les pillages allemands. Les biens culturels sont notamment concernésNote3420. . Par exemple, le devisenschutzkommando s’est occupé de récolter les devises étrangères et l’or trouvés en FranceNote3421. .
A la Libération, beaucoup de biens sont restitués rapidement, suite à des initiatives localesNote3422. , puis des ordonnances relatives aux restitutions sont prises, notamment le 16 octobre 1944, le 14 novembre 1944 et le 21 avril 1945Note3423. . Le décret du 2 février 1945 crée alors un service temporaire de contrôle des administrateurs provisoires et liquidateurs de biens israélites, auprès du ministère de la Justice, dont l’un des rôles est d’examiner les plaintes formulées par les spoliés ; puis est créé le service des restitutions des biens des victimes des lois et mesures de spoliation, auprès du ministère des finances. Ces commissions ont pour mission de vérifier les situations de spoliations. Normalement, les liquidateurs ou acquéreurs de biens spoliés doivent déclarer leurs biens litigieux qui sont bloqués à la caisse des dépôts et consignations en attendant l’éclaircissement de l’affaireNote3424. . Ces organismes sont relayés au niveau régional. Le service des restitutions a des ramifications locales notamment à Limoges, Lyon, Marseille, Nice et Toulouse.
Enfin, au-delà de ces mécanismes, on peut souligner l’arrêté Peyrouton du 3 avril 1943 par lequel le pouvoir provisoire du général Giraud, en Algérie, a organisé la restitution des biens placés sous administration provisoire. Selon ce texte, les spoliés doivent faire connaître leur intention de récupérer leurs biens et l’acquéreur se voit garantir le remboursement de son achat. Le système, considéré comme peu favorable aux victimes, a été remplacé par l’ordonnance du 21 avril 1945 qui prévoit qu’une ordonnance du président du tribunal civil, saisi par simple requête exonérée de frais, et statuant sous la forme du référé, peut porter sur le fond de l’affaire et constater la nullité ou prononcer l’annulation des actes de spoliationNote3425. . Il s’agit là d’un système de restitution judiciaire.
On peut constater que les services de contrôle et de restitution fonctionnant parallèlement avec les tribunaux ont essayé de rationaliser leur action en demandant aux juridictions de les informer régulièrement des affaires et de leurs résultatsNote3426. .
En matière de biens culturels, la commission de récupération artistique est créée par décret du 24 novembre 1944 et rattachée au ministère de l’Education Nationale. Elle doit récupérer les œuvres d’art, les souvenirs historiques, les objets précieux, les documents d’archives, les livres et les manuscritsNote3427. . Pour qu’un dossier soit ouvert, il faut que le propriétaire ou son ayant-droit ait fait une déclaration à l’Office des biens et intérêts privés, créé initialement en 1919 et réactivé par l’ordonnance du 13 décembre 1944. Les fiches ainsi créées servent à la préparation d’un répertoire des biens spoliés, compilé par le Bureau des restitutions du Commandant en chef en Allemagne. On peut donc observer, à cet égard, le lien entre une institution française et une institution d’occupation en Allemagne, afin de mettre en œuvre les restitutions prévues en tant que conséquences de la responsabilité allemande. Des « collecting points » sont créés en Allemagne afin de rassembler les œuvres retrouvées. La commission de récupération artistique travaillera alors en contact avec ceux-ci, et notamment celui de Baden-Baden en zone française d’occupation, de Düsseldorf en zone britannique, de Wiesbaden et de Munich en zone américaine. En outre, la commission bénéficie des résultats des interrogatoires menés par les Américains en Allemagne ou en Autriche, ainsi que des enquêtes réalisées par les services de renseignements français conduites dans le cadre des procédures judiciaires. Cette commission est dissoute le 31 décembre 1949 et 45441 objets ont été restituésNote3428. . Pour les objets non restitués sont créées deux commissions de choix par le décret du 30 septembre 1949 et mettant fin à l’activité de la commission de récupération artistique, l’une pour les livres et manuscrits et l’autre pour les objets d’art. Si les objets n’ont pas été réclamés un an après la fin des hostilités, l’ordonnance du 11 avril 1945 prévoit leur vente par les domaines, mais le délai a été prorogé deux fois. Puis les musées ont obtenues certaines pièces, sans pour autant aboutir à une dépossession des propriétaires d’origine si ceux-ci se manifestentNote3429. .
Ce très bref aperçu des commissions mises en place dans l’après guerre, concernant les biens spoliés ou pillés, se place dans le cadre de biens restés en France ou de bien récupérés, lorsqu’ils ont été retrouvés. Il s’agit d’une politique de restitution. En cas d’impossibilité de restitution, une politique d’indemnisation a été mise en place. Notamment, les objets pillés dans les appartements ont fait l’objet de deux types d’indemnisations complémentaires. Un premier type relève des dommages de guerre et est prévue par la législation française. Le second est d’origine allemande, mais présente la particularité de se limiter aux Juifs et à leur traitement en Allemagne ou dans des pays occupés. Surtout, dans la perspective d’une péréquation des mécanismes d’indemnisation intégrale, elle prévoit qu’un bien ne peut être indemnisé deux foisNote3430. .
En France, la loi principale d’indemnisation des dommages de guerre subis lors de la Seconde Guerre mondiale est celle du 28 octobre 1946, modifiée ultérieurement. Elle proclame l’égalité et la solidarité de tous les Français devant les charges de la guerre et affirme le droit à réparation intégrale. Les étrangers en sont exclus, à moins d’avoir servi ou qu’un de leurs ascendants ou descendants ou leurs conjoints ait servi pendant la Première ou la Seconde Guerre mondiale dans les formations françaises ou alliées. Ceci n’est pas sans importance car nombres de Juifs vivant en France n’en possèdent pas la nationalitéNote3431. . L’indemnité de reconstitution des biens meubles et d’usage courant ou familial est totale si le sinistré peut le chiffrer exactement ; sinon, elle est forfaitaire, avec une majoration par personne à charge. Les dossiers ont été traités par des commissions cantonales ou départementalesNote3432. .
Les commissions des dommages de guerre et d’occupation indemnisent les dommages consécutifs aux bombardements, les pertes au cours de transports ferroviaires, les pillages, les réquisitions allemandes non payées ou quand les spoliateurs sont inconnus ou insolvables notamment, par l’intermédiaire du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme.
Un autre mécanisme présente un intérêt : celui prévu par la législation allemande. Dans le prolongement des accords de Luxembourg de 1952, l’Etat fédéral allemand va prendre en charge la question des indemnisations dans certains domaines. Le sujet fut longtemps sensible dans la patrie de Goethe. L’activisme de diverses associations juives incite Adenauer, alors Chancelier, en 1952, à signer un accord avec la nouvelle Israël en la personne de Moshe Sharett et Nahum Goldman, portant sur le principe d’une indemnisation collective. Ce sont les accords de Luxembourg. Le 23 octobre 1954, par l’accord de Paris, les trois alliés occidentaux restituent à la RFA sa souveraineté et dans ce contexte sont votées deux lois concernant les préjudices individuels, c’est-à-dire physiques, et les préjudices matériels de spoliation, respectivement les lois BEGNote3433. et BRüGNote3434. . On peut encore citer une loi allemande du 12 août 2000, donnant naissance à la fondation Erinnerung, Verantwortung und Zukunft (mémoire, responsabilité et avenir) dont l’objectif est le dédommagement des personnes contraintes au travail forcé ainsi que quelques autres victimes du régime national-socialiste. Les individus présentent directement leurs réclamations. La fondation est financée par le Gouvernement allemand et par des entreprises allemandes.
La loi BRüG est une loi fédérale de restitution datant de 1957, plusieurs fois amendée, notamment en 1964. Une de ses dispositions permet d’en étendre le bénéfice à des Juifs non allemands, et notamment français, car il est précisé que des « biens de fortune identifiables », enlevés hors du territoire allemand, sont indemnisables « s’il est prouvé que ces biens ont été transférés après leur enlèvement » dans le territoire où s’applique la loi, c’est-à-dire en Allemagne. S’ensuit en France l’ouverture d’un bureau d’information à Paris par le Fonds social juif unifié en accord avec les grandes associations juives. Le Fonds, mandaté par ces associations, mène alors des négociations avec le Gouvernement de Bonn et les autorités françaises. Chaque cas fait l’objet d’un examen individualiséNote3435. .
Le bureau d’information se transforme en bureau des spoliations mobilièresNote3436. . Puis, avec l’agrément des Gouvernements français et allemand, une commission d’experts indépendants est constituée à Paris, chargée d’examiner chaque dossier et d’établir les bases d’indemnisation avant transmission au correspondant allemand du Fonds social juif présentant à son tour ces dossiers aux offices de restitution allemandsNote3437. .
Cet exemple montre à la fois la coordination entre Gouvernements, mais également l’intervention d’organismes privés s’insérant dans le processus étatique. Surtout, est encore une fois remarquable, la prise en compte des indemnités versées dans le cadre des dommages de guerre afin de les déduire du montant à verser au titre de la loi BRüG. Soulignons enfin que la révision de cette loi en 1964 supprime les limites d’indemnisation et échelonne les paiementsNote3438. .
L’intervention étatique pour régler les conséquences des responsabilités peut être complétée, palliée ou précédée, dans certains cas, par des commissions ad hoc.
Parallèlement à la mise en place de structures telles que les Tribunaux pénaux internationaux et afin de tenir compte des contingences post-conflictuelles, on peut observer, par exemple, la création de mécanismes transitoires facilitant les restitutions. Ils peuvent être juridictionnels ou administratifs. On peut citer la commission de réclamation créée par l’accord de paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée en décembre 2000, qui doit arbitrer les réclamations tant entre les deux Gouvernements qu’entre les personnes privées, notamment suite à des violations du droit international humanitaireNote3439. .
Les accords de Dayton de 1995, entre la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la République fédérale de Yougoslavie prévoient la mise en place d’une commission pour les réclamations de propriété. C’est un organe administratif international, chargé de déterminer les droits de propriété et de trouver des solutions amiablesNote3440. . En 1999, fut créée au Kosovo une commission équivalente, la House and property claims commissionNote3441. .
En pratique, le dédommagement obtenu de la part de l’Etat débiteur est insuffisant. D’une part le chiffrage des dommages est difficile, d’autre part l’Etat criminel ne peut pas toujours payer les sommes dues, comme le prouve le cas de l’Allemagne, lors de l’application du traité de Versailles (art. 232, Partie VIII)Note3442. .
Deux situations peuvent être distinguées, qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre, celle de la commission d’indemnisation ou de réparation, mise en place par l’Etat victime pour indemniser les personnes qui étaient sous sa protection, et les commissions internationales interalliées, comme c’est le cas, par exemple, lors de la mise en application du traité de Versailles ou des traités suivant la Seconde Guerre mondiale. En filigrane, le problème de la juste indemnisation de chaque victime au regard des décisions internationales pose celui de son statut en droit international. D’un objet pour la Cour internationale de Justice, elle est un sujet passif pour les juridictions internationales pénales et un sujet actif au sein du système nationalNote3443. .
A l’article 233 du traité de Versailles une commission des réparations est prévue, composée d’un délégué par puissance alliée ou associée, à savoir les USA, l’Empire britannique, la France, l’Italie et le Japon, ce dernier n’intervenant que dans les cas où se présente un intérêt en rapport avec lui. Le texte du traité, ainsi que cinq annexes, définissent de manière très exhaustive les compétences, pouvoirs et procédures de cette commission. Une fois posé le principe des réparations dues par l’Allemagne ainsi que tous les moyens propres à garantir la créance, il est prévu que l’Allemagne, avant même l’entrée en vigueur du traité, verse un acompte de 20 milliards de marks or. Puis, entre autres acomptes, à titre d’exemple, à valoir sur le nombre d’animaux devant être ultérieurement livrés à la France, 500 étalons de trois à sept ans, 30000 pouliches et juments de 18 mois à sept ans des races ardennaise, boulonnaise ou belge, 2000 taureaux de 18 mois à trois ans, 90000 vaches laitières de deux à six ans, 1000 béliers, 100000 brebis et 10000 chèvres.
La commission est compétente pour déterminer les dédommagements subis tant par l’Etat que par les particuliers, quelle que soit la source du dommage : animaux, biens immobiliers, industriels, tortures et mauvais traitements physiques (annexe I). Pour ce faire, l’Etat concerné doit faire parvenir une liste détaillée à la commission dans les soixante jours, qui vérifie les prétentions et décide du montant à accorder pour chaque dommage (annexe IV). Mais ce sont les Gouvernements seuls qui peuvent faire valoir les droits de chacun et saisir la commission. Le traité de Versailles présente donc un caractère très complet des mesures prises contre l’Allemagne en 1919. Par exemple, l’article 245 prévoit la remise des œuvres d’art volées à la France, la restitution d’objets pris lors de la guerre de 1870, dont les drapeaux pris à la France.
Pour autant, s’il s’agit là d’un exemple de commission interalliée, on perçoit aisément que l’indemnisation n’est vraisemblablement pas totale, surtout que l’Etat doit intervenir ensuite pour redistribuer les dédommagements accordés.
Les commissions peuvent être plus limitées dans leur objet ou au contraire plus larges. Ici, il s’agit d’organes juridictionnels intervenant en cas de litiges, entre autres, sur des restitutions ou des indemnisations, traitant les affaires individuellement. A ce titre, il participent au règlement des conséquences déterminées au niveau international.
A titre d’exemple, on peut mentionner la commission franco-italienne de conciliation qui agit dans certains litiges découlant du traité de paix entre la France et l’Italie après la Seconde Guerre mondialeNote3444. . Notamment, elle intervient concernant le règlement d’intérêts privés lésés par l’Italie lors de ce conflit. Le traité prévoit entre autres la restitutio in integrum des biens enlevés du territoire français (art. 75), le rétablissement des droits et intérêts légaux des ressortissants français en Italie (art. 78§ 1) ou la levée des hypothèques et charges dont ils auraient pu être grevés du fait de la guerre (art. 78§ 2). Sinon, l’indemnisation du préjudice est prévue. Le bénéfice de ces restitutions ou indemnités est réservé au propriétaire du bien, droit ou intérêt en question. Plus largement, le traité vise les personnes physiques mais la commission ouvre également son prétoire aux sociétés françaises nationalisées et à l’Etat françaisNote3445. .
Toujours dans le prolongement de la Seconde Guerre mondiale, on peut citer le tribunal d’arbitrage de l’accord sur les dettes extérieures allemandes et la commission arbitrale sur les biens, droits et intérêts en Allemagne.
La commission arbitrale fut créée par l’article 7 du chapitre 5 et par l’article 12 de la convention sur le règlement des questions issues de la guerre et de l’occupation, à savoir la convention de Bonn du 26 mai 1952, amendée par la convention de Paris du 23 octobre 1954. Elle commence à fonctionner le 9 novembre 1956 et siège à Coblence. Elle est compétente pour connaître de certaines demandes de restitutions de biens, de restauration de droits, de demandes d’indemnisation ou d’exonérations fiscales. En général, cela oppose des particuliers à la RFANote3446. , mais des affaires interétatiques peuvent avoir lieu. Ce fut notamment le cas entre la France et la RFANote3447. . La commission arbitrale doit fonctionner pendant dix ans, mais le délai a été prorogé d’environ quatre années. Elle peut être compétente pour certains litiges en première instance, mais intervient essentiellement en tant qu’organe d’appel contre des décisions de tribunaux allemands ou d’autorités administratives spécialement créées par la convention. Soit elle statue au fond, soit elle renvoie devant l’organe, mais avec certaines instructions. Elle est considérée comme une juridiction internationaleNote3448. . Ses jugements peuvent être remis en cause par le tribunal d’arbitrage créé par l’article 9 de la convention sur les relations entre les trois puissances et la RFA, qui est lui-même un tribunal internationalNote3449. . La commission est composée de plusieurs chambres et d’une assemblée plénière, faisant office d’organe d’appel interneNote3450. .
La commission statue, par exemple, sur les décisions rendues par le Finanztamt d’Aix-la-Chapelle, sur des décisions rendues par le Finanztgericht de DüsseldorfNote3451. ou bien encore sur des décisions du Bundesamt fur äusseres RestitutionenNote3452. .
Le tribunal d’arbitrage de l’accord sur les dettes extérieures allemandes a été créé en application de l’accord de Londres du 27 février 1953Note3453. . Il est composé de huit membres permanents, trois nommés par la RFA, un par la France, un par la Grande-Bretagne et un par les USA. Outre ces six membres, sont présents un président et un vice-président nommés conjointement par les Gouvernements. Seule l’assemblée plénière est compétente. Ce tribunal n’est compétent qu’à l’égard des parties contractantes, c’est-à-dire des Etats.
Sans plus les détailler, on peut observer la diversité des mécanismes mis en œuvre pour exécuter ou régler les litiges relatifs aux créances allemandes suite à la Seconde Guerre mondiale.
Le souci d’éviter une double indemnisation suite à des conflits semble largement présent dans les textes depuis le début du 20ème siècle au moins. Si la recherche d’une péréquation entre les différents mécanismes intervenants, judiciaires ou politiques, est facilitée lorsque les faits ont lieu au sein d’un même Etat, la situation se complique lorsqu’elle possède un caractère international. Elle est d’autant plus complexe que les contingences humaines et économiques ne permettent pas à l’Etat débiteur d’honorer ses dettes, que cette dernière soit fixée, conventionnellement ou judiciairement, par exemple, par la Cour internationale de Justice, par une commission ou par un traité.
En France, les législations de 1919 et 1946 illustrent la dissociation de la réparation en tant qu’obligation de l’Etat des sinistrés et de la réparation en tant que conséquence d’un fait internationalement illicite. Cependant, d’un point de vue pratique, la seconde permet l’exécution de la première. L’étude individuelle de chaque cas, qu’elle soit le fait d’un organe international ou national, permet la mise en place d’un mécanisme de péréquation, difficilement concevable dans un traité qui, par définition, est plus général ou dans l’activité d’un organe tel que la Cour internationale de Justice. Les quelques exemples choisis tout au long du 20ème siècle montrent, dans divers domaines, ce souci plus ou moins clairement affirmé d’éviter une surindemnisation. Ces illustrations n’apportent pas une réponse directe à la question de la péréquation entre une éventuelle décision de la Cour internationale de Justice et une décision des Tribunaux internationaux pénaux ou de la Cour internationale pénale portant sur des faits identiques. Ils suggèrent cependant les solutions qui pourraient être adoptées dans de telles situations. Ils démontrent que la réparation, au sens large du terme, ne peut se faire sans passer par des organes internes ou/et des organes mixtes, internationaux.
Le crime commis par le militaire, si grave put-il être, n’en reste pas moins un crime sanctionné selon les modalités classiques du droit pénal.
En revanche, les sanctions de l’Etat, si l’on peut utiliser ce terme, présentent une réelle spécificité par rapport aux autres faits internationalement illicites pouvant être commis. Le projet de code de 2001 de la Commission du droit international ne fait que poser l’existence d’un régime quelque peu différent en imposant notamment la non reconnaissance de telles violations graves, la tentative d’y attacher un régime spécial en terme de conséquences ayant semble-t-il échouéNote3454. . Mais ce projet ne rend pas compte des conséquences pratiques. La notion de violations graves, si générale soit-elle, présente l’inconvénient de masquer les comportements criminels qui se déroulent lors de conflits, internationaux ou non, voyant invariablement intervenir, aujourd’hui, des coalitions sous diverses bannières ; ceci aboutissant à la chute des régimes considérés comme criminels, à la mise en place d’un nouveau régime, provisoirement sous tutelle soit d’un Etat, soit d’une organisation internationale comme les Nations Unies.
Les instances internationales, du fait de contingences géopolitiques, ne sont pas encore en mesure d’intervenir justement et efficacement, comme le prouve l’intervention des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne en Irak en mars 2003. Ce constat n’est pas sans avoir de lourdes conséquences pour l’évolution du système de sécurité collective.
Le caractère polycentralisé du système de règlement des faits internationalement illicites reste un obstacle à une approche cohérente et indépendante de la justice internationale.
Les Etats restent le pilier du droit international et du droit international pénal. Ils sont nécessaires pour en garantir l’efficacité. La Cour pénale n’intervient, par exemple, que de manière subsidiaire. Mais surtout, ils permettent l’exécution des sanctions et plus largement des conséquences prononcées par les juridictions internationales pénales ou décidées plus ou moins unilatéralement par celui qui sort vainqueur d’un conflit.
En définitive, ces actes criminels, appréhendés sous l’angle étatique et individuel, ne se limitent pas à une approche purement juridique mais également politique. Pour y remédier, il paraît impératif de réorganiser les systèmes afin d’assurer la cohérence des règlements des responsabilités, notamment lorsqu’ils sont partagés entre le système juridique national et le système juridique international.