Dès la fin de la Première Guerre mondiale, et malgré l’échec des poursuites contre Guillaume II, des militaires furent poursuivis sur le fondement de l’article 228 du traité de Versailles et sanctionnés devant des juridictions étrangères pour les crimes de guerre qu’ils avaient commisNote1722. . Lors de la Seconde Guerre mondiale, les Tribunaux militaires internationaux ne jugèrent que les grands criminels de guerre et les agents de moindre importance ne le furent que devant les tribunaux militaires alliés d’AllemagneNote1723. et les juridictions nationales, comme ce fut le cas avec le procès de Bordeaux, ou plus tardivement, devant des juridictions de droit commun concernant Leguay, Barbie, Touvier, Papon en France et Eichmann en Israël.
Si le passage de la ponctualité à la permanence dans le système international, marque un progrès incontestable, il n’est pas pour autant incontesté et n’érige nullement un système unique. Il s’appuie encore largement sur les juridictions nationalesNote1724. , les juridictions internationales pénales n’étant d’ailleurs compétentes que pour les crimes les plus importants et en cas de défaillance étatique.
Les modalités de cette justice, d’un type si particulier, sont encore l’objet de discussions ou d’expérimentations, comme le prouvent les exemples du Cambodge, de l’Irak et de la Sierra Léone. Dans ce dernier cas, un tribunal spécial mixte fut créé, réunissant des juges locaux et des juges étrangers.
L’hétérogénéité des systèmes ainsi créés et l’influence d’une compétence universelle encore floue et mal acceptée, font coexister différentes juridictions, à la compétence ponctuellement ou quasi-universellement, offrant aux victimes et aux accusés différentes opportunités en termes de jurisprudences, de procédures, de contraintes et de sévérité, favorisant un phénomène dit de forum shoppingNote1725. .
Les juridictions de Belgique furent un temps un « centre de justice internationale », bien vite rattrapées par les contingences diplomatiques. La France, par les conventions qu’elle a ratifiées et notamment le traité de Rome instituant la CPI, devient un espace judiciaire ouvert ; en revanche, les juridictions internationales, par leur objet, présentent un accès plus restreint, dans lequel les victimes n’ont qu’une place de témoin et dont les poursuites sont conditionnées par l’action d’un nombre extrêmement restreint d’acteurs ; ce qui pourrait être perçu comme un reliquat de l’exclusion de l’individu du système international semble plutôt répondre à une exigence matérielle et rationnelle, conditionnant le fonctionnement efficace de ces juridictions.
Cette multiplication des juridictions compétentes, aux domaines d’interventions se recoupant, présente le risque d’un éclatement des concepts et d’un manque d’unité préjudiciable à la cohérence et à la crédibilité des systèmes de répressionNote1726. . L’éparpillement des « législateurs », la dichotomie common law et droit continentalNote1727. , les interactions des droits et les contraintes politiques et diplomatiques sont autant d’éléments qui complexifient le système. La nature et l’origine de la norme, les phénomènes de traitement des règles de droit aboutissent, selon le professeur Delmas-Marty, à une classification quadripartite des systèmes : « national pur, international pur, national intégré et international modéré »Note1728. . La France relèverait de ce dernier modèle.
En fonction des juridictions, les mêmes possibilités de poursuites en termes d’infraction et de procédure ne sont pas obtenues. Les parties ne possèdent également pas les mêmes statuts. Il existe une véritable césure en ce domaine entre le système international et les systèmes nationaux.
Afin de mesurer les spécificités de la mise en œuvre des procédures en matière de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, il convient de vérifier qui peut déclencher les poursuites (titre 1er), ce qui constitue un premier élément de sélection des juridictions, et dans un second temps, de se demander quels sont les juges aptes à exercer leur pouvoir de juridiction (titre 2nd), dans ce domaine où les compétences se recoupent.
L’instance juridictionnelle, quelle qu’elle soit, nécessite la saisine du juge qui sera appelé à statuer. Dans les domaines civils, c’est en général la victime ou son représentant légal qui agit. En revanche, lorsque le comportement dommageable est pénal et touche un intérêt essentiel de la collectivité, à côté de la victime ou de son représentant, existe un organe institutionnalisé habilité à saisir le juge afin de faire respecter l’ordre social, outrepassant le pardon éventuellement accordé par la victime, dont l’intérêt personnel ne saurait englober l’intérêt collectif : le ministère public.
En matière étatique, le système administratif français, quelle que soit la gravité du dommage occasionné, dépend de l’intervention d’une personne présentant un intérêt à agir. En revanche, en droit international public, devant la Cour internationale de Justice, seuls les Etats victimes peuvent agir et à la condition que l’Etat, source du dommage, ait accepté sa compétence. Cependant, la possibilité d’une actio popularis émerge, qui répondrait au caractère grave de certaines violations essentielles pour la communauté internationale.
Deux autres points peuvent également être soulignés. Le premier, en droit français, consiste dans l’intervention d’associations dans des procès dont le point central est en rapport avec leur objet. Ce fut notamment le cas lors du procès Papon dans lequel nombre d’associations liées au judaïsme et à la lutte contre toutes formes de racisme intervinrent. Il existe des exemples similaires, tant en Europe que dans des pays de common law comme les USA, avec ce que l’on appelle les class actions qui sont des actions de groupeNote1729. . Le second point, qui se situe dans une perspective quelque peu identique, est caractérisé par la prétention des ONG à tenir un rôle identique à celui des associations de droit interne, mais dans les instances internationales, et notamment devant les juridictions internationales pénales. Au-delà de leur rôle de témoin et d’expert, elles peuvent intervenir à titre d’amicus curiae, mais ne peuvent pour l’instant prétendre à être partie intégrante aux procès.
L’intérêt violé par la commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité est considéré comme affectant tous en général et chacun en particulier. Mais, pour autant, les portes de la Justice ne s’ouvrent pas toutes grandes à chacun.
En matière de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, l’intérêt violé dépasse la victime directe ; on peut dès lors se demander si cela induit son éviction du processus judiciaire, notamment dans sa mise en œuvre. A cette interrogation, il convient d’ajouter l’exclusion de principe de la victime du déclenchement des procédures pénales.
Ces deux éléments combinés incitent alors à s’interroger sur la nature de la victime et sur son statut juridique (chapitre 1er) et, le cas échéant, sur sa faculté à engager des poursuites et à faire naître le processus juridictionnel (chapitre 2nd).
Selon le Vocabulaire juridique du professeur Cornu, la victime est la personne qui subit personnellement un préjudiceNote1730. . Ce préjudice doit être actuel, direct, personnel et certainNote1731. .
La victime première d’actes criminels est l’individu, personne physique. Au nom de sa double nature physique et spirituelle, l’individu touché par un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité devient la source de dommages et de préjudices multiples le dépassant. A travers lui et au-delà de lui, est touchée la communauté, tant physique que spirituelle, dont il est un membre. Au-delà du crime commis contre un, sont touchés et menacés, la communauté ethnique, l’Etat, une communauté spirituelle et l’humanité.
Deux systèmes de responsabilités sont clairement établis, tant au niveau de la victime que de l’infracteur, l’un stato-centrique et l’autre anthropocentrique. Mais les divers textes les régissant font allusion à des intérêts sous-jacents comme l’humanité et la communauté internationale. Ces deux notions incitent alors à s’interroger sur l’émergence de leur subjectivisation.
Dans le domaine du droit international humanitaire et du droit des crimes contre la paix et la sécurité, les individus sont des titulaires de droits primaires et les Etats les destinataires des obligations primaires concomitantes. Pour autant, on peut voir que les individus – victimes restent largement exclus du système international.
La détermination des victimes et surtout l’attribution d’une capacité juridique donnant qualité à agir ont une influence sur les juridictions saisies.
Dans la perspective de crimes de masse, il paraît opportun de distinguer chaque victime et de vérifier ses pouvoirs juridiques afin de contrôler si chacune possède les moyens de faire valoir ses droits à hauteur des intérêts lésés. Si le système juridique français permet une bonne prise en compte des différents intérêts atteints, le monopole des Etats dans le système juridique international incite à vérifier l’adéquation du système aux objectifs poursuivis.
Afin de vérifier que chaque intérêt lésé peut être justiciable, il convient de cerner le rôle et la capacité juridique des victimes d’un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité ; seront alors distinguées les victimes premières, juridiquement identifiées dans les textes, l’individu et l’Etat (section 1ère), des victimes en second : l’humanité et la communauté internationale (section 2nde).
Les crimes sont avant tout une affaire de personnes physiques : le criminel et la victime. Mais derrière chacun des protagonistes peut se trouver une autre personne, soit physique soit morale.
Le droit des crimes de droit international, s’il a pour objet la sanction de l’acte anti-social et de l’atteinte à l’ordre établi, place en son centre l’individu comme victime ou du moins nécessite l’individu comme support. Derrière l’individu, en droit pénal français, se profile comme victime la société et son incarnation l’Etat. Ce dernier, en revanche, dans le système de la Cour internationale de Justice, est l’unique type de victimeNote1732. .
A la possession de droits doivent correspondre les moyens d’assurer leur respect et leur effectivité. Il convient donc de vérifier si chaque système juridique, international et français, identifie distinctement chaque victime et quel statut juridique il lui attribue pour faire valoir ses prétentions. De cette identification dépendent, dans une certaine mesure, les juridictions pouvant être saisies et le chef d’infraction retenu.
Partant de l’idée selon laquelle l’homme est à l’origine des crimes et en est la première victime, nous envisagerons successivement le statut de victime de l’individu (sous-section 1ère), puis celui de l’Etat (sous-section 2nde).
Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, excepté l’agression et certains crimes de guerre portant sur les biens, consistent en des atteintes sur des personnes physiques. Pour autant, pendant longtemps, les individus furent écartés des règlements des dommages commis durant les conflits, l’Etat étant le seul interlocuteur de l’Etat – auteur. L’Etat représentait ses victimesNote1733. . La situation commence à connaître quelques infléchissements au sortir de la Seconde Guerre mondiale. En 1949, la RFA promulgue des mesures visant à payer des indemnités individuelles à certains étrangers victimesNote1734. . Ce n’est qu’avec le développement des droits de l’Homme que de telles procédures et la prise en compte de l’individu sans le truchement de l’Etat vont émerger. En particulier, l’Assemblée générale de l’ONU va prendre une déclaration relative aux principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir, le 29 novembre 1985Note1735. . Mais ce n’est qu’avec le statut de la Cour pénale internationale que les victimes seront réellement prises en considération en droit internationalNote1736. .
La reconnaissance du statut de victime constitue un premier pas vers celui de personne présentant un intérêt à agir pour saisir un juge. L’autre condition nécessaire réside dans la formulation d’un statut de sujet de droitNote1737. capable juridiquement de saisir une juridiction. Cette qualité varie d’un système juridique à un autre. Si le droit français le lui accorde pleinement, le droit international offre un visage plus incertain. On peut alors parler de « spatialisation » du statut de victime.
L’affirmation de la qualité de victime de l’individu (§ 1er) ne fait aucun doute et sert de support à la répression des criminels. En revanche, on ne peut que constater l’inexistence d’un statut de victime de la communauté – cible, ce qui pourrait éventuellement être concevable, actuellement, par l’intermédiaire du droit des minorités (§ 2nd).
Il convient de vérifier que l’individu est considéré comme une victime par chaque juridiction étudiée (A), avant de préciser quelles conséquences juridiques en découlent (B).
Le droit pénal français, le droit international pénal et le droit administratif français admettent le statut de victime de l’individu. Même si la particularité des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité est d’être des crimes collectifs et de masse, la répression du phénomène criminel collectif se fait au regard d’une accumulation voulue et causale de crimes individuels. Si l’on observe les décisions rendues dans ces domaines, que ce soit par les juridictions criminelles françaises ou par les Tribunaux pénaux internationaux, pour ne citer qu’eux, on constate que les victimes sont identifiées individuellement.
Si une telle affirmation ne prête plus à discussion en droit français, il en est tout autrement dans le système international.
On peut remarquer, dans le système international, qu’aujourd’hui, l’individu victime n’est plus uniquement pris en compte à travers l’Etat, mais en lui-même. Le système international, en tant que système interétatique, en développant les droits de l’Homme et les droits impératifs, opère une translation du système de l’Etat vers l’Homme. C’est le passage d’un système uniquement stato-centrique à un système dual, stato- et anthropocentrique.
Avec le droit international pénal, l’individu devient en lui-même une victime directe reconnue par le système, écartant l’Etat qui faisait écran. Les divers mécanismes de protection que l’Etat mettait en jeu essentiellement pour protéger ses ressortissants coexistent désormais avec des mécanismes propres à l’individu, mais dont la maîtrise lui échappe encoreNote1738. . Cependant, c’est essentiellement sous l’angle préventif que l’individu était directement pris en compte par le droit international, notamment avec le droit international humanitaire. Aujourd’hui, il bénéficie clairement d’un statut de victime. D’ailleurs, la Cour pénale internationale peut se prononcer sur les réparations qu’il convient de lui accorderNote1739. .
Selon l’Assemblée générale des Nations Unies, dans sa déclaration du 29 novembre 1985 :
« 1. On entend par « victimes », des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales (…)
2. Une personne peut être considérée comme une « victime » (…) que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable, et quels que soient ses liens de parenté avec la victime. Le terme « victime » inclut aussi, le cas échéant, la famille proche ou les personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir en aide aux victimes en détresse ou pour empêcher la victimisation ».
De nombreuses observations peuvent être faites au regard de cette définition. Tout d’abord, on peut remarquer une certaine similitude avec des expressions que l’on trouve en droit international pénal. Mais surtout, seraient victimes, tant la victime directe ayant subi le résultat criminel de l’infraction, que les victimes par ricochet et celles qui ont voulu intervenir pour défendre la victime.
En revanche, il n’est pas précisé si cette définition ne concerne que les personnes physiques ou si elle s’applique également aux personnes morales. Cependant, la résolution 687 (1991) du Conseil de sécurité relative à l’Irak fait allusion à la seconde catégorie.
Une définition est également retenue dans une déclaration adoptée par la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies, lors de sa 56ème session en 2000, dénommée « basic principles and guidelines on the right to a remedy and reparations for victims of violations of International Human Rights and Humanitarian Law »Note1740. . Dans son principe 8, la victime est définie comme : « victim may also be a dependant or a member of the immediate family or household of the direct victim as well as a person who, in intervening to assist a victim or prevent the occurrence of further violations, has suffered physical, mental, or economic harm »Note1741. .
Mais cette définition, relativement large, semble ne pas être reprise par les TPI qui se limitent à « toute personne physique à l’égard de laquelle aurait été commise une infraction relevant de la compétence du tribunal »Note1742. .
Lors de l’élaboration du règlement de procédure et de preuve de la CPI, un compromis est retenu concernant la notion de victimeNote1743. :
« a) Le terme « victime » s’entend de toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour ;
b) Le terme « victime » peut aussi s’entendre de toute organisation ou institution dont un bien consacré à la religion, à l’enseignement, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument historique, un hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dommage direct »Note1744. .
Le statut de la CPI semble plus large, mais la rédaction n’est pas si limpide. Au regard de sa compétence, on peut douter de l’opportunité d’en avoir une interprétation large, car à l’évidence, le criminel est difficilement en mesure de pouvoir indemniser les victimes. Quoiqu’il en soit, la victime n’est pas partie, conformément à l’esprit anglo-saxon inspirant sur ce point le statut de la CPINote1745. .
L’absence de la notion de victime dans les principales conventions de droit international humanitaireNote1746. , semble relative. L’article 3 commun aux conventions de Genève de 1949, en un sens en désignant les personnes protégées, désigne les victimes potentielles d’infractions graves au droit international humanitaire, à savoir les personnes ne participant pas aux hostilités, les militaires ayant déposé les armes, les blessés, les prisonniers et les malades.
Selon M. ZegveldNote1747. , est une victime la personne qui souffre car elle est affectée par un conflit armé. On parle alors plus précisément de « victime de guerre ». L’auteur ajoute que cela engloberait même une population. Sont plus précisément victimes : les personnes protégées au sens du droit international humanitaire et ayant vu leurs droits à la protection violés. La Cour suprême des Pays-Bas s’est prononcée sur la notion de victime du droit international humanitaire et en a retenu une vision restrictive : ne sont victimes de violations du DIH que les personnes affectées personnellement par la violation des droits contenus dans le DIHNote1748. . La victime est donc celle qui a subi le résultat pénal prévu par l’infraction.
En droit pénal, la qualité de victime est entendue restrictivement. Le préjudice doit être, entre autres, direct et personnelNote1749. . Sans entrer plus en détail dans les poursuites, les professeurs Maistre du Chambon et Conte précisent qu’afin que des personnes ayant subi un dommage uniquement civil, du fait d’une infraction pénale, ne « parasitent » pas le procès pénal, il est opportun de mettre en adéquation l’intérêt social protégé qui est au centre de l’affaire pénale avec les intérêts poursuivis par la victime qui décide de se porter partie civileNote1750. .
La notion de dommage personnel contenue dans l’article 2 du Code de procédure pénale ne recouvre pas tout à fait la même signification qu’en droit civil. C’est à ce niveau là qu’est recherchée l’adéquation entre le dommage subi par l’individu et celui subi par la société. Ici, le dommage personnel invoqué doit correspondre au résultat pénal de l’infraction, « il est l’image réduite à l’échelle individuelle, du préjudice social, l’un étant directement issu de l’autre »Note1751. .
Il est difficile de dire si le statut de la Cour pénale internationale, dans sa définition des victimes, diverge du droit pénal français. Une certaine proximité apparaît, mais il convient d’attendre que les juges se prononcent plus précisément.
Le statut de victime, au regard des droits pénal, international pénal et administratif ne fait aucun doute. Du point de vue de la Cour internationale de Justice, c’est avant tout l’Etat, agissant par l’intermédiaire de la protection diplomatique, substitué à une personne physique, qui est victime. Mais au-delà de cette constatation, se pose le problème de sa capacité juridique, ce qui conditionne l’importance de son rôle dans chaque type d’instance.
En droit français, les personnes physiques sont sujets de droit. Dès le moment où un individu peut justifier d’un préjudice, qui conditionne l’intérêt à agir et est le résultat d’un fait criminel ou d’une faute de service, il possède la faculté de saisir un juge et d’enclencher le processus judiciaire.
Dans le système international, le statut de l’individu est totalement différent. Longtemps exclu du système, il a acquis progressivement un statut de sujet passif. En revanche, les systèmes régionaux comme celui de la Convention européenne des droits de l’Homme lui offrent la qualité de sujet actif.
La reconnaissance du statut de sujet de droit et plus précisément d’une capacité juridique conditionne, dans une certaine mesure, le choix de la juridiction. La question présente un certain intérêt dans la mesure où la victime peut maîtriser son affaire, notamment au pénal, dans l’hypothèse où le procureur refuserait de poursuivre. Si la relation entre la victime et le procureur présente certaines spécificités en droit françaisNote1752. , c’est surtout en droit international que le problème se pose.
Doit-on, comme Duguit, suivi en cela par Scelle et Krabbe, dans une approche sociologique du droit international, dire que : « les sujets de droit international sont, non pas les Etats, mais les individus membres des Etats »Note1753. ?
En droit international, une réflexion sur le statut de sujet de l’individu doit être faite au vu de la place réservée au criminel et à la victime. Du point de vue du criminel, c’est essentiellement avec les Tribunaux militaires internationaux et les Tribunaux pénaux internationaux que le mouvement prend forme. Mais la ponctualité de ces juridictions n’est pas suffisante et ce n’est qu’avec la Cour pénale internationale que l’on peut esquisser l’affirmation du statut de sujet de droit international de l’individu. En revanche, la logique du système régional européen de protection des droits de l’Homme assure depuis le début de la seconde moitié du 20ème siècle un certain statut à l’individuNote1754. .
Si l'on se réfère aux théories classiques sur la notion de sujet de droitNote1755. , l’individu en est un. Mais persiste l'interrogation sur le caractère de sa subjectivité. Pendant longtemps, le débat sur le statut de l'individu est rattaché à celui de la théorie moniste ou pluraliste des systèmes juridiques. Dans le système moniste, l'individu est sujet de droit, mais pas dans le système pluraliste. Plusieurs théories furent élaborées, notamment celle de Kelsen et celles d’Eustathiades et Wengler. La première résout le problème, mais ne rend pas compte de la réalité, d’ailleurs le professeur Quadri la qualifie de « pures constructions verbales »Note1756. ; dès lors, seules les secondes seront envisagées. Il est vrai que le positivisme-normativiste de Kelsen rend difficilement compte de la place des individus en droit international. L’adhésion à la théorie du monisme ou du dualisme change complètement la réponse.
Les secondes théories sont fondées sur la responsabilité. Eustathiades considère comme sujet de droit toute personne se trouvant dans l’une des deux situations suivantes : être titulaire d’un droit et pouvoir le faire valoir en droit international ou être titulaire d’une obligation juridique et avoir la capacité de commettre un délit internationalNote1757. . Si cette théorie n’est pas exempte de critiquesNote1758. , elle n’en présente pas moins l’avantage, en matière de droit international pénal, de constituer une base de réflexion, notamment si l’on complète le raisonnement par les qualificatifs de passif et actif.
Pour Sperdutti, « les individus sont capables en leur qualité d'êtres humains, d'agir à la fois conformément au droit international et contre le droit international », ils sont sujets matériels de droit internationalNote1759. .
Avec le développement de ce système, l'imposition d'obligations et surtout avec l'existence de juridictions internationales jugeant des individus pour des infractions dites internationales, il est difficile de soutenir que l'individu est totalement exclu de la notion de sujet de droit.
Cette notion dépend de deux éléments : d'une part de l'existence d'obligations d'origine internationale dont l'individu est destinataire, et d'autre part de l'effet direct de la norme, sans lequel l'individu ne serait que l'objet de cette norme.
Max Sorensen, un juriste danois, considère que le concept de sujet du droit international ne comprend pas nécessairement tous ceux qui bénéficient de la norme internationale ou tous ceux dont la norme tend à influencer la conduite. Il faut considérer également celui qui encourt une responsabilité pour violation d'une norme internationale et celui qui a qualité pour porter plainte contre une telle violationNote1760. . Et le professeur Pastor Ridruejo ajoute qu'il y aurait alors une subjectivité internationale active, celle de porter plainte, et une subjectivité internationale passive, celle d'encourir une responsabilité. La subjectivité aurait alors une double dimensionNote1761. .
Scelle propose une autre théorie, celle du dédoublement fonctionnel. Selon lui, l'individu est un sujet de droit international qui peut commettre des violations de normes internationales ; la répression ne relèverait alors pas spécialement du ressort du système de droit international mais du système national, sur délégation du premier. Mais encore faudrait-il être sûr que les Etats assurent la primauté du droit international, ainsi que son effet direct, problème qui ne se pose pas dans l’approche moniste de Scelle.
Norgaard, de l'école dualiste, propose une des théories les plus abouties et sûrement les plus conformes au système actuel, qui pour des raisons politiques tend à privilégier plutôt le dualisme. L'individu pour être sujet de droit doit se voir reconnaître des droits substantiels par le droit international, des devoirs et il doit être reconnu responsable de telles violations. En outre, l'individu – victime doit pouvoir engager la responsabilité de l’auteur devant une instance internationaleNote1762. .
Reste à savoir comment qualifier la subjectivité de l’individu en droit international ; de là peut découler un éventuel droit à saisir les juridictions.
Il convient d’observer si l'individu n'est que le destinataire d'une norme d'origine internationale qu'il ne peut faire respecter que par le biais de son système juridique national ou bien s'il peut la faire respecter devant une juridiction internationale, appartenant donc au système juridique émetteur.
L'individu est un sujet immédiat de droit uniquement lorsqu'il est le destinataire de droits et de devoirs. Le fait que le droit international lui impose des devoirs est une chose, le fait qu'il lui attribue des droits dans ses relations avec les autres individus et avec les Etats en est une autre. Ce n'est qu'un sujet passif car il manque la capacité juridique. Si l'on prend le système de la Convention européenne des droits de l'Homme, l'individu est un sujet actif de droit car il peut faire valoir lui-même ses droits devant un organe du système juridique émetteur.
Pour le professeur Dupuy, les personnes physiques qui détiennent des droits découlant de conventions ou traités internationaux relatifs aux droits de l’Homme sont titulaires de droits propres, d’un « patrimoine juridique reconnu dans l’ordre international » ; ils sont donc « sujets au moins passifs »Note1763. . La reconnaissance de droits en dehors de l’Etat, découlant du droit international coupe l’individu de son EtatNote1764. . Il détient des droits en propre et l’Etat voit un domaine lui échapper. Cette approche traduit un certain renouveau du jusnaturaliste dans le système international.
Une fois l'individu entré dans le processus international pénal, il bénéficie, entre autres, de garanties procédurales, comme les droits de la défense ; il s’agit ici plus exactement de l’accusé. On peut alors se demander s'il ne devient pas un sujet actif et immédiat du droit international pénal. Il existerait donc, dans le domaine précis du droit international pénal procédural, une assujétisation active de l'individu. Le professeur Pastor Ridruejo ne parle que de subjectivité passive au regard des juridictions internationales pénalesNote1765. .
L'individu a donc une situation de sujet variant d'un système juridique à l'autre. « Les sujets de droit, dans un système juridique, ne sont pas nécessairement identiques quant à leur nature ou à l'étendue de leurs droits »Note1766. .
Le statut de sujet de droit de l’individu est à relativiser en droit international. D’une part, il se limite pour l’essentiel au droit international pénal et d’autre part, il semble relatif au sein même de ce domaine. C’est une sujétisation d’attribution, prévue par les statuts et non une sujétisation naturelle. Mais au-delà de l’individu, les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité incitent à soulever le problème des « groupes spécifiques », victimes.
Si la qualité de victime de l’individu est claire, on peut cependant s’interroger sur ce même statut pour les groupes spécifiques visés par un génocide ou par une politique de crimes contre l’humanité.
Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité sont généralement des actes d’ampleur, visant un groupe. Les groupes peuvent être variés, plus ou moins éphémères ou stables. Certains d’entre eux forment une part essentielle de l’identité sociale de leurs membresNote1767. et d’autres sont plus ponctuels, gravitant autour d’un intérêt tout autre. Chaque crime contre l’humanité vise une collectivité particulière. Le génocide vise un groupe ethnique, politique, racial, religieux ou national selon les définitionsNote1768. , le crime contre l’humanité, une population civile, les crimes de guerre, les personnes protégées au sens du droit de Genève et l’agression, la collectivité nationale étatique. Au sein de ces groupes, certains relèvent d’une appartenance à laquelle les membres ne peuvent se dérober, comme l’appartenance ethnique, tandis que d’autres reposent plus sur un choix, par exemple l’appartenance à une religionNote1769. . Les atteintes à l’ethnie, à la race, à la nation ou bien encore à la religion sont sanctionnées par le droit pénal françaisNote1770. . Mais les atteintes dans le cadre de politiques systématiques prennent une autre dimension.
Ces atteintes particulières à des groupes identifiés font l’objet non seulement d’une protection adaptéeNote1771. , par l’intermédiaire de textes comme la convention relative au génocide de 1948, les conventions de droit international humanitaire, la convention de 1984 relative à la torture ou bien encore les statuts des juridictions internationales pénales, mais également d’une répression adaptéeNote1772. notamment par des dérogations aux règles et aux régimes de droit commun, avec par exemple l’imprescriptibilité de certains crimes.
Il convient alors de s’interroger sur l’opportunité de prévoir un statut de victime pour les groupes ayant subi de tels crimes, afin de leur ouvrir les droits correspondants ; ces groupes pouvent être ethnique ou politique, par exemple, mais encore, en référence à la notion de population civile, les habitants d’une ville ou d’une quelconque circonscription administrative ou historique. Le qualificatif de victime de telles entités existe, mais plus dans une perspective morale et symbolique que juridique. La notion de village martyr, par exemple, l’illustre. Celle de génocide des Juifs ou des Arméniens relève du même esprit. Pour autant, et c’est là le point central de cette réflexion, la communauté touchée peut-elle prétendre au statut de victime, du point de vue juridique, en tant que groupe, et non pas uniquement au travers de ses membres pris individuellement ?
On peut tout d’abord remarquer qu’en droit français, peuvent agir, tant en droit pénal qu’en droit administratif, des associations dont l’objet est en adéquation avec de tels crimes. Par exemple, les associations de défense des intérêts juifs furent parties civiles lors du procès PaponNote1773. . En droit administratif, au nom de la théorie du cercle d’intérêt, de telles associations peuvent également agirNote1774. . Mais on observe alors que la communauté, pour agir, nécessite la création d’une structure juridique et c’est le trouble occasionné à l’intérêt social et non la qualité directe de victime de la communauté qui est pris en compte par le juge.
L’article 2 du Code de procédure pénale détermine les titulaires de l’action civile et sert à définir également la victime. Les conditions requises, à savoir un dommage personnel et direct, ont constitué un obstacle, aujourd’hui surmonté, à l’action des associations défendant des intérêts collectifs. Des « contorsions juridiques » et des textes ultérieurs ouvrent aujourd’hui les prétoires criminels à certaines associations, notamment dans le domaine des crimes contre l’humanité et des crimes de guerreNote1775. . En de tels cas, l’intérêt collectif défendu est d’intérêt public. Dans certaines hypothèses, il y a corrélation entre l’intérêt défendu par le Parquet et celui défendu par l’association. Ce sont essentiellement les articles 2-1 et suivants du Code de procédure pénale, et plus précisément les articles 2-2 à 2-4, qui ouvrent les portes de l’action civile aux associations de lutte contre les discriminations, sous certaines conditionsNote1776. .
Le droit international pénal, quant à lui, est fermé tant aux individus qu’aux organisations non gouvernementales. Cependant, ce n’est pas pour autant qu’il leur dénie la qualité de victime. Si l’on se réfère au projet de règlement de la Cour pénale internationale sur la définition de la victime, ainsi qu’à la résolution 687 (1991) du Conseil de sécurité, on observe que certaines personnes morales sont considérées comme victimes. Mais cela se réduit aux sociétés commerciales et à certaines institutions et organisations.
Au-delà des artifices offerts par les droits sur les associations qui constituent un bon palliatif, l’émergence d’un statut juridique des communautés – victimes par le biais du droit des minorités pourrait présenter des avantages, sans exonérer pour autant de la création d’une structure juridique comme une association, mais qui aurait une autre portée en terme de prétentions.
Une telle idée s’insère dans un débat classique opposant individualisme et collectivisme, voire communautarisme. En droit international, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmesNote1777. , à l’origine de la création exponentielle d’Etats depuis les années 1950, a cédé à la promotion des minorités et à la reconnaissance de droits spécifiques. La prise en compte des minorités est antérieure, car le problème de leur statut se pose notamment lors de la redéfinition des frontières après la Première Guerre mondiale. Mais la souveraineté des Etats incluant des minorités s’oppose à l’ingérence d’Etats tiersNote1778. . Au début de la seconde moitié du 20ème siècle, peu d’instruments évoquent les minorités. Seule une obligation de non discrimination est affirmée. L’Assemblée générale des Nations Unies, dans une résolution 47/135 du 18 décembre 1992, semble consacrer les droits des minorités. Mais une fois encore, pas d’affirmation nette. Malgré quelques instruments ponctuels, la reconnaissance des minorités reste incertaineNote1779. . La Commission d’arbitrage pour la Yougoslavie, dans ses avis 1 et 2 de 1991 et 1992, a affirmé le principe « du respect des droits fondamentaux de la personne humaine et des droits des peuples et des minorités », ce qui est qualifié de « norme impérative du droit international coutumier » ; elle a également affirmé le droit des minorités « de voir leur identité reconnue »Note1780. .
Malgré ces avis, la réserve semble rester de mise. Dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’Homme, malgré l’article 14 interdisant la discrimination, fondée, notamment, sur l’appartenance à une minorité nationale, le système européen et surtout la Cour européenne des droits de l’Homme ne semblent pas prêts à reconnaître un statut aux minoritésNote1781. .
Selon le professeur Capotorti, « le fait d’attribuer des droits aux minorités et de leur donner ainsi la qualité de sujets de droits pourrait accroître les dangers d’antagonisme entre elles et l’Etat dans la mesure où les groupes minoritaires, en tant qu’entités, apparaîtraient investis d’un pouvoir de représenter les intérêts d’une collectivité particulière vis-à-vis de l’Etat représentant les intérêts de toute la population »Note1782. .
La doctrine est divisée sur les risques et les nécessités d’une reconnaissance d’un statut juridique aux minoritésNote1783. . Mais il ne s’agit pas de se prononcer exactement sur ce point. Pourtant, il lui est lié du fait de la proximité entre droits de l’Homme et crimes de droit international. Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité reposent avant tout sur la protection de l’intégrité physique et dans les cas du génocide, de la persécution et de l’apartheid, sur la protection d’un groupe spécifique. Ces crimes peuvent être autant appréhendés par l’intermédiaire des infractions les sanctionnant explicitement que par le biais du respect du droit à la vie ou par l’interdiction des traitements inhumains et dégradants des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, combinés avec l’article 14 de cette même convention relatif à la discrimination. A cet égard, il convient cependant de souligner la jurisprudence de la Cour EDH. Les minorités voient leurs droits garantis, notamment en rapport avec les articles 2 et 3, par la jurisprudence NachovaNote1784. .
Est également accepté le droit pour les minorités de constituer des associations afin de défendre leurs valeurs et intérêts communsNote1785. . Mais pour l’instant, la France possède une vision particulière au sein du Conseil de l’Europe de la place qu’elle doit accorder aux minorités.
La question centrale est alors celle de la reconnaissance exceptionnelle d’un statut de la minorité ou du groupe – cible, en tant que tel, comme victime ayant un statut juridique, afin de poursuivre de tels crimes. Cette question renvoie à celle de l’attribution du statut de sujet de droit.
Le droit international pénal, par référence, entre autres, à la conception anglo-saxonne du procès pénal, relègue la victime à la place de témoin. Or, une minorité ne peut être témoin directement. Seuls ses membres peuvent l’être. Mais la minorité, ensemble physique et spirituelle, nécessite pour des raisons évidentes l’existence d’une structure juridique afin d’identifier les représentants en charge de son intérêt. Les minorités peuvent donc agir par le biais des associations. Il faudra alors qu’outre son intérêt propre, la minorité, représentée par le biais d’une association, puisse se substituer à chacun de ses membres et donc à l’intérêt individuel de chacun pour obtenir les réparations adéquates. Elle devra être alors mandatée par chacun des membres en ce qui le concerne personnellement.
La minorité, que ce soit en droit français ou en droit international, n’est pas un sujet de droit. Contrairement à l’Etat qui est une structure juridique permettant la sujétisation du peuple ou de la nation, la minorité reste un concept intellectuel ou géopolitique. Sans l’intervention d’une fiction juridique, comme l’association dont l’équivalent n’existe pas réellement en droit international, elle ne peut prétendre à être un sujet de droit.
Après avoir envisagé les individus, en eux-mêmes et par l’intermédiaire de la notion de communauté – cible, il convient de les envisager sous l’angle structurel de l’Etat.
Derrière l’Etat se trouvent les individus, le peuple, la nation, une société, voire un groupe spécifiquement homogène. Ce sont avant tout eux, les victimes. L’Etat, qui est la structure politique et juridique dont s’est doté un peuple ou une nation, ne devient pas moins une personne morale, sujet de droit.
Ce statut s’exprime et se perçoit principalement dans les activités de l’Etat, tant en droit interne qu’en droit international.
L’action de militaires français peut porter préjudice à un Etat étranger, il convient alors de vérifier son statut de victime. Le droit international, par essence interétatique, confirme son statut de sujet. Il semble suggérer une réponse claire avec la notion d’Etat lésé contenue dans le dernier projet d’articles de la Commission du droit international de 2001.
La lecture des différents articles de ce projet, de la jurisprudence et le statut de l’Etat dans le droit international public suffisent à conclure qu’il est une victime et un sujet de droit. Le système international réglant les relations interétatiques, il est le droit des Etats.
Le dernier projet de la Commission du droit international de 2001, dans ses articles 42 et suivants, utilise la notion « d’Etat lésé »Note1786. . Dans le commentaire de la partie consacrée à la notion, la Commission précise que c’est une notion « centrale dans l’invocation de la responsabilité. Elle s’applique à l’Etat dont le droit a été nié ou compromis par le fait internationalement illicite, ou qui a été, d’une autre manière, particulièrement affecté par ce fait »Note1787. . Mais au-delà de la victime directe, les articles 42 et 48 prévoient une hypothèse où tous sont concernés, soit parce qu’appartenant à un groupe, soit parce que l’obligation est jugée essentielle pour la communauté internationale. Dans ce second cas, un lien est établi avec les notions de droit impératif et de jus cogens.
Pour être victime, les Etats devront avoir vu violer une obligation qui leur est due. L’Etat lésé, au sens de l’article 42, est celui qui est habilité à engager tous les recours énoncés dans le projet d’articles, ce qui comprend la saisine d’un organe juridictionnel, mais également la possibilité de contre-mesures, sur le fondement de l’article 49Note1788. .
L’article 42 définit l’Etat lésé comme celui ayant subi la violation d’une obligation qui lui est due, ou bien comme ayant subi la violation d’une obligation due à un groupe d’Etats dont il fait partie. La dernière hypothèse concerne la violation d’une obligation due à la communauté internationale dans son ensemble, ce qui renvoie vraisemblablement à la notion de jus cogens, terme que la Commission du droit international n’emploie pas dans son commentaire.
L’article 48, relatif à l’invocation de la responsabilité par un Etat autre que l’Etat lésé, prévoit le cas de l’invocation de la responsabilité de l’Etat à l’origine de la violation, entre autres si l’obligation est due à la communauté internationale dans son ensemble. Cet article opère une distinction entre la victime directement concernée par les faits et les victimes « secondaires », membres de la communauté internationale. Cette distinction semble en contradiction avec l’article 42 qui paraît classer cette seconde catégorie dans celle des « Etats lésés ». Malgré cette ambiguïté rédactionnelle, il semble pourtant qu’il faille distinguer la victime directe et la communauté internationale, victime lors de violations d’obligations impératives. En ce cas, chaque Etat membre de la communauté internationale est une victime en tant que telle.
Le commentaire de l’article 48 fait le lien entre les violations d’obligations essentielles pour la communauté internationale et la décision Barcelona Traction de 1970, rappelant que les juges disposent que tous les Etats ont un intérêt juridique à ce que ces obligations soient respectéesNote1789. ; ce qui concerne entre autres le génocide, l’agression, l’esclavage et les politiques discriminatoiresNote1790. .
Le professeur Sicilianos propose de distinguer en fait les Etats individuellement lésés de ceux non individuellement lésésNote1791. . Il différencie ensuite les obligations bilatérales, des obligations erga omnes de celles erga omnes partes ; ces dernières seulement correspondraient à des obligations dues à la communauté internationaleNote1792. .
Les articles 42 et suivants ne s’attachent pas à préciser le statut de victime de l’Etat, cela est fait implicitement. Ces articles sont essentiellement consacrés à la mise en œuvre de la responsabilité internationale, ce qui suppose à la fois le statut de victime et celui de sujet du droit international. L’article 42 ne s’attache pas non plus à définir les notions de capacité et d’intérêt à agir. La notion d’Etat lésé semble englober le tout. Seule la notion de préjudice, entre autres définie à l’article 31, peut venir préciser la notion d’Etat lésé.
Les professeurs Combacau et Sur parlent de l’Etat comme sujet initial du droit international. L’Etat aurait un statut propre. Il est une personne morale et c’est en cette qualité que le droit international « le contemple et le traite »Note1793. . Pour ces mêmes auteurs, le statut de sujet de droit de l’Etat s’apprécie par rapport aux systèmes juridiques entre lesquels il assure la jonction, c’est-à-dire les systèmes internes et internationauxNote1794. .
L'Etat possède la personnalité juridique internationale ainsi qu'un certain nombre d'attributs légauxNote1795. . Il est une personne morale agissant par ses organes et sujet de droit internationalNote1796. . Il en est un sujet immédiat. Il est le destinataire de la plupart des normes internationales. Cette personnalité juridique découle de la souveraineté de l'Etat qui a la capacité d'agir internationalement. C'est parce qu'il est souverain qu'il dispose d'une liberté de choix dans ses comportements et qu'il est responsable.
Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, qui trouvent une résonance dans les violations d’obligations découlant de normes impératives du droit international général, atteignent deux types de victimes, les individus et l’Etat. Mais au-delà de ces deux sujets de droit, il semble que deux autres entités puissent être considérées comme victimes : l’humanité et la communauté internationale.
L’idée d’une société internationale émergente, la modification du système international et la montée de l’Homme s’opposant à l’Etat et lui confiscant une partie de son domaine d’intervention au détriment d’une vision absolutiste de sa souveraineté, incitent à s’interroger sur la constitution de valeurs dépassant à la fois l’Homme et l’Etat. L’interrogation est loin d’être récente et des réponses existent déjà, mais l’affranchissement de l’Homme des limites juridiques posées par l’Etat renouvelle ces réflexions sur le terrain juridique et politique. Essentiellement, on peut se demander si face à l’Etat n’apparaît pas une entité à la fois immatérielle et physique, au-delà de l’Homme et des hommes, protégée par le biais des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité : l’humanité. La notion de communauté internationale semble alors constituer un corollaire de la notion d’humanité, dans le domaine interétatiqueNote1797. .
De manière sous-jacente et au-delà des essais théoriques et sémantiques sur l’humanité et sur la communauté internationale, se pose le problème de la relation de l’homme, en tant qu’individu, au groupeNote1798. .
Parmi les crimes contre la paix et la sécurité, deux se distinguent par les valeurs très particulières qu’ils protègent : le crime contre l’humanité et le génocideNote1799. . L’Homme est alors placé au centre de l’intérêt protégé, non pas pris individuellement, ni pris uniquement physiquement, mais en tant que valeur et maillon d’un ensemble physique et intemporel.
Une autre notion apparaît, cette fois-ci spécifique à la sphère internationale, celle de communauté internationale. Elle est liée à la notion de jus cogens. Tant la jurisprudence de la Cour internationale de JusticeNote1800. que les projets d’articles de la Commission du droit international y font référence.
Il convient alors d’envisager sucessivement le qualité de victime de l’humanité (sous-section 1ère) et celle de la communauté internationale (sous-section 2nde).
Contrairement à l’Etat et à l’individu, l’humanité est une entité en voie de juridicisation. Appréhendée par le droit, elle ne possède pas encore de statut juridique défini.
Le terme « humanité » provient du latin humanitas. Dans une acception philosophique et théologique, ceci renvoit à la nature humaine. Mais dans un sens qualifié de courant, cela peut désigner un sentiment de bienveillance ou de compassion envers son prochain. Il peut encore s’agir du genre humainNote1801. .
Dans le dictionnaire de l’Académie FrançaiseNote1802. , il est précisé que humanitas, la racine latine signifie « nature humaine, bienveillance, culture ». Le dictionnaire poursuit en distinguant quatre acceptions. La première désigne la nature propre de l’homme, ce qui caractérise l’espèce humaine, par opposition à l’animal. Dans une deuxième acception est synonyme d’ensemble des hommes. Enfin, les deux sens suivants renvoient au sentiment de bienveillance et à l’étude des humanités.
Ce dernier dictionnaire fait référence au crime contre l’humanité et le classe dans le deuxième sens. Il reste alors à savoir si l’ensemble des hommes se limite à la simple agrégation ou si cela traduit également une communauté d’esprit, un ensemble métaphysique, transtemporel. Voyons successivement quelques approches littéraires et philosophiques de la notion (§ 1er), avant d’en voir l’aspect juridique contemporain (§ 2nd).
La littérature sur le thème de l’humanité et des crimes contre l’humanité est d’une réelle profusion. Sans en détailler le contenu, on peut cependant voir apparaître certaines convergences. L’écrivain Stefan Zweig a écrit un ouvrage, en 1939, intitulé en allemand, Sternstunden der Menscheit qui est paru récemment sous le titre Les Très riches heures de l’humanité. Il semble que l’auteur considère l’humanité comme l’ensemble des hommes, vivants et morts, voire à venir, dans une perspective de continuité, s’enrichissant perpétuellement, formant un tout, au-delà de l’importance de chacunNote1803. . Cette vision semble se rapprocher de celle de Pascal, qui définit l’humanité comme « un même homme qui subsiste toujours et qui s’instruit continuellement »Note1804. .
Ce sont les stoïciens qui ont posé le fondement général de l’humanité à partir d’une civitas maxima universelle, qui comprend tous les éléments de l’universNote1805. . Cette Kosmopolis se caractérise par une interconnection de tous les éléments vivants et dépasse les communautés humaines, artificiellement créées. Les stoïciens nient l’espace physique et temporel. L’homme, conscient de cela, surpasse l’Etat et se place face à l’homme, échappant aux affres de la loi dont la maîtrise et la création lui sont confisquées. Mais si une loi émerge des rencontres entre les hommes, c’est qu’elle est inscrite dans leur destinée commune. Le rapport à l’universalité est souvent soulevé, notamment dans le domaine des droits de l’Homme. M. Waltzer dit notamment : « notre humanité commune ne fera jamais de nous les membres d’une seule et même tribu universelle. Car le caractère commun le plus important de l’humanité est le particularisme »Note1806. . Et de poursuivre en soulignant que la notion d’humanité, telle qu’elle ressort du droit international, ne correspond pas à celle que s’en font les stoïciens. C’est uniquement l’humanité contenue dans la personne humaine et pas l’humanité dans son entier qui est retenueNote1807. . Avec l’émergence du droit international pénal et avec une juridiction internationale pénale permanente, il semble que cette vision commence à émerger, surpassant les contraintes étatiques.
La doctrine stoïcienne s’est trouvée maintes fois soutenue à travers les siècles, notamment par Kant, dans son Projet de paix perpétuelle et avec son droit cosmopolitique, ou bien encore par Hans Jonas qui semble opposer à l’humanité, le caractère éphémère et périssable de l’homme pris individuellement et qui voit dans l’humanité « une solidarité d’intérêt avec le monde organique », estimant que l’homme doit adopter un comportement en conscience de l’avenir de l’humanitéNote1808. .
Dans la pensée chrétienne, la double nature du Christ, spirituelle et temporelle, conforte cette vision dualiste de l’homme en tant qu’entité charnelle, éphémère et périssable, et comme élément atemporel et transtemporel. La vie de l’homme extraordinaire s’achève avec la mort du corps, mais ses actions viennent enrichir l’histoire, ce que Goethe appelle « l’atelier mystérieux de Dieu » et le patrimoine, tant intellectuel que physique des hommes, se plaçant dans une continuité, achevant les œuvres antérieures et préparant aux œuvres postérieures.
Cette double exigence physique et spirituelle est corroborée par les écrits de Francisco Vitoria, lors de la découverte des Amériques. Dans son ouvrage, De Indis, il considère que les Indiens appartiennent à la race humaine, à la societas gentium, expression de l’unité fondamentale du genre humain, car ils possèdent une âme. Par conséquent, ils sont sujets du jus humanae societatis, ou jus gentium, émanation du droit naturelNote1809. .
L’approche de Vitoria est à replacer dans sa vision du jus gentium. On peut observer aujourd’hui un renouveau de cette théorie chez certains auteurs, mettant au centre de l’ordre juridique international l’humanité, ouvrant alors la porte à sa saisine par le droitNote1810. .
L’humanité tend à être reconnue comme une victime, mais elle ne semble pas encore constituer un sujet de droit.
Le professeur Carrillo-Salcedo voit dans la consécration de l’humanité par le droit international, la consécration des « intérêts communs à tous les hommes », ce qu’il semble assimiler au bien commun universelNote1811. . Et il ajoute que la notion est incertaine et appartient à « l’imaginaire des nations ». Selon lui, elle désigne « la solidarité et l’interdépendance des peuples [et] elle y ajoute une dimension transtemporelle, en englobant les générations passées, présentes et futures »Note1812. .
La notion de crime contre l’humanité vise à sanctionner tout acte « déshumanisant » les victimesNote1813. , c’est-à-dire niant le caractère humain de la cibleNote1814. . Mais en sanctionnant divers actes jugés inhumains et barbares, c’est également le manque d’humanité du criminel qui est sanctionné. Cette première approche présente l’intérêt de mettre en adéquation les termes « crimes » et « humanité » de l’expression crime contre l’humanité, si on retient la définition du terme « crime » au 12ème siècle et qui est toujours d’actualité selon le dictionnaire de l’Académie Française et qui signifie « manquement grave à la morale ».
La sanction de la double atteinte à l’humanité, que l’on peut voir dans la notion de crime contre l’humanité, à savoir négation de l’humanité du criminel et négation de l’humanité de la victime, est confirmée par Mme Lejbowics pour qui l’humanité « n’est pas une qualité propre à un seul homme, elle inclut l’homme dans sa relation avec l’autre, présence psychique permanente, car c’est avec l’autre et par l’autre qu’elle se révèle dans un jeu relationnel jamais achevé »Note1815. .
Pour M. Jurovics, l’acte déshumanisant peut l’être dans le corps et dans l’espritNote1816. . Et lorsqu’il définit l’acte déshumanisant comme celui qui a pour objectif d’annihiler la spécificité des hommes, il ne fait que faire disparaître l’élément qui distingue l’homme de l’animal. Ce même auteur place également au centre de sa réflexion la notion de dignité humaine, s’étonnant de son absence dans les travaux à ce sujetNote1817. .
L’humanité bénéficie d’une définition relativement acceptée par tous, porteuse d’une certaine éthique, faite de considération envers autrui et envers les générations à venir. Reste à savoir si cette notion qui transcende les Etats et les hommes trouve une place dans le droit.
Pour M. Verny, « l’humanité n’apparaît pas comme un sujet de droit distinct de ceux qui la composent mais comme un intérêt protégé au service de la personne humaine »Note1818. . Il ajoute que, saisie par le droit, elle constitue une nouvelle catégorie juridiqueNote1819. . « L’humanité apparaît comme un intérêt spécifique au service de la personne »Note1820. .
Les auteurs semblent diverger sur ce point. Le professeur Carrillo-Salcedo admet que la notion n’est pas « sans signification définie en droit positif »Note1821. . Mais il lui refuse clairement « la personnalité juridique qui lui permettrait de faire valoir ses droits »Note1822. . Pour Mme Lejbowicz, l’humanité est une personne de droitNote1823. , notamment lorsqu’elle est contenue dans l’expression de crime contre l’humanité. Mais chez cet auteur, l’humanité telle que retenue par le droit est différente de celle retenue par la philosophie et se réduit à l’humanité contenue dans l’homme. Pour le professeur R.-J. Dupuy, ce serait un objet de droitNote1824. .
Pour se prononcer, il faut distinguer l’humanité en tant qu’entité immatérielle, cet ensemble décrit par les stoïciens, et sa matérialisation immédiate qui s’incarne dans les hommes. A l’évidence, la première constitue un objet de réflexions et un objet du droit, une valeur centrale à prendre en considération. Mais sa protection et sa conservation ne pouvant passer que par ses éléments matériels, les hommes vivants, seuls ces derniers peuvent être alors vecteur, pour elle, d’un statut autre. Et lorsque Mme Lejbowicz constate que le droit ne retient l’humanité qu’au travers des hommes, on ne peut qu’ajouter que cela répond à un impératif réaliste. L’humanité, prise dans sa seconde acception, c’est-à-dire consubstantielle aux hommes, possède alors à ce titre un statut autre, lié à celui donné aux hommes. Elle est alors indirectement sujet de droit, passif ou actif selon les systèmes juridiques. Et elle est victime lorsque eux le sont. On pourrait alors appliquer à l’individu la théorie du dédoublement fonctionnel de Scelle et des raisonnements de RazNote1825. . Agissant pour faire sanctionner des crimes contre la sécurité de l’humanité, l’individu agirait à la fois pour lui et pour toute l’humanité.
La difficulté d’une réflexion, si approfondie soit-elle, sur l’humanité – victime et objet de droit, réside dans l’appréciation de l’éthique qu’elle porte en elle. Les deux grands systèmes de pensée qui s’opposent, raison pure et utilitarisme, en sont significatifs. On ne peut qu’esquisser les questions révélatrices de cet état de fait, à savoir ce qui est bien pour l’humanité, quels sont les moyens d’y parvenir, qui peut la défendre et en définir les objectifs et l’éthique. Victime, elle l’est assurément au regard du droit actuel ; sujet de droit, elle ne l’est qu’indirectement.
A côté de cette notion, qui relève du mythe prophétique selon R.-J. DupuyNote1826. , se rattache la notion de communauté internationale, l’incarnantNote1827. .
Les projets d’articles relatifs à la responsabilité internationale de l’Etat font référence à la communauté internationale et plus précisément aux violations d’obligations essentielles à la communauté internationale dans son ensemble. Ce qui constitue désormais une référence au jus cogens. La jurisprudence internationale, le préambule du statut de la Cour pénale internationale notamment, s’y réfèrent égalementNote1828. . Le professeur Dupuy en retrace les phases historiques, passant des déclarations politiques aux affirmations dans les traités, les jurisprudences et les travaux de la CDINote1829. . Le sujet devient, selon lui, un pont aux ânes, incontournableNote1830. . Refusant de se ranger entièrement à l’opinion tranchée du professeur Weil, « la communauté internationale, as such, n’existe pas, elle n’est pas autre chose qu’une fiction commode, derrière laquelle les Etats se plaisent à s’abriter pour échapper à leurs responsabilités »Note1831. , il relève le caractère de fiction juridique, utile, de la notion. Il établit clairement le lien entre la communauté des Etats dans son ensemble et le jus cogens. Il lui reconnaît trois caractéristiques, tout d’abord étatique, titulaire de droits fondamentaux et en extension, vers les notions de peuple et d’opinion publique, c’est-à-dire vers une « société civile internationale », établissant un rapport avec l’humanitéNote1832. .
Cependant la composition de cette communauté internationale reste indéfinie. Généralement, elle est présentée comme incluant tous les Etats, notion alors proche de celle de société internationale, mais présentant un lien communautaire, un sentiment de proximité, voire de destin communNote1833. . Pour le professeur Dupuy, la communauté internationale est rivée aux Etats, « entre lesquels elle marque le stade ultime de la coopération solidaire »Note1834. . La décision Barcelona Traction de la CIJ confirme la limitation de la communauté internationale aux Etats :
« une distinction essentielle doit en particulier être établie entre les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d’un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats. Vu l’importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ; les obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes ».
Cependant, à cette vision classique, on peut se demander s’il n’en correspond pas une nouvelle, incluant dans la communauté internationale les individus, surtout depuis qu’ils font concurrence à l’Etat dans le système international. En effet, le préambule du statut de la Cour pénale internationale mentionne les crimes affectant la communauté internationale, alors qu’elle n’est compétente que pour les crimes commis par des individus contre des individus.
Le terme « crime » utilisé par R. Ago fut associé à la notion de communauté internationale. Or, si l’on retient la définition du dictionnaire de l’Académie Française, selon laquelle ce terme signifie un manquement grave à la morale, on peut établir un lien entre la communauté internationale et une certaine morale. La communauté ne serait donc pas qu’une addition des Etats, elle serait également un esprit.
La Commission du droit international, dans son commentaire du projet de 2001, distingue les normes impératives et les obligations envers la communauté internationale. Les secondes « sont axées sur l’intérêt juridique qu’ont tous les Etats à leur respect »Note1835. . La Commission semble donc circonscrire la communauté internationale aux seuls Etats.
Le professeur R.-J. Dupuy détaille les principales thèses sur la communauté internationaleNote1836. . S’il est difficile de définir la communauté internationale, c’est que son existence même est contestée, car il n’existerait pas d’esprit de communauté entre les Etats, essentiellement, si l’on peut résumer, pour des raisons de realpolitikNote1837. .
Pour certains juristes, la notion de communauté internationale sous-entend la communauté juridique fondée sur le fait que tous les Etats sont soumis à un même droitNote1838. . Cette conception, empreinte d’un positivisme certain, présente l’avantage de couper court aux critiques, mais présente le risque d’évacuer son essence intellectuelle.
Si l’on se réfère au dictionnaire de l’Académie Française, on peut remarquer que dans toutes les acceptions retenues, la communauté suppose le partage d’un élément commun, d’un projet commun entre les membres. C’est pourquoi, si l’on accepte l’idée de l’existence d’une communauté internationale, largement reconnue dans les instruments internationaux et dans les discours, on peut critiquer son caractère fictif, c’est-à-dire englobant tous les Etats. Il pourrait y avoir des Etats en dehors d’elleNote1839. .
L’existence de cette communauté est à l’origine d’une transformation de la nature du droit international, mais aussi de l’acceptation de l’existence de règles d’ordre publicNote1840. . Le droit des gens, le jus cogens, le droit impératif, les obligations erga omnes sont autant de références à cet ordre public, à ce partage de valeurs. Encore faut-il que derrière les mots se cache une réelle volonté. Le professeur Weil se méfie de la séduction opérée par la notion de jus cogens et qui est sans nul doute à l’origine de l’émergence d’une communauté internationale qu’il qualifie de notion vagueNote1841. . Tout cela découle du développement des liens et des interdépendances entre les Etats. C’est l’une des conséquences de la globalisation.
Selon le professeur Carrillo-Salcedo, des expressions comme « intérêt de l’humanité toute entière », « communauté internationale des Etats dans son ensemble », « patrimoine commun de l’humanité » expriment une idéologie qui « consiste principalement à envisager la société internationale comme une collectivité humaine unique »Note1842. . Il établit un lien entre l’humanité et la communauté internationale. Selon lui, « la référence à l’humanité tend à substituer la vision d’une communauté interdépendante et solidaire à celle de la société internationale classique, atomisée et fractionnée »Note1843. . Et il ajoute que « la notion d’humanité élargit encore la perspective car, si elle désigne, comme la communauté internationale, la solidarité et l’interdépendance des peuples, elle y ajoute une dimension transtemporelle »Note1844. .
Le professeur R.-J. Dupuy la qualifie de concept actuel, réservant également cette transtemporalité à l’humanité. Mais il précise également que « la communauté internationale ne rassemble pas que des gouvernements mais avant tout des hommes groupés dans des systèmes socioculturels »Note1845. . Pour autant, il n’est pas évident d’affirmer l’inclusion de l’homme dans cette communauté, malgré son immixtion dans le cercle des sujets du droit international. Si derrière les Etats, ce sont bien des hommes qui sont présents et qui leur impulsent leurs volontés, il semble prématuré de classer l’individu en son sein. L’humanité semble être son complément, comme le suggèrent le professeur R.-J. Dupuy et certains autres auteursNote1846. .
La violation de certaines normes impératives ou d’obligations essentielles à la communauté internationale dans son ensemble incite alors à s’interroger sur le statut de la communauté internationale dans le système juridique international. Est-elle sujet de droit et par conséquent titulaire direct de droits et obligations internationaux ?Note1847.
D’après les professeurs Daillier et Pellet, il y aurait une reconnaissance progressive d’une « certaine personnalité juridique de la communauté des Etats »Note1848. . Il existerait tout d’abord des obligations envers cette communauté, comme le soulignent le traité de Vienne de 1969, les projets de la Commission du droit international ou encore le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, dans son arrêt du 29 octobre 1997, Blaskic. Mais les auteurs soulignent les hésitations entre l’emploi de « communauté » ou du terme « d’humanité ». Ils parlent alors de « sujet mineur ». Le professeur P.-M. Dupuy lui reconnaît des droits fondamentauxNote1849. .
La définition des intérêts de cette communauté et de sa protection font également l’objet d’interrogations. Dans certains cas, une organisation peut être chargée de sa protection, mais cela présente le risque d’une confusion entre les deux. La communauté internationale présente un aspect de temporalité et d’actualité, contrairement à la notion d’humanité. Chaque Etat, si l’on se réfère au dernier projet d’articles de la Commission du droit international, lorsque certaines obligations essentielles sont violées peut agir, avec le risque d’une appréciation purement subjective de cet intérêt. Le Conseil de sécurité de l’ONU présente également un titre à intervenir. Est-ce là encore un mythe, une simple incarnation de l’humanité, sur un plan plus réduit ? Cela est difficile à dire. Mais la communauté des Etats semble présenter une certaine coïncidence avec l’humanité, car on ne voit pas pourquoi le destin et les valeurs essentielles des Etats, c’est-à-dire des hommes les composant, ne coïncideraient pas avec ceux des hommes, affranchis des Etats.
Les victimes et surtout les sujets de droit une fois identifiés, les poursuites des crimes peuvent avoir lieu. Mais au-delà de la reconnaissance de ces statuts, la possibilité de poursuites est conditionnée par l’intérêt et la qualité à agir qui peuvent différer d’un système juridique à un autre.
Le déclenchement des poursuites marque le début de l’instance. Si l’expression est plus caractéristique du domaine pénal, elle sera également utilisée en matière administrative et internationale car elle recouvre la même signification et les mêmes conséquences.
Il s’agit alors, pour un sujet de droit ayant qualité et intérêt à agir, de saisir la juridiction compétente afin d’enclencher le processus judiciaire. Une double distinction est à opérer, à la fois entre le domaine pénal et le domaine civil et entre le système juridique international et système juridique français. Dans les systèmes pénaux retenus, il existe toujours un ministère public en charge des intérêts de la société, qui agit par le biais de l’action publique. En revanche, la victime est exclue de ce type d’action. Seule une action civile lui est réservée ; le système français permet de la lier à l’action publique, si la victime le souhaite. Mais telle n’est pas l’option retenue tant en droit international pénal que dans d’autres systèmes comme le système allemand, par exempleNote1850. , ou bien encore dans les systèmes anglo-saxons. Devant les juridictions internationales pénales comme devant certaines juridictions nationalesNote1851. , la victime n’est qu’un témoin, bénéficiant d’un certain nombre de droits. Pour autant, devant les deux types de juridictions, un droit à indemnisation par les juridictions répressives n’est pas totalement exclu. L’article 68§ 3 du statut de la Cour pénale internationale prévoit que « lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées et examinées (…) ». Et l’article 75 surtout envisage la réparation en faveur des victimes. Après avoir entendu la victime, si elle le souhaite, la Cour peut décider d’une indemnité accordée au titre de la réparation et versée par l’intermédiaire du Fonds prévu à l’article 79.
Les juridictions pénales françaises et internationales divergent sur le rôle de la victime, réduisant sa capacité à agir pour déclencher l’action ; en revanche, du point de vue de l’action civile, si les modalités diffèrent, la substance est relativement identique.
Concernant l’aspect étatique de la répression de tels crimes, la juridiction administrative peut être saisie tant par un individu que par un Etat ; en revanche, la procédure devant la Cour internationale de Justice relève uniquement des Etats.
Dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, l’intérêt violé est tel que la poursuite des suspects est monopolisée par les Etats et leurs représentants. Les Etats, représentants des sociétés internes et, dans une certaine mesure, de la société interétatique, possèdent donc un statut plus élevé que les individus, consacrant ainsi l’inégalité qui existe entre les intérêts personnels et les intérêts sociaux. De cette inégalité dans l’action (section 1ère) naît une interrogation sur la nécessité d’instaurer un véritable régime dérogatoire au droit commun (section 2nde).
Il convient d’opérer une double distinction. D’une part, celle entre les systèmes stato-centrique et anthropo-centrique ; d’autre part, parmi les systèmes qui admettent les recours individuels et ceux qui les refusent. Le système international et le système français offrent des solutions totalement différentes. Les systèmes nationaux sont ouverts à l’homme, contrairement au système international, qui le maintient dans un statut de personnalité passive. L’Etat, quant à lui, possède un statut actif dans les deux systèmes. Le professeur Carrillo-Salcedo parle de « processus d’humanisation » commençantNote1852. . M. Kolliopoulos y voit un signe d’archaïsme du droit international créé à une époque où ce dernier n’était qu’interétatique, ce qui est notamment vrai pour le droit international humanitaire, même revu en 1977Note1853. . Aujourd’hui, l’individu se rapproche de l’Etat dans la sphère internationale. On peut se demander si ce droit ne devrait pas répondre davantage à la nouvelle configuration des rapports Homme – Etat.
Le statut de victime est subordonné à l’existence d’un dommage et de sa traduction juridique subjective : le préjudice. Ce dernier conditionne alors l’intérêt à agirNote1854. , qui doit encore être distingué de la qualité pour agir.
En matière de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, si l’individu, victime directe, possède indéniablement un intérêt à agir, les valeurs violées le dépassent. Il revient alors à une entité autre, qui se réduit en fait à l’Etat, d’intervenir. Le trouble causé à la société relève ainsi de la protection et de l’intervention étatique, en droit pénal et en droit international. La notion de jus cogens et les violations d’obligations de l’article 42 du dernier projet de la Commission du droit international le confirment. La jurisprudence internationale va également dans ce sensNote1855. .
Une fois l’intérêt à agir identifié et retenu comme plausible par le juge, il reste à déterminer l’existence de la qualité à agirNote1856. , conditionnée par cet intérêt mais également par la possession du statut de sujet de droit.
Dans les contentieux pénal français et international, l'action du ministère public constitue l'archétype de l'action attitrée. Dans les contentieux répressifs, on observe une omniprésence de l'Etat. Dans le domaine criminel, qui nous intéresse, l'action publique appartient au ministère public.
Le caractère des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, tant dans leur acception individuelle qu’étatique, privilégie, dans le cadre de la poursuite, l’Etat, en tant que défenseur de l’ordre social, par le biais de l’action attitrée (sous-section 2nde), reléguant le plus souvent la victime à un statut secondaire, mais ne l’excluant pas pour autant, notamment dans le domaine civil (sous-section 1ère).
Le droit d’action est un droit fondamental, reconnu par divers instrumentsNote1857. , comme les articles 5§ 3, 6§ 1 et 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme, en matière civile et pénale, reconnu par les juridictions judiciairesNote1858. et administrativesNote1859. , ainsi que par le Conseil constitutionnelNote1860. .
Ce serait, si l'on se réfère à la définition donnée par l'article 30 du nouveau code de procédure civile : « le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée ». Un second alinéa déclare que « pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter du bien-fondé de cette prétention ». Cette définition de l'action est identique, ou pose les mêmes postulats, en droit répressif, selon MotulskyNote1861. . Le terme « action » est certes contenu à l'article 1er du Code de procédure pénale, mais il ne signifie pas la même chose qu'en droit civil. Il ne s’agirait que d'une démarcheNote1862. .
En droit administratif, on ne trouve pas cette notion de droit d'action, mais celle de recours, qui serait l'équivalent d' « action » en droit pénal. Dans les conditions de recevabilité du recours, on trouve des conditions relatives au requérant (capacité, représentation et intérêt donnant qualité à agir) ainsi qu’à la forme et au délai. En droit administratif et en droit pénal, l'action semble assimilée à la demandeNote1863. .
La nature de l'action est controversée ; pour certains ce serait un droit subjectifNote1864. , et pour d'autres, une liberté ou un pouvoirNote1865. . L'article 31 du nouveau code de procédure civile déclare que possèdent ce droit d'action « ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet de la prétention », sous réserve « des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé ».
Le droit d’action concerne deux types de sujets : l’individu et l’Etat. Le thème de la poursuite des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité peut être traité de deux manières différentes ; soit en plaçant l’individu en son centre, en ce cas, dans le domaine nous intéressant, on peut constater l’exclusion de l’individu, car les systèmes pénaux se caractérisent par l’existence d’une action attitrée monopolistique au profit des représentants de l’Etat et seul le droit administratif français est ouvert à l’individu ; soit dans une perspective systémique, on oppose système français et système international, en ce cas, on peut observer que le premier est relativement ouvert, mais uniquement pour les actions civiles, alors que le second exclut totalement l’individu et n’est ouvert qu’à l’Etat et aux représentants de la société internationale. La reconnaissance d’une compétence universelle des juridictions nationales venant, le cas échéant et en fonction d’autres critères, alimenter la pratique du forum shopping.
On doit relever l’existence d’une exception, celle de la commission d’indemnisation des Nations Unies pour le conflit Irak – Koweït. Les individus possèdent la faculté d’obtenir par cette commission une indemnité les concernant personnellement. Il faut cependant signaler que leur requête ne peut être transmise que par leur Etat. Cette intervention ne serait que fonctionnelle. Il ne s’agirait pas ici, pour certains auteurs, d’une protection diplomatique, mais d’une véritable innovation ouvrant la responsabilité internationale aux individusNote1866. .
Si, dans le système juridique français, la qualité de victime, l’intérêt à agir et la qualité pour agir sont en général liés, donnant une impression de globalité, ceci doit être nuancé en droit pénal au regard du rôle du parquet. Dans le système international pénal, une telle affirmation est d’emblée écartée du fait de la nature du système encore largement marquée par l’interétatisme. A un système français, relativement ouvert (§ 1er), s’oppose donc un système international, exclusif de l’individu (§ 2nd).
L’individu – victime n’a qualité pour agir que devant les juridictions administratives, civiles et criminelles, mais dans ce dernier cas uniquement pour l’action civile. Les exigences de la procédure administrative sont similaires à celles de la procédure civileNote1867. . Il convient d’envisager successivement le droit d’action de la victime en droit pénal (A), puis en droit administratif (B).
La reconnaissance très large de la qualité pour agir de l’individu – victime dans le système français est liée à son statut de sujet actif de ce même système. Dans le système pénal français, de droit commun ou militaire, la victime ne peut qu’être à l’origine d’un dépôt de plainte, les poursuites sont alors engagées par le parquet ; l’action de l’individu est circonscrite à l’aspect civilNote1868. . Il convient alors de bien distinguer la constitution de partie civile de la plainte avec constitution initiale de partie civile. En outre, le cercle des personnes habilitée à agir est réduit par l’assistance obligatoire d’un avocat.
En droit pénal, la plainte avec constitution initiale de partie civile auprès du juge d’instruction constitue un moyen de forcer les autorités judiciaires à agir et le procureur à poursuivreNote1869. . Le principe de l’action civile, au regard de l’article 6§ 1 de la convention européenne des droits de l’Homme, a pour objectif de préserver les droits des victimes et la place qui leur revient dans le cadre des procédures pénalesNote1870. . A cet égard, il est intéressant de constater que la Cour européenne des droits de l’Homme, s’appuyant sur une jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, considère l’action civile française comme une action qui peut avoir une fin uniquement répressive, car la juridiction française a admis une telle action de la part de la victime, cette dernière ayant décidé de ne pas user de la faculté de demander réparation de son préjudice. Un auteur admet cette faculté, y voyant un moyen de corroborer l’action publique, mais il affiche son scepticisme sur cette interprétation uniquement répressive de l’action ainsi engagéeNote1871. . Et de poursuivre en s’interrogeant sur l’existence d’un droit civil de l’individu à participer à une procédure juridictionnelle en qualité de partie. En ce cas, la seule présence de la partie civile est constitutive de la réparation souhaitée. Une réparation morale, précise-t-il, « non réductible à la vengeance »Note1872. . Mais l’effet, que l’on pourrait qualifier de pervers au regard du droit pénal procédural classique, en ce cas, n’est-il pas d’entrouvrir un droit à action individuelle en matière pénale, forçant le parquet à poursuivre et abolissant le principe de l’opportunité des poursuites. Surtout, cet effet pervers ne constitue-t-il pas un déplacement de l’intérêt de la société vers l’intérêt individuel de la victime ? Cependant, la Cour européenne distingue clairement partie civile et parquet, considérant qu’ils ont des rôles et des objectifs clairement distinctsNote1873. .
En ce qui concerne la poursuite des ministres devant la Cour de Justice de la République, l’article 13 de la loi organique du 23 novembre 1993 ne permet pas de se constituer partie civile devant cet organeNote1874. . Les victimes peuvent en revanche saisir le juge de droit commun pour obtenir réparationNote1875. . La Haute Cour de Justice, quant à elle, ne peut être saisie que par le Parlement. Ce dernier dispose alors de l’opportunité des poursuitesNote1876. .
Dans de telles hypothèses, y a-t-il atteinte au droit d’accès à un tribunal, tel que garanti par l’article 6§ 1 de la convention européenne des droits de l’Homme ? La question est posée par un auteur, dont la réponse est faite à la lumière de la jurisprudence de la CourNote1877. . Il semble ressortir de cette jurisprudence, fluctuante, que des restrictions peuvent être apportées au droit d’accès. Mais les interdictions absolues écartant totalement la victime ne sont pas concevablesNote1878. . Quoiqu’il en soit, le caractère souvent mixte de telles procédures, pénal et politique, se fait pleinement sentir.
Concernant spécifiquement les militaires, lorsque les poursuites sont à l’initiative du parquet, ce dernier doit recueillir l’avis préalable du ministre de la Défense ou des autorités militaires habilitées, à la mise en mouvement de l’action publiqueNote1879. . Mais lorsque l’action publique est mise en mouvement par la partie lésée, la situation diffère, depuis la réforme législative du 10 novembre 1999 qui permet désormais l’intervention directe de la victime (art. 698-2 du CPP, applicable seulement à partir du 1er janvier 2002)Note1880. .
Tout d’abord, il convient de voir en quoi elle consiste, puis son effectivité dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
La mise en action de l’action publique en temps de paix, devant les juridictions de droit commun en formation spécialisée ou devant le Tribunal aux armées de Paris, pour un crime commis dans le cadre de l’exécution de la mission, relève des articles 698-1 du Code de procédure pénale et 91 du Code de justice militaire. En ce cas, l’institution militaire dispose d’un mois pour répondre, la réponse étant en fait préparée par le bureau des avis et relations judiciaires de la division des affaires pénales militaires. L’avis est versé au dossier et en son absence la procédure est nulleNote1881. . L’avis n’est pas nécessaire en cas de crime ou de délit flagrantNote1882. .
Cet avis est censé éclairer le parquet sur les conditions de commission de l’infraction et sur la personnalité du militaire. Il est notamment un moyen d’informer sur les sanctions disciplinaires prises à l’occasion des mêmes faits si tel est le cas. En cas d’opération extérieures, l’avis permet aux magistrats d’apprécier la situation de commission de l’acte criminel. Il ne possède qu’un caractère consultatifNote1883. . Il n’est pas sans influence sur la décision du parquet, mais n’entrave nullement le principe d’opportunité des poursuitesNote1884. . L’avis semble ne pas devoir être requis si le militaire a pris part à des faits dont le parquet est déjà saisi. En outre, en cas de saisie in rem du juge d’instruction, le parquet ne s’estime pas lié par l’article 698-1 du CPPNote1885. .
Au vu de cela, en matière de crimes contre la paix et la sécurité, un tel avis ne constitue pas une entrave. En outre, les textes se limitent au parquet français et ne sont par conséquent pas invocables par le ministre de la Défense à l’encontre d’une juridiction internationale pénale comme la CPI.
Voyons à présent le versant administratif que peuvent engendrer de tels actes.
En droit administratif, l’intérêt personnel et actuel doit être protégé par la loi. Le caractère personnel est moins fermement exigé qu’en procédure civile. Il faut distinguer plein contentieux et recours pour excès de pouvoir. Dans le premier cas, où la responsabilité de l’administration est recherchée, les caractères de l’intérêt sont beaucoup plus liés à la victime. En revanche, en matière de recours pour excès de pouvoir, tant les individus que des groupements de défense d’intérêts collectifs peuvent agir, dans le cadre de leur objet socialNote1886. et à condition de posséder la personnalité juridiqueNote1887. . Le juge applique alors la théorie du cercle d’intérêt. Le recours à l’avocat est parfois obligatoire, que ce soit en première instance, en appel et surtout en cassation.
Quel que soit le recours effectué devant le juge administratif, c’est l’invocation d’un préjudice actuel ou latent qui est à la base de l’intérêt. Le droit administratif exige que l’intérêt soit actuelNote1888. ou bien qu’il soit éventuelNote1889. , en ayant de fortes chances de se réaliser.
Une fois le préjudice identifié, l’intérêt réalisé, la victime peut prétendre agir, soit directement et seule, soit, et les crimes de masses sont propices à une telle situation, par le biais d’associations. En ce cas, lesdites associations ne peuvent agir que dans le cadre de leur objet et uniquement pour lui. A l’instar des class actions du droit des USANote1890. , des associations peuvent agir dans le cadre du recours pour excès de pouvoirNote1891. . On se situe alors dans une logique de défense des intérêts collectifsNote1892. . Ceci n’empêche par pour autant une association ou un syndicat d’agir pour défendre l’un de ses membres, à la condition que celui-ci les mandate et que l’intérêt personnel présente un lien avec l’intérêt collectifNote1893. .
L’hypothèse d’un recours pour excès de pouvoir contestant une décision s’insérant dans une politique criminelle est envisageable. Il peut concerner des actes administratifs réglementaires ou individuels, discriminatoires par exemple, ou bien encore des actes d’organisation de telles politiques. Mais il est fort probable que le système juridique, dans une telle hypothèse, n’est plus ou peu accessible et fait l’objet d’une restructuration ou de modifications. Ce sont donc surtout les actions de plein contentieux a posteriori qui seront utilisées, comme le confirme l’affaire Papon du 12 avril 2002.
En ce domaine, l’intérêt pour agir est entendu plus restrictivement, car le préjudice doit toucher directement celui qui engage l’action.
De manière générale, l’individu trouve une place, plus ou moins active, au sein du système procédural français ; en revanche, dans le système international, l’Etat garde le monopole.
Les individus n’ont pas toujours été exclus des juridictions internationales. Certains statuts prévoyaient que des personnes physiques soient parties au procèsNote1894. . On peut notamment citer la Cour internationale des prises prévue par la Convention XII de La Haye du 18 octobre 1907, qui est restée à l’état de projet. En revanche, la Cour de justice centre-américaine établie par la Convention de Washington du 20 décembre 1907 a fonctionné une dizaine d’années. Ou bien encore le Tribunal des différends irano-américains institué par les Accords d’Alger du 19 janvier 1981. Il existe également les juridictions internationales dont les saisines individuelles sont filtrées par un organe intergouvernemental ou de conciliationNote1895. .
La société internationale étant interétatique, le seul sujet actif de droit international public est l’Etat. Si les dommages et préjudices pouvant être causés dans ce système affectent bien évidemment les Etats, ils touchent en fait très souvent des individus ou des groupes d’individus dont les intérêts ainsi lésés sont absorbés par l’Etat qui se substitue à eux pour obtenir réparation devant la Cour internationale de Justice ou pour faire cesser le comportement illiciteNote1896. . On distingue alors selon que l’Etat est directement victime – et il peut l’être soit directement, soit par l’un de ses agents – ou bien l’est par l’intermédiaire de l’un de ses ressortissants. Dans ce dernier cas, on recourt à une fiction juridiqueNote1897. . Le fondement résiderait dans l’idée que l’Etat a un droit à voir respecter le droit international en la personne de ses ressortissantsNote1898. . L’endossement ainsi effectué transforme une relation entre un individu et un Etat en une relation interétatique. D’ailleurs, la mesure du préjudice, en pratique, est rapportée au préjudice individuelNote1899. . L’Etat use de sa protection diplomatique.
Cette protection doit répondre à plusieurs conditions. Tout d’abord, l’individu qui en bénéficie doit être un ressortissant de l’EtatNote1900. . Ensuite, il doit y avoir épuisement préalable des voies de recours internes. L’Etat, au titre de la protection diplomatique, ne peut introduire une réclamation internationale avant que le particulier – victime ait épuisé les voies de recours internes disponiblesNote1901. . La protection diplomatique n’est donc qu’un mécanisme subsidiaire. Mais une telle règle peut connaître un infléchissement si le caractère illusoire des recours internes est démontréNote1902. .
Les crimes de droit international, plus précisément ceux qui présentent un lien avec les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, touchent essentiellement des individus. Seul le crime d’agression est avant tout orienté vers l’Etat. Mais la massivité de tels crimes, les valeurs niées lors de leur commission, touchent indéniablement l’Etat, ce qui lui confère un double titre pour intervenir. L’Etat directement concerné saisit alors la Cour internationale de Justice. L’individu est clairement exclu de la procédure.
La nature particulière de ces crimes, violant des obligations de jus cogens fait naître une actio popularis au profit des autres membres de la communauté internationale. Dans ce cas, aussi bien l’Etat – victime que ses ressortissants – victimes voient leurs intérêts protégés par les autres EtatsNote1903. . L’Etat s’impose donc comme le principal défenseur des victimes de violations des droits de l’Homme. Cette intervention en droit international public ne doit pas être confondue avec celle de l’Etat, dans son propre système juridique ou dans le système de droit international pénal où il agit dans le cadre d’une action attitrée pour la défense de la société.
Dans le domaine des responsabilités civiles, l’individu trouve une place, mais s’efface au niveau international, au profit de l’Etat ; en revanche dans le domaine criminel, ce sont les ministères publics qui monopolisent les poursuites.
L’individu – victime d’un crime contre la paix et la sécurité maîtrise assez peu les procédures en ce domaine. De manière générale, l’intérêt social violé, surpassant l’intérêt individuel qui en est le support, est protégé par l’Etat lui-même, du moins par celui qui est le garant de l’ordre social et de la sécurité. C’est alors le parquet qui intervient par le biais de l’action attitrée. Il est présent tant en droit français qu’en droit international pénal. Il monopolise l’action publique, reléguant la victime directe à un rôle, certes secondaire, mais non dénué d’importance.
L'action publique pourrait se définir comme « le droit d'être entendu sur la prétention qu'une infraction a été commise, et qu'il y a lieu d'appliquer la peine prévue en pareil cas par la règle substantielle »Note1904. .
Le domaine répressif se caractérise par une omniprésence de l'Etat. En France, le ministère public dispose de la faculté de mettre en œuvre l'action publiqueNote1905. , ce qui est d’ailleurs obligatoire en matière criminelle. Le parquet dispose de l’opportunité des poursuites, sauf si le fait délictueux trouble sérieusement l'ordre socialNote1906. .
A côté du ministère public et en cas d'inaction de ce dernier, la victime, elle aussi, dispose de la qualité à agir et peut enclencher l'action publique, en citant directement le prévenu devant le tribunal ou en adressant une plainte avec constitution de partie civile entre les mains d'un juge d'instructionNote1907. .
Une particularité concerne les militaires. Selon que les crimes sont commis en temps de paix ou de guerre, ils relèvent de systèmes spécifiques ayant leurs propres juridictions et leurs propres organes d’enquête et de poursuite. En temps de paix, pour les actes commis sur le territoire français, les juridictions de droit commun sont compétentes, en formation spéciale et appliquant le Code de procédure pénale. Le procureur ne peut cependant agir que sur dénonciation du ministre de la Défense et non de son propre chef, sans cet avis, sauf en cas de crime (art. 698-1 Code de procédure pénale). Pour les actes commis en temps de paix à l’étranger, le Tribunal aux armées de Paris est compétent. Il possède son propre procureur et fonctionne également sur la base du Code de procédure pénaleNote1908. . En temps de guerre, des juridictions spéciales sont compétentesNote1909. .
L’ouverture des poursuites ne peut être ordonnée que par le ministre de la Défense (art. 182 CJM). C’est alors le commissaire du gouvernement qui sera en charge des poursuites (art. 211 CJM)Note1910. .
En temps de paix, dans le cadre d’une procédure engagée à l’encontre d’un militaire, devant les juridictions correspondantes, la victime ne peut enclencher l’action publique (art. 698-2 CPP). La même règle est valable devant les juridictions compétentes en temps de guerre (art. 179 du CJM), ce qui laisse toute latitude aux membres du parquet.
Les systèmes de droit international pénal comprennent également des procureurs. Mais leurs compétences et leurs prérogatives diffèrent non seulement du système français, mais également d’une juridiction internationale à l’autre.
Le droit international pénal, qu’il soit substantiel ou procédural, est dans une période d’émergence et de tâtonnement, à la confluence des systèmes de common law et de continental law. Cette nouvelle discipline, issue d’une hybridation à la recherche d’un équilibre, est perceptible à maints égardsNote1911. . Mais l’un des points fortement révélateurs de cette situation est contenu dans les fonctions et les pouvoirs des procureurs. Le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie est le reflet de ces hésitationsNote1912. . La Cour pénale internationale et son règlement de preuves et de procédures bénéficient des expériences des Tribunaux pénaux internationaux et offrent une procédure mixte beaucoup plus ajustée, mais non dénuée de critiques. La faculté de modification du règlement de preuves et de procédures est largement moins facile que pour les TPINote1913. .
S’il existe des différences entre systèmes juridiques répressifs, internationaux et français, il y a également de nombreuses similitudes. La défense et la poursuite des intérêts violés relèvent d’un procureur (§ 1er), et les victimes sont alors reléguées à un rôle plus secondaire (§ 2nd).
La notion « d’action attitrée » n’apparaît pas en droit international pénal. Cependant, le raisonnement qui incite à confier la poursuite dans ce domaine à un procureur semble reproduire une logique similaire à celle du droit français. Une telle institution répond à la nécessité d’instaurer des gardiens de l’ordre social, agissant au nom de l’Etat, de l’ordre et des valeurs qu’il incarne.
Selon le Code de procédure pénale français, les procureurs sont mandatés. Dépersonnalisée, l’action publique est menée, en principe, au nom de tous. Le procureur dépossède la victime afin de faire obstacle à la vengeance. Le parquet intervient en application d’une politique pénale déterminée par les instances politiques compétentes. Ceci est valable pour le procureur auprès des juridictions françaises militaires et des juridictions de droit commun en formation spéciale.
Si le ministère public en France constitue une institution relativement bien rôdée, parfois critiquée, souvent jugée satisfaisante, son équivalent devant les juridictions internationales pénales soulève plus d’interrogations. Après observations des différentes juridictions internationales criminelles, il ressort que le ministère public a connu différentes formes, compositions et modes de désignationNote1914. . Le parquet fut collégial à Nuremberg, réunissant quatre procureurs, alors que devant les Tribunaux pénaux internationaux et la Cour pénale internationale, une seule personne occupe ce poste, mais assistée de procureurs adjoints. Pour les TPI et la CPI, ce sont des organes de la juridiction, ce qui n’était pas le cas devant le Tribunal militaire international de Nuremberg. Les modes de formations diffèrent également. A Nuremberg, les procureurs sont simplement nommés pour un temps indéterminé, par les signataires des accords de Londres, tandis que devant les Tribunaux pénaux internationaux, ils le sont pour une durée limitée, de quatre ans renouvelables. Devant la Cour pénale internationale, ils sont élus pour neuf ans et ne sont pas rééligibles (art. 42§ 4 du SCPI). Ils doivent répondre, de manière générale, à des exigences morales et de connaissance du droit (art. 43§ 3 SCPI).
Mais au-delà de ces éléments, se pose, en rapport avec l’action des procureurs, le problème de leur indépendance. Si leur mode de désignation peut donner une indication, cela n’est pas suffisant. Les intérêts dont ils ont la charge nécessitent de leur part certaines aptitudes à exercer une activité si particulière au contact de supposés criminels. Les intérêts supra-étatiques dont ils sont les gardiens leur confèrent un rôle d’une extrême importance, et leur indépendance à l’égard des Etats et de certaines organisations se pose avec acuité. Si les statuts des juridictions actuelles, notamment les TPI et la CPI, posent des exigences d’indépendanceNote1915. et d’impartialité, il convient de vérifier les moyens mis en œuvre par les statuts de ces juridictionsNote1916. . Les procureurs et procureurs adjoints sont nommés par les Etats, ils prêtent serment et doivent répondre à certaines exigences de compétences et de probité qui sont normalement suffisantes à prouver leur impartialitéNote1917. .
Au sein des juridictions pénales internationales, le procureur et son bureau constituent un organe distinct, ne recevant et ne sollicitant aucune instruction de la part des gouvernements, ni d’aucune autre source (art. 16§ 2 STPI et art. 42§ 1 SCPI). L’efficacité du bureau du procureur de la CPI est accentuée par divers accords. Il existe notamment un accord entre le bureau et Interpol afin d’échanger des informations et de rechercher les fugitifsNote1918. . De manière plus précise, on peut remarquer l’existence d’un accord entre le bureau et le Gouvernement de la République démocratique du Congo, suite à une plainte déposé par lui concernant, entre autres, les modalités opérationnelles sur le terrainNote1919. .
Il convient de distinguer plus précisément la mise en mouvement de l’action publique et son exercice. En droit pénal français, la mise en mouvement peut être effectuée soit par la victimeNote1920. , lorsqu’elle se porte partie civile, soit par le parquet. Mais l’exercice de l’action ne relève que du parquetNote1921. . Il semble que l’on retrouve un telle distinction dans le fonctionnement de la Cour pénale internationale au niveau de l’initiative, car à ce stade il existe une double intervention du procureur et de la chambre préliminaireNote1922. .
En droit français, le parquet monopolise l’action attitrée afin de défendre l’intérêt général. Il peut intervenir tant dans le domaine civil que dans le domaine pénal. Mais c’est ce dernier domaine qui en est le plus représentatif. Si le procureur de la République et les autres membres du parquet possèdent des pouvoirs forts et sont l’instrument de l’Etat dans le cadre de la procédure pénale définie par le Garde des Sceaux, on peut voir le procureur comme une sorte d’avocat de l’Etat, s’opposant à l’avocat du défendeurNote1923. . Le parquet n’est d’ailleurs que partieNote1924. . Il existe une similitude certaine entre les droits et les exigences pesant sur les accusés et le ministère public dans le procès pénalNote1925. .
L’action du parquet français, dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, n’est pas totalement indépendante. En effet, si l’affaire relève du champ d’action de l’un des TPI, la primauté de ces derniers peut permettre à leurs procureurs d’intervenir au détriment du parquet français, et cela à n’importe quel moment de la procédure française. Cette subordination n’existe pas dans le système de la Cour pénale internationale.
Dans ce dernier cas, les relations étant réglées par un principe de complémentarité, l’intervention du procureur de la CPI ne sera que subsidiaire et à la condition d’une défaillance ou d’une mauvaise volonté de la part des autorités étatiques. L’initiative de la demande de dessaisissement appartient au procureur de la juridiction internationale pénaleNote1926. et le contrôle et la décision du bien-fondé de la demande incombent à la chambre de première instance de la juridiction correspondanteNote1927. . La demande ainsi effectuée emporte transmission de tous les éléments dont disposaient les autorités nationalesNote1928. , ce qui n’empêche pas un contrôle de la part de juridictions nationalesNote1929. . En France, ce contrôle est effectué par la Cour de cassation qui opère un contrôle minimal portant sur l’identité des faits et de l’auteur poursuivi et sur la compétence du Tribunal pénal international.
En matière criminelle, l’obligation d’agir du parquet est renforcée par l’esprit même des statuts des juridictions internationales pénales.
Dans le système international pénal, le bureau du procureur reçoit toutes les informations relatives aux crimes relevant de la compétence du tribunal ou de la Cour auquel il est rattaché. Il conduit les enquêtes et soutient l’accusation devant les organes juridictionnels. Le fait que son attention soit attirée sur des faits par le Conseil de Sécurité, par un Etat, par une ONG… ne constitue pas en soi une mise en cause de leur impartialité.
Les fonctions des procureurs sont l’instruction et la poursuite des affaires dont les juridictions sont saisies. Contrairement au procureur français, le procureur d’une juridiction internationale pénale cumule les fonctions alors qu’en France, il existe un juge d’instruction distinct. Cette différence réside dans la nature hybride des juridictions internationales et de leur organisationNote1930. . Le procureur international est à mi-chemin, en quelque sorte, entre celui de la procédure continentale et l’attorney anglo-saxon représentant l’Etat. Cette situation, étrange au regard de la tradition romano-germanique, a été quelque peu rectifiée lors de la révision du RPP des TPI. En 1998 est apparu un juge de mise en état, chargé de suivre le déroulement de la procédure dans la phase préparatoire au procèsNote1931. .
L’instruction de l’enquête repose sur le travail du bureau du procureur et plus particulièrement des experts et enquêteurs à son service. Mais surtout, cela dépend de la bonne volonté et de la coopération des Etats afin de faciliter le travail des membres du bureauNote1932. . Les procureurs des TPI peuvent s’adresser directement aux Etats, notamment pour des arrestations ou des gardes à vueNote1933. . En revanche, le procureur de la CPI doit constamment obtenir l’autorisation de l’Etat dont il requiert une aide, démarche qui nécessite une requête adressée par la Cour elle-mêmeNote1934. .
En droit international pénal, l’opportunité des poursuites diffère selon les juridictions. Devant les TPIY et TPIR, seul le procureur peut déclencher l'action publiqueNote1935. ; il bénéficie d’une totale opportunité des poursuitesNote1936. . Il ouvre une enquête d’office sur la foi des renseignements obtenus.
Devant la CPI, la situation est plus complexe et dépend du mode de saisine de cette juridictionNote1937. . La Cour est compétente si une situation est déférée au procureur soit par un Etat partie, soit par le Conseil de sécurité sur le fondement du chapitre VII de la CharteNote1938. , soit enfin à l'initiative du procureurNote1939. . Ce dernier dispose de l'opportunité des poursuitesNote1940. , mais la chambre préliminaire porte une appréciation en cas de refusNote1941. lors d’une saisine par un Etat ou par le Conseil de sécurité et si ces derniers le demandentNote1942. . Si le procureur estime que la poursuite ou qu’une enquête ne servirait pas des fins de justiceNote1943. , la chambre préliminaire peut, de sa propre initiative, examiner cette décision qui n’aura d’effet que si elle la confirmeNote1944. .
En outre, si le procureur agit de son propre chef, il doit demander l'autorisation de la chambre préliminaire pour ouvrir une enquête, ce qui n'est pas sans incidence sur sa faculté à poursuivreNote1945. . De plus, les poursuites peuvent êtres suspendues si le Conseil de sécurité en fait la demande à la Cour par une résolutionNote1946. .
La chambre préliminaire joue donc un rôle au stade de la mise en état du dossier. Elle contrôle l’activité du procureur. Elle a pour mission d’autoriser des actes que le procureur ne peut effectuer seul, mais elle fait également office de juge de la détention provisoire. Enfin, elle aide les personnes mises en cause à rassembler des éléments de preuve (art. 57), notamment en sollicitant la coopération des EtatsNote1947. . Elle permet d’assurer le principe d’égalité des armes. La chambre, en quelque sorte, par les pouvoirs qu’elle possède, notamment en matière d’obtention de preuve et d’autorisation d’actes contraignants, telle la délivrance d’un mandat d’arrêt ou la citation à comparaître, constitue le complément nécessaire au procureur pour assurer l’effectivité de son travail.
Le procureur dispose donc de l'opportunité des poursuites, mais conditionnée par un certain assentiment de la chambre préliminaire qui partage en quelque sorte l’initiative du pouvoir d’enquêteNote1948. et de poursuiteNote1949. . En outre, on constate une réelle réduction de la qualité à agir dans le domaine international, puisque les victimes directes n'ont pas la faculté d'engager les poursuites. D'un point de vue plus pratique, un engorgement de telles juridictions par de trop nombreuses plaintes individuelles est évité.
Il faut bien distinguer le pouvoir d’ouvrir une enquête ou de mise en état, de la faculté de poursuivre. Les procureurs des TPI décident d’ouvrir une enquête et de poursuivre. Celui de la CPI partage son pouvoir avec la chambre préliminaire. Il y a une confusion entre l’instruction et la poursuiteNote1950. . Les bureaux des procureurs bénéficient de personnels affectés à des activités d’enquêtes pour leur permettre d’effectuer leurs missions. Les autorités locales ont également un rôle à jouer. Soulignons enfin que l’article 90 du protocole additionnel I de 1977 aux conventions de Genève, prévoit une commission d’établissement des faits, organe permanent chargé d’enquêter sur les infractions graves du droit international humanitaire. Elle peut alors jouer un rôle dans la perspective de l’action des juridictions internationales pénales. Tous les Etats ayant souscrit à la déclaration prévue par l’article 90 peuvent saisir la commission de faits commis par un autre Etat partie à la même déclaration. L’Etat à l’origine de la saisine n’a pas à être une victime. Mais cette commission n’a, semble-t-il, jamais été saisie d’une demande d’enquêteNote1951. .
Les procureurs des TPI instruisent uniquement à chargeNote1952. , tandis que celui de la CPI instruit à charge et à déchargeNote1953. , ce qui surprend certains auteurs, sachant que, par la suite, le procureur, dans la procédure, doit soutenir uniquement l’accusationNote1954. .
L’organe de poursuite des juridictions internationales pénales doit élaborer les actes d’accusation, mais il peut les retirer et les modifier à tout moment avant leur confirmation. Par la suite, il ne peut le faire qu’après autorisationNote1955. . Une fois la confirmation obtenue, le retrait ne devrait pouvoir se faire que si les éléments d’accusation font défaut ou si des éléments de preuve nouveaux disculpant l’accusé sont découvertsNote1956. .
Le pouvoir discrétionnaire du procureur dans le choix et la mise en œuvre de la politique pénale peut cependant être contesté. Ce fut notamment le cas devant le TPIY, eu égard à l’égalité de chacun devant le tribunal ; Landzo, dans une affaire Krajinisk du 4 août 2000 conteste le fait d’avoir été choisiNote1957. . La chambre d’appel accepte cette contestation et se prononce sur le sujet en estimant que l’attitude du procureur était justifiée. Elle reconnaît explicitement la limite de ce pouvoir discrétionnaireNote1958. . La chambre vérifie si le procureur n’a pas commis un détournement de pouvoir.
Devant les TPI, si les éléments de preuve paraissent suffisants, le procureur établit un acte d’accusation transmis à un juge d’une chambre de première instance. Ce dernier examine l’acte et décide de le confirmer ou de le rejeter. S’il le confirme, et sur réquisition du procureur, il décerne les ordonnances et mandats d’arrêt, de dépôt, d’amener ou toute autre ordonnance nécessaire pour la conduite du procès.
Une fois l’affaire mise en état d’être jugée, la chambre préliminaire, devant la CPI, tient audience afin que les charges retenues soient présentées contradictoirement et le cas échéant confirmées (art. 61). Cette audience de confirmation consiste à examiner la solidité des éléments de preuve, en présence ou non de l’accusé. A l’issue de cette audience, soit les charges sont confirmées et l’affaire est alors renvoyée devant la Cour, soit les charges sont refusées ; soit enfin l’affaire est ajournée pour complément d’enquête.
Que l’on soit devant une juridiction criminelle française ou internationale, l’individu – victime n’est pas exclu, il peut participer et être informé du déroulement de la procédure.
La place de la victime, circonscrite ici uniquement à l’individu, dans le cadre de l’action publique, mérite d’être quelque peu précisée. En droit international pénal, l’individu – victime est un sujet passif. Un tel statut lui est reconnu en droit pénal français, dans la procédure criminelle, A.-M. La Rosa préférant parler de « tiers intéressé »Note1959. .
Il semble donc ressortir un même statut de l’individu – victime dans le domaine procédural criminel contre la paix et la sécurité de l’humanité. A ce statut, souvent critiquéNote1960. , semblent se rattacher des droits et des facultés dont certains sont communs.
A l’instar de la logique qui sous-tend le système procédural criminel français, l’individu, en droit international pénal procédural, est écarté au profit d’organes représentant et défendant l’intérêt de la société. En droit français, si le procureur et la victime se partagent le pouvoir d’initiative de la mise en œuvre de l’action publique, devant les juridictions internationales pénales, l’individu est exclu.
Si dans le cadre du procès, les individus – victimes possèdent quelques droitsNote1961. , lors de la phase préalable, notamment au niveau de l’enquête et de l’exercice des poursuites, il n’est ni plus ni moins qu’un témoinNote1962. et l’objet central, source de la procédure. En ce qui concerne le statut de la CPI, l’article 15§ 3 précise que les victimes peuvent adresser des représentations à la chambre préliminaire. Elles peuvent être convoquées et interrogées lors de l’enquête par le procureurNote1963. . Elles peuvent également, en cas de contestation de la Cour ou de l’admissibilité des poursuites, intervenir dans les débatsNote1964. . Le RPP prévoit également que le procureur informe les victimes ou leur conseil dès qu’il décide d’ouvrir une instruction. Les victimes, si elles ne peuvent pas déclencher les poursuites, peuvent transmettre des informations pour inciter le procureur à enquêter, puisque ce dernier peut recevoir des informations de toute source.
Le RPP de la Cour pénale internationale ménage donc un certain statut aux victimes à différents stades de la procédure. La règle 50, concernant la procédure par laquelle la chambre préliminaire autorise l’ouverture d’une enquête au titre de l’article 15 du statut de la CPI, prévoit l’information des victimes, soit directement, soit par le biais de la division d’aide aux victimes et témoins que l’on trouve également sous le nom de section de participation des victimes et réparations, auprès du greffe, ou par le biais de leurs représentants. La règle 59 prévoit également leur information, lors des contestations prévues à l’article 19§ 3 du statut. Les victimes peuvent alors intervenir. Les règles 89 et suivantes sont consacrées à la participation des victimes à la procédure.
Il y est prévu que les victimes qui veulent participer doivent adresser une demande au greffier qui la communiquera à la chambre compétente. Cela se fera très souvent par l’intermédiaire de représentants légaux.
Si l’on résume les règles retenues à l’égard des victimes, essentiellement devant les organes de la CPI, au stade de l’enquête et des poursuites, elles possèdent un droit à l’information et un droit à donner leur avis, si tant est qu’elles soient connues.
Pour autant, d’après certains auteurs, le choix des victimes semble pris en compte par la possibilité de concilier l’action des commissions Vérité et Réconciliation, comme celle d’Afrique du Sud, avec l’action du procureur de la Cour pénale internationale qui, sur le fondement de l’article 53 du statut, peut ne pas poursuivre, « dans l’intérêt de la justice »Note1965. .
Les intérêts protégés par la prohibition des crimes de droit international et par les crimes internationaux sont considérés comme fondamentaux, car ils présentent un lien indissociable avec les droits de l’Homme. Ce phénomène, qui consiste à déterminer des valeurs et des domaines dans lesquels l’Etat n’a plus droit de cité, peut s’analyser comme une résurgence du jusnaturalisme. Un nouveau système juridique criminel émerge alors transcendant les Etats mais reposant sur eux à maints égards. Dans le sillage de ce phénomène, l’apparition de juridictions internationales pénales au-delà des Etats, dans un système naturellement hostile à la sujétisation active de l’individu, consacre l’exclusion de l’individu dans la maîtrise du processus pénal. Si bien qu’en définitive, l’Etat reste, sous diverses formes, le seul à protéger l’individu. Si une telle affirmation ne fait aucun doute en droit interne, elle peut prêter à controverse en droit international. L’émergence d’une communauté internationale est supposée surveiller à son tour l’Etat. Avec ce concept, contesté par certains, sont apparues les notions de jus cogens, d’obligations erga omnes et d’actio popularis. Dès lors, on peut s’interroger sur l’opportunité de reconnaître quelques spécificités procédurales dans ce domaine.
Le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité est à la croisée du politique et du juridique. Les victimes de tels crimes peuvent parfois se sentir également victimes des systèmes existants. En effet, la Justice en ce domaine reste largement conditionnée, en pratique, par un certain bon vouloir des Etats. On peut, par exemple, rappeler les passes-droit accordés aux scientifiques allemands ou japonais par différents Etats à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Outre ce problème, le temps s’écoulant, il n’est pas rare que certaines personnes présumées coupables de tels crimes puissent échapper à la justice au point de pouvoir bénéficier des faveurs des régimes procéduraux de droit commun comme la prescription. Afin de vérifier l’opportunité d’instaurer un régime spécial, il sera envisagé successivement l’hypothèse de l’actio popularis (sous-section 1ère), puis celle d’éléments procéduraux liés au temps (sous-section 2nde) : les délais de prescription de l’action publique et l’instauration de procédures de contumace devant les juridictions internationales pénales.
La notion d’actio popularis est liée à celle de jus cogens. Cette dernière notion, tout d’abord consacrée dans les articles 53 et 64 de la convention de Vienne de 1969, établit une hiérarchie entre différentes normes, fondée sur la valeur de la règle contenueNote1966. . Cette approche a été confirmée par la jurisprudence, dans une décision de la CIJ du 5 février 1970, Barcelona Traction. N’employant pas explicitement l’expression de jus cogens, mais préférant celle « d’obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble », considérée désormais comme équivalente, les juges précisent que « tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ; les obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes »Note1967. . Et certains auteurs précisent que, conformément au concept d’ordre public, les juges annoncent sûrement une actio popularisNote1968. . Si l’on se réfère au dernier projet de la Commission du droit international, l’expression n’apparaît ni dans le texte du projet, ni dans les commentaires ; elle semble cependant inscrite en filigrane, notamment avec les articles 42 et 48Note1969. .
L’ombre de l’actio popularis plane sur le droit international, dans le sillage du jus cogens. Mais aucune décision ne se prononce explicitement, seule la doctrine s’y réfère. Il faut souligner qu’avant 1970, la Cour internationale de Justice avait explicitement utilisé la notion, mais pour en refuser la consécration, l’état du droit à l’époque ne s’y prêtant pasNote1970. .
Cette notion n’est pas uniquement circonscrite au droit international, elle se retrouve notamment dans la sphère de la Convention européenne des droits de l’HommeNote1971. . Les débats à son sujet connaissent une certaine virulence dans les systèmes internationaux et régionaux ; il en est peu question en droit français.
L’expression actio popularis est empruntée au droit romain, mais détournée selon M. VoeffrayNote1972. . Dans une conception contemporaine, une action est dite populaire lorsque celui qui l’intente est dispensé de se prévaloir d’un intérêt qui lui est spécifique. Il s’agirait de l’intérêt que tout citoyen possède à une application de la loi et de la sanction le cas échéant. Cette action est à distinguer de l’action pro populo exercée au nom de la société par le procureur. On peut s’interroger sur le rapport de l’actio popularis avec l’action pour un intérêt collectif. Dans le domaine des crimes internationaux et de droit international, les valeurs protégées visent la protection d’intérêts communs à chaque sujet de droit. Donc l’actio popularis, dans ce domaine, ne serait pas une simple action visant à obtenir le respect de la loi, mais plus précisément une action tendant à faire sanctionner la violation d’obligations dues à tous. Il s’agirait alors d’un intérêt collectif public, et non pas d’une simple action ouverte à tous. D’une action à la fois populaire et collective, en ce sens qu’elle porte sur des règles fondamentales.
Et si n’importe quel membre de la société est touché et possède un intérêt à agir, il convient tout de même de distinguer divers degrés d’intérêts et de préjudices, notamment entre les victimes directes et les autresNote1973. .
L’actio popularis semble uniquement envisagée dans le domaine de la responsabilité internationale de l’Etat. Elle n’est pas sans présenter de lien avec la répression criminelle individuelle correspondante. Or, dans ce dernier domaine, ouvrir une telle action revient à concurrencer le ministère public.
Avec l’actio popularis, sont renouvelées des réflexions sur l’intérêt et la qualité à agir, du fait du particularisme des préjudices engendrés par la violation de normes ayant valeur de jus cogens. Au-delà du crime matériellement commis, c’est le comportement moral qui est sanctionné, ce qui d’ailleurs justifie peut-être l’emploi du terme « crime » par Ago. Si l’on considère le système juridique international comme un système en maturation, dans lequel la responsabilité des Etats n’est pas clairement identifiée, ni civile, ni pénale, et où l’individu est un sujet encore émergent, on peut oser un rapprochement avec le fonctionnement des sociétés primitives. Le jus cogens pourrait alors être une norme dont la violation mérite sanction, mais plus pour la souillure morale faite à la communauté que pour l’acte matériel. C’est plus la transgression que l’agression qui compterait. L’idée d’une actio popularis aurait alors pour objectif de laver cette souillure. L’extrémité d’un tel comportement ainsi sanctionné se solderait par une rupture, une désolidarisation voire une élimination de l’agent dangereux de la sociétéNote1974. . Cette idée d’expulsion, notamment pour des actes graves touchant la société dans ses fondements religieux et moraux, est confirmée par le professeur CarbasseNote1975. . L’idée est que celui qui a nié les fondements de la société n’est plus digne d’en faire partie.
Un auteur souligne que l’actio popularis, en droit romain, se situe aux confins du droit public et du droit privé, en ce sens que sa raison d’être résidait dans l’absence d’équivalent à notre procureur, ce qui autorisait n’importe quel citoyen à dénoncer un crime afin de faire juger le présumé coupableNote1976. . En ce sens, cette action trouve un argument d’existence dans la sphère internationale, notamment concernant la responsabilité étatique.
Dans une acception moderne, quelque peu détournée de son origine, l’actio popularis se confond avec la défense d’intérêts collectifs de l’humanité et de la communauté internationale. Les travaux du professeur de Schutter peuvent servir de point de départ à une réflexion sur cette actionNote1977. . Sans retranscrire tout le raisonnement de l’auteur, l’intérêt individuel à agir pour faire sanctionner la violation d’un droit subjectif, au regard de l’autonomie entre l’intérêt et le droit subjectif, le tout au regard d’une analyse fondée sur l’économie politique et la philosophie, et l’appréciation de l’objectif poursuivi par l’individu engageant l’action, peut aboutir à identifier chez cet agent non seulement le respect de son droit subjectif, mais également le respect d’un droit objectif ; c’est-à-dire obtenir le respect du droit, soit comme objectif principal, soit comme objectif secondaire. En bref, au-delà de l’intérêt qu’en retire l’individu pour son bénéfice personnel, la décision de justice ainsi rendue comporte des effets secondaires, qui sont la garantie du respect objectif du droit, la création d’un précédent pouvant à son tour servir de règle de droit. Chacun aurait donc un intérêt au respect du droit d’autrui. Mais en défendant cette thèse, c’est la fonction objective des droits subjectifs qui primeNote1978. .
De ce succinct résumé, ressortent deux éléments. D’une part, le principe ainsi énoncé se retrouve dans l’existence et les fonctions du ministère public ; d’autre part, et c’est une interrogation, si l’action individuelle afin de préserver un droit individuel entraîne des effets secondaires collectifs, cela autorise-t-il une personne ou un groupe à agir au nom d’un individu ? Si le principe énoncé n’est pas dénué d’intérêt, on peut se demander, si en réalité, l’ouverture d’une actio popularis ne risque pas tout simplement d’occasionner des difficultés pratiques comme l’engorgement des juridictions et ne risque pas de devenir une arme politique, engendrant des abusNote1979. .
Notamment dans la procédure criminelle, plusieurs arguments ne plaident pas en faveur de l’actio popularis. Tout d’abord, la logique du système inquisitoire s’y oppose. Puis des impératifs pratiques, notamment afin d’éviter des recours inopportuns et inadéquats. En outre, le principe de l’actio popularis, comme celui du système accusatoire, dans l’hypothèse où n’existe pas un procureur, revient à ouvrir la possibilité aux criminels d’échapper à la justice. C’est d’ailleurs un cas envisageable en droit international public. Enfin, on peut craindre un risque de privatisation de l’action en justice, surtout dans le sens où la motivation de l’action peut être purement privée, et non pas dictée par un réflexe altruiste.
On peut observer de véritables revendications en faveur d’une actio popularis. Mais il semble que des impératifs pratiques s’opposent fortement à sa reconnaissance, d’autant plus si cette action est doublée, dans les systèmes internes, d’une compétence universelle des juges. En revanche, dans le système international, pour l’heure, le débat achoppe sur la sujétisation passive des individus. Mais le vrai problème mérite sûrement d’être déplacé. C’est plus sûrement la création d’un procureur auprès de la Cour internationale de Justice qui devrait être envisagée. En outre, concernant les juridictions internationale pénales, et plus précisément la Cour pénale internationale, c’est la réelle indépendance et liberté d’action du procureur qui devrait être au centre des débats.
Quoiqu’il en soit, si le système international semble s’ouvrir au concept d’actio popularis (§ 2nd), le système français lui semble fermé (§ 1er).
Tant le système répressif français que le système administratif refusent l’actio popularis. Le juge administratif a développé une jurisprudence relative à l’intérêt à agir et refuse clairement d’accepter un recours fondé sur la qualité de citoyenNote1980. . Il retient la notion de « cercle d’intérêt » pour délimiter l’éventail des requérants. Selon le professeur Lachaume, « le recours pour excès de pouvoir n’est pas un recours populaire, en ce sens qu’il n’est pas ouvert, par rapport à un acte administratif donné, à toute personne »Note1981. . Le simple recours tendant à assurer le respect de la légalité n’est pas reconnu.
Le système pénal français est de type inquisitoire. L’initiative d’une action publique est partagée entre le ministère public et la victime. Mais l’exercice de l’action publique est monopolisée par le parquet. Ce dernier agit pro populo. Il centralise la demande de sanction et l’exercice de la poursuite, quel que soit le type de crime. Le parquet fait écran entre la victime et l’accusé pour la répression pénale, afin de faire primer la justice sur une éventuelle vengeance.
L’action populaire est donc clairement exclue devant ces deux types de juridictions. Cependant, cette situation est quelque peu contournée par les opportunités de recours offertes aux associations, dans le cadre de la défense d’intérêts collectifs. Les deux ordres de juridictions permettent l’action d’association, afin de défendre des intérêts collectifs en rapport avec leur objet socialNote1982. . Il convient alors de distinguer juridiction administrative et juridiction répressive.
Les premières restent dans une vision stricte de l’action collective. L’association doit être directement concernée ou bien avoir reçu mandat de ses membres, si certains seulement sont concernésNote1983. . Tant dans le domaine administratif que dans le domaine judiciaire se développent ce que M. Boré appelle les actions associatives fondées sur la défense d’intérêts altruistesNote1984. . Pour lui, il n’est nullement interdit de permettre à des associations de faire des choses que ses membres ne peuvent faire individuellementNote1985. . L’altruisme est alors perçu à la fois comme intérêt personnel et attachement à une cause ; selon l’auteur, au début du 19ème siècle, les rédacteurs des Codes civil et criminel ont une vision négative de l’homme, ce qui expliquerait la circonscription de son droit d’action à ses intérêts propres ; à cela s’ajoute une vision duale de la société, distinguant la sphère privée et la sphère publique et c’est à la fin de ce siècle et au début du 20ème qu’une conception renouvelée de cet état de fait va se produire, notamment avec la loi de 1901 sur les associationsNote1986. . Mais contrairement à Louis Boré qui conteste une telle vision restrictive du droit d’action, notamment fondée sur des raisons altruistes, il semble que ce n’est pas tant un altruisme pouvant potentiellement être dévoyé qu’il faut critiquer, que le risque d’une anarchie, d’une surcharge de la justice et la possibilité offerte à tout un chacun de se comporter en défenseur de l’humanitéNote1987. . En bref, ce que l’on pourrait appeler des contingences matérielles et réalistes, transformant la justice en forum politique. Et pour paraphraser l’un des contradicteurs de Socrate dans La République de Platon, bien souvent sous l’apparence de la justice se cache un intérêt personnel, voilé par la réputation d’honnête homme de vertuNote1988. . Ces possibilités offertes à des associations ne doivent pas être considérées comme des actio popularis en germe ou édulcorées. M. Voeffray, analysant les opportunités offertes dans différents systèmes juridiques, dont la France, parle « d’avatars modernes de l’actio popularis »Note1989. .
Le juge administratif peut également être confronté à des recours présentant une parenté avec l’actio popularis. L’association pour le désarmement nucléaire et M. Lavaurs, agissant au titre d’habitant de la ville de Lyon demandaient au Premier ministre et au Secrétaire général de la Défense Nationale, respectivement, d’abroger le décret du 14 janvier 1964 relatif à l’emploi de la force aérienne stratégique et de couper les communications permettant au Président de la République d’user de la force nucléaire. Après quatre mois de silence, ces personnes saisissent le Conseil d’Etat pour demander l’annulation des décisions de rejet. Le Conseil d’Etat refuse de leur reconnaître un quelconque intérêt à agirNote1990. . Par cette décision, le principe d’une actio popularis semble donc clairement exclu. Et s’il ne semble pas douteux que l’intervention de l’association correspond à son objet, on peut en conclure que le juge se méfie des associations aux objets trop larges qui pourraient permettre d’exercer une action du type de l’action populaire. Selon certains auteurs, une telle possibilité offerte à des associations est à mettre en rapport avec le caractère objectif du recours pour excès de pouvoirNote1991. .
En revanche, le domaine pénal, par détermination de la loi, est ouvert dans certains domaines à une action collectiveNote1992. . R. Badinter, ayant assisté au procès pénal de M. Papon, en 1998, frappé du nombre d’avocats des parties civiles, trente-quatre, représentants pour la plupart des associations, s’interroge sur ce qu’est devenue cette institution d’Etat qu’est la Justice et ne cache pas qu’il y a là un sujet méritant débatNote1993. .
Les solutions divergent quelque peu selon les degrés de juridictions. Les juridictions de première instance semblent admettre assez facilement l’intervention d’associations de lutte contre le racisme ou d’association d’anciens déportés…Note1994. Dans certains domaines, les juges raisonnent comme si le droit d’action s’attachait nécessairement à l’objet statutaire de l’association. Ceci permet à ces associations de prévenir et de faire réparer à leur profit des préjudices causés à des valeurs morales ou humanitairesNote1995. . Une décision de la Cour d’appel de Paris du 3 juillet 1995 affirme que « les associations sont recevables à agir dès lors que, par leurs statuts ou par leur titre professionnel fondé sur une croyance individuelle propre, elles agissent pour défendre par les voies de droit les principes et dogmes de la religion et invoquent un intérêt moral légitime ».
Ces associations prennent donc place au sein de l’action civile, et comme n’importe quelle partie, elles peuvent déclencher l’action pénale. C’est à ce titre qu’il y est ici fait allusion. La longue liste des articles 2-1 et suivants du Code de procédure pénale illustre cette importance des associations de défense des victimes. Dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité, on peut notamment user des articles 2-1, 2-2, 2-4, 2-5, 2-6, relatifs à des discriminations, atteintes sexuelles… On peut considérer ces textes comme permettant de contourner l’inexistence d’une actio popularis, tout en préservant le parquet. Ces possibilités offertes prennent toute leur importance si elles sont médiatisées.
Il convient de signaler que le principe non seulement d’une action collective mais de la constitution de partie civile fut critiqué à l’occasion de l’affaire LeguayNote1996. , concernant un ancien délégué en zone occupée du Secrétaire général pour la police auprès du Gouvernement de Vichy. Il estimait que « le crime contre l’humanité est, par sa nature, une infraction portant atteinte à la collectivité, se distinguant, par ses éléments constitutifs, des crimes commis contre les particuliers et qu’il ne peut, dès lors, engendrer qu’un préjudice causé à tout ou partie de la société dont l’un des membres ne peut demander individuellement réparation devant la justice répressive ». Mais la Cour de cassation, admettant le caractère collectif, considère qu’il atteint des victimes individualisées qui peuvent donc alléguer un préjudice personnel et direct.
Le système juridique français étant également influencé par la Convention européenne des droits de l’Homme et la jurisprudence de la Cour, on peut s’interroger sur la répercussion du débat relatif à une actio popularis devant elle.
L’article 34 de la Convention reconnaît l’existence d’un recours individuel à « toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers ». Concernant notamment les organisations non gouvernementales, il faut pour agir qu’elles puissent se prétendre elles-mêmes victimes d’une violation de la conventionNote1997. . La qualité de victime est d’ailleurs requise de chacun, le principe d’une actio popularis n’étant pas reconnuNote1998. . Mais le recours est largement ouvert du fait d’une interprétation extensive et autonome de la notion de victimeNote1999. . C’est cette extension qui brouille la frontière entre le recours individuel et l’actio popularisNote2000. . C’est notamment la notion de « victime potentielle » qui crée cette incertitudeNote2001. .
Suite à une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme, Karner c/ Autriche, du 24 juillet 2003, certains auteurs, prolongent les interrogations sur l’émergence d’une actio popularisNote2002. . Le glissement du plan individuel vers le plan général effectué par la Cour incite à renouveler les réflexions sur une telle action. Dans cette espèce, elle décide de poursuivre l’instance, malgré le décès du requérant et l’absence de victimes autres. L’idée avancée est de garantir et développer les standards de la protection européenne. Mais les auteurs ne concluent pas pour autant à la reconnaissance d’un tel mécanismeNote2003. .
Pour l’instant, la Cour européenne rejette le principe d’une actio popularis. Si une telle prétention était acceptée, on peut penser qu’au regard des articles 6 et 13, cette solution ne serait pas sans influence sur le droit français.
En droit français, l’actio popularis n’existe pas. En droit international, en revanche, cette possibilité est largement soutenue, comme le complément indispensable du jus cogens.
Par principe, le droit international ignore l’actio popularis. Le régime commun du droit de la responsabilité, tant jurisprudentiel que d’origine institutionnelle avec notamment les projets de la Commission du droit international, n’ouvre qu’à l’Etat lésé un droit à agir contre un autre Etat pour obtenir une sanction. Cependant, dans le sillon de l’émergence de normes ayant valeur de jus cogens, est apparu un régime spécifique ayant pour objectif d’assurer la sauvegarde et l’intégrité de ces normes. Apparaîtraient donc deux régimes, qui, si l’on se réfère au dernier projet de la Commission du droit international de 2001, distingueraient le régime de droit commun d’un régime aux conséquences plus importantes, permettant à des Etats qui ne sont pas victimes directes d’agir contre l’Etat, source de la violation, afin d’assurer le respect des obligations violées et, le cas échéant, la sanction des violations de ces obligations essentielles pour la communauté internationale dans son ensemble.
La portée de l’actio popularis reste incertaine ; aucune convention, aucun traité n’y faisant explicitement référence, ce qui laisse un pouvoir d’appréciation au juge internationalNote2004. . Celui-ci trouve cependant un titre à agir, en faisant une analyse finaliste des textes lui servant de statut ou de base juridique. Il se rattache notamment au droit impératif ou aux obligations erga omnesNote2005. .
Le système international comprend désormais deux grandes composantes, l’une tournée vers l’Etat et l’autre tournée vers l’individu avec le droit international pénal. Pour partie, ces deux grandes composantes possèdent des éléments communs. Notamment, dans le postulat de base du droit international pénal et des obligations essentielles pour la communauté internationale dans son ensemble résident une volonté de sanctionner les violations des normes jugées essentielles. Mais pour assurer l’effectivité de ces normes et pour marquer leur caractère supra-étatique, il convient d’en faire échapper la sanction à l’unique victime, pour éviter que ce mécanisme soit privatisé et risque de céder devant une attitude passive voire permissive de la part de l’Etat visé. La possibilité d’une actio popularis s’insère dans cette logique (A). Dans le versant individuel, c’est-à-dire en droit international pénal, une telle action est inexistante (B). Les individus – victimes ne maîtrisent pas non plus l’action devant les juridictions internationales. Ils ne peuvent qu’attirer l’attention. En revanche, il existerait une sorte d’action pro populo, exercée par les procureurs, selon des modalités variant entre les TPI et la CPI.
La Cour internationale de Justice, dans son arrêt de 1966 relatif au Sud-Ouest africain, a très clairement refusé d’admettre, en l’état actuel du droit, « une sorte d’actio popularis ou un droit pour chaque membre d’une collectivité d’intenter une action pour la défense d’un intérêt public (…) le droit international, tel qu’il existe actuellement, ne la reconnaît pas »Note2006. . Mais une porte était désormais ouverteNote2007. .
Cependant, avec la jurisprudence Barcelona Traction de 1970, reconnaissant l’existence d’obligations intéressant la communauté internationale dans son ensemble, l’idée émerge d’une possibilité de recours pour le simple respect du droit international. Dans cette décision, les juges distinguent deux types d’obligations, celles tournées vers un ou plusieurs Etats identifiés et d’autres tournées vers la communauté internationale dans son ensemble. Certains auteurs y voient, mais avec une certaine précaution, la naissance du jus cogens et en cas de violation de ce dernier, l’existence d’une actio popularisNote2008. . Cependant d’autres auteurs dénoncent cette confusion trop hâtiveNote2009. .
Quoiqu’il en soit, l’admission d’une telle action exonérerait les Etats de la preuve d’un préjudice individualisé et personnel. L’idée d’une telle action semble confirmée par la jurisprudence et par les travaux de la Commission du droit international. Si l’on se réfère uniquement à son dernier projet, on peut constater que les articles 42 et 48 supposent une telle possibilité. La CIJ l’avait déjà annoncé, notamment dans un avis relatif aux réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide : « dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts propres, ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont les raisons d’être de la convention »Note2010. .
L’actio popularis concerne, en théorie, tous les membres de la communauté internationale, sujets actifs de droit, c’est-à-dire les Etats, ce qui est confirmé par l’article 34§ 1 du statut de la CIJ, à condition qu’ils soient parties à son statut. Hormis ratification de la clause facultative de compétence obligatoire, qui fut d’ailleurs dénoncée par la France, suite à l’affaire du 20 décembre 1974 relative aux essais nucléaires, la compétence de la Cour est subordonnée au consentement des Etats mis en causeNote2011. . Le consentement doit alors être clairement donné. S’il manque de clarté, la Cour procède à un examen des comportements de l’Etat incertainNote2012. . Selon la règle du forum prorogatum, les juges rechercheront un acte concluant pour s’estimer saisis.
On peut cependant s’interroger sur l’effectivité d’une actio popularis, dans le cas où un Etat mis en cause ne se présenterait pas devant la Cour. L’affaire, introduite au début des années 1990, relative à l’application de la convention sur le génocide, entre la République fédérale de Yougoslavie et la Bosnie-Herzégovine, peut apporter un semblant de réponse. En 1993, la Cour internationale de Justice rend deux ordonnances. Préalablement, elle a du se prononcer sur sa compétence, car la République fédérale de Yougoslavie la contestait, notamment en arguant de la non ratification de l’article 36§ 2 du statut de la Cour internationale de Justice. Les juges refusèrent de se fonder sur le droit humanitaire, sur le droit international de la guerre et sur la théorie du forum prorogatum. Un auteur développe l’idée que seule la convention relative au génocide semble provisoirement donner compétence à la CourNote2013. , puisque cette dernière, après avoir vérifié sa compétence ratione materiae, va la vérifier ratione personae. Dans le raisonnement mené par la Cour, on sent une volonté d’établir sa compétence, malgré une situation tout à fait incertaine. Il est difficile d’en tirer une conclusion totalement affirmative ; cependant, on peut se demander si, derrière un raisonnement qui se veut respectueux du consentement des Etats à la compétence de la Cour, ne se profile pas, dans le domaine « criminel », une compétence obligatoire de la Cour. Le dernier projet de la Commission du droit international ne semble pas se prononcer sur ce point. Mais cela devrait constituer une des conséquences particulières de la violation d’une norme de jus cogens. A cet égard, un auteur conditionne l’effectivité de l’actio popularis par l’existence d’un système judiciaire obligatoire pour tousNote2014. , à condition de voir dans l’actio popularis uninstrument judiciaireNote2015. .
Le principe, dans le domaine des violations graves d’obligations essentielles découlant du droit international impératif, d’une actio popularis répond également à l’absence d’un organe de poursuite auprès de la Cour internationale de Justice qui aurait la faculté de saisir la Cour. A l’inverse, l’existence d’un procureur, comme c’est le cas devant les juridictions internationales pénales, fait obstacle à une telle action.
La question de la possibilité d’une actio popularis devant ces juridictions suppose la prise en compte de deux éléments : d’une part, l’existence d’un organe chargé d’assurer la poursuite en cas d’atteinte à l’ordre social ; d’autre part la structuration de la société internationale et du système juridique international. Aucun statut n’affirme explicitement l’existence d’une telle action.
A l’instar des juridictions répressives françaises, les juridictions internationales pénales possèdent un procureur. Ils sont présents pour assurer le respect d’un certain ordre public. On peut donc soutenir que l’actiopopularis n’a guère de raison d’être, surtout si l’on se réfère à l’actio popularis initiale en tant qu’action en droit romain, pouvant être déclenchée à l’égard de certains crimes, comme un mécanisme palliant l’absence d’équivalent d’un procureurNote2016. .
Il existe alors un organe compétent, dont l’importance et surtout la médiatisation de l’action peuvent laisser préjuger une intervention chaque fois que cela est nécessaire. L’action des procureurs des Tribunaux pénaux internationaux et notamment du TPIY semble assez probante. En revanche, l’action du procureur de la CPI, lorsqu’il agit de sa propre initiative est soumise à agrément de la chambre préliminaire. Le Conseil de sécurité possède également la faculté d’intervenir pour faire suspendre l’intervention, ce qui peut légitimement faire naître plus de doute sur sa totale efficacité et sur sa marge d’action. Mais une fois encore, si le système peut faire naître des incertitudes, la médiatisation de telles affaires peut s’analyser favorablement.
En outre, l’actio popularis suppose la personnalité juridique active, c’est-à-dire la possibilité de pouvoir ester en justice. Or l’individu n’est que sujet passif. Donc seuls les sujets actifs, comme les Etats et certaines organisations internationales, peuvent prétendre à cette actio popularis, en l’état du système juridique international. Avec le Conseil de sécurité, ils sont d’ailleurs les seuls à pouvoir déférer une affaire au procureur, ce qui les exonère alors d’un passage devant la chambre préliminaire pour pouvoir ouvrir une enquête.
Lors de la recherche de la sanction d’un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité ou d’une violation grave d’une norme essentielle impérative, les systèmes français et international offrent des possibilités diverses. A un système français relativement ouvert à l’individu et aux associations s’oppose un système international, certes en évolution, mais essentiellement réservé aux Etats.
L’émergence d’un ordre public, de normes de jus cogens, d’une communauté internationale, de l’humanité constitue autant d’éléments venant en réduction de l’Etat. La revendication d’une actio popularis, de la part d’individus et d’ONG, si séduisante soit-elle, est repoussée et vraisemblablement à juste titre. A une « déspatialisation » et à une « désystémisation » des victimes, s’opposent des systèmes procéduraux « spatialisés » et « systémisés ».
A ces phénomènes, s’en ajoutent d’autres qui échappent encore plus à l’individu – victime, à savoir la répartition des contentieux entre les différents systèmes juridiques. Si la victime, à la recherche du meilleur for, peut jouer du forum shopping, elle peut être amenée à céder, dans certains cas, soit à des instances internationales, soit à l’Etat.
Après avoir vu l’actio popularis, les autres points sensibles résident dans l’extension de l’imprescriptibilité à tous les crimes et dans la contumace.
Il n’est pas toujours évident d’appréhender les personnes suspectées d’avoir commis des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. K. Barbie, P. Touvier ou bien A. Eichmann constituent des exemples de ces difficultés. Certains suspects comme R. Karadzic, encore aujourd’hui, échappent aux enquêteurs. Des mandats d’arrêts sont délivrés, mais leur localisation reste vaine. Le temps s’écoulant irrémédiablement, il n’est pas rare que les présumés criminels échappent aux procédures grâce aux délais de prescription de l’action publique.
Au regard de la gravité de ces crimes furent adoptées certaines loi ou conventions relatives à l’imprescriptibilité, comme la loi du 26 décembre 1964 en France ou bien la convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité de New York du 26 novembre 1968. Ces deux textes donnèrent lieu à des applications rétroactives qui furent fortement contestéesNote2017. .
L’impossibilité de saisir les individus recherchés incite en outre à s’interroger sur l’opportunité d’une procédure par contumace ; une telle procédure existe en droit français, mais fait défaut en droit international.
Voyons successivement le problème de la prescription (§ 1er) puis celui de la procédure par contumace (§ 2nd).
L’application d’un régime d’imprescriptibilité aux crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité constitue une des critiques adressées au procès de Nuremberg. Cette contestation ressurgit lors de l’application de la loi du 26 décembre 1964 en France. Elle se poursuit encore aujourd’hui concernant les normes de jus cogensNote2018. et soulève la question de l’opportunité de l’application d’un régime spécial à des crimes extraordinairesNote2019. .
Dans une perspective purement juridique, la prescription s’oppose au droit de chacun à ce que sa cause soit entendue.
Traditionnellement, le droit pénal français reconnaît l’existence de délai d’extinction de l’action pénaleNote2020. . Mais par exception sont consacrées des imprescriptibilités, concernant les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide (art. 213-5 du Code pénal). Ce texte se fonde sur la loi du 26 décembre 1964Note2021. précisant que les crimes contre l’humanité tels que définis par la résolution des Nations Unies du 13 février 1946, prenant elle-même appui sur la charte du TMI de Nuremberg, sont imprescriptibles par leur nature. La Cour de cassation fait une stricte application de cette loiNote2022. . Tant l’action publique que l’action civile en bénéficientNote2023. . La règle de la prescription est valable également pour la peineNote2024. . Les crimes de guerre sont soumis au régime de droit commun, à savoir une prescription de l’action publique au bout de dix ans et une prescription de la peine de vingt ans. Seuls les crimes de guerre aggravés de l’article 212-2 du Code pénal sont alignés sur le même régime que les crimes contre l’humanité.
L’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité fut l’objet d’un débat tant au sein des Etats qu’en Europe. Le Conseil de l’Europe, dans les années 1960, fut à l’initiative d’un mouvement en sa faveurNote2025. .
Du point de vue du droit international, la règle fut posée par la convention de New York du 26 novembre 1968, relative à l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et par la convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et les crimes de guerre du 25 janvier 1974. Mais la France n’en a ratifié aucune.
Enfin, l’article 29 du statut de la CPI prévoit que tous les crimes relevant de sa compétence ne se prescrivent pas. Le Conseil d’Etat, saisi pour avis sur ce texte, a qualifié la prescription de Principe fondamental reconnu par les lois de la République sans préciser s’il s’agissait de l’action publique ou de la peine. Il exclut de l’imprescriptibilité les crimes de guerre ; en revanche, il précise que les trois autres crimes le sont en droit internationalNote2026. . Le Conseil constitutionnel ne semble pas y voir un point d’achoppementNote2027. .
Soulignons également que les statuts et RPP des TPI ne contiennent pas de règles à ce sujet, mais les lois françaises d’adaptation précisent ces pointsNote2028. .
Hormis le statut de la CPI, aucun texte ne consacre d’imprescriptibilité. La doctrine est partagée sur ce point, certains y voyant une évidence, d’autres pensant que l’absence d’une telle mention prouve que le sujet a échappé aux concepteurs des statuts, notamment à NurembergNote2029. .
La Cour de cassation, dans l’affaire Touvier, le 30 juin 1976, a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris sur ce point, estimant qu’il convient de rechercher si l’imprescriptibilité découle du statut du TMI de Nuremberg pour les crimes contre l’humanitéNote2030. . Le ministre avait été saisi d’une question préjudicielle et a considéré, en 1979, que la prescription extinctive ne joue pas le même rôle en droit interne qu’en droit internationalNote2031. .
Reste qu’aujourd’hui les crimes de guerre sont prescriptibles, malgré quelques incertitudesNote2032. .
Une clarification risque de venir sous l’influence de l’article 29 du statut de la CPI. En tant que tel, il n’oblige nullement les Etats à adopter un régime d’imprescriptibilité. Mais s’ils veulent conserver leur compétence en matière pénale, ils ont tout intérêt à adopter de telles mesures. Il posséderait une force incitative. En effet, imaginons une affaire ayant lieu en France et qui se solde par une déclaration d’incompétence des juridictions françaises pour cause de prescription. La CPI possédera alors un titre à intervenir. Pour des raisons « d’orgueil national », on pourrait alors y voir une incitation à opter pour l’imprescriptibilité.
Concernant la compétence de la CPI, l’article 11 du statut la prévoit pour les crimes commis après l’entrée en vigueur du statut, soit le 1er juillet 2002. Or certains Etats ne ratifient son statut qu’au-delà de cette date. L’article 11§ 2nd prévoit alors la compétence de la Cour qu’après l’entrée en vigueur du statut à l’égard de cet Etat. Selon le professeur David, la CPI pourrait tout de même être compétente pour les faits commis entre le 1er juillet 2002 et l’entrée en vigueur du statut à l’égard de l’Etat, au nom d’une compétence « rétrospective », ce qui est à distinguer de la compétence rétroactiveNote2033. .
Pour conclure, on peut reprendre l’axiome de Bentham selon lequel : « C’est le triomphe de la scélératesse sur l’innocence, car le spectacle d’un criminel jouissant en paix de son crime, protégé par les lois qu’il a violées, est un objet de douleur pour les gens de biens, une insulte publique à la morale »Note2034. .
L’imprecriptibilité des poursuites pose en filigrane la question du jugement après l’écoulement d’un laps de temps qui peut être assez grand. Si cela permet de mieux connaître les faits, de mieux exploiter les archives, cela présente aussi le risque de souvenirs qui s’émoussent, mais surtout celui d’un jugement anachronique, en méconnaissance du contexte par une génération de juges n’ayant pas connu les faitsNote2035. . La prescription reste plus que jamais une question qui ne peut se réduire à une attitude trop volontariste.
L’imprescriptibilité s’inscrit dans la thématique de l’impunité, un second point peut y être rattaché : celui de la procédure par contumace.
Selon le Vocabulaire CornuNote2036. , la contumace est l’état de l’accusé renvoyé en Cour d’assises qui ne se présente pas à l’audience ou qui s’est évadé avant le verdict. Très précisément, la situation se produit une fois rendu l’arrêt de mise en accusation. L’individu poursuivi est alors nommé contumax, il est ensuite déclaré rebelle à la loi et suspendu de ses droits de citoyen. S’il se présente, volontairement ou contraint, s’ensuit un anéantissement automatique de l’arrêt de condamnation.
Après signification de l’arrêt de renvoi faite au domicile de l’accusé et dans un délai de dix jours, ou bien si l’accusé s’est évadé, le président de la Cour d’assises rend une ordonnance de contumace (art. 627-21 CPP). Cette ordonnance donne un nouveau délai de dix jours avant que le jugement ait lieu. La Cour statue selon une procédure dérogatoire, en l’absence de jurés et d’avocats, par une procédure non contradictoireNote2037. .
En droit français, la procédure de contumace existe, ce qui n’est pas le cas en droit international pénal. Or une telle existence est revendiquée, car très souvent les personnes suspectées d’avoir commis des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité sont en fuite. L’intérêt de la contumace est justement de poursuivre la procédure en l’absence de l’accusé ; cependant, il est à remarquer que son conseil ne peut se présenter pour le défendre (art. 630 CPP) ; le contumax ne bénéficie alors pas d’une procédure équitable. Il ne peut pas non plus se pourvoir en cassation (art. 636 CPP).
La procédure n’existe pas en droit international pénalNote2038. et les avis sont partagés à son sujet, certains estimant que son absence nuit à l’efficacité, notamment, des tribunaux pénaux internationauxNote2039. . Si le choix du refus de cette procédure a été fait, les négociations lors de l’édiction des statuts et des RPP des TPI révèlent des avis partagés, le Secrétaire général de l’ONU ayant fait connaître son oppositionNote2040. . Le principal argument réside dans une volonté de respecter au maximum les droits de l’accusé, définis par les statuts mais également au regard de l’article 14 du PIDCP.
Cependant, la procédure de l’article 61 des RPP s’approche fortement de la procédure de contumace. Sa rédaction entretient une certaine ambiguïté, à tel point que certains y voient un procès déguiséNote2041. . La procédure est la suivante : le mandat d’arrêt délivré par le juge restant infructueux, ainsi que la notification de l’acte d’accusation pendant un délai raisonnable, ce même juge prend une ordonnance prescrivant au procureur de saisir la chambre de première instance afin d’examiner l’acte d’accusation. Cette chambre statue en audience publique sur les éléments de preuves présentés au premier juge ayant confirmé l’acte d’accusation. Les témoins peuvent intervenir devant la chambre de première instance. Si la chambre est convaincue des diligences du procureur et constate l’impossibilité à se saisir de l’accusé et surtout si elle a des « raisons de croire » que l’accusé a bien commis tout ou partie des actes qui lui sont reprochés, elle « statue en conséquence » et « en outre », elle délivre un mandat d’arrêt international transmis à tous les Etats. Elle peut également d’office prendre des mesures conservatoires à l’encontre des biens de l’accuséNote2042. . La confusion avec une contumace est alors compréhensible. Le TPIY, ayant eu l’occasion de se servir de cette procédure notamment à l’encontre de NicolicNote2043. , MarticNote2044. , Karadzic et MladicNote2045. , RajicNote2046. ou ou bien encore dans l’affaire de l’hôpital de VukovarNote2047. , précise que cette procédure ne s’assimile pas à un procès par contumace et qu’elle ne conduit pas à un jugementNote2048. . Mais il semble que cette procédure ne soit pas toujours d’un maniement excluant le procèsNote2049. .
Un auteur, semblant regretter l’absence de la procédure de contumace, considère qu’instaurer une telle procédure produirait des effets identiques à ceux consistant pour l’accusé à plaider coupable. Le contumax pourrait être condamné à la peine maximale, son comportement traduisant sa culpabilité, mais avec une possibilité de se présenter dans un délai de cinq ans par exemple, ce qui purgerait le jugement par contumace. Au-delà de ce délai, la peine serait acquiseNote2050. .
La critique de l’absence d’une procédure de contumace doit cependant être relativisée. D’une part, les TPI éprouvent déjà des difficultés à juger les affaires dont ils sont saisis et à l’arrivée du terme de leur mandat la tâche sera loin d’être achevée ; d’autre part, la critique de l’absence de la contumace doit être faite dans la perspective du système de coopération avec les Etats. Certes les TPI peuvent être considérés comme démunis de ce point de vue là, mais ce n’est pas pour autant que les criminels échapperont à leur sort, les crimes poursuivis étant normalement imprescriptibles, bien que cela varie d’un Etat à l’autre, tant au niveau des poursuites que de la peine.
La jurisdictio est liée soit à la souveraineté, soit à un pouvoir spirituel. Le faculté de dire le droit, mais également de le déterminer fut et reste, dans une certaine mesure, l’apanage du souverain, que ce soit un monarque, un peuple ou une nation. La détermination du droit et son application, c’est-à-dire son exécution et sa sanction, présentent une certaine corrélation. On peut d’ailleurs observer que la construction de l’Union européenne ou bien encore le système de la Convention européenne des droits de l’Homme prévoient la compétence d’un organe judiciaire appartenant au même système juridique et politique que celui qui a créé ce droit. Ceci n’est pas sans aboutir à la réduction du domaine de compétence étatique. Pour autant, les juges de l’Etat sur le territoire duquel s’applique un droit d’origine extra-nationale, ne sont pas totalement écartés, ainsi que le « normateur » étatique. D’une part, ce dernier doit s’abstenir de créer des règles en contradiction avec le droit extra-national surtout s’il prime, et doit en assurer l’application, au nom du principe de bonne foi ; d’autre part, les juges nationaux sont les premiers à vérifier et à sanctionner l’application de ce droit. Une partie de leur activité se caractérise donc, si l’on se réfère à Scelle, par un dédoublement fonctionnel.
Le phénomène d’internationalisation du droit et des juridictions se perçoit dans nombre de domaines et notamment dans celui des crimes internationaux et des crimes de droit international. Il est d’autant plus perceptible lorsque les juges nationaux possèdent une compétence universelle.
Bien que les Etats aient consenti à la création de l’Organisation des Nations Unies, à la création d’une Cour pénale internationale, à l’existence d’une Cour internationale de Justice, l’existence de ces organes, statuant sur un droit qui va progressivement échapper aux Etats sous l’influence de l’interprétation des juges, constitue un phénomène venant en réduction de la souveraineté étatiqueNote2051. . La justice échappe aux souverains, aux Etats pour les dépasser et pour se rattacher non plus à eux, mais à l’individu pris sous sa forme individuelle, et aussi sous sa forme collective et spirituelle, l’humanité.
La Constitution française, et notamment son article 55, assurant la primauté du droit international écrit ne se contente pas d’obliger le législateur à respecter ce droit supranational, mais fait du juge un élément de cette justice internationale. A une certaine hiérarchie linéaire, se substitue un système interactif avec une hiérarchie en réseau ou en « toile d’araignée »Note2052. .
Le dédoublement fonctionnel de l’office du juge, partagé entre l’Etat et un ordre public supranational, et la prétention de certains à faire intégrer cet ordre public international aux ordres nationaux, sont, entre autres les révélateurs d’une mutation des sociétés, du système international et des systèmes étatiquesNote2053. . A cet égard, le professeur Delmas-Marty propose la création de juridictions supranationales et dans « le prolongement du principe de compétence universelle, la mondialisation des juridictions nationales »Note2054. . La création d’un mécanisme de centralisation de l’interprétation serait également à envisager, par exemple devant la Cour pénale internationaleNote2055. . L’universalité des juges nationaux, pour le professeur Cassese, est un moyen de concilier souveraineté des Etats et justice internationale pénaleNote2056. .
Pour le professeur AscensioNote2057. , les mutations actuelles des systèmes doivent être envisagées dans une perspective dépassant l’opposition entre souveraineté et humanité. Il faut alors envisager les rapports entre les systèmes en terme d’articulation dont le pivot serait le gouvernant et non plus le concept de souveraineté. Par cette démarche, l’Etat, dans le crime international, ne serait alors plus qu’un instrument au service du dirigeant. Ce même auteur incite à voir l’Etat comme un simple ordonnancement juridique et à démythifier le pouvoirNote2058. . Il voit également un encadrement de l’Etat de droit, plutôt que la manifestation d’une substitution d’ordres juridiques. Si l’on ne peut nier une approche instrumentale de l’Etat, on ne peut pas non plus occulter un certain rapport intime entre l’Etat et les individus et ne pas s’interroger sur le rapport de la souveraineté à la volonté populaire. Mais à cette question seule une réponse passionnelle et un tant soit peu raisonnée peut être apportée.
Au-delà des multiples interprétations du phénomène se pose le problème des relations entre les juridictions internes et les juridictions internationales. Elles dépendent largement des relations entre les systèmes correspondantsNote2059. . Cependant, la distinction juridictions criminelles (chapitre 1er) et juridictions compétentes à l’égard de l’Etat (chapitre 2nd) présente l’avantage d’illustrer, dans le cadre des relations verticales, des modes d’articulations et de répartitions de compétences différents.
La compétence des juridictions françaises à l’égard des militaires français, hormis le cas où ceux-ci seraient arrêtés et auraient vocation à être jugés dans un Etat étranger où ils auraient commis leurs crimes, au nom du principe du locus delicti, peut être concurrencée par les juridictions internationales.
La question des relations avec ces juridictions ne permet pas d’apporter une réponse unique, eu égard à la différence existant entre les Tribunaux pénaux internationaux qui bénéficient de la règle de la primauté et la Cour pénale internationale qui fonctionne selon la règle de la complémentarité et qui tire son existence d’un traitéNote2060. . Si l’on se réfère à la classification des Etats, au vu de leurs rapports avec le droit international, opérée par le professeur Delmas-Marty, la France serait un système « international modéré », c’est-à-dire reconnaissant une compétence universelle, mais avec prédominance des règles nationalesNote2061. .
La solution adoptée par les rédacteurs du statut de la CPI et par les Etats signataires aboutit à un système certes hiérarchisé, mais apprécié globalement, à un système en réseau, interactif. Si la relation entre une juridiction nationale et la CPI semble offrir un visage linéaire et hiérarchisé, l’édification des normes, en revanche, se présente sous une forme interactive. Au-delà donc du simple aspect relationnel lié à la compétence des juridictions (section 1ère), il convient d’apprécier plus globalement ces rapports afin d’identifier l’émergence d’un système judiciaire complexe, à la fois intégré aux Etats et leur échappant (section 2nde).
Le statut de la Cour pénale internationale et les relations de cette dernière avec les juridictions internes se ressentent de son mode de création. Le traité de Rome de 1998, négocié par les Etats, aboutit, du moins en apparence, à une réelle prise en compte et à une réelle garantie de la souveraineté étatiqueNote2062. .
Les juridictions internationales pénales ne possèdent pas de territoire et leur autorité reste subordonnée à la bonne volonté des Etats sur les territoires desquels se trouvent les suspects poursuivis. Le régime particulier des TPI bénéficie de l’aura du Conseil de Sécurité et surtout de la force des décisions prises sur le fondement du chapitre VII de la Charte. Mais la CPI possède un caractère interétatique beaucoup plus marqué et se trouve donc beaucoup plus soumise à la volonté étatiqueNote2063. .
Un certain réalisme, d’une part, et vraisemblablement une certaine réticence étatiqueNote2064. , d’autre part, ont abouti à conserver une compétence de principe aux juridictions nationales (sous-section 1ère) et une compétence subsidiaire à la Cour pénale internationale (sous-section 2nde), notamment en cas de mauvaise foi et d’incapacité de la part des Etats.
Les rapports entre la Cour pénale internationale et les juridictions françaisesNote2065. relèvent de la complémentaritéNote2066. . Mais il semble plus juste de parler de subsidiarité. Pour simplifier momentanément, la Cour n’est compétente qu’en cas d’inaction ou d’action de mauvaise foi d’un EtatNote2067. .
Que l’on soit en temps de paix ou en temps de guerre, les juridictions pénales françaises compétentes à l’égard des militaires trouvent un fondement à intervenir dans les critères classiques de compétence qu’elles semblent faire primerNote2068. sur l’emploi des possibilités offertes par la compétence universelle, que ces autorisations découlent de textes internationaux ratifiés par la France, de la jurisprudence internationale ou du Code pénal français. Il existe en effet une compétence universelle, exceptionnelle en droit français, à l’égard des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (art. 689 et 689- 1 et s. CPP)Note2069. .
Les règles de compétence des juridictions françaises se trouvent dans le Code pénal, chapitre III du Titre 1er du Livre 1er et dans le Code de procédure pénale (articles 689 à 693). A cela s’ajoutent d’autres règles ponctuelles, dont celles des conventions internationales ratifiées par la France, comme le statut des Tribunaux pénaux internationaux et celui de la Cour pénale internationale.
On peut observer la compétence première des juridictions françaises, si l’accusé se trouve dans le ressort territorial de la justice française, appliquant en priorité les textes français essentiellement fondés sur les critères de compétences classiques (§ 1er). Pour autant, non seulement il existe des mécanismes de compétence universelle (§ 2nd), mais la ratification du statut de la CPI suppose un renforcement de ce type de compétence qui permettrait de substituer la compétence universelle aux critères classiques, dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
L’utilisation des critères de compétences classiques par les juges français s’explique tout d’abord par le fait que tous les crimes contre la paix et la sécurité ne bénéficient pas de la compétence universelle. En effet, ni le génocide, ni le crime contre l’humanité n’en relèventNote2070. . Les critères classiques seraient donc exclusifs pour ces crimes et concurrents pour les autresNote2071. .
Concernant le génocide et le crime contre l’humanité, les principaux textes ne prévoient pas de compétence universelle. L’article 6 de la convention du 9 décembre 1948, relative au crime de génocide, prévoit la compétence des juridictions du lieu de commission. L’Accord de Londres de 1945 semble aller dans le même sens. Le Code pénal français ne prévoit aucune disposition particulière en ce sens et le Code de procédure pénale prévoit une compétence universelle, notamment par renvoi d’un texte international (art. 689 et 689-1 et s.).
Cependant, certains auteurs considèrent qu’il pourrait en exister une en ce domaine, contenue dans le droit coutumier, ce qui serait confirmé par une résolution 3074 de 1973 de l’Assemblée générale des Nations Unies, relative aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité. Mais si cette résolution traduit à l’évidence une volonté de punir de tels agissements, se pose le problème de sa force juridiqueNote2072. , soit en tant que telle, soit dans le processus de formation du droit coutumier.
Cependant, sous l’influence des TPI et de la CPI et de l’importance de leurs statuts, on peut s’interroger sur l’émergence d’une telle norme coutumièreNote2073. , voire d’une règle jurisprudentielle en germe.
Le régime des crimes contre l’humanité, dont le génocide est un type au regard du Code pénal français de 1994, est hétérogène. Il faut distinguer ceux commis avant l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et ceux commis après. Dans la première catégorie, il faut encore distinguer ceux en relation avec la compétence du Tribunal militaire international de Nuremberg et dont la poursuite est fondée sur les Accords de Londres du 8 août 1945 et les autres sans rapport avec les premiers. Pour ceux commis après l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, il faut prêter attention à ceux qui relèvent de la compétence des TPI et de la CPI. Car dans l’un et l’autre cas, la compétence des juridictions françaises peut différer.
Pour les crimes commis avant 1994, en référence à l’article 6 c) du statut du TMI de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, à la résolution des Nations Unies du 13 février 1946 et à la loi du 26 décembre 1964 relative à l’imprescriptibilité de ces crimes, renvoyant aux textes précédents, les juridictions françaises sont compétentes, en référence au droit international. Pour des supposés crimes commis lors de la guerre d’Algérie, jusqu’à présent, la Cour de cassation s’est refusée à admettre la compétence des juges criminels français, sur le fondement de la coutume internationaleNote2074. .
On peut observer, au vu des jurisprudences Touvier, Barbie et Papon, fondées sur ces textes que la compétence des juges français est délimitée temporellement, géographiquement et personnellement, car les crimes doivent avoir été commis au cours de la Seconde Guerre mondiale, donc sur un territoire défini et uniquement pour le compte d’un pays de l’Axe.
Pour les crimes commis après 1994, les juridictions françaises semblent soumises aux règles traditionnelles de compétence. Il convient de réserver le cas des crimes relevant de la compétence des TPI, qui, au titre des lois de 1995 et 1996, permettent aux juridictions françaises de juger des crimes relevant de leurs compétences. Il s’agit alors d’une compétence d’attribution, délimitée spatialement et temporellement. Il convient également de réserver une attention particulière aux crimes qui seraient susceptibles de relever de la compétence de la CPI. La France étant partie au système ainsi créé devient un élément de la répression opérée par la CPI.
La question à laquelle il faudra répondre est la suivante : la compétence française reste-t-elle liée aux critères classiques de compétence des juridictions françaises ou bien le système de la Cour pénale internationale entraîne-t-il la création d’une compétence universelle ?Note2075. On peut se demander si la CPI, qui se veut protectrice des souverainetés, ce qui implique la politique pénale, n’est justement pas un mécanisme qui ne prescrit pas de compétence universelle aux Etats parties, mais qui assure, le cas échéant, cette compétence à leur place.
En dehors de ces hypothèses, il en reste qui ne font l’objet d’aucune interférence avec d’autres systèmes existants ; il semble donc que dans ces cas, les juridictions agissent selon leurs critères classiques de compétence. Pour tous les crimes internationaux, les juges français ont tendance, semble-t-il, à utiliser en priorité leurs critèresNote2076. .
Ces critères supposent un lien avec la France. Il peut être territorial, personnel ou réel.
La compétence territoriale signifie que les juridictions sont compétentes car la loi pénale française a été transgressée, et notamment que l’infraction a eu lieu sur le territoire français. Peu importe en ce cas la nationalité du criminel ou de la victime. Il s’agit ici de faire respecter l’ordre public français, la souveraineté française à l’intérieur des frontières. Ce critère est énoncé à l’article 113-2 alinéa 1er du Code pénal aux termes duquel : « la loi pénale française est applicable à toutes infractions commises sur le territoire de la République ». Dès lors, il suffit que l’un des actes criminels, pour une infraction composée, ait eu lieu en France. Par exemple, la simple exécution des actes préparatoires suffitNote2077. . L’énoncé de l’article 113-2 autorise une interprétation large de la compétence des juges françaisNote2078. . Pour que les infractions complexes et les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité en relèvent, l’exécution de l’un des actes sur le territoire français est suffisanteNote2079. . Les juridictions françaises trouvent donc compétence pour l’auteur ou le complice à l’étrangerNote2080. .
Au sein du critère territorial, consacrant un élément de la définition de l’Etat et de la limitation spatiale de sa compétence, il convient de distinguer la territorialité subjective ou matérielle concernant les faits s’étant uniquement déroulés sur le territoire national, de la territorialité objective ou formelle pouvant concerner des faits commis à l’étrangerNote2081. . Le glissement de la première à la seconde acception aurait eu lieu avec la jurisprudence dite du Lotus et la sentence arbitrale Ile de PalmasNote2082. . Avec ces décisions, la compétence territoriale ne coïncide pas avec la souveraineté territoriale. Par conséquent, un Etat peut connaître de faits s’étant déroulés ailleurs que sur son territoire. Cela permet la poursuite de faits dont certains éléments eurent lieu sur le territoire dudit Etat.
La compétence territoriale constitue donc un critère à ne pas omettre. Aux articles 113-2 à 113-5 du Code pénal concernant les infractions commises sur le territoire de la République, s’ajoutent les article 113-6 à 113-12 relatifs aux infractions commises hors du territoire.
Le critère personnel se rattache à celui de la nationalité, que ce soit celle de la victime ou du criminel ; concernant notre sujet, le militaire possède la nationalité française ou est supposé la posséder en ce qui concerne la Légion Etrangère. Il convient de distinguer personnalité active et personnalité passiveNote2083. . La personnalité passive concerne, sous certaines conditions, les nationaux victimes. Au titre de la personnalité active, la loi pénale française s’applique, sous certaines conditions, aux ressortissants français coupable d’infractions.
L’article 113-6 permet entre autres l’application de la loi pénale française pour un crime commis à l’étranger par un Français, sans condition de double incrimination. L’article 113-7, concernant les crimes commis par un national ou un étranger à l’étranger, permet la compétence des juridictions françaises si la victime est française au moment des faitsNote2084. . Seule la preuve que la personne a déjà été jugée fait obstacle à l’ouverture d’une nouvelle procédure judiciaire (art. 113-9 Code pénal).
Les militaires, dans le domaine de la personnalité active, sont censés respecter la loi française et les conventions internationales intégrées en droit français et régissant leurs actions. En outre, l’armée est toujours sous l’influence de la justice française avec, en temps de paix, la prévôté aux armées et le Tribunal aux armées de Paris pour les faits commis à l’étranger ou sous l’influence des juridictions de droit commun en formation spéciale pour les actes commis sur le territoire national. En temps de guerre, des juridictions spéciales sont mises en place pour sanctionner les militaires infracteurs et criminels.
Bien que le Code pénal, et notamment l’article 113-6, n’exige pas une double incrimination pour les crimes, il semble qu’en matière de crimes internationaux une telle exigence soit d’emblée remplie.
Le dernier critère pouvant servir à établir la compétence judiciaire française est celui de la compétence réelle. Dans cette dernière hypothèse, la compétence repose sur la nature même de l’infraction, qui sanctionne une atteinte aux intérêts de la nation. On se rapproche alors de la logique de la compétence universelleNote2085. .
Pour clore sur ce point, il convient de mentionner la position de la Cour de cassation française. Des Bosniaques, se prétendant victimes de faits de tortures, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, portent plainte contre personne non dénommée avec constitution de partie civile auprès d’un juge d’instruction de Paris. Ce juge se déclare compétent sur le fondement de la convention de New York de 1984 et sur le fondement des conventions de Genève de 1949. Le ministère public conteste cette compétence et est suivi par la chambre d’accusation, aux motifs que les articles 689-1 et 689-2 du Code de procédure pénale supposent un élément objectif et matériel de rattachement, à savoir la présence des accusés sur le territoire, ce qui n’est, semble-t-il, pas avéré. L’arrêt ajoute que les conventions de Genève n’ont pas d’effet directNote2086. . Pour la Cour de cassation alors saisieNote2087. , la loi du 2 janvier 1995, portant adaptation de la résolution 827 du Conseil de sécurité relative au TPIY et à sa compétence, confirme le critère de présence des accusés sur le territoire et donne un effet direct aux conventions de Genève. Les juges de cassation insistent clairement sur la nécessité de la présence des auteurs et des complices sur le territoire afin de déclencher les poursuites.
L’hypothèse de la compétence des juridictions françaises mérite d’être précisée dans les cas de dissociation territoriale des lieux de commission de l’infraction principale et des actes de complicité. Un problème de type interétatique se pose alors. Le droit pénal international a pour objectif de régler entre autres ces cas. Deux hypothèses sont à étudier : celle de l’acte de complicité ayant eu lieu en France, alors que l’acte principal fut commis à l’étranger et celle de l’acte de complicité commis à l’étranger, alors que le crime principal eut lieu en FranceNote2088. . La question se pose surtout en l’absence de jugement de l’acte de complicité par une juridiction étrangère ou internationale. Les articles 113-5Note2089. du Code pénal et 689 du Code de procédure pénaleNote2090. apportent une réponse.
Si l’acte principal a eu lieu sur le territoire français, l’acte de complicité peut être jugé par les juridictions françaisesNote2091. . Et si l'acte principal est commis à l'étranger et l'acte de complicité en France, le problème de l'acte principal punissable est alors sujet à interrogations. Par exemple, des militaires en opération, dans le cadre d'un conflit armé, commettraient sur ordre d'un dirigeant politique des crimes de guerre. Deux solutions sont envisageables.
L'article 113-5 du Code pénal affirme clairement la compétence des juridictions françaises à l'égard du complice, mais à la double condition que l'acte principal soit sanctionné en droit français et dans le droit du pays étranger et qu'une décision soit intervenue définitivement sur ce point. Soulignons que, dans le domaine des crimes internationaux, la condition de double incrimination semble exclue, notamment lorsqu’une convention ou un traité international les sanctionne et que les Etats en présence y adhèrentNote2092. . Mais cela exonère-t-il de la double condition de l’article 113-5 ou bien cela fait-il obstacle à son application ? En définitive, ceci n’a guère d’importance, car, si l’on se fonde uniquement sur l’article 689 du CPP, du fait de l’adhésion de la France au statut de la Cour pénale internationale, on s’approche d’une compétence universelle. Ceci est d’ailleurs valable, tant pour les actes de complicité que pour les crimes à proprement parler. Les juridictions françaises bénéficieraient des effets de la CPI. En fonction du type d’acte, les articles 689-1 et suivants pourraient également être applicables.
Une autre solution est envisageable dans le cas spécifique où les militaires en cause sont dans une zone sous contrôle militaire français. Dans ce cas, on peut considérer qu'il y a substitution des services publics de la Défense et de la Justice sur ledit territoire ; l'acte principal relève de la justice française et l'acte de complicité pourra être alors également sanctionné. Si ce militaire est en mission, il semble que l'on peut apporter d'autres éléments en faveur de la poursuite pénale sous le chef de complicité. S'il se trouve sur un territoire sous contrôle français, il y a, sur ledit territoire, substitution du service public de la Défense et dans une certaine mesure de celui de la JusticeNote2093. . En effet, où qu'il soit, le Français en général et le militaire en particulier, est soumis au droit français. Si le militaire est sous mandat de l'ONU, on peut également soutenir qu'il est soumis à la fois à son droit national et « au droit onusien »Note2094. .
En matière militaire, il faut rappeler la compétence du Tribunal aux armées de Paris pour les infractions commises hors du territoire françaisNote2095. , en temps de paix. Par conséquent l'acte principal est toujours punissable par la justice française. En temps de guerre, les tribunaux des forces armées seront compétents (art. 699 du CPP et 68 du CJM)Note2096. . En outre, l'article 689 du Code de procédure pénale, par renvoi à des conventions internationalesNote2097. , institue une compétence universelle des juridictions françaisesNote2098. , à distinguer de l’article 689-1 et suivants conditionné par la liste de conventions limitativement énumérées.
Tous les critères classiques, en matière de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, ont vocation à être des critères utilisables, notamment le critère personnelle pour le militaire français. Ils peuvent constituer des règles de détermination de compétence en cas de conflit positif de compétenceNote2099. . Mais l’article 113-10 du Code pénal qui sanctionne ce type d’infractions opère un renvoi au titre 1er du livre IV du même code. Cet article envisage la protection d’intérêts purement étatiques, à distinguer clairement des intérêts de la communauté internationale. Cependant, rien n’empêche, en théorie, une confusion des deux.
Pour conclure sur la compétence des juridictions françaises, on peut soutenir, au-delà des articles ponctuels contenus dans le Code pénal et dans le Code de procédure pénale, que la combinaison de l’article 689 du Code de procédure pénale et de l’économie du statut de la CPI offre une compétence aux juges français pour poursuivre les criminels ou les complicesNote2100. , dès lors qu’est identifié un lien avec la France et cela sans condition de double incrimination ou de décision préalable sur le fait principalNote2101. . Le militaire, par sa nationalité française et son lien statutaire, relève toujours de la compétence des juridictions françaises.
Les critères traditionnels suffisent à permettre la compétence des juridictions françaises à l’égard des militaires français. Une compétence universelle est d’ailleurs même en germe en droit français, confirmant un mouvement plus vaste en ce sens.
Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, par les intérêts qu’ils protègent, incitent à s’interroger sur la nécessité d’établir une compétence universelle des juridictions nationales. Un courant très fort en faveur d’une telle solution est largement perceptible. Certains y voient la marque non seulement d’une solidarité mais également du passage d’une société internationale à une communauté internationaleNote2102. . Voyons les justifications de la compétence universelle (A), avant d’envisager sa réception par le système français (B).
La compétence universelle permet à un juge national de se reconnaître compétent pour des infractions sans rapport avec l’Etat qu’il représenteNote2103. . Traditionnellement circonscrite aux crimes les plus graves, universellement condamnésNote2104. , elle fait l’objet d’un abondant soutien, mais reste encore fortement théorique, malgré quelques législations nationales favorablesNote2105. . L’idée serait que la nation qui poursuit, agit pour toutes les nationsNote2106. .
Si le principe d’une compétence universelle afin de sanctionner les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité semble louable, on ne peut écarter certains impératifs politiques et diplomatiques, comme le prouve le destin de la législation belge sur ce point.
Certaines conventions sont sans ambiguités : les conventions de Genève de 1949 (art. 49/50/126/146)Note2107. , la convention de Montréal du 23 septembre 1971 (art. 7), la convention du 10 décembre 1984 relative à la répression du crime de torture (art. 5) ou bien encore l’article 9 du projet de code de la CDI de 1996. Encore est-il précisé à chaque fois que les Etats possèdent la possibilité d’extrader.
C’est en dehors des cas explicitement prévus que se pose réellement le problème de l’exercice d’une compétence universelle. Pour en mesurer la portée, il convient d’en voir les justifications.
Donnnedieu de Vabres hésite à distinguer les critères dits traditionnels de compétence et la compétence universelle, car selon lui, elle se pratique depuis assez longtemps pour être considérée comme un critère classiqueNote2108. . Le seul argument justifiant cette distinction résiderait alors dans les considérations qui la dictent. Concernant le faux-monnayage ou la piraterie, ce serait une solidarité « interétatique », alors que, concernant les nouveaux crimes, ce serait plutôt l’impunité des criminelsNote2109. . Cette idée est confirmée par la Cour permanente de justice internationale, dans son arrêt du LotusNote2110. . Elle se définit comme un système donnant vocation au tribunaux de tout Etat sur le territoire duquel se trouve l’auteur de l’infraction pour connaître de cette dernière et ce, quels que soient le lieu de perpétration de l’infraction et la nationalité de l’auteur ou de la victimeNote2111. . Cette possibilité offerte ne peut se concevoir que pour des crimes très graves dont la prohibition protège des intérêts considérés comme communs à toutes les sociétés. La logique du Lotus, pouvant servir de fondement à la compétence universelle, n’est plus réellement valide depuis l’affirmation de l’égalité souveraine des Etats par la Charte des Nations Unies, selon le Président GuillaumeNote2112. .
Pour le juge Vandermeersch, « la règle de la compétence universelle constitue une exception au principe de territorialité du droit pénal, au terme duquel une personne qui commet une infraction sur le territoire d’un Etat déterminé est poursuivie par les autorités de cet Etat, sanctionnée par ses juridictions suivant le droit qui y est en vigueur et y purge sa peine (…). L’originalité du principe de compétence universelle est de trouver son fondement dans la nécessité de la protection d’un intérêt ou d’une valeur à caractère universel dont le respect relève de la responsabilité commune de l’ensemble des Etats », ce qui est précisé dans le préambule du statut de la CPINote2113. .
Pour le professeur Lombois, cette universalité du droit de punir suppose la dissociation de la compétence judiciaire et de la compétence législativeNote2114. . Les juges ne seraient plus l’organe d’une souveraineté étatique particulière. On retrouverait alors la théorie du dédoublement fonctionnel de Scelle. En revanche, la soumission à une même et seule loi serait souhaitable. C’est le hasard de l’arrestation, en quelque sorte, qui détermine la compétence. L’idéal serait que chaque système pénal soit similaire, pour éviter une différenciation de traitement pénal. Devrait s’ajouter la distinction norme de comportement - norme de répressionNote2115. .
Selon Mme La Rosa, on peut considérer qu’existe une compétence universelle concernant le génocide, le crime contre l’humanité, les conventions de Genève, car elles prévoient la sanction de tels comportements par les tribunaux internes (respectivement, art. 49, 50, 129, 146)…Note2116. . Le projet de code de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de 1996 de la Commission du droit international retient également le principe de la compétence universelle (art. 8)Note2117. .
Cette compétence découle soit de la ratification de conventions internationales, soit d’attitudes volontaristes de la part des Etats. Lorsqu’elle est affirmée par un texte international, elle se heurte à la place faite à ce dernier dans l’ordre interne.
Certains auteurs distinguent compétence universelle absolue et compétence universelle conditionnéeNote2118. . Le premier système consisterait à autoriser les juridictions nationales à se prononcer sur des poursuites pénales engagées contre toute personne accusée de graves crimes internationaux, sans pour autant exiger au préalable que la personne se trouve, ne serait-ce que de passage, sur le territoire. Dans ce cas, les juges pourraient poursuivre n’importe qui, et notamment un chef d’Etat, comme ce fut le cas concernant Pinochet, Castro ou bien encore Sharon. Selon le professeur Cassese, quatre raisons s’opposent à ce système. Tout d’abord, le juge saisi risque de ne jamais pouvoir poursuivre la procédure, si l’accusé ne se présente pas sur le territoire ou n’est pas extradé. Ensuite le risque existe de statuer par contumace, avec ce que cela comporte de violation des droits fondamentaux de l’accusé. De plus, si d’autres Etats exercent également une telle compétence, il y a risque de confusion et de divergence de solutions. Enfin, il existe un risque de confusion des compétences judiciaires du juge avec des compétences diplomatiques, d’où une entorse à la séparation des pouvoirsNote2119. . On peut ajouter qu’une telle vision de la compétence universelle n’est pas sans créer des problèmes diplomatiques qui à l’évidence, ne seront pas propices à un début de règlement pacifique de l’affaire en cause. En outre, on ne peut totalement ignorer le lien existant entre le mandat et la légitimité des juges nationaux et la nature de l’affaire en cause. Il serait illusoire de transformer les juges nationaux en redresseurs de torts à travers le mondeNote2120. . Certains juges semblent avoir émis des doutes sur la compatibilité d’un tel système avec le droit internationalNote2121. . Il n’existerait, selon le juge Guillaume, aucune coutume en ce sensNote2122. . Et il ajoute que l’émergence du droit international pénal et surtout la création de juridictions internationales ne doivent pas s’interpréter en une autorisation donnée aux Etats de pratiquer la compétence universelle, surtout dans une vision absolutiste. Il y aurait un risque de chaos juridictionnel et d’arbitraire de la part des plus puissants qui s’arrogeraient le droit de défendre la communauté internationaleNote2123. .
La compétence universelle conditionnée se distinguerait de la précédente par la présence de l’accusé sur le territoire du juge saisi. Elle serait fondée sur le forum deprehensionis. Cette solution présenterait l’avantage d’intervenir de manière subsidiaire en cas de défaillance d’un juge compétent selon les critère traditionnels.
Pour conclure sur la compétence universelle, il convient de souligner brièvement les propos, d’ordre philosophique et juridique, du professeur Coppens, et plus précisément la remarque selon laquelle, lorsqu’un Etat décide d’exercer une telle compétence, il assume une responsabilité particulière à l’égard des victimesNote2124. . Une telle attitude, selon l’auteur, traduit un intérêt de la part de cet Etat pour ce qui se passe dans le reste du monde, au nom d’une certaine communauté fondée sur une humanité commune et plus largement sur une idée de solidaritéNote2125. . Si l’on résume l’axe principal de ses réflexions, il convient de s’interroger sur les raisons d’un tel comportement, pour aboutir à la conclusion suivante : si un Etat s’autorise à juger universellement, c’est qu’il se considère solidaire. Il convient alors de ne pas s’arrêter à une telle intervention a posteriori, et il faut intervenir a priori, ce qui renvoit aux interventions humanitairesNote2126. .
Cependant la séduction de la compétence universelle se heurte à des contingences métérielles comme la difficulté à réunir des preuves, à juger des faits survenus dans un contexte politique et social totalement différent, ou bien encore d’ordre diplomatique. La loi belge de compétence universelle du 16 juin 1993, réformée en profondeur le 5 août 2003Note2127. , en est un exemple flagrant, pouvant inciter à une certaine retenue, comme cela ressort de la situation française.
Le refus d’instaurer une telle possibilité en France, ainsi que dans d’autres Etats, trouve vraisemblablement une explication politique. Contrairement à des Etats comme l’Espagne ou l’Allemagne, pour ne citer qu’eux, il n’existe en France aucune intervention du législateur pour définir le principe d’une compétence universelleNote2128. .
Pour autant, s’il n’existe pas de règles générales concernant les crimes internationaux, rares sont en définitive les crimes qui peuvent échapper au juge français. Il semble même que la création du système de la Cour pénale internationale soit le catalyseur, de l’émergence d’un principe de compétence universelle au profit du juge français. La combinaison de l’article 689 du Code de procédure pénale et du statut de la CPI semble ouvrir une compétence extrêmement large au profit des juges. Une limite principale doit être soulignée : la nécessaire présence du présumé coupable sur le territoire nationalNote2129. .
La France connaît la compétence universelle, mais de manière conditionnée et non absolueNote2130. . L’article 689-1 du Code de procédure pénale prévoit notamment une telle compétence par renvoi à des conventions internationales, ratifiées par la FranceNote2131. . Il s’agit d’une compétence universelle d’attribution. En ce cas, les juridictions françaises sont habilitées à juger des criminels ne présentant aucun lien avec la France et donc en dehors des cas prévus par les articles 113-2 et suivants du Code pénal. En outre, ces conventions ayant un objet précis, la compétence est alors délimitée ratione materiae.
Les articles 689-2 et suivants du Code de procédure pénale précisent cette compétence par détermination des conventions internationales. La présence des criminels ou des complices sur le territoire français est requise pour engager l’action publiqueNote2132. . A ce titre, par exemple, les actes prohibés par la convention de New York de 1984 relative à la torture peuvent être sanctionnés en France (art. 689-2).
On peut distinguer trois formes de mise en œuvre de la compétence universelle en France : soit elle est prévue par le droit national et mise en œuvre par le droit national, soit elle est prévue par le droit international uniquement, sans mise en œuvre par le droit national. Soit enfin elle est prévue par le droit national sans avoir été au préalable prévue par le droit internationalNote2133. .
Les articles 689 et 689-1 du Code de procédure pénale posent le principe d’une compétence considérée comme universelle. A l’évidence, la compétence ainsi déterminée s’affranchit totalement des critères personnel et territorial, bien que la présence de l’infracteur soit requise sur le territoire afin de le poursuivre et d’engager le processus judiciaireNote2134. . Mais ce qualificatif d’ « universel » mérite d’être précisé.
Tout d’abord, l’article 689-1 ne prévoit qu’une compétence déterminée par la ratification de textes internationaux limitativement énumérés. Et cela ne concerne pas tous les crimes internationaux. Ensuite, il convient d’identifier la relation entre l’article 689 et l’article 689-1. Selon certains auteurs, ces articles seraient en apparence contradictoires, mais surtout, l’article 689-1 compléterait l’article 689 en en donnant alors une lecture restrictiveNote2135. . Une telle affirmation ne semble pas si évidente. Il s’agit alors de savoir si l’on peut opérer une lecture autonome de l’article 689. Rien dans la formulation des deux articles n’indique un quelconque lien entre eux. On peut dès lors considérer l’article 689-1 comme précisant quelques exemples non exhaustivement énumérés. Une telle interprétation présente non seulement l’avantage de donner une certaine souplesse à la compétence du juge, mais elle permet également l’application de bonne foi des traités ratifiés dans ce domaine. A contrario, une lecture restrictive des deux articles constitue un obstacle à l’application des traités ratifiés. On pourrait objecter que l’article 689 ménage cette interprétation restrictive en prévoyant l’intervention d’une loi le cas échéant, comme cela fut d’ailleurs le cas concernant l’application des résolutions du Conseil de Sécurité pour la mise en place et la collaboration avec les TPI. Cependant, une lecture souple remédie à l’intervention explicite du législateur, qui s’est déjà prononcé par une loi de ratification, acceptant l’entrée en vigueur du texte international en droit interne.
A l’appui de cette lecture souple et autonomiste de l’article 689 du Code de procédure pénale, on peut citer les effets de diverses jurisprudences retenant une lecture combinée des articles 689 et 689-1Note2136. . Ces affaires concernent l’application des conventions de Genève. Dans chacune de ces conventions, un article (49, 50, 129, 146) prévoit que les Etats s’engagent « à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates ». Selon le professeur Lombois, « il est clair que les incriminations dépendent d’une obligation de légiférer, alors que la compétence résulte de l’adhésion à la convention »Note2137. . La compétence découle sans ambiguïté de la ratification de la convention et de sa lettre. En revanche, il paraît plus juste de dire que les incriminations relèvent également des conventions de Genève, seule la sanction doit être déterminée par le droit national. Il reste alors à déterminer l’adéquation des définitions de droit interne et du droit de Genève, ce dernier posant des incriminations plus larges que celles du droit françaisNote2138. . On peut alors soutenir qu’il faudrait dissocier l’esprit de la lettre des conventions de Genève, pour ne retenir, dans un premier temps, que l’idée d’une compétence universelle.
Les juridictions françaises ont considéré que les conventions n’étaient pas applicables, en l’absence d’un texte national de transposition et de mise en œuvreNote2139. . Elles ne seraient pas self-executing, ce qui ferait obstacle clairement à leur application sans transposition par le juge nationalNote2140. . En outre, le caractère des conventions de Genève serait trop général pour créer directement des règles de compétence extraterritoriale en matière pénale, lesquelles doivent être énoncées avec précision.
Les juridictions françaises sont compétentes pour les violations du droit de Genève commises lors des événements en ex-Yougoslavie et au Rwanda, par l’intermédiaire des lois du 2 janvier 1995 et 22 mai 1996Note2141. .
Si on ne peut nier le caractère incomplet des conventions de Genève ou d’autres conventions, notamment en termes de sanction et de procédure, le droit national y pallie. Ce n’est souvent pas le problème de la compétence qui se pose, mais celui de l’incomplétude des définitions et des sanctions. Il faut, en outre, préciser que le droit français sanctionne de tels comportements ; le juge n’est par conséquent pas si démuni qu’il semble le croire. Bien évidemment, l’application préférentielle de la loi pénale française peut être un argument soulevé, qu’elle soit plus ou moins sévère, soit par l’accusé, soit par les victimes, le hasard de l’arrestation et la place du droit international dans le système interne intervenant. Le fait que la compétence universelle soit placée dans le Code de procédure pénale et non dans le code pénal peut être traduit comme incitant le juge français à appliquer en priorité le droit international. Cependant, les travaux préparatoires ne vont pas dans ce sensNote2142. .
A côté des textes internationaux incitant à instaurer une compétence universelle, on a pu observer l’existence de textes nationaux, comme l’article 689 du Code de procédure pénale qui renvoie, entre autres, à la loi. On peut dès lors s’interroger sur la possibilité pour un Etat de déterminer une telle compétence universelle. Si la jurisprudence du LotusNote2143. semble autoriser une telle attitude, il faut se méfier des effets qu’une telle législation pourrait produire sur les autres Etats. Il ne faudrait pas qu’elle constitue une ingérence dans leurs affaires intérieures ou bien qu’elle aille à l’encontre de leurs politiques pénales. Par conséquent, une telle vision de la compétence universelle ne peut avoir lieu que dans un domaine considéré comme échappant aux Etats. Une telle compétence est donc justifiée en matière de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Les Etats offrent divers exemples en ce domaine. Si la législation française manque de clarté, en revanche celle d’autres Etats offre une compétence pour un large panel d’infractionsNote2144. . Par exemple, les juridictions espagnoles peuvent connaître du génocide, du terrorisme, de la piraterie, des appropriations illicites d’aéronefs, de la falsification de monnaie étrangère… Les juridictions militaires suisses sont compétentes pour tous les crimes de guerre.
Alors, pour une partie des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, à savoir le crime contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerre, il semble encore trop tôt pour parler de compétence universelle, il serait plus juste de parler de compétence d’attribution extranationale, c’est-à-dire ne reposant ni sur un lien territorial, ni sur un lien personnel.
On peut également s’interroger sur le point de savoir si la ratification du statut de la CPI, au regard de la loi de transpositionNote2145. , et vu la large compétence de la Cour, ne serait pas en passe de créer une compétence assez large au profit des juges français. La lettre du statut de la CPI ne précise pas de compétence universelle au profit des juridictions nationales. Une lecture autonomiste de l’article 689 du Code de procédure pénale viendrait conforter cette compétence française extrêmement large.
On peut se demander si la compétence de la CPI se transmet aux juridictions étatiques ou bien si les juridictions étatiques ne sont que le premier maillon d’un système, limitées par les critères classiques de compétence. Le statut n’apporte pas de réponse claire sur ce point, pas davantage que la loi de transposition qui ne concerne que la coopération. Si l’on se réfère à la grande majorité des commentaires du statut, il semble que la CPI ménage les souverainetés étatiques. Cela apparaît de manière évidente dans le caractère subsidiaire de l’intervention de la Cour pénale internationale. Pour autant, les Etats restent-ils tenus par les règles classiques de compétences, nécessaires dans les rapports interétatiques ou bien ont-ils une compétence universelle ? Selon l’alinéa 6 du préambule du statut de la CPI, « il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ». Cette disposition semble créer une obligation de compétence universelle. Mais sa place dans le préambule peut faire douter d’une telle obligation. D’autant plus qu’une telle obligation entre en conflit avec la maxime aut dedere aut judicare et avec l’existence même de la CPI.
Le rapporteur du Sénat, M. Dulait, entretient l’ambiguïté sur la compétence universelle. Il semble affirmer une compétence universelle découlant de la compétence universelle de la CPI, mais il la réduit immédiatement en se référant aux articles 689-1 et suivants du Code de procédure pénaleNote2146. . Une intervention législative levant les incertitudes sur ce point serait souhaitable, afin de simplifier le travail du juge et afin de prendre acte d’un mouvement majoritaire en ce sens. Pour certains, le statut de la CPI ne reconnaît pas une telle compétence, car l’existence de la CPI serait alors inutile. La multiplicité des solutions étatiques ne fournit pas non plus une réponse majoritaire. Si l’Espagne, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud ou encore l’Australie ont opté pour ce choix, d’autres Etats sont beaucoup plus réservésNote2147. .
L’exercice de la compétence universelle est également conditionné par la présence, en principe, du criminel sur le territoireNote2148. . Cela est prévu dans le cadre de la compétence définie par le système des TPINote2149. , mais également par l’article 689-1 du Code de procédure pénaleNote2150. . Le droit international suppose une action de la part des autorités étatiques afin de faire arrêter l’accusé dès lors qu’il se trouve sur leur territoire. L’arrestation est conditionnée par une plainte ou l’émission d’un mandat international. La compétence universelle suppose donc que l’ouverture des poursuites au niveau national soit possible, même en l’absence de l’accusé. La chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que « la présence en France de victimes ne saurait à elle seule justifier la mise en mouvement de l’action publique, dès lors que, comme en l’espèce, les auteurs ou complices soupçonnés de ces infractions n’ont pas été découverts sur le territoire français »Note2151. . Certes, la présence de la victime n’est pas suffisante, mais pour agir rapidement, ne convient-il pas d’ouvrir les poursuites, non seulement afin de faire appréhender les accusés, mais surtout afin de provoquer leur recherche ? La décision de la Cour de cassation en ce sens ne va pas à l’encontre des obligations de coopération avec les juridictions internationales pénales, mais elle ne facilite pas l’action des victimesNote2152. . On peut d’ailleurs remarquer que les conventions de Genève de 1949 et le protocole I de 1977 prévoient « l’obligation de rechercher les personnes prévenues ».
Une vision absolutiste de la compétence universelle a pour objectif d’exonérer les juridictions étatiques de la présence de l’accusé sur le territoire. La loi belge de compétence universelle, aujourd’hui modifiée, allait dans ce sens. L’article 7 modifié par la loi du 10 février 1999Note2153. prévoyait la compétence des juges belges, même en l’absence de l’accusé sur le territoire de la Belgique. Mais une telle solution fut très rapidement source de problèmes diplomatiques ; le régime a été totalement réformé avec la loi du 5 août 2003.
L’existence et la reconnaissance d’une compétence universelle ne semblent devoir être liée qu’aux crimes sanctionnant des comportements criminels dans des domaines où l’Etat ne peut être qu’un garant de l’individu, un domaine qui échappe à la politique de l’Etat. On ne peut nier l’émergence d’un vaste mouvement en faveur de la sanction de tels comportements, si bien que l’on peut se demander si une coutume n’est pas en train de naître prohibant clairement les crimes contre la paix et la sécurité, auxquels on peut adjoindre séparément les formes d’esclavages, la lutte contre la drogue, voire le terrorisme.
A certains égards, on peut reprocher à la jurisprudence française son absence de lecture active des textes français et internationaux en ce domaine. Elle n’opère pas de lien entre l’étendue de sa compétence et les valeurs protégées. La compétence universelle constitue en fait une règle afin d’éviter les conflits négatifs de compétenceNote2154. . A l’inverse, elle peut être source de conflits positifs de compétences.
L’existence d’une compétence universelle et surtout son exercice par un Etat peuvent créer un conflit de compétence avec un autre Etat. Il est alors opportun de s’interroger sur l’existence d’une hiérarchie entre critères traditionnels de compétence et compétence universelle. Il ne semble pas que cette question ait fait l’objet d’une quelconque mention dans les conventions internationalesNote2155. . Cependant, certaines d’entre elles, comme celle relative au génocide, prévoient la compétence des juridictions territorialement compétentes. On peut donc imaginer une priorité offerte à ces juridictions, mais seulement dans l’hypothèse où cet Etat présenterait toutes le garanties nécessaires pour une bonne administration de la justice. On pourrait donc extrapoler cet exemple et considérer que seraient prioritaires les juridictions présentant à la fois des garanties de bonne administration de la justice et surtout une compétence fondée sur un critère traditionnel. D’ailleurs, si l’on se réfère à la compétence universelle conditionnée proposée par le professeur Cassese, celle-ci ne serait qu’une compétence subsidiaireNote2156. . Les juges nationaux pourraient alors soit accepter l’extradition, soit se déclarer incompétents sur le fondement du forum non conveniensNote2157. . La compétence universelle ne serait alors qu’un mécanisme subsidiaire.
La compétence universelle fait naître plusieurs problèmes. Les crimes de droit international sont, très souvent, soumis au droit national, procédural et substantiel. Mais surtout l’accusé, a fortiori si c’est un agent étatique bénéficiant d’une immunité, est tenté de l’alléguer, se trouvant de nouveau dans un système interétatique. Se pose également le problème de l’application de la règle non bis in idem. Le juge national, pour exercer la compétence universelle, se heurte à cette règle, mais si l’un des fondements de la saisine réside dans l’argument d’une justice partiale à l’égard de l’accusé, le juge étranger saisi peut-il ouvrir une nouvelle procédure ? A-t-il le droit de vérifier la procédure menée par la juridiction nationale précédente ? L’article 20§ 3 b ) du statut de la CPI semble offrir une solution. Ces problèmes peuvent trouver une réponse dans une interprétation extensive de la compétence universelle, à savoir étendre les pouvoirs du juge. Mais surtout, la solution la plus évidente réside dans l’intervention subsidiaire de la CPI, au titre de l’article 17§ 2 et § 3.
A l’égard des militaires français ayant pu commettre des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, les juridictions françaises sont compétentes. Mais une décision rendue par ces dernières, au regard de la gravité des crimes, pourrait être considérée comme d’une force et d’un symbolisme moindre par rapport à une décision rendue par une juridiction internationale. Dans l’hypothèse où les juridictions françaises refuseraient d’exercer leur compétence ou si elles en étaient incapables, l’intervention subsidiaire de la CPI se révèlerait nécessaire.
Jusqu’à la création et surtout jusqu’à l’entrée en fonction de la Cour pénale internationale, on ne peut parler que d’un système international pénal ponctuel. Le particularisme des crimes visés, notamment leur aspect politique, suppose la création d’organes juridiques particuliers : les Tribunaux militaires internationaux, les Tribunaux pénaux internationaux et les tribunaux internationalisés, mixtes en sont des exemples. Les systèmes ainsi engendrés sont disparates et ne peuvent se départir de leur caractère de juridictions des vainqueurs. Ce n’est réellement qu’avec la Cour pénale internationale que s’instaure un système stable et préexistant à la commission des infractions, respectant les principes directeurs du droit pénal.
La CPI se place au centre d’un système largement empreint d’interétatisme. La complémentarité dictant l’intervention et les relations entre la Cour pénale internationale et les Etats signataires détermine une configuration relationnelle totalement différente de celle engendrée par la primauté des TPINote2158. .
Le premier acteur pénal intervenant est l’Etat. Cependant, il ne semble pas que le statut de la CPI transmette une compétence aux juridictions nationales calquée sur la sienneNote2159. . Les vues des membres du Parlement français sur ce point divergent ; notamment le député Brana considère que le statut détermine une compétence universelle au profit des juridictions nationalesNote2160. . Au-delà de la simple intervention subsidiaire de la CPI, il semble que le système ainsi créé recèle des conséquences pour l’instant juste entre-aperçuesNote2161. . L’intervention et la compétence de la Cour ne méritent peut-être pas le qualificatif d’universel. Il faut dès lors envisager les critères de délimitation de sa compétence posés par le statut (§ 1er), puis, il convient, eu égard à l’intervention première des Etats, d’envisager les relations qu’elle entretient avec eux et qui ne dictent normalement son intervention qu’en cas de défaillance de ces derniers (§ 2nd).
La compétence de la Cour pénale internationale n’est pas sans rapport avec les critères traditionnels de compétence des juridictions nationales. Etablie sur la base d’un traité interétatique, sa compétence n’est pas à proprement parler universelle car elle est déterminée par les ratifications effectuées, ce qui, pour l’instant, ne coïncide pas avec tous les Etats. On peut même ajouter qu’en l’absence de ratifications par des Etats comme les USA ou Israël, forte zone conflictuelle, on est encore très loin de la juridiction universelle. La compétence de la CPI repose sur la territorialité et la nationalité et n’est donc pas universelleNote2162. . C’est une compétence ratione gentis et ratione foriNote2163. .
L’article 11, relatif à la compétence ratione temporis, précise entre autres que la Cour n’a pas de compétence rétroactiveNote2164. et que sa compétence est limitée ratione materiae aux crimes prévus par le statut. L’article 12 énumère quant à lui les conditions préalables à l’exercice de la compétence de la Cour. Il y est précisé qu’elle n’est compétente à l’égard des crimes définis par le statut que si l’un des Etats suivants ou les deux sont parties au statut : l’Etat sur le territoire duquel les crimes ont eu lieu (ou sur un navire ou un aéronef immatriculé dans ce pays) et l’Etat dont la personne accusée est ressortissant. Donc, dès le moment où un crime présente un lien avec un Etat partie, lien personnel ou territorial, la Cour est compétente. Cela semble permettre à la Cour d’exercer sa compétence, même à l’égard des ressortissants d’un Etat non partie, mais qui auraient été victimes ou bien qui auraient été criminels. Les conditions de l’article 12§ 2 ne sont pas cumulatives, mais alternatives, recelant une certaine universalité.
Cependant, le paragraphe 3ème de l’article 12 prévoit qu’un Etat non partie peut accepter la compétence de la Cour ponctuellement, en déposant une déclaration auprès du greffier. Ceci entraîne obligation de coopération. On peut également imaginer qu’après une acceptation ponctuelle de sa compétence, elle puisse ultérieurement rester compétente, si elle prouve une continuité entre les crimes ayant relevé ponctuellement d’elle et d’autres crimes ultérieurs, sur le fondement du forum prorogatum et de l’infraction continue.
L’article 124 prévoit la possibilité d’une dérogation à l’article 12. Un Etat peut demander à ne pas relever de la compétence de la Cour pour les crimes de guerre, visés à l’article 8, lorsqu’il devient partie au statut, pour une période de sept ans dès l’entrée en vigueur du statut. Cette déclaration peut être retirée à tout moment. La France et la Colombie l’ont ratifiée. Certains auteurs parlent d’opting outNote2165. .
Au-delà de ces conditions préalables, ce sont avant tout les juridictions nationales qui sont compétentes. Et ce n’est qu’en cas d’inaction ou d’action de mauvaise foi que la Cour pénale internationale a vocation à intervenir, sur le fondement de l’article 17 de son statut.
Normalement, la Cour n’est compétente que pour les actes commis après son entrée en fonction. Récemment, elle vient d’être saisie par le Conseil de sécurité de la situation au Darfour pour les faits commis depuis le 1er juillet 2002. On peut s’interroger sur les conséquences. En effet, les politiques criminelles s’étalent dans le temps et trouvent souvent une origine dans des faits antérieurs. L’exemple du Darfour est significatif à cet égard, les crimes ayant débuté largement avant le 1er juillet 2002. Le jugement de certaines affaires implique de porter une appréciation sur des faits antérieurs. Quelle sera l’attitude du juge ? Devra-t-il, illogiquement, se plier à cette limite temporelle ? On peut penser que dans de tels cas de figure, une application combinée de la théorie du forum prorogatum et des infractions continues pourrait permettre au juge de la CPI de se déclarer compétent rétroactivement, afin de juger convenablement une affaire dont certains crimes auraient eu lieu après le 1er juillet 2002 mais qui sont indissociables de crimes ayant eu lieu antérieurement.
La compétence de la Cour n’est pas universelle, mais peut receler un tel caractère, dans une vision et une interprétation extensives de sa compétence. Cependant, pour l’instant, une situation quelque peu paradoxale tendrait à émerger : des juridictions nationales possèdent une compétence universelle, comme celles d’Espagne, par exemple. La CPI serait alors tenue par un statut reconnaissant une compétence plus ténue, alors qu’il est de l’essence même de sa spécialité d’assurer la répression de tels comportements. Cela s’explique à la fois par l’attitude très positive et active adoptée par certains Etats et par le caractère conventionnel du traité de Rome de 1998. Il convient désormais de voir plus précisément quels sont les titres d’intervention de la CPI.
Certains auteurs, sans nier la compétence complémentaire de la CPI, soutiennent qu’il existerait une compétence primant celle des Etats pour les crimes les plus gravesNote2166. . Une telle affirmation semble devoir être démentie. Elle ne semble pas fondée théoriquement, en revanche, elle peut être soutenue, de facto. Si le principe de la complémentarité semble clairement affirmé (A), il reste que certaines questions sensibles peuvent constituer une exception (B).
L’exercice de la compétence complémentaire signifie qu’il est fait interdiction à la Cour de se saisir d’une situation, et par la suite d’affaires précises, si les Etats entendent s’en occuper (I). En revanche, dès que certains élément font apparaître une mauvaise volonté ou une incapacité de la part de l’Etat à assumer sa compétence, la Cour est en droit d’intervenir (II).
La Cour doit déclarer irrecevable toute affaire portée devant elle par le Procureur dès lors que l’affaire donne ou a déjà donné lieu à une enquête, poursuite ou jugement dans un Etat (art. 17§ 1er et 20§ 3). Cela ne se limite d’ailleurs pas aux Etats parties. En revanche, s’il semble que les juridictions ayant déjà statué ne l’ont fait que de manière purement apparente ou symbolique, la Cour pénale internationale est fondée à intervenir (art. 17§ 2nd). Cependant, cela suppose un contrôle de l’affaire et un jugement moral, professionnel et politique des juges nationaux, effectué par le Procureur et par la chambre préliminaire.
Encore conviendrait-il de distinguer plus clairement la compétence de la Cour pour une situation et pour une affaire donnée. Se pose également le problème de la compétence du Procureur pour effectuer des enquêtes (art. 15).
L’article 17 prévoit la possibilité pour la Cour d’exercer sa compétence si l’Etat manque de volonté ou s’il est dans l’incapacité d’exercer sa compétence.
Le cas échéant, cela entraîne la transmission des dossiers et éléments de l’affaire et une coopération. Cette disposition présente le risque de contestations des décisions étatiques de la part des personnes habilitées à saisir les organes de la Cour. Par exemple, l’Etat jugeant l’un de ses ressortissants peut voir sa décision contestée par l’Etat ayant été la scène des crimes, plus pour des raisons politiques que juridiques. Mais au-delà des hypothèses diverses que l’on peut envisager et qui seront, à n’en pas douter, à l’origine d’une extension du rôle de la CPI, ce n’est essentiellement qu’en cas de carence étatique ou d’intervention de mauvaise foi que la CPI trouve compétence à agir. On peut voir, dans cette faculté offerte à la Cour d’infirmer de tels comportements étatiques, un mécanisme parajuridique de sanction de l’Etat, alors même qu’elle ne serait compétente qu’en matière individuelle.
Afin d’exercer sa compétence, et dans l’hypothèse où l’Etat concerné la conteste, la Cour effectue une appréciation soit des poursuites effectuées, soit des jugements rendusNote2167. , tout dépend à quel stade de la procédure se trouve l’affaire. Il s’agit donc du contrôle de l’activité judiciaire ou politique de l’Etat. Les lois d’amnistie, vraisemblablement, poseront problème, par exemple.
La CPI et les TPI, détiennent la compétence de leur compétence. L’article 19§ 1 prévoit que la Cour vérifie sa compétence au regard de l’article 17. Cette capacité fit l’objet de controverses ; certains proposèrent notamment de déléguer cette tâche à l’Assemblée des Etats partiesNote2168. .
En cas de contestation relative à la compétence entre les organes de la CPI et les juridictions étatiques, si les exceptions préliminaires à ce sujet sont soulevées avant confirmation des charges, la chambre préliminaire tranche (art. 18Note2169. et 19§ 4). Si la contestation a lieu postérieurement, c’est la chambre de première instance qui statue. Et si les décisions sont contestées à leur tour, c’est la chambre d’appel qui se prononce (art. 19§ 4). La Cour maîtrise donc sa compétence, et même si le procureur, au stade de l’instruction, doit surseoir à enquêter, la Cour peut l’autoriser, en attendant la décision, à continuer ou à prendre des mesures conservatoires (art. 19§ 5 et s. ; également l’art. 56). Cependant, face à un refus étatique de coopérer, même devant les injonctions de la Cour, le différent sera porté devant l’Assemblée des Etats parties (article 112§ 2f, renvoyant à l’article 87§ 5 et § 7).
L’article 13 du statut prévoit qu’une situation peut être déférée à la Cour, soit par un Etat, soit par le Conseil de Sécurité ; soit encore, par renvoi à l’article 15, le procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative. Mais dans cette dernière hypothèse, ce dernier doit obtenir une autorisation de la chambre préliminaire ; c’est surtout à ce stade de la procédure qu’une contestation peut naître de la part d’un Etat.
La chambre préliminaire détermine si une affaire est ou non irrecevable dans les cas suivants : si l’affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites par un Etat compétentNote2170. , à moins que ledit Etat n’ait pas la volonté ou la capacité à s’occuper d’une telle affaire (17§ 1 a) ; si l’affaire a fait l’objet d’une enquête par un Etat compétent et qui a décidé de ne pas poursuivre, à moins que cela ne révèle un manque de volonté ou une incapacité de la part dudit Etat (17§ 1 b) ; si la personne a déjà été jugée pour le comportement faisant l’objet d’une plainte (17§ 1 c) ; si l’affaire n’est pas suffisamment grave (17§ 1 d).
Pour revenir à la compétence de la Cour fondée sur le manque de volonté ou sur l’incapacité, il convient d’apprécier la signification de ces notionsNote2171. .
Constituent un manque de volonté de la part des Etats, la soustraction de l’intéressé à sa responsabilité pénale (17§ 2nd a), un retard incompatible avec l’intention de traduire l’accusé en justice (17§ 2nd b), une procédure partiale et non indépendante, c’est-à-dire incompatible avec l’intention de traduire la personne devant la justice (17§ 2nd c).
L’article 17§ 3 précise que, pour déterminer s’il y a incapacité à traduire en justice, l’état du système judiciaire est pris en compte notamment si l’Etat a été la scène d’une désorganisation à la suite d’événements de type conflictuel. La capacité à réunir les preuves, les témoignages et à mener à bien la procédure est également regardée.
La possibilité de contestation par un Etat est facilitée par l’information des Etats à laquelle est soumise le procureur. L’article 18 prévoit que les Etats pouvant être compétents ont un mois après la notification d’ouverture de l’enquête par le Procureur pour informer la Cour qu’ils ont ouvert ou qu’ils vont ouvrir une enquête concernant des personnes relevant de leur juridiction ( art. 18 § 2)Note2172. . Ceci constitue un mécanisme de protection des Etats contre l’action du procureur de la CPI.
Cependant le Procureur bénéficie de mesures de sauvegardes par l’intermédiaire de la chambre préliminaireNote2173. .
La détermination de la compétence de la CPI peut intervenir au tout début de l’affaire, en cours d’affaire, mais également après sa fin. Mais la possibilité d’un nouveau jugement par la CPI, après celui effectué par les juridictions nationales, peut poser problème. Deux interrogations principales peuvent être soulevées : celui du respect du principe non bis in idem et celui du respect des grâces et amnisties prononcéesNote2174. .
La règle non bis in idem est reconnue par l’article 20 du statut de la CPI. Elle est valable tant à l’égard d’un jugement prononcé par une juridiction nationale qu’à l’égard d’une décision prononcée par la CPI. L’exception au principe (art. 20§ 3) réside dans le fait que la décision rendue par une juridiction nationale a eu pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale ou bien que la procédure n’a pas été menée de manière indépendante et impartiale dans le respect des principes du procès équitable. Bien évidemment, la règle ne joue qu’en cas d’identité des faitsNote2175. .
Un problème peut être de nouveau souligné, celui de la compatibilité des commissions Vérité et Réconciliation, pouvant prononcer une amnistie, avec la compétence de la Cour pénale internationaleNote2176. . Il convient pour l’instant d’attendre le moment où les juges de la CPI y seront confrontés. On peut cependant remarquer que le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1593 (31 mars 2005) relative à la situation au Darfour, dans son paragraphe 5, souligne que la création de Commissions Vérité et Réconciliation constitue un complément adapté à l’action de la Justice, permettant de renforcer le processus de paix durable. Ce qui ne résout pas cette interrogation.
Enfin, un dernier point semble à signaler concernant la compétence de la Cour pénale internationale. On peut se demander si l’article 98 du statut, qui incite les Etats à ne pas violer le droit international public en matière d’immunité, excepté en cas de consentement de l’Etat de la personne poursuivie, ne crée pas, dans de tels cas, au profit de la Cour une compétence directe et non plus subsidiaire.
En revanche, il est certain que deux exceptions à la complémentarité peuvent exister : lorsqu’il y a saisine par le Conseil de sécurité et lorsque les juridictions amenées à statuer sont de type spécial.
On peut discerner deux principales exceptions à la compétence complémentaire de la CPI : celle de la saisine par le Conseil de sécurité (I) et celle liée au caractère spécial de certaines juridictions françaises (II).
L’article 13 c) du statut de la Cour prévoit sa saisine par le Conseil de sécurité, sur le fondement du chapitre VII. Cette disposition permet de relier la compétence de la Cour pour les crimes graves et la compétence du Conseil en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale. Ceci démontre que la justice internationale pénale constitue un moyen de garantir cet objectif et assure une continuité avec la méthode ayant consisté à créer les TPI sur le fondement du chapitre VII, bien que cela fut critiqué.
Les actes adoptés sur le fondement du chapitre VII bénéficient d’une force juridique de haute valeur. On peut donc s’interroger sur la persistance du principe de complémentarité de la Cour pénale internationale dans cette hypothèse de saisine. Sa compétence pourrait dès lors être percue comme exclusive de celle des Etats, sans possibilité de contestation de leur part.
La doctrine semble partagée sur la question. Certains demeurent indécisNote2177. , d’autres sont plus affirmatifsNote2178. . Un auteur soutient le maintien du principe de complémentarité, mais en soulignant une primauté de factoNote2179. . En fait, il semble qu’il faille nuancer ce point. La complémentarité de la Cour, dans un cas de saisine par le Conseil, est conditionnée par lui. L’unique résolution en ce domaine, concernant le DarfourNote2180. , « défère » une situation au Procureur. Elle souligne que le Soudan et les parties au conflit doivent coopérer avec la Cour. Mais surtout, le paragraphe 8 « invite » le Procureur à le tenir informé des suites données à cette résolution. Ce paragraphe est équivoque. Rien n’exclut explicitement la compétence des juridictions nationales. Il convient d’ailleurs de souligner le caractère surprenant de la résolution du Conseil, lorsque l’on connaît l’hostilité affichée des USA à la CPI.
Sans remettre en cause l’indépendance du procureur ni sa faculté à décider de l’opportunité des poursuites, la saisine par l’intermédiaire d’une résolution adoptée sur le fondement du chapitre VII semble exclure les Etats. Plusieurs arguments peuvent venir à l’appui d’une telle affirmation.
On peut tout d’abord imaginer que la situation ainsi déférée concerne un pays inapte à régler ses problèmes judiciaire. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les situations des pays faisant actuellement l’objet de résolutions fondées sur le chapitre VII.
Ensuite, la résolution portant saisine est un acte impératif qui s’impose aux Etats. Or c’est à ce niveau là qu’il convient de vérifier la teneur de la résolution. La résolution 1593 ne se prononce pas sur la faculté des Etats à se saisir de ces affaires. Pour autant l’article 17 du statut de la CPI n’est pas exclu. Pour l’instant, on ne peut que relever la résolution 1593 et soulever les questions afférentes. Il est fort probable que le Conseil qui n’hésite pas à créer des tribunaux spéciaux soutiendra la compétence de la Cour, au moins pour les grands criminels.
Il y a indéniablement un conflit entre, d’une part, la résolution et la compétence souveraine des Etats concernés, et d’autre part la résolution et les articles du statuts de la CPI relatifs à sa compétence.
Or, si la CPI n’est pas un organe de l’ONU, elle n’est pas exempte de son influenceNote2181. , elle pourrait même avoir besoin de son soutien qui faciliterait l’accomplissement de sa missionNote2182. . Par conséquent, on peut estimer que de tels conflits pourraient être réglés par l’article 103 de la Charte. Certes, l’article 103 ne lie pas la Cour, mais lie les EtatsNote2183. , ce qui pourrait alors profiter à la CPI. D’ailleurs, le Sénat français a perçu une telle situationNote2184. .
En définitive, sans apporter de restrictions formelles à l’article 17, la saisine par le Conseil se situe dans une situation qui ne peut qu’exclure en pratique la compétence des juridictions nationales. Pour L. Arbour, il ne fait aucun doute que le Conseil de sécurité donnera compétence exclusive à la CPINote2185. .
Les militaires français, selon le lieu de commission de leurs crimes, sont jugés soit par le Tribunal aux armées de Paris, soit par les juridictions criminelles de droit commun mais en formation spéciale, ou bien encore par les juridictions militaires en temps de guerre. Encore convient-il de réserver les cas de compétence des juridictions du lieu de commission du crime si l’acte a été commis à l’étranger. Ces juridictions ne semblent pas poser de difficultés ; en revanche, la HCJ et la CJR peuvent faire naître des interrogations du fait de leur caractère et de leur composition spéciale, certains auteurs s’interrogeant sur leur conformité à l’Etat de droitNote2186. .
L’article 27§ 1er du statut de la CPI prévoit que la qualité officielle de l’accusé, et notamment celle de chef d’Etat ou de Gouvernement, ne fait pas obstacle à leur accusation et à leur condamnation. Ceci vise, entre autres, le président de la République et les ministres. Ces derniers, en France, bénéficient d’un privilège de juridiction ; l’article 27§ 2nd du statut de la CPI écarte les règles spéciales attachées à ces personnes.
Dès lors, on peut se demander si ce dernier article ne serait pas en conflit avec les articles 68 et 68-1 de la Constitution française. L’article 27 en lui-même ne nie pas le privilège de juridiction en droit interne, mais l’écarte en ce qui concerne la compétence de la CPI ; l’argument du privilège ne peut lui être opposé. Les interrogations sur de tels conflits furent à l’origine de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999Note2187. .
Dans un second temps, il convient de s’interroger sur la compatibilité de la HCJ et de la CJR avec l’article 17§ 2nd, tout en soulignant que le procès ne devra pas avoir été mené d’une façon traduisant un manque de volonté, notamment eu égard aux garanties d’un procès équitable reconnues par le droit international. Il ne doit pas y avoir, entre autres, de volonté de soustraire l’accusé à sa responsabilité pénale (17§ 2nd a). Ou bien encore la procédure ne doit pas avoir été menée ou ne doit pas être menée de manière partiale (17§ 2nd c)Note2188. .
Une révision constitutionnelle a abouti à la création d’un article 53-2 prévoyant une exception à l’article 68 et permettant la compétence de la CPI.
Les articles 17 et 27 du statut de la Cour pénale internationale combinés se heurtent à l’article 68 de la Constitution et écartent non seulement le privilège de juridiction, mais aussi le régime spécial qui y est attaché, à savoir ses irresponsabilités et les jurisprudences du Conseil Constitutionnel du 22 janvier 1999 et de la Cour de cassation du 10 octobre 2001, concernant le président de la RépubliqueNote2189. .
La principale difficulté soulevée concerne la responsabilité du président de la République. En effet, la HCJ n’est compétente que si les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité peuvent être qualifiés de haute trahisonNote2190. . Si tel n’est pas le cas, le Président en place ne peut être jugé immédiatement, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation du 10 octobre 2001Note2191. ; en ce cas, la situation tombe sous le coup de l’article 17§ 2nd b) donnant compétence à la CPI en cas de retard injustifié à traduire le présumé coupable devant la Justice.
Si les crimes allégués sont qualifiables de haute trahison, alors la HCJ est compétente ; il reste à savoir si son mode de fonctionnement et sa composition n’entrent pas en conflit avec l’article 17§ 2nd a et c. Une même remarque peut être soulevée concernant la CJR.
La composition politique des Hautes Cours dans ces circonstances a toujours été controversée. Le Maréchal Pétain, traduit devant la Haute Cour, en nie d’ailleurs la compétence dans sa première déclarationNote2192. .
La procédure particulière de la HCJ et de la CJR peut faire douter de leur nature de juridiction et ne semble pas respecter les principes d’une juridiction pénale, tant du point de vue de l’accusé que du point de vue des victimesNote2193. .
Qu’en est-il au regard du procès équitable ? Plusieurs points seraient à envisager comme les droits de la défense, l’égalité des armes, un tribunal indépendant et impartialNote2194. …
Le dernier élément semble probant à lui seul. L’une comme l’autre des juridictions, au nom de la théorie de l’apparence sont sujettes à critiquesNote2195. . En effet, ces juridictions sont essentiellement composées d’hommes politiques élus (art. 68-2 pour la CJR et 67 de la Constitution pour la HCJ).
Si après la commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité le régime politique reste inchangé, on peut subodorer une juridiction favorable à l’accusé. Si par contre il y a eu renversement du régime, en ce cas les juges risquent d’être hostiles à l’inculpé. Ce sont vraisemblablement deux justifications suffisantes incitant à confier le procès des dirigeants politiques à la CPI.
La récente décision Ocalan c/ Turquie de la Cour EDHNote2196. peut apporter quelques éléments de réflexion. Le chef du PKK, Ocalan, fut poursuivi et condamné à mort pour terrorisme, par la Cour de Sûreté d’Etat d’Ankara. Entre autres motifs de violation de la Convention EDH, les juges de Strasbourg retinrent une violation de l’article 6. Dans le paragraphe 114 de la décision, la Cour affirme qu’une juridiction « doit paraître indépendante des pouvoirs exécutifs ou législatifs dans chacune des phases de la procédure, à savoir l’instruction, le procès et le verdict ». Il pourrait être hasardeux d’en conclure que la HCJ et la CJR françaises ne répondent pas aux critères d’impartialité requis par le statut de la CPI, mais de vrais doutes apparaissent.
Hormis hypothèses ponctuelles comme celles des Tribunaux militaires internationaux ou des Tribunaux pénaux internationaux, le système de droit international conforte sa pérennité et son caractère permanent avec l’instauration de la Cour pénale internationale. Dès lors, les tribunaux nationaux ont vocation à être les juges de droit commun des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, comme le confirme le caractère complémentaire de la Cour pénale internationale. Derrière cet apparent respect des souverainetés étatiques, se profile l’émergence d’une véritable société internationale présentant des éléments caractéristiques des sociétés nationales, un système juridique tourné vers les Etats, mais également vers les individus pour certaines infractions pénales aux résonances internationales, un ordre public et des instances de coordination et de coopération.
Une telle organisation n’est pas sans supposer une certaine convergence des systèmes, afin d’éviter les disparités et l’hétérogénéité du traitement pénal. La Cour pénale internationale semble alors avoir vocation à être une instance centrale d’uniformisation du système.
Lorsque que l’on envisage une discipline juridique, et notamment son aspect jurisprudentiel, on se réfère avant tout à l’organe suprême qui possède le dernier mot et surtout la faculté de déterminer et de fixer le droit. La CPI crée un système intégré avec les juridictions nationales, ce qui entraîne une hiérarchie de fait.
Selon M. Mégret, la CPI constitue un élément de transformation du système international vers un ordre légal cosmopolitiqueNote2197. .
Quoiqu’il en soit, cette relation sera en partie déterminée par la nature du système ainsi créé, à savoir s’il doit tendre vers une harmonisation des systèmes ou vers une uniformisation. Dans le premier de ces cas, semble-t-il logique si l’on reste dans une attitude de protection des souverainetés, une certaine marge nationale d’appréciation sera tolérée. La Cour pénale internationale aura alors vraisemblablement un rôle de contrôle de l’interprétation et de l’erreur manifeste. Tandis que dans le second cas, la Cour pénale internationale risque de devenir un véritable organe de réformation ou de cassation.
A cela s’ajoutent différents types de relations : l’autorité de la chose jugée, l’autorité de la chose interprétée et de manière générale, la force persuasive des décisions de chaque juridiction du système.
Il convient également de souligner que la jurisprudence des juridictions internes présente des exceptions lorsque le domaine sur lequel elle porte échappe au monopole étatique, c’est-à-dire lorsqu’il relève d’un ordre juridique supranational ou interétatique. Dans cette hypothèse-là, les juridictions françaises sont les juges de l’application d’un droit qui n’est pas le fruit de l’unique législateur français ; elles doivent assurer l’application du droit supranational qu’elles ne maîtrisent pas, dans le cadre d’une dissociation entre la compétence judiciaire et la compétence législative.
La prohibition de certains comportements jugés criminels et attentatoires à l’humanité et à la communauté internationale ont permis l’émergence progressive d’un domaine échappant aux Etats, non seulement leur interdisant certaines politiques, mais leur imposant de les sanctionner. La Cour pénale internationale parachève ce mouvement avec la création d’une juridiction internationale permanente. Fruit d’un traité, elle s’insère clairement dans un système tenant compte des souverainetés étatiques. Mais derrière l’apparente simplicité de la notion de complémentarité se profile celle de subsidiarité, qui peut être à double tranchant. D’un côté, permettre le respect des souverainetés, mais de l’autre, mieux les dépasser. Cela est d’autant plus envisageable que la CPI est juge de sa compétence. Afin de mieux cerner les futures relations entre CPI et juridictions françaises et d’identifier ainsi le système émergent, il convient d’en déterminer la structure (sous-section 1ère), puis d’en déduire les effets (sous-section 2nde).
Dans le sillage de l’émergence des droits de l’Homme, est apparu un système de droit pénal, trouvant une concrétisation dans le système juridique internationalNote2198. . Dans le but de ménager les souverainetés et d’obtenir la création de tels systèmes, mais également face à des contingences plus matérielles et réalistes, la tâche de la garantie des valeurs ainsi déterminées et la tâche de la sanction des violations de ces valeurs furent confiées avant tout aux Etats. Afin d’éviter que les barrières que constituent les souverainetés étatiques ne soient un obstacle insurmontableNote2199. , des juridictions supranationales furent créées. Dans le domaine international pénalNote2200. , l’idée d’une compétence universelle fut envisagée afin de permettre la sanction de certains criminels par des juridictions étatiques. Les systèmes ainsi élaborés diffèrent. Les juridictions supranationales ne sont pas intégrées à la hiérarchie interne. Pour autant, il n’est pas rare que la pratique révèle un tel état de fait. Ce phénomène révèle la fin du monopole étatique sur la scène internationale et la chute du modèle westphalien du système internationalNote2201. . Pour certains auteurs l’ère du cosmopolitisme arriveNote2202. .
En définitive, quels que soient les termes des traités ou conventions servant de fondement à ces répressions, la pratique dépasse souvent la lettre. A cela s’ajoutent des effets extra-juridiques liés à une pression populaire, médiatique ou sociologique.
La configuration générale du système de droit international n’est pas décentralisée, comme l’affirment nombre d’auteurs, mais plutôt « acentralisée » ou « polycentralisée »Note2203. . La multiplication des juridictions internationales, à vocation universelle ou non, les juridictions régionales, et les juridictions internationales pénales, complexifient hautement une approche raisonnée du système, faisant craindre une certaine anarchie et une incompatibilité des systèmes et des jurisprudencesNote2204. . Les droits de l’Homme et le droit international pénal sont parmi les grands responsables actuels de la multiplication non seulement des juridictions mais des risques d’hétérogénéitéNote2205. . La justice pénale internationale est, selon le professeur Karagiannis, un succédané de la justice interétatiqueNote2206. . La Cour pénale internationale est d’autant plus remarquable que, par sa permanence, elle semble créer un réseau tangible, mais d’une certaine malléabilité.
Si les structures ne sont donc pas toujours clairement visibles, il semble que se créent des systèmes juridiques en réseau avec un centre. Le système institué par la CPI semble relever de ce schéma. Certains auteurs parlent alors d’internationalisation des tribunauxNote2207. , d’autres incluent ce phénomène dans celui plus vaste d’émergence d’un Etat mondialNote2208. . Afin de déterminer la structure du système de la CPI, il convient d’envisager successivement celle existante (§ 1er), puis la force des décisions de la Cour sur les juridictions internes (§ 2nd).
Le modèle kelsénien de l’ordre juridique et des rapports normatifs, de forme pyramidale est considéré comme largement « ébranlé »Note2209. . Déjà, Kelsen avait pu constater la difficile conciliation entre de la modélisation de ces rapports et sa théorie de l’interprétation, qui mettaient en lumière diverses interactions notamment entre les organes d’application et d’interprétation de la norme juridiqueNote2210. . Pour le professeur van de Kerchove, les rapports entre ordre juridique national et ordre juridique international doivent être appréhendés dans une perspective pluraliste qui illustre cette multiplicité des créateurs et des interprètes du droitNote2211. . Notamment, il souligne les limites de la pyramide par la difficile intégration de certaines normes comme la coutumeNote2212. . L’approfondissement du champ d’intervention du droit international dessine alors de nouvelles relations. Les auteurs s’accordent à y voir l’émergence d’un réseau et la généralisation d’un phénomène de boucles étrangesNote2213. .
Les interactions dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et dans le domaine des violations graves, constituent la parfaite illustration de ce phénomène, par des relations qui se tissent désormais autour de l’ordre international répressif et de la Cour pénale internationale.
Le préambule du statut de la Cour pénale internationale et l’article 1er affirment la complémentarité de la Cour par rapport aux juridictions étatiques : « Elle [la Cour] est complémentaire des juridictions pénales nationales. Sa compétence et son fonctionnement sont régis par les dispositions du présent statut ». Une fois la Cour saisie, les Etats parties sont soumis à une obligation de coopérationNote2214. .
Concrètement, le système institué par la Cour pénale internationale prévoit la compétence de principe des juridictions nationales, sous conditions d’application de bonne foi du statut et de capacité à administrer correctement la justice. La CPI, système d’application du droit international pénal indirect, utilise les systèmes nationaux, systèmes d’application directeNote2215. . Elle n’intervient que de manière subsidiaire, en cas de défaillance ou d’application de mauvaise foi des obligations du traité de Rome du 17 juillet 1998. La complémentarité est un mécanisme de répartition des compétences. Outre les relations de la CPI avec les juridictions nationales, sont affirmées celles avec le Conseil de sécurité de l’ONU, qui n’est pas sans interférences avec les précédentes.
Dès le préambule est affirmée une volonté de se situer dans l’esprit de la Charte des Nations Unies, ce qui fut formalisé par un protocole d’accord signé le 4 octobre 2004 entre le secrétaire général de l’ONU et le président de la CPI. Sont prévus, entre autres, un renforcement de la coopération entre les deux institutions, des échanges d’informations, la participation de la CPI, en tant qu’observateur, à l’Assemblée générale de l’ONU, une coopération administrativeNote2216. , ainsi que des relations avec le Conseil de sécurité.
L’article 16 du statut de la CPI envisage la possibilité pour le Conseil de sécurité de demander à la CPI de surseoir à enquêter ou à poursuivre, par l’intermédiaire d’une résolution prise sur le fondement du chapitre VII. Un des cas les plus révélateurs des interférences entre le Conseil et la CPI vit le jour lors de la discussion relative au crime d’agressionNote2217. . Très brièvement, si les juges, et avant eux le procureur, veulent sanctionner pour crime d’agression, ils sont obligés de se prononcer sur la commission d’un acte d’agression, ce qui est l’apanage, principalement, du Conseil et de l’Etat agressé. Selon le groupe de travail spécial sur le crime d’agression, la question de l’autorité compétente de détermination de l’agression pose de réels problèmes. Le procureur, le Conseil de Sécurité, la CPI elle-même, la CIJ, l’Assemblée générale de l’ONU ou bien encore l’Assemblée des Etats parties au statut de la CPI possèdent un titre à intervenirNote2218. . Il convient cependant de souligner qu’une telle constatation exige une certaine célérité, or seul le Conseil de sécurité semble l’offrir. La mise en place d’une sorte de procédure de référé devant la CIJ pourrait en revanche constituer un argument en faveur de sa compétence.
Des conflits sont donc envisageables et peu souhaitables (§ 62). Les solutions avancées sont diverses. Il est proposé de confier une constatation formelle de l’agression à un organe extérieur, ce qui en filigrane renvoit au Conseil de sécurité, sachant que cette constatation ne serait pas opposable à la CPI. Les droits de l’accusé sont alors respectés (§ 64). Quoiqu’il en soit, la plupart s’acccordent à reconnaître la compétence de la CPI dans la vérification de l’existence de l’agression (§ 61). Diverses propositions furent donc envisagées pour régler ces relations, sans mettre en cause ni l’indépendance de la CPI, ni le pouvoir du ConseilNote2219. . L’impasse aboutit à différer la définition du crime d’agression dans le statut de la CPI.
L’article 103 de la Charte prévoit sa primauté en cas de contradiction avec un traité ou une convention. Une telle disposition inciterait à y voir la primauté du Conseil et notamment des décisions obligatoires prises sur le fondement du chapitre VIINote2220. ; mais l’évolution récente du système international et le débat sur la composition même du Conseil de sécuritéNote2221. ne sont pas sans effets sur la solution qui pencherait plutôt vers une autonomie de la Cour dans une telle hypothèseNote2222. . Pour certains auteurs, l’article 16 est inutile du fait du pouvoir du Conseil, notamment lorsqu’il agit sur le fondement du chapitre VIINote2223. . Cependant, il convient de rappeler que les résolutions du Conseil sont à destination des Etats et que la CPI est une organisation.
Le Conseil a pris en outre une résolution 1422, le 12 juillet 2002, dans laquelle il est précisé que des Etats membres participant à une opération autorisée ou décidée par le Conseil de sécurité afin de préserver ou garantir la paix et la sécurité internationale doivent bénéficier d’une certaine protection contre la CPI :
« Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
1. Demande, conformément à l’article 16 du Statut de Rome, que, s’il survenait une affaire concernant des responsables ou des personnels en activité ou d’anciens responsables ou personnels d’un Etat contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome à raison d’actes ou d’omissions liés à des opérations établies ou autorisées par l’Organisation des Nations Unies, la Cour pénale internationale, pendant une période de 12 mois commençant le 1er juillet 2002, n’engage ni ne mène aucune enquête ou aucune poursuite, sauf si le Conseil de sécurité en décide autrement ;
2. Exprime l’intention de renouveler, dans les mêmes conditions, aussi longtemps que cela sera nécessaire la demande visée au paragraphe 1, le 1er juillet de chaque année, pour une nouvelle période de 12 mois ;
3. Décide que les Etats Membres ne prendront aucune mesure qui ne soit pas conforme à la demande visée au paragraphe 1 et à leurs obligations internationales ;
4. Décide de rester saisi de la question. »
Par cette résolution, le Conseil affirme sa prééminence et verrouille, en quelque sorte, l’action de la CPI, celle des juridictions nationales des Etats membres de l’ONU et de la CPI. Cette résolution semble avoir été adoptée afin de s’assurer, dans l’avenir, de la participation des USA aux opérations de maintien et de restauration de la paixNote2224. . Ceci n’est alors pas sans mettre en cause le principe de non discrimination devant le droit international pénal et le droit international humanitaire, et sans contenir un antagonisme avec la soumission des forces de l’ONU ou agissant sous son égide. Une immunité semble créée au profit de ces forces. L’utilisation du chapitre VII pour une telle affirmation semble juridiquement douteuse. Mais rien ne dit que la CPI, ayant sa propre personnalité juridique, soit tenue par une telle résolutionNote2225. . Quoiqu’il en soit, si ces forces sont sous le commandement et sous l’autorité d’une organisation internationale comme l’ONU, il semble difficile de conclure à la compétence de la Cour, qui se limite aux individus de la nationalité d’un Etat signataire.
La détermination du principe d’une relation complémentaire fut l’objet de débats, notamment entre les partisans de la primauté de la CPI et ceux de la primauté des juridictions internesNote2226. .
A aucun moment l’article 1er du statut ne subordonne les juridictions nationales à l’application du statut et des définitions retenues. Les juridictions étatiques fonctionnent selon leurs procédures et selon leurs codes et textes définissant les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanitéNote2227. . Il faut souligner que la notion de complémentarité a été utilisée pour régir les rapports de compétence entre les juridictions et non le droit substantielNote2228. . On perçoit alors aisément le risque de divergence pouvant exister, au sein du système ainsi institué. Par exemple, le Code pénal français fait du génocide un type particulier de crime contre l’humanité, alors que le statut de la CPI distingue beaucoup plus clairement les deux. En outre, les Etats n’ont pas tous ratifié les mêmes traités et conventions internationales dans ce domaine, ce qui les soumet à des exigences différentes risquant de brouiller le fonctionnement et la logique du système de la CPINote2229. . Les réactions des Etats parties sont alors diversesNote2230. .
Il n’existe aucune relation entre les juridictions nationales d’Etats différents, ayant ratifié le statut de la CPI. Par conséquent, on serait face à une structure en étoile, avec en son centre la CPI, les relations entre les Etats restant interétatiques. L’adhésion commune à la CPI ne pouvant, au plus, constituer qu’un élément favorable à des demandes d’extradition, de collaboration ou autres. Par exemple, le chapitre IX du statut, relatif à la coopération internationale et à l’assistance judiciaire, ne prévoit que les relations entre la Cour et les Etats et semble renvoyer aux mécanismes interétatiques pour les relations entre Etats parties à son statut, dans le cadre d’une affaire pouvant relever de leur compétence. Il n’existe pas de mécanisme comparable à celui émergent dans le cadre de ce que l’on dénomme encore le troisième pilier de l’Union européenne.
Mais une réflexion sur ce système ne peut se réduire à ces considérations uniquement juridiques. Entrent en jeu des éléments politiques et sociologiques. Avant d’envisager ces derniers, il convient de souligner l’importance de l’article 21 du statut de la CPI, relatif au droit applicable par la Cour : le statut, le RPP, les conventions et traités en ce domaine, les principes généraux dégagés par la Cour à partir des lois nationales, à condition que ces principes ne soient pas incompatibles avec le statut et le droit international existant. Enfin, cet article précise que l’interprétation faite de ces normes doit être compatible avec les droits de l’Homme internationalement reconnus. En diversifiant les sources du droit applicables par la Cour, cet article n’est pas sans influence sur l’idée de complémentarité, ni sur le système de la CPI. Il l’inclut dans un système plus vaste, englobant d’autres instances, juridictionnelles, politiques, mais également la doctrine, ce qui renvoie vraisemblablement à l’article 38 du statut de la Cour internationale de Justice.
Les affaires relevant de la compétence de ce système font en général l’objet d’une forte médiatisation qui présente l’avantage de mettre en lumière certaines particularités juridiques, tant substantielles que procédurales. A juste titre ou non, les médias, les ONG, les associations, diverses personnes se sentant concernées, plus ou moins compétentes d’ailleurs, critiquent et invariablement s’inspirent des autres systèmes pour proposer des modifications. De fait, en dehors de certaines pressions juridiques implicitesNote2231. , des pressions politiques et démocratiques peuvent inciter à s’inspirer des droits étrangers, créant une interconnexion. On passe donc d’un système en étoile à un système en « toile d’araignée ».
Le professeur Delmas-Marty décrit très clairement cette situationNote2232. . Le système mis en place par la CPI n’est pas compréhensible à la lumière de la traditionnelle distinction monisme – dualisme, lorsque l’on étudie les relations entre les ordres nationaux et l’ordre international. La complémentarité n’est pas synonyme d’autonomie de chacune des sphères juridiques, cela ne signifie pas non plus une subordination étroite. Selon cet auteur, si le monisme est clairement à écarter dans le cadre du système de la CPI, le dualisme l’est également, car les relations instituées n’identifient aucunement une séparation stricte entre chacun des ordres. Le professeur Delmas-Marty propose alors une troisième voie, celle du pluralisme, dans laquelle, à une approche hiérarchique des systèmes, est substituée une interactionNote2233. . Cette dernière procède à la fois d’éléments juridiques et d’un processus plus globalNote2234. .
Par exemple, on peut observer que les TPI, et cela est sûrement vrai pour la CPI, lorsqu’ils sont à la recherche d’un concept, d’une interprétation ou plus largement des sources du droit international pénal, font référence aux décisions nationales et aux législations nationales. Il existe donc une interaction entre les juridictions internationales et les juridictions nationales, que ce soit pour les principes généraux du droit ou pour la coutumeNote2235. . Par la suite, les juridictions nationales, s’inspirant de la jurisprudence internationale, pourront adopter des solutions qui trouvent en fait leur source dans le système d’un autre EtatNote2236. . Il y aura donc une interaction interétatique, par l’intermédiaire de la juridiction internationale pénale. Le professeur Delmas-Marty parle d’un « processus des boucles étranges »Note2237. . En effet, on peut également observer des phénomènes de renationalisation.
Le système ainsi mis en place est d’autant plus complexe à identifier que les Etats n’incorporent pas tous le droit international de la même façon dans leurs ordres juridiquesNote2238. . Le succès de la Cour pénale internationale résiderait plutôt dans les deux systèmes intermédiaires que sont le national intégré et l’international modéréNote2239. .
L’interaction pose le problème de l’émergence d’un système logique et cohérent. La création de la CPI fut l’objet d’un effort d’hybridation des deux grands systèmes juridiques existants, bien plus important qu’avec les TPI. Mais surtout, au-delà de la création de cette juridiction, se profile un processus d’harmonisation des législations nationales, dans le cadre du système intégré de la CPI.
La création des juridictions internationales et de leurs systèmes est passée par plusieurs étapes, allant de la recherche et de l’identification des éléments communs à la détermination de dénominateurs communs jusqu’à la création d’un système hybride fondé sur la recherche d’un équilibre et d’une certaine complétude. Au-delà d’un simple mixage de la common law et de la civil law, certains auteurs parlent de système sui generis, notamment au niveau procéduralNote2240. , ce qui n’est pas sans faire apparaître quelques problèmes de cohérence et de sécurité juridiqueNote2241. . On observera que, contrairement aux TPI, les juges de la CPI ne possèdent pas la faculté de créer et de modifier le règlement de preuve et de procédure. Il fut institué, entre autres à cet effet, une preparatory commissionNote2242. . Les interactions dans sa création sont claires entre système de common law et système continental. C’est plutôt le système ainsi créé qui mérite d’être souligné. On peut cependant remarquer qu’une fois en fonction se poseront inévitablement des problèmes pouvant mettre en cause l’équilibre ainsi effectué entre les deux grands systèmes juridiques d’influence, ce qui fut déjà le cas lors des premières délibérations des chambres préliminaires.
Le système de la CPI, afin d’offrir un même traitement pénal, suppose soit une convergence des systèmes nationaux, soit une uniformisation sous la houlette de la CPI.
Pour le professeur Delmas-Marty, « l’unification, en ce qu’elle implique des règles strictement identiques, n’est sans doute pas d’emblée nécessaire. En revanche, l’harmonisation, comprise comme un processus de rapprochement autour de principes directeurs communs afin de permettre la mise en compatibilité des systèmes nationaux, paraît non seulement souhaitable, mais absolument indispensable si l’on veut éviter tout à la fois le risque d’une justice des vainqueurs qui ressemblerait plus à la vengeance qu’à la justice et celui d’une inégalité entre Etats pouvant favoriser les pratiques de forum shopping »Note2243. . L’harmonisation présente l’avantage de se situer dans la logique de la CPI et de ménager les souverainetés, notamment par l’intermédiaire d’une marge nationale d’appréciation, tout en maintenant une cohérence au systèmeNote2244. . Si l’on se réfère à la pratique de la Cour européenne des droits de l’Homme en ce domaine, on peut observer qu’elle opère un tel contrôle, ce qui incite à penser que la CPI agira de même, modifiant alors le rôle qui semble lui être attribué par son statutNote2245. , à moins que ce contrôle ne soit exercé par la Cour internationale de Justice, dans le cadre d’un contentieux lié au traité de Rome du 17 juillet 1998.
La convergence permet de respecter les Etats et leurs spécificités juridiques. Mais au-delà de la convergence, c’est tout un système de pensée et un système historique qui est concernéNote2246. . Les aspects techniques doivent être précédés par l’émergence d’une certaine éthique partagée, qui reste à construireNote2247. . Cette convergence se fera soit logiquement par rapprochement, imposé ou spontané, soit par affrontementNote2248. .
La multiplication des conventions, des traités et des juridictions, nationales ou internationales, crée un système en réseau qui dépasse celui de la CPI et l’influence, soit juridiquement, soit factuellement, ce qui n’est pas sans remettre en cause l’unité du droit internationalNote2249. .
On peut envisager la situation dans l’autre sens, c’est-à-dire que le juge national devant interpréter le droit international aboutisse à une solution différente de celle retenue par un juge d’un autre Etat. Cela peut s’expliquer par la tradition juridique à laquelle appartient le juge, la place du droit international, mais également le choix des éléments déterminant l’interprétation, même si on peut imaginer que les juges nationaux opteront pour des règles internationales d’interprétationNote2250. . On peut donc multiplier les hypothèses de divergence au sein du système de la Cour pénale internationale.
Toujours d’un point de vue juridique, certains auteurs voient dans les expressions contenues dans l’article 17 du statut de la CPI, « n’ait pas la volonté » et « incapacité » (« unwillingness » et « inability »), expressions également lues à la lumière du principe de complémentarité, la source de l’exigence de certains standards afin de donner une cohérence au système de la CPINote2251. . Le pouvoir donné aux organes de la CPI de contrôler leur compétence, notamment au titre de l’article 17, lors d’un conflit avec les juridictions étatiques, aboutira à vérifier l’adéquation du système national avec celui de la CPINote2252. . Un auteur considère le principe de complémentarité comme un principe de stimulation, d’incitation pour les juridictions nationales et les législateurs à mettre en oeuvre le contenu du statut de RomeNote2253. . La question se pose alors de savoir s’il existe une obligation de conformité ou un simple souhait d’adéquationNote2254. .
Tout d’abord, la mise en adéquation présente l’avantage pour les Etats de sauvegarder sans ambiguïté leur compétence première, évitant ainsi d’être désavoués par la CPI. Les deux termes de « inability » et « unwillingness » sont en eux-mêmes porteurs de certaines exigences. Notamment, la mise en place de règles substantielles permet la sanction des crimes définis dans le statutNote2255. et d’un système répondant à certaines exigences au niveau de la poursuite, de l’enquête et du procès équitable. En cas contraire, la Cour s’estimera compétente à n’en pas douter. M. Kleffner n’hésite pas à parler de la « force normative de la complémentarité »Note2256. . Pour autant, la rédaction pas toujours limpide du statut ne permet pas de savoir s’il existe réellement une obligation d’établir une juridiction compétente pour sanctionner les crimes contenus dans le statut. La doctrine ainsi que les Etats diffèrent sur ce pointNote2257. . La France semble considérer que le statut n’exprime pas l’obligation pour les Etats d’harmoniser leurs législations, mais le principe de complémentarité l’exigeNote2258. . A l’opposé, on peut soutenir que l’économie du traité de Rome de 1998 implique une telle obligation d’harmonisation ; c’en est une conséquence nécessaireNote2259. . L’alinéa 6 du préambule ainsi que d’autres éléments plaideraient pour une telle interprétationNote2260. . Deux autres arguments sont développés, toujours par M. Kleffner : d’une part, le système de la CPI, n’autorisant l’intervention de la Cour que de manière subsidiaire, ne fonctionnera comme tel qu’à la condition que les juridictions nationales interviennent dans le respect du droit substantiel du statutNote2261. ; d’autre part, plaiderait en faveur d’une harmonisation des législations l’idée d’un traitement équivalent de chaque accusé, quelle que soit la juridiction saisieNote2262. . Enfin, dans l’hypothèse où la CPI a déjà interprété une norme de son statut, on peut soutenir que l’autorité interprétative qui en découle s’impose aux juridictions nationales.
L’existence d’une obligation d’harmonisation dépendrait alors de l’interprétation du traité, à savoir textuelle ou téléologiqueNote2263. . Les Etats disposeraient cependant du libre choix de la méthode d’adaptation, dans le second cas. L’utilisation du droit commun semblerait cependant à proscrire, car ne permettant pas de souligner la particularité de ces crimes et pouvant potentiellement aboutir à la compétence de la CPINote2264. . A cet égard, on peut souligner, entre autres exemples, la particularité de la solution allemande, avec l’adoption d’un code allemand de droit pénal international. Entré en vigueur le 30 juin 2002, il porte adaptation du droit pénal de fond au statut de la CPINote2265. . Au sein de ce code, il existe deux parties : la générale qui est régie par les règles du droit commun du code pénal et par quelques dispositions ponctuelles ; et la partie spéciale qui est beaucoup plus tournée vers le statut de la CPINote2266. .
S’il convient de distinguer nettement droit international et droit comparé, il existe des interférences entre les deux. Notamment, lorsque le statut de la CIJ, dans son article 38, prévoit qu’une des sources du droit international réside dans les principes généraux de droit communs aux systèmes de droit, cela suppose l’intervention de la méthode du droit comparé dans le processus de formation du droit international. Il y aurait un rapport de complémentarité entre les deux droits.Note2267. .
Les interactions sont donc diverses, plus ou moins formalisées, mais au final, on peut penser que le système de la CPI, non seulement bénéficiera des connections existantes dues aux divers systèmes déjà en place comme celui de l’ONU ou bien encore ceux de la Cour européenne des droits de l’Homme et de l’Union européenne, mais également les favoriseraNote2268. .
Pour l’instant, la configuration du système de la CPI n’est pas clairement définie. Mais si on l’envisage sous divers angles, juridique et politique surtout, on peut voir apparaître un réseau, bénéficiant de l’existence d’autres systèmes. Cependant, cette configuration ne présente pas un visage uniforme. Elle est conditionnée par les modèles de relations entre droit interne et droit international, définis par le professeur Delmas-Marty. Même si un juge, en référence à la théorie du dédoublement fonctionnel de Scelle, possède un rôle national et un rôle international, l’incomplétude de ce dernier renvoie invariablement au premier. Dès lors, les règles nationales peuvent ne pas être en adéquation avec celles de droit international. Les logiques des systèmes entrent donc en conflit. La résolution du conflit relèvera, d’une part, des autorités politiques et, d’autre part, du juge, qui pourra, le cas échéant, par exemple « tenir compte »Note2269. du droit international dans l’interprétation qu’il fera des normes nationales, afin de les mettre en concordanceNote2270. . Une interprétation dynamique pourra être mise en œuvre. Cela sera favorisé par la force persuasive des décisions de la CPI, ainsi que par la force de la chose interprétée du statut, et des autres juridictions nationales du système, à défaut de force juridique avérée. Sont envisageables deux types de persuasion, juridique et sociopolitique : par la motivation, par la persévérance, par la doctrine, par l’autorité ou la médiatisation de la juridictionNote2271. .
Le traité de Rome du 17 juillet 1998 instituant la Cour pénale internationale fut, à de nombreuses reprises, en conflit avec les constitutions des Etats signataires. Certains Etats comme la France révisèrent leur constitution, tandis que d’autres mirent les deux textes en adéquation à l’aide d’interprétations constructivesNote2272. . On peut, au vu des solutions différentes adoptées, se demander si l’internationalisation du droit et des constitutions, dans la recherche de la création de systèmes internationaux présentant une certaine logique, ne sont pas en train de faire éclater les systèmes nationaux sous l’effet quelque peu dévastateur des affrontements de logiques différentesNote2273. . Cette tectonique des systèmes, dans les ordres nationaux, n’est pas sans créer de réels problèmesNote2274. .
Au-delà de ces différents éléments, certains sont plus déterminants que d’autres. La structure du système de la Cour pénale internationale trouvera une armature beaucoup plus rigide dans la force de ses décisions à l’égard des juridictions nationales. A l’instar du droit mou, peut-être pourrait-on parler de « système mou », dans la mesure où les juridictions nationales sont moins intégrées, d’un point de vue juridique, que dans les systèmes des Tribunaux pénaux internationaux.
Selon certains auteurs, l’économie du statut de la CPI induit une certaine harmonisationNote2275. . Elle peut être réalisée de manière volontariste, par exemple avec un code, comme ce fut le cas en Allemagne. Elle peut également ne pas être réalisée. Dans ce cas l’inaction du législateur sera palliée par les juges. On peut se limiter à deux grandes hypothèses, hormis le refus total d’harmonisation : soit les juges harmoniseront par l’intermédiaire d’une interprétation constructive, soit ils pourront, en fonction des possibilités prévues par leurs systèmes nationaux, profiter des opportunités favorables de la hiérarchie des normes offertes au droit international.
Si l’on se limite au système français, on peut envisager l’idée d’une interprétation constructive. Mais pour l’instant, cette réflexion ne relève que de la supposition. En revanche, on peut esquisser une vision plus sûre en se plaçant sous l’angle de la hiérarchie des normes, au titre de l’article 55 de la Constitution. On peut légitimement penser que dès le moment où un requérant, si le juge ne le fait pas de lui-même, invoque le statut de la CPI dans une affaire pouvant potentiellement relever de la compétence de la CPI, eu égard à l’article 55, le juge fera primer les définitions des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité telles qu’interprétées, non seulement sur le Code pénal français, mais sur les règles relatives à la responsabilité des supérieurs hiérarchiques. On peut également supposer que le statut primera les conventions de Genève ou d’autres conventions ratifiées par la France, au nom des principes lex posterior et surtout lex speciali.
Il existe rarement des mécanismes articulatoires dans les conventions ou traités instituant une juridiction internationale. Au-delà d’un certain volontarisme des juges, notamment avec le self-restraintNote2276. , on peut cependant faire apparaître quelques exemples institués, comme la délimitation stricte de la compétence de chaque juridiction, ce qui bien souvent ne fait que minimiser les risques de conflit, l’impossibilité pour une juridiction de connaître d’une affaire dont est déjà saisie une autre juridictionNote2277. ou bien encore, dans une perspective préventive, la question préjudicielleNote2278. .
Momentanément, on ne peut qu’échafauder des prévisions sur ce que sera le futur système de la Cour pénale internationale. Mais on peut s’inspirer du système de la Cour européenne des droits de l’Homme qui, à bien des égards, présente certaines similitudes. En effet, on remarque que le système a pour centre aujourd’hui la seule Cour européenne des droits de l’Homme, depuis la disparition de la Commission suite à l’entrée en vigueur du protocole 11, le 1er novembre 1998. Le respect du droit de la Convention repose en tout premier lieu sur les Etats. La Cour n’a normalement vocation à intervenir qu’en cas de méconnaissance, non seulement de la convention et de ses protocoles, mais également de sa jurisprudence interprétative. On rappellera d’ailleurs que la convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière de l’évolution actuelleNote2279. . Selon l’article 19, la Cour est là pour garantir le respect de la convention par les Etats signataires.
Dans le système actuel, une chambre peut être amenée à se prononcer sur la recevabilité d’une affaire (art. 29), sauf cas de l’article 28, en quelque sorte comme la chambre préliminaire de la CPI. Dans la convention, il existe des dispositions relatives à la force juridique des décisions de la Cour sur les juridictions nationales. L’article 46 stipule que les parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges les concernant. L’exécution en est surveillée par le Comité des ministres. Malgré l’existence d’un article octroyant une certaine force juridique aux décisions de la Cour à l’égard de l’Etat directement concerné, on peut constater qu’il n’existe pas véritablement de mécanisme de sanction de la non exécution. C’est plus une certaine médiatisation et une certaine répétition des condamnations qui jouent et donnent une force infrajuridique aux décisions de la Cour. En outre, le système de la Cour européenne des droits de l’Homme, au vu de la convention, est un système en étoile. Une décision ne vaut que pour l’Etat concerné et non pour les autres, même s’ils possèdent une législation équivalente qui donne lieu aux mêmes préjudices. La Cour EDH n’intervient donc que de manière subsidiaireNote2280. .
Et pourtant, on peut observer aujourd’hui que le système possède plutôt une configuration en réseau. Il n’est pas rare que des décisions à l’encontre d’un Etat soient la source de modification dans d’autres. L’effet persuasif de l’autorité interprétative des décisions de la Cour européenne des droits de l’HommeNote2281. aboutit en quelques sorte à un système en réseau, mais mou, centré autour de la Cour qui possède un monopole d’interprétationNote2282. .
Cet exemple présente l’avantage d’esquisser l’évolution du système de la CPI et surtout de montrer que, malgré une force juridique relativement incertaine des décisions de la CEDH, en réalité, elles constituent un élément primordial.
D’un point de vue organique, la CEDH n’appartient pas au même système que les juridictions françaises. Mais cette séparation ne suppose pas une méconnaissance des décisions de chacune par l’autreNote2283. . En pratique, il semble s’être créé un système juridique hiérarchisé, du fait de l’impact persuasif de la jurisprudence et des interprétations. Pour le professeur Manin, les juridictions françaises, dans des cas de plus en plus nombreux, appliquent les décisions de la Cour EDHNote2284. .
On remarque d’ailleurs que l’étude des systèmes européens (Cour européenne des droits de l’Homme et Cour de Justice des communautés européennes) est l’occasion de revenir sur la dialectique de KelsenNote2285. .
Après avoir esquissé l’architecture des relations entre la CPI et les juridictions nationales, il convient de souligner la force juridique des décisions des juridictions dans ce réseau.
En l’absence de relations clairement établies entre les juridictions, qu’elles soient d’origine textuelle ou coutumière, on ne peut que se fier à certains éléments, parmi lesquels la jurisprudence. En définitive, si la question de la compétence dans certains cas peut se poser, une fois ce problème résolu, le conflit réside dans les relations des décisions de justice entre elles, perçues par beaucoup comme un facteur potentiel d’éclatement du droit internationalNote2286. . Le conflit peut être atténué, voire résolu par le dialogue des juges, sorte de coopération informelle. Pour autant, les problèmes d’ordre techniques en cas de persistance des désaccords ne sont pas résolus. Le dialogue est nécessaire non seulement au niveau européen, mais avec les juridictions émergentes comme la CPINote2287. .
S’il n’est pas ici question de discuter le concept même de jurisprudence, il convient tout de même d’en préciser le sens retenu. Le professeur Jouannet souligne le caractère complexe et multiple de la notionNote2288. . Elle développe l’idée selon laquelle la jurisprudence peut être appréhendée dans une double acception, à savoir, un bloc de décisions et un bloc de principes, ces principes étant interprétés ou créés par l’activité juridictionnelleNote2289. . L’auteur ne nie pas qu’une telle approche peut prêter à critiques. La notion désigne donc à la fois un processus et un produitNote2290. . Selon le professeur Kamto, parler de « jurisprudence internationale » est un raccourci trompeur. Il n’y aurait pas d’unitéNote2291. .
Après avoir identifié la notion de jurisprudence, il convient d’en souligner la double fonction, à la fois, élément de résolution d’un conflit donné et règle à vocation plus large. En effet, la règle ainsi dégagée, non seulement avertit les personnes sur les attitudes à adopter, mais a également vocation à influencer les autres juridictions qui, soit statuent sur une affaire liée à celle jugée par la première juridiction, soit ont à trancher un litige de nature équivalente ou dont le domaine peut entrer en relation avec celui de la norme ainsi dégagée. Et c’est à ce niveau-là que l’on peut craindre un conflit entre juridictions et un éclatement du droit international. L’identification de ces risques (B) suppose préalablement d’envisager la force juridique des décisions de ces juridictions entre elles (A).
Si les TPI bénéficient, ainsi que leurs décisions, de la primauté et de l’aura du chapitre VII, ce qui assure plus une force de nature persuasive que juridique, la CPI se trouve, en apparence, beaucoup plus démunie. Il ne faut pas chercher dans le statut de dispositions se prononçant sur ce point. En revanche, on peut estimer qu’une certaine force, là encore, non pas juridique mais de facto, découle du pouvoir que possède la Cour de contrôler les conflits de compétence qu’elle pourrait avoir avec les juridictions nationales des Etats adhérant à son statut. En outre, on peut considérer qu’elle possède un monopole d’interprétation de son statut qui confère à sa jurisprudence une certaine force persuasive.
Le système de la CEDH présente quelques similitudes avec celui de la CPI. Du premier, l’on peut tirer quelques enseignements afin d’évaluer la potentielle évolution du second et mesurer l’influence, voire la force, des décisions de la Cour pénale internationale. La seule différence réside dans l’existence de l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui prévoit que les décisions de la Cour s’imposent à l’Etat qui est partie dans ladite affaire, sous la surveillance du Comité des ministres. Il faut préciser que l’autorité relative de chose jugée s’applique certes au dispositif mais également aux motifs, ce qui en soi peut être source de modification des logiques des systèmes réceptionnant le droit de la CEDHNote2292. . Mais il n’existe aucun mécanisme de sanction en cas d’ignorance de la décision par l’Etat concerné. En définitive, cet article, du moins en théorie, aboutit à un résultat semblable au silence du statut de la CPI sur les effets et conséquences de ses décisions sur les juridictions nationales.
La structure en réseau du système de la CPI possède un caractère plus informel que juridique. Ce sont essentiellement des considérations extra-juridiques qui en dictent la forme. Rien dans le statut et dans le texte français de transpositionNote2293. n’envisage la force juridique réciproques des décisions de la CPI à l’égard des juridictions nationales. Dans une approche empirique, on constate qu’il existe tout de même des relations. La situation est d’autant plus difficile à théoriser que les Etats n’ont pas adopté une procédure unique de réception et d’acceptation du système de la CPINote2294. .
L’idée de complémentarité, comme celle de subsidiarité qui en découle, recèle des effets secondaires difficiles à percevoir mais présentant l’avantage de faciliter les négociations, sous couvert de respect des souverainetés étatiques.
M. AbrahamNote2295. précise que lors de l’élaboration du statut de la CPI, plusieurs systèmes avaient été envisagés afin de régler les relations entre les juridictions internes et les juridictions internationales, et notamment que la CPI soit une instance d’appel des juridictions nationales. Mais la solution fut décriée par la France et écartée. Fut également repoussé l’actuel système des TPI permettant à ces juridictions d’interrompre la procédure en cours devant les juridictions nationales, pour reprendre elles-mêmes l’affaire, au nom du principe de primauté. Le système retenu de la complémentarité ne crée pas de lien juridique entre les juridictions. En revanche, il existe une obligation de coopération au profit de la CPI.
Il est indéniable que les décisions de la CPI n’ont a priori aucune force juridique à l’égard des juridictions nationales, l’inverse étant également vrai. Pour autant, il est envisageable qu’elles créent des effets, plus ou moins persuasifs, et que, dans une interprétation large de sa compétence, la Cour ne décide de donner une force à ses décisions par une appréciation quelque peu large de la carence étatique.
Tout d’abord, dans le cadre des interactions envisagées plus haut, les interactions jurisprudentielles ont été soulignées. Par exemple, les décisions des Tribunaux pénaux internationaux font maintes fois référence explicitement à des jurisprudences internesNote2296. . Le recours explicite, notamment en France, à des décisions d’autres juridictions est extrêmement rare du fait de la prohibition des arrêts de règlement. On peut parfois les déceler, notamment lorsque l’on trouve réaffirmés certains obiter dictum ou considérants ou attendus de principe. Mme La Rosa, analysant l’activité des TPI, souligne tout d’abord la nécessité de motivation de la décision de ces juridictions, exigence répondant non seulement à la particularité du droit pénal mais également à l’inexpérience de la disciplineNote2297. .
Après avoir été identifiées, clarifiées et appliquées à des faits précis, il faut s’interroger sur la force des règles de droit et des solutions jurisprudentielles retenues par les juges. Plus exactement, quelle place occupe le précédent ou qu’en est-il du stare decisis en droit international pénal ?Note2298. La chambre d’appel du TPIY a conclu que, pour des raisons de sécurité juridique et de prévisibilité, il convient de suivre, a priori, ses prescriptions antérieuresNote2299. . Pour autant, rien dans les statuts, ni dans l’esprit des juges semble-t-il, ne fait obstacle à une modification de position. En revanche, les chambres de première instance seraient liées par les décisions de la chambre d’appel. Les TPI ne s’estiment pas liés par les décisions d’autres juridictions internationalesNote2300. . Le juge Shahabudden précise cependant que les juges des instances pénales internationales ont une obligation légale de maintenir la cohérence du droit international et doivent montrer un certain respect des vues exprimées par la Cour internationale de Justice, réflexion faite suite à la divergence de jurisprudences entre les TPI et la CIJ dans les affaires Tadic et NicaraguaNote2301. .
La CPI, quant à elle, prévoit expressément que la Cour peut appliquer les principes et règles tels qu’elle les a interprétés dans ses décisions antérieures, ce qui, au regard du verbe « pouvoir » utilisé par l’article 21 alinéa 2, revient à consacrer une solution similaire à celle des Tribunaux pénaux internationaux.
Les pays de civil law se caractérisent par la prédominance de la thèse de l’absence d’autorité juridique de la jurisprudenceNote2302. . Pour autant, les décisions ne sont pas dénuées d’influences et sont prises en compte par les jugesNote2303. . Mais la jurisprudence de la CPI, à la différence de celle des cours suprêmes, comme le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, ne bénéficie pas du « pouvoir de coercition » attaché au dernier mot que possèdent ces cours suprêmesNote2304. . Seul l’effet de persuasionNote2305. semble devoir être retenu, pouvant aboutir soit à une acceptation, soit à un rejet par les juges internes. La question ne se pose pas dans la relation inverse. Cependant, les jurisprudences nationales ne sont pas sans provoquer des effets sur les juridictions internationales, ce qui peut laisser présager le même phénomène devant la CPI. L’idée d’autorité persuasive de la jurisprudence n’a de raison d’être que lorsque cette jurisprudence est dénuée d’autorité juridiqueNote2306. . C’est le cas des décisions de la CPI dont la force n’est pas précisée. Les développements effectués sur l’influence des juridictions européennes et constitutionnelles sur le juge administratif français sont à cet égard instructifsNote2307. . Sans reprendre en détail le raisonnement poursuivi, on peut souligner l’interdiction faite au juge, dans les systèmes romano-germaniques de statuer par voie de dispositions générales et abstraites, ce qui limite l’autorité de la jurisprudence à une valeur « purement intellectuelle »Note2308. . L’article 5 du Code civil confirme l’effectivité de cette règle en droit françaisNote2309. . La jurisprudence pourrait alors être qualifiée d’éminence grise de la décision de justice. Sa présence est perceptible, son influence indéniable, ses effets sont quasi-juridiques, mais on ne la voit jamais apparaître.
Le statut de la CPI, eu égard à l’article 55 de la Constitution de 1958, a vocation à être invoqué et à surpasser le Code pénal. On peut donc supposer que, par un effet d’aspiration, cela fera entrer la jurisprudence de la CPI dans le système interne, lui donnant une certaine force, notamment de chose interprétée. En outre, dans le cadre d’une application de bonne foi du traité de Rome de 1998, on peut soutenir que les autorités françaises doivent réceptionner la chose interprétée par la CPI.
Si l’on fait une comparaison avec la Cour européenne des droits de l’Homme, on ne peut que constater, comme le professeur Manin, que les tribunaux n’ont pas d’autre issue que de s’aligner sur la jurisprudence européenneNote2310. , avec le tempérament possible de la marge nationale d’appréciation. Le professeur Marguénaud distingue l’influence des décisions visant un Etat partie au litige de celles à l’égard des Etats non concernésNote2311. . Concernant l’Etat partie, l’auteur rappelle que l’article 53 souligne que les Etats doivent se conformer aux décisions de la Cour dans les litiges auxquels ils sont parties. D’un point de vue formel, cela signifie que les Etats doivent prendre des mesures propres à corriger les violations constatées en l’espèce. Mais cette vision formelle est selon lui dangereuse. L’Etat aurait alors intérêt à modifier la loi source de ce préjudice et potentiellement source de préjudices identiquesNote2312. . Cette remarque trouve un prolongement dans les réflexions du professeur de Schutter, selon lequel le recours individuel, dans le cadre de la défense d’un intérêt individuel, est porteur d’une dimension collectiveNote2313. ; une décision rendue à l’égard d’un Etat n’est pas sans effets à l’encontre des autres. Le professeur Marguénaud souligne encore l’autorité interprétative des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme. Il remarque que nombre d’auteurs, attachés à la souveraineté étatique, lui confèrent une autorité relative de la chose jugéeNote2314. .
L’autorité de la chose interprétée trouverait un fondement dans l’article 45 selon lequel la compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires concernant l’interprétation. Il s’en dégagerait alors une mission d’interprétation collective de la Convention européenne des droits de l’Homme. Dans une affaire Irlande c/ Royaume-Uni de 1978, la Cour a affirmé que « ses arrêts servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la convention, et à contribuer de la sorte au respect, par les Etats, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de parties contractantes ». Mais cette ligne de conduite prend une réelle ampleur avec la décision Modinos, du 22 avril 1993, sanctionnant un Etat en soulignant qu’il aurait du faire disparaître une législation ayant un caractère similaire à une autre source de violation de la CEDH dans un autre Etat. Normalement, l’Etat directement condamné dispose d’une certaine liberté quant aux moyens à mettre en œuvre pour remédier à une violation de la convention. Mais selon le professeur Cohen-Jonathan, si une législation est à l’origine de la violation, cela implique d’en faire cesser les effetsNote2315. . Bien qu’une telle obligation ne soit pas formellement énoncée, la multiplication des condamnations d’un Etat pour des violations trouvant leur fondement dans une seule et même législation confirme l’existence d’une telle obligationNote2316. . On peut donc constater non seulement que derrière le cas d’espèce est visée la législation source du préjudice, mais aussi que les Etats autres sont fortement incités à prendre les mesures adéquates afin de se mettre en conformité avec la CEDH. La jurisprudence de la Cour EDH possède donc un caractère non pas juridique à l’égard des Etats non parties au litige, mais incitatif. Ici ce n’est pas tant la force juridique des arrêts de la Cour qui est en cause, mais leurs effets parajuridiques. Les décisions de la CEDH possèdent un caractère d’exemplarité et d’incitation. Il faut enfin souligner que la Cour considère la convention comme un instrument constitutionnel de l’ordre public européenNote2317. , ce qui assure un poids supplémentaire à sa jurisprudence.
La CIJ, dans sa décision Avena, concernnat la convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires précise que son interprétation de l’article 36 et les conséquences qui en découlent ne s’appliquent pas uniquement aux mexicains en cause mais à tout ressortissant étranger. Les juges en profitent donc pour étendre la portée juridique d’une décision concernant une affaire précise à tous les autres cas identiques, ce qui dépasse la portée relative des décisions de la CourNote2318. .
Le système de la CEDH possède un autre point commun avec celui de la Cour pénale internationale. L’un et l’autre ont un statut normalement intangible. Il n’existe pas, dans chaque système, d’organe de nature législative pouvant compléter ou préciser la convention et le statut, du moins selon une procédure courante et facile à mettre en oeuvre. A ce titre, la Cour EDH, et la remarque peut être valable pour la CPI, est certes un interprète dynamique de la Convention, mais on ne peut nier le rapprochement avec une fonction proche de la législationNote2319. . Il en ressort alors que la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme, interprète principal, concernant une disposition particulière de la Convention, plus que les décisions des juridictions des systèmes possédant un organe législatif, a vocation à accompagner cette disposition et à être citée à ses côtés par les juridictions garantes au niveau national de la Convention. Sa force persuasive en est alors renforcée. Surtout, son apparition dans les décisions nationales lui fait acquérir une force juridique, identique à celle du précédent des systèmes de common law. Pourtant la Cour se défend d’introduire « des notions ou matières nouvelles, car il s’agit-là d’une fonction législative qui appartient aux Etats-membres du Conseil de l’Europe »Note2320. .
Si la Convention EDH mit un certain temps à s’imposer dans le droit français, son influence est aujourd’hui indéniable. Le juge administratif, longtemps réticent, n’hésite pas à citer la jurisprudence interprétative de la Cour dans ses arrêtsNote2321. ; pour autant, il ne considère pas pour l’instant devoir rejuger une affaire après condamnation de la France par la CourNote2322. . La Cour de cassation est également réceptive à la Cour EDHNote2323. . Notamment existe une commission de réexamen, suite aux condamnations de la Cour EDHNote2324. qui se fonde sur l’article 626-1 et suivants du Code de procédure pénale. La chambre criminelle prend en compte la convention telle qu’interprétée, même lorsque, semble-t-il, existe une disposition en droit interne qui pourrait suffireNote2325. . De manière plus générale, la jurisprudence de la Cour produit des effets tant sur les organes politiques que juridictionnelsNote2326. . La Cour EDH ne semble pas reconnaître une particulière autorité à sa jurisprudenceNote2327. .
Avoir précisé les très grandes lignes de ce système semble suffisant pour conclure qu’un tel comportement, eu égard à certaines similitudes, peut être supposé de la part de la CPI, à la grande différence qu’elle ne serait amenée à viser qu’indirectement les Etats et à juger de nouveau un accusé, le cas échéant. Et c’est peut être sur ce point que l’on peut considérer l’exemple du système de la Cour EDH comme mal choisi mais permettant au moins une ébauche de réflexions.
Il est probable que les attentes en la CPI et la médiatisation de l’activité de la première grande juridiction internationale pénale jouent un rôle dans son influence sur les organes politiques et juridictionnels nationaux.
Afin d’appréhender l’effet potentiel des décisions de la CPI sur les juridictions nationales et plus précisément sur les juridictions françaises, il convient de distinguer les décisions ayant un effet juridique avéré de celles pouvant avoir un effet secondaire ou infrajuridique.
Tout d’abord, certaines décisions de la CPI produisent des effets juridiques. Par exemple, une fois un accusé jugé pour certains faits, le principe non bis idem s’impose aux juridictions étatiques (art. 20 al 2)Note2328. . Les décisions comportant la désignation de l’Etat assurant l’emprisonnement (art. 103), après acceptation de celui-ci, créent un effet juridique à l’égard de l’Etat.
Au-delà des quelques éléments des décisions de la Cour qui produisent un effet direct à l’égard des Etats, on peut, sur le modèle du système de la Cour EDH, prévoir l’apparition de certains effets juridiques secondaires, tout d’abord au niveau de l’interprétation faite des dispositions du statut. Cela est d’autant plus vraisemblable que la Cour en est l’interprète privilégié. Donc, en fonction de la place accordée au droit international et au statut de la CPI dans les systèmes nationaux, la jurisprudence de la Cour aura plus ou moins de valeur. Certes, en France, l’article 55 de la Constitution ne vise que le droit écrit, mais là encore, l’exemple de la CEDH révèle l’importance que peut avoir la jurisprudence de la juridiction chargée de surveiller l’application d’un texte. On peut prévoir la reconnaissance d’une certaine autorité de la chose interprétée et jugée de la CPI.
Après avoir esquissé les possibles effets de la jurisprudence de la CPI, il convient d’en préciser les effets néfastes ou risqués. On peut entrevoir un risque de contradiction avec les jurisprudences des autres juridictions internationales, un risque de complexification du système de droit international et des systèmes nationaux, un risque d’éclatement du droit international.
Concernant le premier risque, celui de la contradiction, un seul exemple désormais célèbre mérite d’être cité. Ce phénomène est d’ailleurs accentué par la multiplication des juridictions internationalesNote2329. . La chambre d’appel du TPIY, dans une décision Tadic du 15 juillet 1999, a remis en cause le critère du contrôle dégagé par la CIJ dans sa décision Nicaragua de 1986Note2330. . Si l’on ne peut pas critiquer cette décision du fait de l’absence de hiérarchie entre les juridictions internationales et plus particulièrement entre la CIJ et les TPI, on ne peut que constater l’existence d’une divergence d’interprétation sur la même disposition d’un texteNote2331. . L’absence d’interprète privilégié pour un texte donné de droit international n’est donc pas sans poser problème, mais instaure une concurrence que seuls les juges, en l’absence de dispositions précises, peuvent régler. Ce phénomène est accentué par l’absence d’un organe législatif international institutionnalisé, pouvant potentiellement intervenir pour régler de tels conflits. Ce n’est alors qu’une attitude positive de la part des juges qui peut mettre fin à de tels divergences. Pour le juge Guillaume, les juges doivent s’informer des décisions des autres afin d’éviter de telles situationsNote2332. .
La contradiction de jurisprudences peut également être le révélateur d’une atteinte à l’unité du droit international, si tant est qu’il en existe une. La multiplication des juridictions, l’absence d’organe politique fort, en sont les sources. L’idée même de système, si complexe soit-elle, suppose une logique et une certaine unité. Il doit au moins exister une matrice commune et quelques axiomes, ce qui n’exclut pas l’existence de diverses branches autonomes, avec leurs spécificités. Le caractère « polycentralisé » du droit international n’est pas sans faire douter de l’existence même de ce système. Le professeur Karagiannis relativise celaNote2333. . Il admet que les traités ne renforcent pas l’unité du droit international, en revanche, la coutume, dans une certaine mesure, jouerait ce rôleNote2334. . Ce risque est favorisé par l’absence de hiérarchie entre les juridictions internationalesNote2335. . En soi, le phénomène n’est pas nouveau, mais il se fait durement ressentir lorsque deux juridictions auront à intervenir concernant un même fait, par exemple la CPI et la CIJ. Au-delà se pose le problème du choix de l’interprétation à retenir par les juridictions internes. Est-ce à dire que la chambre criminelle française suivra la CPI et le juge administratif français la CIJ ?
Ce point de l’unité du droit international fait clairement apparaître les risques d’éclatement du système. On peut transposer ce phénomène aux relations des juridictions et surtout des jurisprudences internes et internationales. Si l’on distingue normalement systèmes nationaux et système international, dans le domaine particulier du système de la CPI, on doit admettre l’existence d’un système transnationalNote2336. . Ce système possède un centre en germe, la CPI. Cependant, il ne faut pas occulter l’existence d’un double centre de jurisdictio. D’une part, celui de la CPI qui aurait vocation à s’imposer et qui le devrait, pour des raisons de cohérence du système, d’autre part, chaque système national composé de ses juridictions, mais également d’organes normatifs, réduisant l’importance juridique des décisions nationales par rapport aux décisions de la CPI dont la valeur est plus élevée du fait de l’absence de structure normative opérationnelle. La jurisprudence de la CPI, bien que ne bénéficiant pas directement d’une force juridique, possède une valeur incitative plus forte que celle des juridictions nationales. Si l’on se place dans la logique de la supériorité du droit international sur le droit interne, en retenant le principe de l’application de bonne foi des traités et si l’on se réfère à l’exemple de la Cour EDH qui, dans une certaine mesure, offre une jurisprudence aux caractéristiques comparables, on peut en conclure qu’elle bénéficiera d’une certaine force qui devrait inciter le juge français à se mettre en concordance avec elle. Cela n’est pas du tout incompatible avec une interaction des jurisprudences, comme le prouve la jurisprudence des Tribunaux pénaux internationauxNote2337. . On peut penser que s’établira, de fait, une hiérarchie entre les juridictions nationales et la Cour pénale internationaleNote2338. .
Les interactions entre les juridictions, qu’elles soient uniquement internationalesNote2339. ou non, sont un facteur, non seulement de développement jurisprudentiel, mais d’édification et de création de systèmes juridiques. Deux points caractérisent la multiplicité des sources d’influence des décisions de droit international pénal. A maintes reprises, fut signalée la multitude de références aux décisions et aux définitions juridiques d’origine nationale que les TPI utilisentNote2340. , mais il faut également souligner que ces mêmes juridictions puisent dans les jurisprudences des juridictions internationales. Par exemple, sont réutilisées les décisions du tribunal militaire de Nuremberg et de la Cour internationale de JusticeNote2341. . La construction de la jurisprudence ne se limite pas à un rapport entre jurisprudences et conventions ; il faut également ajouter l’influence de la doctrine, des documents auxiliaires et préparatoires, de l’Histoire et d’impératifs sociauxNote2342. .
Le système est d’autant plus difficile à appréhender lorsque des juridictions comme les TPI utilisent des concepts dégagés par la CIJ, par exemple la notion de jus cogensNote2343. . Le professeur Kovacs souligne ce problème tout en précisant que l’article 66 de la Convention de Vienne de 1969 semblerait plutôt reconnaître la primauté de la CIJ que l’exclusivité sur les autres juridictions. En tout état de cause, dès lors que la CIJ ne bénéficie d’aucune importance hiérarchique clairement affirmée et que les juridictions comme les TPI sont créées par le Conseil de sécurité, on peut difficilement contester une telle attitude. Il ne faut pourtant pas nier le risque de contradictions et d’éclatement du droitNote2344. . Ce risque est d’autant plus accentué que la CIJ refuse par exemple de contrôler par voie d’appel une sentence arbitraleNote2345. , ce qui n’est pas sans inconvénientsNote2346. . Une telle hiérarchisation serait peut-être envisageable dans le système ONU. En effet, les TPI furent créés par le Conseil de sécurité et la CPI, selon son préambule, est reliée au système des Nations Unies. Les articles 34 et 36 du statut de la CIJ ne s’opposent nullement à un tel cas de figure. Cependant, l’appel induirait la connaissance par la CIJ d’un contentieux individuel et pénal ; il serait alors plus juste d’envisager un contrôle de cassation, portant uniquement sur le droit et non sur l’objet du contentieux.
Si la jurisprudence trouve, à n’en pas douter, une certaine unité, sous l’influence d’éléments extrajuridiques, un mécanisme d’unification et de surveillance, de nature juridictionnelle, n’est pas à écarter, notamment pour des raisons de stabilité et de publicité du droit à l’égard des destinataires des normes. D’ailleurs, les TPI possédent une chambre d’appel commune, ce qui est justifié dans le domaine pénalNote2347. . Il en est de même pour la CPINote2348. . Certains y voient un « élément fondamental des droits civils et politiques »Note2349. .
En ce qui concerne la chambre d’appel des TPI, sa compétence, d’après les articles 24 et 25 des statuts, se limite à des « erreurs sur un point de droit qui invalide la décision », rendue par une chambre de première instance, ou bien à une « erreur de fait qui a entraîné un déni de justice ». La chambre d’appel insiste sur la nature corrective de son interventionNote2350. . La chambre d’appel de la CPI semble tenir la même fonction (art. 81). Ce rôle en matière d’unification du droit semble d’ailleurs avoir été implicitement reconnu dans le cadre d’autres instances, en particulier le Tribunal spécial pour la Sierra Léone, dont le paragraphe 3 de l’article 20 du statut précise : « Les juges de la Chambre d’appel du tribunal spécial se laissent guider par les décisions de la Chambre d’appel des Tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda »Note2351. . Cependant, un auteur remarque que la chambre d’appel du TPIY ne remplit pas toujours son rôle laissant en suspend certaines questions purement juridiques, comme ce fut le cas dans la décision d’appel relative à l’affaire du Camp de CelebiciNote2352. .
La problématique d’un organe commun aux juridictions pénales internationales fut largement perçue, notamment par le Secrétaire général des Nations Unies. Dans son rapport relatif à l’établissement du TSSL du 4 octobre 2000 (S/2000/915), il précise, concernant l’idée d’une chambre d’appel commune aux TPI et au TSSL, que cela offrirait une « garantie quant à l’élaboration d’une jurisprudence cohérente ». Mais il poursuit en disant qu’on peut espérer un résultat analogue en soumettant seulement le TSSL à la jurisprudence de la chambre d’appel des TPI, sans la relier officiellement à cet organe.
Au sein du système international, l’absence d’organe d’unification du droit, supérieur hiérarchiquement, n’est guère un problème. Si l’on ose un parallèle avec le système français, on peut observer des divergences entre système administratif et système pénal. Pour autant le système juridique français n’est pas remarquable par son incohérence. L’absence d’organe suprême dans le système international présente plus une difficulté pour les juridictions nationales qui peuvent hésiter quant au droit à appliquer.
La réception de la jurisprudence internationale par les juridictions françaises renvoie tout d’abord à la valeur qui leur est accordée par les juges français, mais également aux principes et règles de droit dégagés par les juges internationaux, c’est-à-dire la coutume, les principes généraux du droit international et les interprétations de dispositions conventionnelles ou statutaires.
La Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris, dans une décision Kadhafi du 20 octobre 2000, déclare que : « la coutume internationale […] a la même autorité juridique que les traités, un Etat ne pouvant, en conséquence, être lié par la coutume que s’il l’a acceptée ». On perçoit alors aisément la difficulté de son application, comme le prouvent d’ailleurs trois décisions du 17 juin 2003 de la Cour de cassation, en matière de crime contre l’humanité. Les décisions de 2003, relatives à l’affaire Aussarès, précisent que « la coutume ne saurait pallier l’absence de texte incriminant, sous la qualification de crime contre l’humanité, les faits dénoncés par la partie civile ». Cette exigence de textualité, pour reprendre une expression du professeur Lombois, semble affirméeNote2353. .
Si, par cette vision des choses, le juge judiciaire semble formellement s’opposer à un droit international non consenti et en l’espèce inappliqué pour incomplétude de la norme pénale, il ne faut pas conclure pour autant à son rejet. La réception peut s’opérer de manière informelle, soit par le biais de la reprise d’une solution, soit par celui de la reprise d’un raisonnement. Le droit non écrit se heurte au principe de légalité très fort en droit pénal. En définitive, le principe de l’acceptation de la coutume semble retenu. En outre, il convient de se demander si le juge criminel peut constater lui-même l’existence d’une coutume ou s’il doit attendre qu’elle le soit par le juge international.
Deux problèmes se posent relatifs à la coutume internationale, celui de son effet direct et celui de sa primauté sur le droit français. Selon le professeur Massé, la jurisprudence de la Chambre criminelle reconnaît indiscutablement l’applicabilité immédiate de la coutume, se fondant sur l’alinéa 14 du préambule de 1946Note2354. . La coutume prime également sur le droit national, comme l’attestent la décision Kadhafi de la chambre criminelle du 13 mai 2001.
Le juge criminel semble considérer que la coutume ne peut pas constituer une norme d’incrimination (Aussarès, 17 juin 2003). Le professeur Massé, se référant au professeur Lombois, explique cela par le fait qu’une incrimination suppose une norme de comportement et une norme de répressionNote2355. .
Il conviendrait en outre de réserver le cas des situations objectives. Dans ces cas, la solution rendue par les juges internationaux s’imposerait à l’Etat, sans discussionsNote2356. .
Les relations entre les jurisprudences des juridictions criminelles internationales et françaises présentent un visage quelque peu incertain. Si on les résume, la jurisprudence internationale les accueille au même titre que les autres jurisprudences nationales afin d’en faire apparaître les éléments communs pour construire sa propre jurisprudence. En ce cas, les jurisprudences nationales ont plus une valeur infra-juridique que juridique, relevant de l’influence.
En revanche, la réception de la jurisprudence internationale par les juridictions criminelles françaises se heurte à une certaine réticence. Là encore, l’effet juridique, au vu de la jurisprudence actuelle, est assez incertain, le système français de réception du droit international étant plus ouvert au droit écrit que non écrit. S’ajoutent à cela les nécessaires exigences du droit pénal, en termes de précision et de non rétroactivité.
Jusqu’à présent, les juges criminels français n’ont été confrontés qu’à des jugements de tribunaux internationaux ponctuels pour des événements précis. Mais l’instauration d’une juridiction permanente laisse présager l’apparition d’autres types de rapports et d’exigences.
Jusqu’à présent, le sujet des relations des juridictions au sein du système de la Cour pénale internationale fut abordé sous l’angle structurel, ce qui n’a pu se faire sans allusions à des éléments plus concrets, mais traités de manière volontairement superficielle. Il convient à présent de préciser plus clairement quels peuvent être les effets induits par le principe de complémentarité et qui aboutiront à une extension des pouvoirs de la CPI, nécessaire à l’exercice de sa compétence. De manière générale, deux systèmes peuvent être envisagés : un système structuré, juridique, et un système parajuridique, reposant sur la coopération et sur le dialogue des jugesNote2357. .
Le risque de l’hétérogénéité du droit international est dénoncé par nombre d’auteursNote2358. . Mais, si l’on se concentre uniquement sur le domaine du droit international pénal, la disparition programmée des TPI et des juridictions internationalisées, comme le TSSL, laissent augurer l’existence d’un organe unique, mais pour l’heure limité spatialement, la CPI, qui bénéficiera de l’expérience des juridictions internationales pénales pour uniformiser le droit répressif dans la sphère internationale. Selon le professeur Bassiouni, des risques de discordances ne pourront surgir qu’entre les juridictions criminelles nationales et la CPI, qui en est une extensionNote2359. .
Cependant le statut de la CPI est porteur d’obligations positives à l’égard des Etats. Si l’on fait une comparaison avec la Cour européenne des droits de l’Homme, on peut arriver à une telle conclusion. Cela n’est d’ailleurs pas sans risquer de mettre en cause les souverainetés étatiquesNote2360. .
En définitive, il reste à savoir si le juge français est là pour appliquer le droit du statut de la CPI ou bien, ce qui semble logique, pour réprimer les infractions définies dans son statut, à l’aide d’une jurisprudence en harmonie avec celle de la CPINote2361. . Dès lors, dans le cas contraire, on peut subodorer une action de la CPI. Elle découlerait de l'article 20 paragraphe 3 du statut. Comme l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 98-408 du 22 janvier 1999 : « (...) il résulte du statut que la Cour pénale internationale pourrait être valablement saisie du seul fait de l'application d'une loi d'amnistie ou des règles internes en matière de prescription (... ) », et que « (...) la France, en dehors de tout manque de volonté ou d'indisponibilité de l'Etat, pourrait être conduite à arrêter et à remettre à la Cour une personne à raison de faits couverts, selon la loi française, par l'amnistie ou la prescription ; qu'il serait, dans ces conditions, porté atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».
Dès lors, en l’absence d’un code identique à celui adopté par l’Allemagne et en l’absence d’un code pénal international assurant cohérence et unitéNote2362. , pour l’instant, on ne peut que répertorier les problèmes pouvant apparaître et ébaucher quelques solutions. Le risque d’hétérogénéité du droit pénal et du traitement pénal des accusés, les problèmes d’interprétation et de convergence du droit international pénal substantiel, et, en filigrane, le problème de la « réformation des jugements nationaux » sont des grands thèmes à éclaircir, constituant des effets secondaires prévisibles du principe de complémentarité des compétences.
Ces problèmes seront abordés sous deux angles : d’une part l’émergence d’un mécanisme de centralisation de l’interprétationNote2363. (§ 1er) et d’autre part la nécessité du développement de mécanismes d’articulation des jurisprudences plus poussé (§ 2nd).
Afin de ménager les souverainetés étatiques, le droit international pénal et notamment le statut de la CPI restent évasifs sur les relations entre celles-ci et les juridictions nationales, se contentant d’affirmer leur complémentarité, ainsi qu’une obligation de coopération. Une telle situation n’est pas sans soulever des interrogations et sans faire naître un risque, non seulement de conflit de compétences entre les juridictions, mais aussi de conflits d’application du droit substantiel. Pour parer à de telles éventualités, certains auteurs, défendant la thèse d’un processus d’harmonisation des législations, proposent l’organisation d’un contrôle afin d’éviter de trop grands écarts entre les jurisprudences. Ce contrôle, dans la perspective du respect des souverainetés, se distinguerait par l’existence d’une marge d’appréciationNote2364. . Se pose alors préalablement la question du titulaire de ce pouvoir de contrôle.
Le professeur Delmas-Marty indique deux pistes pour désigner ce titulaire, soit la Cour internationale de Justice, soit la CPI, qui présente l’avantage d’être spécialisée en ce domaineNote2365. . Or un tel contrôle n’est pas prévu dans le statut de la CPI. Ce dernier résulte d’un traité. Or, de manière classique, l’interprétation et les contestations relatives à un traité relèvent du contrôle de la CIJ. Mais cela est conditionné par une acceptation des Etats ou bien par l’existence d’une clause compromissoire. Pour les règles d’interprétation, le traité de Vienne de 1969 semble s’appliquerNote2366. .
Trois éléments pourraient plaider en faveur d’une telle compétence. La logique du système de la CPI qui se veut respectueuse des souverainetés étatiques, le rattachement au système de l’ONUNote2367. et la référence faite aux sources du droit international dans les articles 10 et 21Note2368. . En outre, un quatrième élément pourrait être relevé : la nature même de tels crimes n’étant pas sans faire apparaître, en général, la responsabilité internationale de l’Etat, la CIJ peut voir sa compétence établie pour une affaire dont la CPI aura à connaître au niveau individuel. L’avantage d’une telle solution est de concentrer un pouvoir unificateur, à tout le moins harmonisateur, du droit international entre les mains d’un seul organe. En revanche, cela offre un pouvoir très important à la CIJ qui est normalement compétente uniquement à l’égard des Etats.
Une telle vision peut faire l’objet d’au moins deux approches. Soit une vision totale, c’est-à-dire que la CIJ pourrait être compétente pour tout type de contestation. Soit une vision plus restrictive, à savoir que la CIJ ne serait compétente qu’en cas de contestation relative à l’application d’une norme de droit international public. Pour illustrer ce second point, a contrario seule l’interprétation du RPP relèverait uniquement de la CPI.
L’autre voie à explorer est celle de la compétence de la CPI. Cette dernière est juge de sa compétenceNote2369. . En effet, la chambre préliminaire vérifie les contestations de compétences, ce qui inclut notamment la vérification de la bonne volonté et de la capacité des Etats à mener des investigations et à juger de manière impartiale les accusés. On pourrait donc considérer que la CPI, dans une vision extensive de ses pouvoirs, se saisisse d’affaires qu’elle estime mal jugées, notamment sur le fondement d’une mauvaise interprétation du droit international pénal. La relaxe ou, de manière large, la non condamnation d’un accusé pourrait fournir une bonne occasion à la Cour de critiquer les jurisprudences nationales. L’article 119§ 1 du statut prévoit que la Cour est compétente pour tout différend relatif à sa fonction judiciaire.
Si la nécessité d’une clarification de l’organe compétent en matière de centralisation de l’interprétation est évidente, les solutions pouvant être esquissées ne sont pas réellement convaincantes. La nécessité d’un texte clair en ce domaine se fait largement ressentir. Eu égard à l’importance de ce mécanisme, un addendum au traité est souhaitable.
Quel que soit le choix opéré, il reste à voir quelle pourrait être la nature du contrôle exercé.
Afin d’éviter un duel à fleuret moucheté entre les juridictions nationales et la CPI, il semble logique d’exiger la clarification de l’interprétation et de l’harmonisation du droit international pénal. Bien qu’une telle solution ne soit pas sans remettre en cause la souveraineté étatique, dont la détermination de la politique pénale est une composante, risquer de laisser l’anarchie s’installer ne serait pas une solution adéquate. S’opposent deux grands courants : celui de l’unification du droit et celui de l’harmonisation. Si ces deux courants s’opposent très clairement dans le système global de droit international, cela est moins perceptible en droit international pénal, du moins en ce qui concerne très précisément les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Certes, il existe des variantes concernant les définitions de ces crimes, par exemple l’approche des crimes contre l’humanité dans le Code pénal français diffère de celle des statuts des TPI ou de la CPI ou bien encore du projet de code de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de 1996. On peut tout de même conclure à une forte similarité, renforcée par l’adhésion commune et très large à certains instruments internationaux comme les conventions de Genève et leurs protocoles, les conventions de La Haye, la convention de 1948 relative au crime de génocide ou bien encore les statuts des juridictions internationales pénales.
L’unification est très souvent un objectif à long terme. Et à court terme, c’est la solution de l’harmonisation qui est retenueNote2370. . « La clé de l’harmonisation est la reconnaissance d’une marge nationale d’appréciation »Note2371. . La construction du droit international pénal se fait au milieu du fossé, se rétrécissant, entre systèmes de common law et de civil law, ce qui aboutit en droit international à des systèmes hybrides.
La marge nationale d’appréciation a pour objectif d’instaurer une compatibilité entre les systèmes. Se pose alors le problème du seuil de cette compatibilité, au-delà duquel la cohérence de l’ensemble disparaît.
Cette notion fut clairement dégagée par la Cour EDHNote2372. . On peut alors se servir de sa jurisprudence pour esquisser ce que pourrait être ce contrôle effectué soit par la CPI soit par la CIJ. Il serait l’expression d’une nécessité fonctionnelle dans laquelle le juge européen prendrait acte que les autorités nationales sont mieux placées pour apprécier les circonstances et les conditions d’application de la Convention. Ce serait un moyen de respecter la diversité juridique et culturelle des Etats. La Cour EDH apprécierait alors in abstracto la conformité d’un texte de droit interne à la ConventionNote2373. . L’arrêt Handyside de 1976 la limite et en prévoit le contrôle. Cependant, le contrôle de la marge ne pourra que différer entre la Cour EDH et le système de la CIJ car les intérêts protégés par ces systèmes sont de nature différente. La recherche d’un dénominateur commun aux systèmes juridiques des Etats se retrouvera certainementNote2374. , afin d’encadrer l’appréciation de cette margeNote2375. . Peut-être, peut-on prévoir une différence d’intensité du contrôle, selon qu’il s’agisse de droit pénal international substantiel ou procédural et plus précisément des droits de la défense. D’ailleurs, le professeur Delmas-Marty envisage deux voies de contrôle : la première par le biais des droits de l’Homme, la seconde par la voie de l’interprétationNote2376. .
La centralisation de l’interprétation constitue un premier point à éclaircir, mais une fois les décisions rendues, il peut être nécessaire de déterminer des mécanismes afin de les articuler.
L’hétérogénéité du droit international et plus particulièrement du droit international pénal est un risque qui peut être combattu par une attitude volontariste de la part des juges compétents et des organes politiquesNote2377. ; c’est un dialogue qui peut prendre diverses formes. Mais il est évident que les différences de culture juridique, et il faut souligner à cet égard la prédominance de la culture occidentale, constituent un obstacle supplémentaire. On ne peut donc se passer de l’instauration de mécanismes articulatoires. Alors que la Cour pénale internationale n’a qu’une compétence subsidiaire, on ne peut envisager d’autres solutions que celle qui consiste à la mettre au centre de ce système articulatoire.
A cet égard, on peut reprendre certaines des constatations et propositions faites par le professeur KaragiannisNote2378. concernant les mesures de coordination entre les juridictions internationales et les appliquer ou en proposer l’application aux relations entre CPI et juridictions nationales. Il ne faut en effet pas omettre que la complémentarité de la CPI et des juridictions nationales ne crée pas deux sphères distinctesNote2379. , mais plutôt un système mou.
Outre la distinction claire des compétences des juridictions, ce qui à l’évidence n’est pas faisable dans le système de la CPI, on peut envisager la mise en place de mécanismes articulatoires afin d’éviter non seulement les conflits de compétences mais aussi les conflits jurisprudentiels. L’actuel système ne repose que sur la bonne volonté étatique et sur une attitude positive de la part des juges, et notamment des juges nationaux (notamment le self-restraint).
A l’exemple du système de justice communautaire, et l’on trouve des mécanismes identiques en droit administratif français, on peut proposer la mise en place d’un mécanisme de questions préjudicielles. Le nouvel article 225, introduit dans le traité CE par le traité de Nice du 26 février 2001, prévoit que le Tribunal de première instance des communautés européennes, saisi par un juge national, peut renvoyer l’affaire devant la Cour de justice afin qu’elle statue lorsqu’il estime que l’affaire appelle une décision de principe susceptible d’affecter l’unité ou la cohérence du droit communautaire.
De manière plus générale, la question préjudicielle semble représenter un mécanisme jugé efficace par la doctrineNote2380. . On pourrait alors suggérer l’instauration d’un tel mécanisme prévoyant la possibilité de saisir la chambre d’appel de la CPI pour obtenir une telle décision, soit directement par le juge national, soit par une chambre de première instance de la CPI, afin d’éviter l’hétérogénéité de cette discipline en développementNote2381. .
En émettant cette proposition, on introduit déjà l’idée d’un organe juridictionnel suprême. L’idée est d’ailleurs envisagée au sein du système général de droit internationalNote2382. . Si l’institution d’un tel organe n’est pas dénuée d’intérêt, apparaît cependant le problème du pouvoir normatif du juge. En effet, le pas est vite franchi de l’interprétation à la création normative, notamment lorsqu’un juge est seul. Dans le système de la CPI, l’Assemblée des Etats parties peut être vue comme une sorte de législateur faisant office de contre-pouvoir. Les articles 9, 199§ 1 et 122 et 123 du statut peuvent être interprétés en ce sensNote2383. . Mais on admettra aisément qu’une assemblée d’une telle nature ne fonctionne pas avec autant de souplesse qu’une juridiction. On peut également envisager une résistance de la part des juges nationaux afin de faire contrepoids. Mais de telles solutions ne répondent guère aux impératifs de conciliation que l’on peut attendre des relations entre la CPI et les juridictions nationales. Renverser une jurisprudence internationale sera toujours plus difficile que renverser une jurisprudence nationaleNote2384. .
La nécessité de mécanismes articulatoires se fait d’autant plus sentir que le contenu du droit international pénal est général. Il manque de précision, ce qui intensifie la marge de manœuvre et le pouvoir normatif du juge. En outre, les processus normatifs internationaux sont confiés à des diplomates qui ne se placent pas toujours dans une vision juridique des problèmesNote2385. .
Les juges nationaux sont en général guidés par leurs droits nationaux et par le droit international, mais les juges internationaux ne le sont que par un droit international qui leur offre les moyens de combler les lacunes du droit international pénal (notamment les principes généraux du droit de l’article 21 du statut de la CPI). Mais ceci comporte le risque d’une jurisprudence législative, bien que fondée sur une analyse des jurisprudences internationales et nationales afin d’en faire ressortir des principes générauxNote2386. .
Encore pourrait-on pousser plus loin les hypothèses et envisager le cas d’une même affaire dont les accusés seraient jugés, pour certains, par les juridictions françaises et pour d’autres par la CPI, avec le risque d’appréciations contradictoires, non seulement des faits et de leurs qualifications juridiques, mais également des responsabilités individuelles. Rien ne semble prévoir explicitement un tel cas. La primauté des juridictions nationales permet-elle de joindre ces affaires devant les juges nationaux ? Ou bien, le principe de subsidiarité peut-il justifier, notamment sur le fondement de l’article 17 du statut de la CPI, une jonction des affaires devant elle ? Les questions et les réponses que l’on pourrait apporter sont aisément identifiables. Reste à voir la jurisprudence qui en ressortira, à moins de préconiser d’ores et déjà une clarification du statut de la CPI sur ces points.
Les relations verticales entre juridictions internationales et nationales se caractérisent par une interaction que le professeur Kamto qualifie de déséquilibrée et vaguement hiérarchiqueNote2387. . Il est vrai qu’il n’existe, si l’on se limite au système de la CPI, aucune disposition se prononçant sur ce point. Les juges français n’ont pas de réelles obligations textuelles. En revanche, une interprétation extensive de l’économie du statut de la CPI plaiderait en faveur d’une telle obligation. A tout le moins, en référence au système de la Cour européenne des droits de l’Homme, on peut retenir une force persuasive. Mais la spécificité du système de la Cour pénale internationale incite au développement de procédés articulatoires, comme la question préjudicielle. Reste à savoir quelle force donner aux décisions rendues sur ce fondement. La logique du statut consistant à respecter les souverainetés étatiques inciterait à ne leur donner aucune force juridique, mais plutôt une force incitative.
Le militaire, agent de l’Etat, outre sa responsabilité personnelle, engage celle de son Etat. Deux autres juridictions interviennent alors : la Cour internationale de Justice et le juge administratif français. Il s’agit là d’un second type de relations verticales qu’il convient à présent de préciser.
Des auteurs tels qu’Anzilotti et Guggenheim considéraient que les actes des militaires, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie, devaient être attribués à leur EtatNote2388. . Le professeur Barboza, en référence à ces auteurs et aux travaux ultérieurs de la Commission du droit international considère également que les actes d’un militaire engagent à la fois sa responsabilité et celle de son Etat ; il nuance cependant cette affirmation, d’une part en soulignant le refus d’Anzilotti d’admettre le statut de sujet de droit des individus en droit international, et d’autre part, en distinguant l’acte criminel individuel et la défaillance étatique à sanctionner un tel comportementNote2389. . Sur ce dernier point, il se justifie par l’argument selon lequel le crime n’a rien à voir avec la carence étatique. A contrario, on pourrait donc soutenir la responsabilité étatique dès lors que l’Etat y trouve un intérêt. L’auteur semble accepter ce double effet de l’acte criminel individuel, dans la mesure où la responsabilité étatique ne s’analyserait pas en une responsabilité pénale pour ledit crime, mais plutôt en une responsabilité de type civilNote2390. ; il s’interroge d’ailleurs sur le point de savoir si l’acte est imputé ou bien ses conséquencesNote2391. . L’idée simple que l’auteur souligne et qui se situe au-delà de la problématique de l’imputation, est qu’il s’agit de montrer que l’acte criminel n’est pas étranger à l’Etat : « From there to a legal fiction there is a very short step »Note2392. .
La responsabilité de l’Etat existerait donc, mais uniquement dans une perspective civile. Ce serait une responsabilité indirecte. Ce n’est pas l’acte criminel qui est imputé à l’Etat, mais les conséquences civiles de cet acteNote2393. . La solution retenue par le professeur Barboza présente l’avantage de distinguer clairement les actes individuels des actes étatiques, en n’imputant pas à l’Etat, personne morale sans conscience, des actes volontaires, fruits d’une conscience individuelle.
Cependant, une telle approche tend à favoriser le préjudice au détriment du fait générateur dans la détermination de la responsabilité étatique. Si une telle conception ne pose guère de problème en droit administratif français, droit dans lequel les régimes fondés sur le dommage et non sur la faute de service se développent, en revanche, en droit international, l’accent est mis sur une notion qui n’est pas clairement définie et envisagée dans le dernier projet de responsabilité de la Commission du droit internationalNote2394. .
La responsabilité étatique, à l’instar de celle du militaire, se partage entre des juridictions internationales et régionales et les juridictions nationales. Nous retiendrons essentiellement la Cour internationale de Justice et la juridiction administrative française. Des juridictions comme la Cour interaméricaine des droits de l’Homme ou la Cour européenne des droits de l’Homme ont vocation à sanctionner indirectement de tels actes, sur le fondement de leurs statuts. Paradoxalement, la Cour internationale pénale, compétente à l’égard des individus, n’est pas dénuée d’influence en matière de responsabilité étatique. Par exemple, les articles 17 et 98 du statut permettent à la Cour de se prononcer sur une attitude de l’Etat consistant à faire échapper éventuellement un individu à sa responsabilité pénale. Dès lors, si la décision de la Cour constatant cette situation, a pour objet un individu, elle sanctionne aussi le comportement d’organes judiciaires ou politiques, constatant la responsabilité infrajuridique de l’Etat, puisque la CPI, en elle-même, ne peut sanctionner juridiquement cet Etat.
Des juridictions internes ont également sanctionné des Etats étrangers pour de tels actes. On peut citer, par exemple, l’affaire Préfecture de Voiotia, de mai 2000 de la Cour Suprême grecque dans laquelle l’Allemagne fut soumise aux tribunaux grecs pour les actes commis par les troupes d’occupation en Grèce en 1944. Selon les juges grecs, les actes en question violaient des règles impératives du droit international régissant les conflits armésNote2395. .
A l’instar des développements précédents relatifs aux militaires, on peut observer la coexistence de diverses juridictions compétentes pour se prononcer sur la responsabilité de l’Etat français pour la commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité par ses dirigeants et ses militaires. Une telle situation invite donc à envisager deux points : d’une part, les relations pouvant exister entre ces deux juridictions (section 1ère) et d’autre part les risques de cette coexistence (section 2nde).
L’affirmation des individus face au pouvoir se traduisit par la prédominance de la norme et la soumission du pouvoir à cette dernière et au juge chargé d’en vérifier le respect. L’affirmation concomitante de la séparation des pouvoirs fut alors vecteur de dispersion du pouvoir unique. L’instauration d’un pouvoir judiciaire, à tout le moins d’une autorité judiciaire, pour reprendre la lettre de la Constitution de 1958, est un élément de limitation du pouvoir des organes politiques.
La France a procédé définitivement à une telle autolimitation avec la loi du 24 mai 1872 affirmant le système de la justice administrative déléguée, soumettant l’Etat à un juge indépendant, qui, au fil des années, a su acquérir, conserver et augmenter son rôle, notamment dans le domaine des libertés.
Un phénomène identique d’autolimitation est à observer dans l’acceptation du système onusien et de la compétence de la Cour internationale de Justice. Encore convient-il de nuancer cela, en soulignant que depuis l’affaire des essais nucléaires de 1974, la France a dénoncé la clause facultative de compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice, de l’article 36 alinéa 2 de son statut. Pour autant, la France accepte encore de se soumettre aux juges internationaux.
L’Etat français est donc susceptible de voir sa responsabilité engagée devant ces deux juridictions, sur le fondement du droit international général. Il peut également faire l’objet de procédures devant des juridictions plus spécialisées ou devant des juridictions régionales comme la Cour européenne des droits de l’Homme, qui peuvent permettre de sanctionner les mêmes comportements mais sur des fondements différents.
Cette coexistence de compétences peut cependant faire apparaître une distinction : la Cour internationale de Justice ne peut être saisie que par des Etats (sous-section 1ère) et non par des individus, tandis que le juge administratif peut l’être également par les individus – victimes (sous-section 2nde)Note2396. .
Tant la Cour internationale de Justice que le juge administratif français peuvent être saisis par un Etat pour obtenir réparation d’un préjudice subi. Mais si différents éléments juridiques et pratiques réduisent l’intérêt d’une action devant le juge administratif, une telle possibilité n’est cependant pas à rejeter.
Une telle situation devant le juge administratif mérite d’être précisée. En effet, il convient de distinguer selon l’objet de la requête et, plus précisément, selon qu’elle porte sur une demande de réparation ou sur un refus de la part de la France d’assumer certaines obligations, conventionnelles ou non, de coopération, comme par exemple un refus d’extradition ou de remise. Soulignons d’ailleurs que la Cour pénale internationale possède la personnalité juridique pour assumer son rôle, ce qui peut lui permettre de saisir le juge administratifNote2397. .
S’il n’est affirmé nulle part une quelconque règle de fonctionnement et de répartition de compétences entre le juge administratif et la CIJ en cas d’interférences, ce qui est logique étant donné la différence des systèmes juridiques auxquels ils appartiennent, la pratique semble accréditer une prédominance de fait de la Cour internationale de Justice. Cette dernière applique tout le droit international. Sa compétence est définie par l’article 36 de son statut qui énonce qu’elle sera compétente pour toute affaire qui lui est soumise par des Etats parties, sous la réserve de compétence obligatoire de l’article 36 alinéa 2. En outre, dans sa décision Nicaragua, elle rappelle qu’en « vertu de l’article 36 alinéa 6, de son statut, la cour est compétente pour décider de toute contestation relative à sa compétence (…) »Note2398. . Le forum prorogatum, dont on trouve un exemple dans la décision Détroit de Corfou de 1949, constitue également un moyen d’extension de sa compétenceNote2399. .
Il n’existe pas d’obstacles significatifs à la compétence de l’une ou l’autre juridiction. Ce sont plus des éléments pratiques, découlant de certains points de droit, qui aboutissent à la prédominance de la CIJ. Après avoir présenté les principales raisons de cette prédominance (§ 1er), il convient de préciser les éléments remarquables de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice en ce domaine (§ 2nd).
La prédominance de la Cour internationale de Justice semble pouvoir s’expliquer par trois points essentiels : tout d’abord une garantie de bonne administration de la justice, impartiale ; ensuite, la possibilité d’invoquer tout le droit international ; enfin la notion d’intérêt à agir, telle que retenue par le juge administratif.
Pour les Etats comme pour les particuliers, le juge administratif est souvent perçu comme un membre de l’administration, favorable à cette dernière. Une jurisprudence largement centenaire démontre le contraire. Dans le domaine particulier des violations sérieuses d’obligations impératives du droit international général, domaine qui peut présenter une certaine coloration politique, l’appréhension est compréhensible. On peut d’ailleurs citer à cet égard, concernant les particuliers, la jurisprudence aujourd’hui déchue, relative aux faits commis sous le régime de Vichy et pour lesquels le juge administratif a refusé pendant longtemps d’engager la responsabilité de l’Etat républicain, et ce jusqu’à la récente jurisprudence PaponNote2400. . Encore convient-il de préciser qu’il ne faisait qu’appliquer une ordonnance.
On peut également citer une récente jurisprudence allemande qualifiant les actes de l’armée allemande, en Grèce, lors de la Seconde Guerre mondiale, d’actes souverains, refusant donc de reconnaître une quelconque responsabilitéNote2401. . Cela permet d’ailleurs de faire la transition avec, non seulement ce type d’obstacles, mais avec celui des lois d’amnistie ou de mesures d’effets équivalents qui s’opposeraient à la reconnaissance d’une responsabilité par le juge. Mais concernant la France, la jurisprudence Papon confirme le volontarisme du juge en ce domaine, à tout le moins pour la période de la Seconde Guerre mondiale. La Cour internationale de Justice, quant à elle, offre pleinement le visage de l’impartialité, par rapport aux juridictions des Etats poursuivis.
Le juge administratif, bien qu’appliquant le droit international sur le fondement de l’article 55 de la Constitution de 1958, constitue un moyen peu usité, car se limitant à l’application du droit international essentiellement écritNote2402. . Une grande partie du droit international humanitaire étant d’origine coutumière, le juge administratif n’offre donc pas un prétoire favorable. Reste à savoir si le caractère de jus cogens de telles normes ne constitue pas une incitation à accentuer son application, ce qui serait d’autant plus admissible que le juge administratif, au lieu de se fonder sur la coutume internationale, pourrait se fonder sur les décisions de justice, qu’elles émanent de la CIJ, des TPI ou bien encore de la CPI. L’article 38 du statut de la CIJ retenant les décisions de justice comme sources du droit international, mais sous la réserve de l’article 59, ne donne une force à ces jurisprudences que pour les Etats parties au litige. En revanche, les systèmes des TPI et de la CPI inciteraient peut-être davantage à une telle pratique.
Enfin, un troisième argument peut être relevé en défaveur du recours au juge administratif. Il s’agit de la notion d’intérêt à agir. Si l’Etat, devant la juridiction internationale, peut invoquer des intérêts propres ou les intérêts de l’un de ses ressortissants, il n’en est pas de même devant le juge administratif qui exige l’existence d’un intérêt propre à l’Etat, ce qui réduit les possibilités de saisine. On peut cependant s’interroger sur le point de savoir si la violation de normes de jus cogens ne pourrait pas ouvrir les portes des juridictions administratives à des Etats, soit au nom de leurs ressortissants lésés, soit au nom de la communauté internationale. Pour l’instant, il ne semble pas exister de tels cas et c’est la CIJ qui en tire tout le bénéfice.
La Cour internationale de Justice est la juridiction qui a reconnu et sacralisé la notion de jus cogens, dans sa décision de 1970, Barcelona Traction, même si la notion n’apparaît pas explicitement. Si bon nombre d’auteurs essayent de distinguer, d’une manière ou d’une autre, le jus cogens, du droit impératif, des obligations erga omnesNote2403. , les crimes de feu l’article 19, des violations graves d’obligations impératives découlant du droit international général du dernier projet, certains auteurs les assimilent, tout en reconnaissant l’incertitude ambianteNote2404. . Ces normes, du moins celles de droit international public substantiel, sont l’expressionétatique des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. L’idée selon laquelle la Cour internationale de Justice est l’autorité judiciaire la mieux placée pour se prononcer dans le domaine qui nous intéresse peut donc être raisonnablement défendue, même si elle fait l’objet d’une certaine concurrence par les TPI et notamment par le TPIY qui reconnut le caractère de jus cogens de la prohibition de la tortureNote2405. et du génocideNote2406. . La concurrence fait peser la menace d’un risque de fractionnement des concepts. Face à cela, la CIJ semble vouloir remédier aux problèmes d’incohérence et d’instabilité du droit international. Du moins la décision relative aux Plates-formes pétrolières iraniennes semble pouvoir être interprétée en ce sensNote2407. .
Dans ce domaine, la Cour internationale de Justice fut et sera encore amenée à appliquer les conventions de Genève et de La Haye ainsi que leurs protocoles, également les diverses conventions relatives au génocide et autres crimes de même nature, et le droit coutumier concerné.
La CIJ est le juge principal et naturel du droit international, si l’on excepte la possibilité de recours à l’arbitrage, ce qui, aujourd’hui, semble peu probable dans ce domaine. Mais des mécanismes comme la commission d’indemnisation pour le conflit Irak-Koweït ne sont pas à écarter.
La CIJ est une juridiction d’autant plus adaptée que les inconvénients du recours aux juges nationaux et notamment au juge français sont avérés ; elle est un organe unique en son genre et surtout un organe principal de l’ONU. Pour autant, elle subit une concurrence en ce qui concerne certains aspects du droit substantiel, par les TPI, la CPI, et les juridictions internationalisées, ou bien encore les tribunaux militaires pouvant être institués dans des cas bien précis. A cela s’ajoutent les juges nationaux qui appliquent de telles conventions. Cependant, et c’est là une raison supplémentaire à l’inadéquation du recours aux juges nationaux, si les conventions ne visent que les Etats, le juge national estime qu’elles ne sont pas d’application directe, ce qui fera obstacle aux recours individuels.
La CIJ est d’autant plus attrayante qu’elle offre une jurisprudence souple. En effet, la règle du précédent n’est pas reconnue et son statut précise même que ses propres décisions, sous réserve de l’article 59, sont placées au même niveau que la doctrine des publicistes les plus qualifiés, c’est-à-dire comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit. Pour autant, dans un souci de sécurité juridique, les précédents possèdent une force persuasive et moraleNote2408. . La Cour, dans cette perspective, prévoit d’ailleurs que « les affaires du même genre doivent être tranchées de la même manière et si possible par le même raisonnement »Note2409. . Une certaine autorité de la chose interprétée existe alorsNote2410. .
Outre cela, une décision de la Cour internationale de Justice réellement inexécutée peut voir le Conseil de Sécurité intervenir en sa faveurNote2411. . L’article 94 alinéa 2nd prévoit la possibilité pour la partie lésée de saisir le Conseil, qui décide ou non soit de faire des recommandations soit d’intervenir de toute autre manièreNote2412. . Si la situation d’inexécution peut s’analyser en une menace contre la paix et la sécurité internationale, alors le Conseil de sécurité peut se saisir lui-mêmeNote2413. . Il semblerait également que les articles 34 et 35 de la Charte, prévoyant la possibilité pour tout membre d’attirer l’attention du Conseil de sécurité, puissent s’étendre à cette situationNote2414. .
En pratique, les refus furent raresNote2415. . Parmi ceux-ci, on peut citer les affaires du Détroit de Corfou, du Personnel diplomatique et consulaire de l’ambassade des USA à Téhéran ou des activités armées Nicaragua. Quoiqu’il en soit, la CIJ offre une plus grande chance d’exécution de la décision par l’Etat condamné que les juridictions nationales.
Si l’inexécution constitue une menace contre la paix et la sécurité, alors le Conseil peut agir sur le fondement du chapitre VIINote2416. . Suite, par exemple, à la décision de la CIJ du 8 avril 1993, prononçant des mesures conservatoires dans une affaire relative à la Bosnie-Herzégovine, cette dernière avait attiré l’attention du Conseil, sur le fondement de l’article 94, sur la poursuite et l’intensification des attaques armées dirigées par la Yougoslavie contre la ville de SrebrenicaNote2417. . Les autorités de Bosnie-Herzégovine demandaient au Conseil d’intervenir sur le fondement du chapitre VII. Dans sa résolution 819 du 16 avril 1993, le Conseil prend note de l’ordonnance de la CIJ, précise qu’il agit en vertu du chapitre VII, mais ne mentionne pas l’article 94. Malgré le caractère peu clair de la résolution, il semble qu’il puisse être considéré comme une mesure tendant à faire exécuter l’ordonnance de la CIJNote2418. .
La CIJ, à l’heure actuelle, est une des instances, avec les TPINote2419. , à avoir le plus contribué au développement du droit international humanitaireNote2420. et du droit de la responsabilité étatique.
C’est essentiellement le premier de ces points qu’il convient de préciser, afin de faire ressortir son rôle prédominant en ce domaine. Trois décisions principales sont retenues : Détroit de Corfou, NicaraguaNote2421. et l’avis relatif à la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléairesNote2422. . On doit également ajouter la décision relative à l’application de la convention relative au génocide de 1996 et l’avis de la CIJ relatif aux réserves à la même convention de 1951Note2423. .
En 1986, les juges internationaux voient dans le droit international humanitaire des règles élémentaires d’humanitéNote2424. . Dans l’avis de 1996 concernant le recours aux armes nucléaires, la Cour précise que les deux branches que sont le droit de La Haye et le droit de Genève « ont développé des rapports si étroits qu’elles sont regardées comme ayant fondé graduellement un seul système complexe, qu’on appelle aujourd’hui droit international humanitaire ». La Cour non seulement les sacraliseNote2425. et les unifie, mais les développe, en recourant au droit international coutumierNote2426. . Il existerait notamment en droit international coutumier des principes généraux de droit humanitaireNote2427. . Les juges internationaux précisent même la teneur de ce droit, notamment en énonçant « les principes cardinaux contenus dans les textes formant le tissu du droit humanitaire, à savoir la distinction entre combattants et non combattants, afin de protéger la population civile, le devoir de ne pas causer de maux superflus... »Note2428. .
La Cour internationale de Justice est le juge de la société internationale, sa présence, bien que sa compétence ne soit pas totalement obligatoire, assure la transition de l’espace interétatique, d’une forme primitive vers une forme plus organisée. Elle ébauche un modèle de société faisant apparaître une sorte de séparation des pouvoirs et matérialisant une limitation des Etats. La CIJ s’impose comme le principal acteur d’une justice uniquement interétatique. En revanche, et toujours dans la perspective des rapports entre système français et système international, du point de vue du recours individuel, la justice administrative française constitue une juridiction vers laquelle les individus peuvent se tourner.
Toujours dans la perspective d’actes commis en application d’une politique criminelle, le juge administratif français peut être saisi tant par des personnes physiquesNote2429. que par des personnes moralesNote2430. . Mais il semble que les recours exercés par des Etats étrangers portent plus généralement sur des actes ou des faits sanctionnables au regard du droit interne ou du droit international consenti par les autorités françaises. En revanche, lorsqu’il s’agit d’appliquer le droit international général, comme le droit international humanitaire ou le droit conventionnel, la voie de l’organe supranational compétent semble choisie en priorité comme la Cour de Justice des communautés européennes ou la Cour européenne des droits de l’Homme.
Au contraire des individus, l’exigence de l’épuisement des voies de recours internes n’est pas un obstacle opposable aux Etats. Ce sont autant de constatations et de raisons, qui, avec celles précédemment énoncées, confirment le peu d’effectivité et d’usage du juge administratif sur saisine exercée par un autre Etat.
En revanche, la CIJ et les juridictions internationales pénales étant fermée aux recours individuels, ce sont les juges nationaux qui sont alors compétents. Or, le droit international humanitaire et le droit de la responsabilité étatique ne sont pas accueillis par le juge administratif (§ 1er), cependant leur esprit n’est pas absent de sa jurisprudence (§ 2nd).
L’activité militaire est une activité de service public. Et comme tout service public, une erreur, une faute, un détournement de l’institution sont envisageables. La jurisprudence du Conseil d’Etat ne semble pas avoir eu à faire au droit international humanitaire ou au droit international relatif à la responsabilité étatique, car ceux-ci n’ont pas d’effet direct.
On peut vraisemblablement relever trois raisons à cela : d’une part, les actes de gouvernement ; d’autre part, le caractère fortement coutumier du droit international en ces domaines ; enfin, l’existence de régimes législatifs spéciaux d’indemnisations ou de réparations, comme celui découlant de la loi du 28 octobre 1946. Cependant, ce régime n’est pas exclusif de la compétence du juge administratif qui lui donne un caractère subsidiaire par rapport au régime jurisprudentiel de droit communNote2431. . Encore convient-il de ne pas confondre ces législations nationales fondées sur une idée de solidarité et celles découlant d’obligations morales ou internationalesNote2432. .
Mais s’il ne semble pas y avoir de mention expresse à ces droits, même à leur partie conventionnelle, on peut supposer qu’existe en filigrane une prise en compte de leur esprit. En ce qui concerne la branche pénale de ces infractions, ce sont les juridictions pénales, ou bien des juridictions militaires ou spéciales, qui sont compétentes. L’Etat, de qui est attendu une réparation, se fonde en général sur des lois spéciales que l’on trouve en marge des règlements de chaque conflitNote2433. .
Depuis la fin du 19ème siècle, la responsabilité administrative de l’Etat, en matière de conflits armés, ne semble pas prendre en compte les conventions de droit international humanitaire et celles sanctionnant des violations graves du droit international général. Le fondement en reste purement interne. Les juridictions françaises furent essentiellement saisies concernant les indemnisations pour les faits commis par les vaincus, comme l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale.
Dans la Revue de droit public et de science politique de 1915, le professeur Jèze consacre un long article aux réparations pour les dommages causés par des faits de guerreNote2434. . Il mentionne la convention de La Haye du 18 octobre 1907Note2435. , relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre, dont l’article 3 prévoit des indemnités pour destructions de biens divers à la charge de l’Etat contrevenant. Et l’auteur dénie formellement son applicabilité aux victimes directes et en réserve l’application uniquement au profit de l’Etat des victimes, qui se charge alors d’en user ou de le redistribuerNote2436. . Cette convention n’est pas d’application directeNote2437. . Il justifie cela par les difficultés des rapports qu’il faudrait alors régler entre chaque individu – lésé et l’Etat vaincu, mais également par l’impossibilité d’un tel rapport eu égard au statut de l’individu dans la sphère internationale. L’inapplicabilité directe des conventions de Genève et de la Haye semble aujourd’hui encore de principeNote2438. , ce qui explique l’absence de jurisprudence du Conseil d’Etat sur ce point.
Un auteur défend pourtant la thèse de l’applicabilité de cet article 3 de la convention IV de La Haye de 1907 et de l’ouverture aux particuliers d’un droit à réparation sur son fondementNote2439. . Il se fonde sur les travaux préparatoires de la Conférence de la paix de 1907. Mais la lecture qui en est ainsi faite est critiquéeNote2440. . Cependant, un tel droit à réparation directe des particuliers devant les juridictions internes n’est pas à exclure dans l’avenir, par l’intermédiaire d’une coutume internationaleNote2441. . Selon le professeur van Boven, le droit à réparation serait un droit directement conféré par le droit des gens aux victimes de violations graves des droits de l’Homme, tandis que le droit à un recours serait seulement une obligation de l’Etat.
Il convient de rappeler également l’irresponsabilité de l’Etat en matière de faits de guerre, notamment lorsqu’ils sont totalement justifiés. Il faut alors que la violation du droit international humanitaire soit qualifiée de faute au sens du droit français pour avoir une quelconque effectivitéNote2442. .
Cependant, la récente jurisprudence Papon du 12 avril 2002, revenant sur cette irresponsabilité, notamment pour les faits relatifs au régime de Vichy, ouvre le droit administratif à de telles hypothèses. On peut observer dans les visas de la décision l’absence de toute référence au droit international. Le fondement de la responsabilité est purement interne. Bien évidemment, dans cette hypothèse, l’affaire était purement française.
Cependant, une telle inapplicabilité est mise en cause dans certaines hypothèses, permettant alors l’invocation du droit international humanitaire, notamment conventionnel, par les individusNote2443. . Les lois françaises, mettant en application les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, ainsi que l’adhésion à la Cour pénale internationale, comme des chevaux de Troie, permettent l’effectivité et l’invocabilité de ce droit par les individus, notamment comme fondement d’actions pénales. L’applicabilité directe semble au moins reconnue dans ces cas.
Rappelons ce que dit la cour d’appel de Lyon dans l’affaire Barbie : « (...) en raison de leur nature, les crimes contre l’humanité (...) ne relèvent pas seulement du droit interne français, mais encore d’un ordre répressif international auquel la notion de frontière et les règles extraditionnelles qui en découlent sont fondamentalement étrangères ».
Dès lors, on peut s’interroger sur la possible invocation de ces conventions devant le juge administratif. Tout d’abord, il convient de préciser que l’adhésion au système de la CPI entraîne une ouverture quasi-totale du système français au DIH, pour toutes les affaires susceptibles de se présenter, dans la limite de la compétence de la CPI. Un tel effet direct est-il alors valable devant le juge administratif ? Les jurisprudences judiciaire et administrative, relatives à la convention de New York de 1990 sur les droits de l’enfant, prouvent la possibilité de divergences sur la portée à donner à un engagement international. Il n’est alors guère possible, en l’absence de jurisprudence administrative, de se prononcer sur ce point. L’autorisation implicite d’invocation du DIH en matière pénale opérée par le statut de la CPI ou du moins appréciée comme tel par le juge judicaire n’est pas transposable au contentieux administratif. En effet, la CPI est compétente à l’égard des individus et non à l’égard des Etats. Il semble que les conventions de DIH n’obligent les Etats qu’à les respecter pour permettre aux victimes de faire valoir leurs droits ou pour sanctionner les auteurs de crimes, et non à en déduire une responsabilité étatique, mais rien ne s’y oppose formellement.
Si l’article 55 de la Constitution prévoit l’application du droit international écrit, l’alinéa 14 du préambule de 1946, avec sa rédaction beaucoup plus large, ne fait nullement obstacle, et même permet d’appliquer ces textes.
Le juge administratif retient la convention de La Haye de 1907 et notamment l’article 53 du règlement annexé, dans la décision d’Assemblée du 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique. Mais il ne se prononce pas sur son applicabilité directe. Semblant éluder toute réflexion à son sujet, il se contente de mentionner le régime de réparation pouvant exister entre la France et l’Allemagne ; cette impression est renforcée par la vivacité avec laquelle il reconnaît le principe d’une responsabilité sans faute de l’Etat pour rupture d’égalité.
Les références au droit international humanitaire ou bien aux violations graves, dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, semblent inexistantesNote2444. . Pour autant, les valeurs protégées par ce droit le sont par d’autres instruments. En définitive, cette absence de jurisprudence peut s’expliquer par la pratique des commissions spéciales et surtout par le fait que la France a mené peu de conflits armés sur des territoires étrangers depuis la ratification des grandes conventions de droit international humanitaireNote2445. . Si l’on se réfère aux travaux de M. BecetNote2446. , portant sur les dommages causés par l’Etat en temps de guerre, il convient de distinguer ceux causés par des faits de guerre et qui entraînent une irresponsabilité de principeNote2447. et les faits de service qui, au contraire, sont source de responsabilitéNote2448. . Il faut distinguer, dans la première de ces catégories, les faits de guerre par nature, qui eux seuls entraînent irresponsabilité, des faits de guerre par assimilation, qui peuvent engager la responsabilité de l’EtatNote2449. .
Selon la loi du 20 avril 1949Note2450. , relative à la période de la Seconde Guerre mondiale, sont assimilés aux dommages résultant de faits de guerre tous les dommages qui ont été « causés par les troupes françaises ou alliées ou leurs services pendant la durée des hostilités ». Cette disposition couvre les faits de toute nature causés par les troupes entre le 2 septembre 1939 et le 1er juin 1946, date légale de la cessation des hostilités. M. Becet considère ce texte comme couvrant « une multitude d’actes, dépourvus de tout lien avec une opération militaire précise, parfois même sans utilité militaire immédiate », ce qui comprend « les vols, enlèvementsNote2451. , dégradations de toutes sortes commis par des militaires (…) »Note2452. . Et l’auteur ajoute que « le critère employé (…) est donc purement matériel » et que cela est valable même si l’acte présente un caractère fautifNote2453. . Mais au-delà de cette qualification, cela permet de faire entrer certains actes dans les législations relatives à la réparation des dommages de guerre. Il s’agit ici de faits de guerre par assimilation, ce qui conserve la responsabilité étatique.
Il reste à savoir si l’on peut observer une corrélation entre les interdictions du DIH et les faits de guerre par assimilation. C’est ce que semble supposer l’auteurNote2454. . Il faut cependant souligner que ce régime de responsabilité, limité temporellement, repose sur un texte précis et ne constitue en aucun cas un régime général et absolu. Il convient même de bien insister sur le fait que, par principe, ces actes ne sont pas des faits de guerre. Ils ne le sont que ponctuellement dans le régime institué en 1946, c’est-à-dire par attribution de la loi. Donc, à cette époque, et surtout si l’acte est criminel, l’Etat ne devait pas être responsable. On peut cependant s’interroger sur la constance de cette solution aujourd’hui. Le Conseil d’Etat précisait d’ailleurs que ces textes législatifs avaient un caractère exclusif de toute responsabilité de droit communNote2455. . Il convient d’observer que, devant la définition extensive de la notion de fait de guerre alors retenue par les lois de 1946, le juge, devant l’ampleur du contentieux, opère un revirement de jurisprudence, en recherchant notamment si le préjudice du requérant provient ou non d’une faute personnelle, pouvant être dissociée de l’acte de guerre. Et il poursuit, considérant que la législation spéciale ne fait pas obstacle à l’octroi d’une indemnité sur le terrain du droit commun, si le fait dommageable n’est pas un fait de guerre par natureNote2456. .
L’arrêt du 11 juillet 1947, Sieur SalguesNote2457. est relatif à un individu arrêté le 13 juin 1940 par des militaires, ayant subi des brutalités et des sévices graves, puis ayant été atteint de deux coups de revolver, sans que son attitude l’ait justifié. Les juges qualifient de tels comportements de « faute d’une particulière gravité (…) de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Il convient d’identifier le fondement de cette jurisprudence. En effet, elle semble à première vue consacrer une responsabilité de l’Etat pour faute criminelle personnelle, du moins dans certaines hypothèses. Cela se justifie-t-il par un lien avec l’Etat ? Il semble en fait que cette jurisprudence se fonde sur la loi de 1946, tout simplement en considérant le régime spécial mis en place par la loi comme subsidiaire au régime de droit commun, ce dernier étant celui de la faute de service, alors utilisé de manière peu courante. Cette solution fut critiquée, notamment par le commissaire du gouvernement Celier, dans ses conclusions sous les affaires Boutagnon, Fanni et Toprower du 30 janvier 1948Note2458. .
Parallèlement au contentieux fondé sur le régime spécial, le Conseil d’Etat accepte d’utiliser le régime de droit commun de la responsabilité. Il recherche alors l’existence d’une faute de service. En l’absence de celle-ci, il renvoie les requérants devant les juridictions spécialesNote2459. . A la lecture de l’étude menée par M. Becet, il semble que ces législations et que la jurisprudence du Conseil d’Etat, suite à la Seconde Guerre mondiale, se justifient par le caractère particulier de la guerre et les désagréments qu’en subissent les particuliers. Lorsque le Conseil d’Etat applique le régime de droit commun, il semble exclure les fautes personnelles et ne retenir comme fautes de service que celles répondant à la définition classiqueNote2460. .
Bien évidemment, ces régimes et cette jurisprudence ne concernent que les Français, du fait de dommages causés par l’armée française. Si des citoyens étrangers se plaignaient de tels dommages causés par l’armée française dans leur pays, dans une situation de guerre, là encore il conviendrait sûrement de distinguer les faits de guerre par nature, c’est-à-dire impliqués par la lutte, des autres faits. La qualification serait sûrement beaucoup plus large.
Le fait de guerre par nature possède un fondement contesté. Pour certains, il se justifie par la force majeureNote2461. , pour d’autres, c’est un acte de gouvernementNote2462. . Certains auteurs, ainsi que la jurisprudence, réduisent cette dernière qualification uniquement aux faits de guerre survenus en territoire étrangerNote2463. . L’idée principale en serait que ce sont des faits purement politiques, se rattachant aux relations internationales. En ce cas, seul un règlement interétatique serait envisageableNote2464. .
Sans pouvoir affirmer un fondement net à l’irresponsabilité, il semblerait que plusieurs éléments convergents, comme la particularité des circonstances, la coloration d’acte de gouvernement et de la force majeure, la justifient. D’ailleurs, le professeur Zoller rappelle cette incompétence, fondée non pas sur une insoumission au droit mais sur une incompétence purement institutionnelle. Et de préciser que souvent, furent instituées dans les litiges de type internationaux, des juridictions extraordinaires ou d’exception, comme la Cour de sûreté de l’Etat, mais concernant les individusNote2465. . Elle ajoute que ces juridictions d’exception, compétentes en matière individuelle, au-delà des individus, portent un jugement sur une politique et sur une diplomatie.
La jurisprudence administrative, plus ou moins influencée et orientée par les régimes spéciaux mis en place suite aux conflits, la particularité des situations, les nécessités de reconstructions, sont autant d’éléments complexifiant une approche de la jurisprudence administrative dans les hypothèses de comportements normalement sanctionnés par le droit international humanitaire. A cela, s’ajoute l’effet indirect des conventions de DIH. On pressent tout de même, consciemment ou non, de la part du juge une propension à différencier entre ce qui est autorisé dans les conflits et ce qui est commis durant leur écoulement sous couvert du statut militaire, mais sans rapport avec les nécessités militaires, ce qui implique la distinction entre combattant et non combattant. Cela n’apparaît pas clairement, mais dans l’esprit on peut observer la prise en compte de considérations relativement identiques à celles du DIH : obligations de protéger les victimes et plus largement les non combattants, d’utiliser des moyens proportionnés et en rapport uniquement avec les objectifs militaires.
Jusqu’à présent, le DIH ne semble pas avoir été le fondement de la responsabilité administrative. De la jurisprudence administrative semblent ressortir cependant des éléments allant en ce sens. Si l’on part du postulat selon lequel les armées en opérations extérieures conflictuelles, extension du pouvoir souverain français, entraînent déplacement du service public de la justice. Il y a alors une extra-territorialisation du système judiciaire français. Sachant que le juge judiciaire reconnaît un effet direct aux conventions de Genève du fait de l’application par la France des résolutions de l’ONU relatives aux TPI, ce qui laisse présager une solution identique eu égard à la ratification du statut de la CPI, alors on peut se demander si le juge administratif ne devrait pas à son tour accepter de fonder la responsabilité administrative de l’Etat sur ces textes. Une telle solution présenterait l’avantage de prendre en compte en droit français, la soumission de l’Etat au droit international. La seule objection que l’on pourrait soulever est qu’existerait alors un risque de double condamnation et de double sanction de l’Etat, à la fois devant le juge administratif et devant le juge internationalNote2466. . Mais ce risque est limité par l’appréciation de l’intérêt faite par chacun de ces juges.
La coexistence de deux mécanismes de sanction des comportements étatiques est avérée par l’existence de la juridiction administrative et de la Cour internationale de Justice. En matière de violations graves, la Cour internationale de Justice est uniquement compétente dans une perspective interétatique et sur le fondement du droit international. Le juge administratif, également tenu par ce droit international, possède une compétence qui dans les faits se révèle uniquement dans la perspective de recours individuels. Cependant, la sanction de comportements identiques à des violations graves du droit international général semble n’avoir lieu que sur des fondements autres que ceux de droit international général ou de droit international humanitaire. En outre, dans ce dernier domaine précis, l’absence d’effet direct semblant ressortir de la jurisprudence administrative constitue un obstacle, renforcé par le caractère d’acte de gouvernement des opérations de guerre. De cette jurisprudence administrative semble cependant ressortir un esprit similaire à celui du DIH. Une coexistence, difficilement perceptible, mérite d’être éclaircie, exigence que l’on pourrait rattacher non seulement à l’esprit que prend le droit international, mais également à l’adhésion de la France au système de la Cour pénale internationale, afin de donner une cohérence d’ensemble au système français, notamment dans ses rapports avec le système juridique international. Dans l’hypothèse d’une coexistence de compétence et donc de décisions juridiques, il convient d’en préciser les risques.
A l’instar des risques inhérents à la coexistence des juridictions criminelles françaises et de la Cour pénale internationale, la coexistence de deux types de juridictions compétentes en matière étatique n’est pas sans faire naître, au moins virtuellement, des risques, même si l’une semble constituer l’unique lieu de justice des Etats et l’autre celui des individus face à l’Etat français.
Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et leurs corollaires étatiques, au sens du droit international et du droit administratif français, présentent cette particularité d’être perpétrés lors de conflits internes ou internationaux, ce qui se solde en général par la défaite de l’une des parties ou par un renversement de régime à plus ou moins long terme. Les exemples de l’Afghanistan et de l’Irak sont significatifs à cet égard. S’ensuivent généralement deux grands types de conséquences politiques, non dénuées d’aspects juridiques : l’établissement de traités de paix, comme celui de Versailles ou bien, pour les conflits internes, un vaste mouvement politique de sanction ou de réconciliation. Parallèlement à cela, des conséquences judiciaires sont présentes. Des mécanismes politiques et juridiques de règlement des dommages sont mis en place avec, entre autres, des traités ou des lois de réparation. L’une des conséquences est alors, notamment en droit international, de couper court à toute procédure devant la Cour internationale de Justice, à moins d’une inexécution du traité. A titre d’exemple, en droit international, on peut citer les accords indemnitaires ex gratia, mais également les accords de rétablissement de paix sans renonciation expresse à la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat prétendument coupable ou bien encore les traités avec renonciation expresseNote2467. . En droit interne, cela aboutit à la mise en place de commissions de réparation et d’évaluation des dommages, le juge étant souvent relégué au rôle d’instrument de contestation d’un refus ou d’une insuffisance de réparation. En droit français, on peut citer la législation du 28 octobre 1946 sur la réparation des dommages de guerre. Des mécanismes spéciaux sont donc prévus, qui n’excluent pas totalement les possibilités de poursuites, laissant alors entrouverts des risques de double sanction de l’Etat ou bien de contradictions. Le professeur d’Argent, étudiant les réparations de guerre en droit international, souligne que les particuliers peuvent exercer un recours contre l’Etat responsable de dommages à leur encontre devant ses propres juridictions internes, ce qui peut remettre en cause des règlements collectifs, voire leur légitimitéNote2468. .
Préalablement à la présentation des principaux risques encourus (sous-section 2nde), ce qui pose déjà le problème d’un mécanisme de régulation et d’articulation des compétences, il convient de s’interroger sur les forces juridiques respectives des décisions rendues par la juridiction administrative et par la Cour internationale de Justice (sous-section 1ère).
Une fois la coexistence de compétences constatée, le risque d’une double décision sur des faits identiques existe donc au moins virtuellement. Leur existence, en elles-mêmes, peut provoquer au moins un conflit d’ordre factuel. Mais si à ces décisions est attachée une force juridique équivalente, on comprend alors aisément les désagréments pouvant en découler pour le débiteur de la sanction. D’où la nécessité d’un dialogue.
Afin de déterminer les relations qu’entretiennent ces décisions entre elles, il convient tout d’abord de voir quelles sont leurs forces juridiques les unes vis-à-vis des autres, et le cas échéant, si elles ont à connaître d’une même affaire, quel est ou quel pourrait être leur comportement. La première difficulté réside dans la détermination des relations systémiques entre le système français et le système international, à savoir moniste ou dualisteNote2469. . Le Conseil d’Etat et la Cour de cassation distinguent clairement deux ordres. Il est plus exact de préciser que les deux grandes théories ne rendent pas compte clairement des réelles relations entre les deux ordres juridiques. Raisons politiques et impératifs juridiques sont difficilement démêlables ; à cet égard, le professeur P.-M. Dupuy parle de système moniste pour la FranceNote2470. , alors que le professeur Frier distingue selon les normes et parle soit de monisme par principe, soit de dualismeNote2471. .
Afin d’apprécier cette situation, seront envisagées successivement la portée des décisions du juge administratif à l’égard de la CIJ (§ 1er) et la situation inverse (§ 2nd).
Les décisions du juge administratif sont limitées, par principe, à l’espace français. Elles n’ont, par conséquent, aucune portée dans la sphère internationale. Quel qu’en soit l’objet, la décision bénéficie d’une autorité relativeNote2472. , même s’il s’agit de la sanction d’une politique criminelle, comme ce fut le cas dans l’arrêt Papon.
En France, les arrêts de règlement sont prohibés. Cela signifie que la décision rendue par le juge n’est valable que pour les faits qui lui sont soumis et que la solution retenue ne lie que les parties. L’autorité relative de la chose jugée trouve son origine dans l’article 1351 du Code civil : « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet du jugement. Il faut que (…) la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité ». Le juge administratif en retient une même conceptionNote2473. .
Reste à savoir si dans certains cas les décisions du juge administratif ne possèdent pas une autorité plus importante dans la sphère internationale. D’après l’article 38§ 1 d) du statut de la CIJ, les décisions judiciaires constituent un moyen auxiliaire de détermination des règles de droit. Elles constituent alors des sources de droit exploitables afin de vérifier les règles existantes.
Du point de vue du droit international, la réponse est relativement claire. Le droit national n’a aucune force juridique dans le système juridique international. Pour la CPJI, « les lois nationales sont de simples faits, manifestation de la volonté et de l’activité des Etats au même titre que les décisions judiciaires ou les mesures administratives »Note2474. . Leur force relève de la seule influence.
Les décisions du juge national, en revanche, constituent des faits juridiques appréhendés par le système international soit lorsqu’elles peuvent s’analyser en un fait internationalement illicte, soit lorsqu’elles permettent de mettre fin à un fait internationalement illicite, par exemple en annulant des actes administratifs mettant en œuvre une politique criminelle.
Mais en tant que telles, les décisions du juge administratif n’ont pas une portée qui doit être prise en compte par le juge lorsqu’il prononce le droit. Les appréciations factuelles effectuées n’ont pas non plus d’autorité.
Le rapport qui s’établit, au titre de l’article 38§ 1 d) du statut de la CIJ, ne se caractérise nullement par un aspect juridique, mais plutôt infrajuridique. Le professeur Kamto parle d’une « interaction déséquilibrée et vaguement hiérarchique de la jurisprudence internationale et des jurisprudences nationales »Note2475. .
La jurisprudence des TPI n’est pas avare de références et de prises en compte de jurisprudences nationales, parmi lesquelles la jurisprudence françaises ; la CIJ présente une attitude plus prudente et limitéeNote2476. . La jurisprudence nationale, même attachée à une norme internationale qu’aurait à appliquer la CIJ, ne présente aucune force juridique. Car si tel était le cas, il existerait un risque de rupture de l’unité du droit international, des contradictions de jurisprudence et surtout serait consacrée une infériorité du droit international au droit national, lui enlevant tout intérêtNote2477. . Il existe des exemples d’application de jurisprudences internes, notamment lorsque la matière n’a jamais fait, ou peu fait, l’objet d’un contentieux au niveau internationalNote2478. , ou lorsque la Cour internationale doit appliquer un droit interneNote2479. .
Dans une décision relative aux Emprunts brésiliens, la Cour précise que : « étant arrivée à la conclusion qu’il y a lieu d’appliquer le droit interne d’un pays déterminé (…) la Cour doit tenir le plus grand compte de la jurisprudence nationale, car c’est à l’aide de cette jurisprudence qu’elle pourra déterminer quelles sont vraiment les règles qui, en fait, sont appliquées dans le pays dont le droit est reconnu applicable en l’espèce (…) ; faire abstraction de [cette] jurisprudence (…) irait à l’encontre de l’idée même qui est à la base de l’application du droit interne »Note2480. . La jurisprudence nationale reste donc un élément d’éclaircissement dans la détermination du droit international. Des décisions récentes font application de jurisprudences nationales, par exemple, l’affaire de l’Ile Kasikili/SeduduNote2481. citant une jurisprudence des USA, et la décision relative à l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000Note2482. , se référant aux décisions britannique, Pinochet, et française, Kadhafi. D’ailleurs, dans la seconde décision, la Cour précise avoir étudié avec soin la pratique des Etats et des décisions rendues par les hautes juridictions nationales, et n’être pas parvenue à en déduire l’existence d’une coutume internationale faisant exception au principe de l’immunité de juridiction pénale et de l’inviolabilité des ministres des Affaires EtrangèresNote2483. . « Les rôles de la Cour et celui des juridictions nationales apparaissent ainsi complémentaires et non antagonistes »Note2484. . Même en l’absence de références à des jurisprudences nationales, l’expérience et la culture juridique des juges de la CIJ laissent supposer tout de même une influence. On peut d’ailleurs le remarquer très souvent dans les opinions des jugesNote2485. .
Selon l’article 59 du statut de la CIJ, la Cour internationale de Justice, statuant au contentieux, rend des arrêts obligatoires pour les parties en litige et uniquement pour le cas soumis. La chose jugée attachée à la décision est ici relative. Deux hypothèses seraient à distinguer : d’une part celle de la France partie au litige pendant devant la Cour, d’autre part, celle de la France, Etat tiers au litige.
Dans le premier de ces cas, les autorités françaises, auxquelles ont peut assimiler les juges, devront tout mettre en œuvre pour faire respecter la décision des juges internationaux. Le second cas est celui qui mérite d’être détaillé, notamment dans la perspective d’une affaire concernant des violations graves, correspondant à des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
Derrière la vision restrictive de l’article 59 du statut de la CIJNote2486. , peuvent se cacher des situations particulières, eu égard notamment à un intérêt particulier qu’auraient certains tiers. La question du tiers est d’autant plus intéressante qu’en matière de violation d’obligations erga omnes, l’intérêt des Etats non lésés directement se pose, ainsi que leur statut juridique à l’instance : tiers ou partie.
L’approche restrictive de l’article 59 du statut de la CIJ est confirmée par l’article 94 de la Charte. Par exemple, la Cour, pour apporter une solution au litige qui lui est soumis, peut avoir à se prononcer sur la situation d’un Etat tiersNote2487. . Par conséquent, la décision rendue aura des effets sur ce tiers ; ceci permet à ces Etats d’intervenir dans la procédureNote2488. . La Cour décidera alors, sur le fondement de l’article 62 de son statut, si le tiers possède un intérêt à intervenirNote2489. . La situation peut tout à fait se poser dans le domaine des conflits qui ne se limitent en général pas aux frontières des Etats en situation conflictuelle.
Le problème de l’autorité relative de la chose jugée, dans ses composantes se pose tout d’abord.
Des auteurs, parlant de l’autorité de chose jugée, après avoir souligné que le principe est reconnu en droit international, précisent que sa teneur n’est pas évidente. Ils parlent de l’autorité concentrique, dont la force se réduit à mesure que l’on s’éloigne des faits et éléments juridiques propres à un cas donné et à mesure que l’on s’éloigne des parties concernéesNote2490. . En outre, ils soulignent l’aspect centrifuge de l’autorité de la chose jugée, ce qui consiste à en présenter les effets au regard des autres décisions et des faits ayant donné naissance à l’affaireNote2491. . Le système de la Cour internationale de Justice et la portée de ses décisions doivent se comprendre à la lumière du consentement donné par les Etats, fondement d’acceptation du droit international et de la compétence de la CIJ.
Il existe des décisions qui, par leur caractère objectif, valent pour tous les sujets de droit de la communauté internationale, selon G. ScelleNote2492. . Affirmant cela, en 1935, l’auteur faisait référence aux décisions statuant sur la souveraineté territoriale d’un Etat ou sur les limitations des frontières entre deux EtatsNote2493. . Mais cette exception à la portée des décisions de la Cour internationale de Justice est critiquée. Pour le professeur Salmon, on peut s’interroger sur cette affirmation, car les Etats tiers « n’ont aucun droit propre à faire valoir »Note2494. . Il semblerait donc que soient confondus, pour certains auteurs, l’effet potentiel que peut avoir la décision statuant sur un point objectif et le droit personnel que pourrait avoir un tiers à intervenirNote2495. .
Concernant plus précisément les décisions relatives au droit impératif, on peut s’interroger sur leur portée. Les violations du jus cogens présentent un lien avec la communauté internationale dans son ensemble. De telles violations ouvrent un droit à intervention de n’importe quel membre de la communauté, ce qui peut inclure une intervention devant le juge international. On peut donc supposer que, dans le domaine du jus cogens, non seulement tous les Etats peuvent intervenir, mais tous sont concernés par les décisions rendues par la CIJ, au nom de leur caractère de représentants de la communauté internationaleNote2496. .
Semblant échapper au système du consentement étatique, le domaine du jus cogens, dont les normes s’imposent aux Etats, suppose que la CIJ puisse rendre des décisions dont la portée n’est plus liée par le consentement et acquiert un caractère universelNote2497. . La décision rendu en ce domaine possède un effet erga omnes, tant dans la solution dégagée, dans la règle de fond, que dans sa portée exécutoire. Dans la décision relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Cour déclare que l’obligation faite à chaque Etat de prévenir et de réprimer le crime de génocide n’est pas limitée territorialement par la conventionNote2498. .
Dans la décision relative aux conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie, la Cour considère que « la cessation du mandat et la déclaration de l’illégalité de la présence sud-africaine en Namibie sont opposables à tous les Etats, en ce sens qu’elles rendent illégales erga omnes une situation qui se prolonge en violation du droit international »Note2499. .
Pour autant, il n’est pas évident que la jurisprudence internationale, pour l’heure, reconnaisse un réel effet erga omnes à la décision rendue. Il semblerait plutôt, se fondant sur l’article 59 du statut, que les juges internationaux, dans leur décision relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, distinguent la capacité active erga omnes de l’effet interparties de sa décisionNote2500. . En bref, si tous ont vocation à saisir la Cour, la décision ne tient que ceux qui l’ont effectivement saisie.
On peut critiquer une telle solution, car, vraisemblablement, quelles que soient les parties devant la Cour, si la situation de violation de normes impératives est avérée et constatée par le juge, seul l’infracteur est destinataire d’obligations, notamment celle de cesser l’illicite. Les obligations de réparation ne joueront que pour la victime directe. Mais concernant les premières de ces obligations, existe la possibilité de faire cesser l’illicite pour les autres Etats. Donc une inexécution de la part de l’infracteur maintient la possibilité d’intervention des autres Etats, hypothèse dans laquelle se confondent matériellement la possibilité d’action offerte par le droit international et les conséquences de l’inexécution de la solution juridictionnelle. On peut donc soutenir que, pour la cohérence du système de sécurité internationale, cet aspect de la décision des juges, à savoir la cessation de l’illicite, trouve une répercussion juridique à destination des autres Etats de la communauté internationale, ce qui conférerait une portée erga omnes à cette partie de la décision.
Peut-être faut-il y voir de la part des juges une application de la distinction entre les normes primaires et les normes secondaires d’adjudication, tout en remarquant que la prescription d’une obligation de cessation semble présenter un caractère mixte, en tant que sanction d’un comportement et prescription d’un autreNote2501. .
Pour conclure sur l’autorité de la chose jugée en droit international, les décisions par principe ont une autorité relative de la chose jugée et il existe une exception dans le domaine du jus cogens, où l’on pourrait défendre une autorité erga omnes en ce qui concerne l’obligation de faire cesser l’illicite, qui, en cas d’ineffectivité, maintiendrait le droit d’action de n’importe quel Etat devant la CIJ, ce qui justifierait pleinement ce caractère erga omnes.
En droit administratif français, le juge est tenu par le droit international, au sens de l’article 55. Affirmant son indépendance, il a toujours été réticent à se fonder explicitement sur les décisions d’autres juridictions. Pour autant, s’il ne le fait pas, on peut en sentir la présence. En matière internationale, il est arrivé qu’il cite explicitement des décisions de la CEDHNote2502. . Jamais, apparemment, il n’eut l’occasion de citer des décisions de la CIJ, car rares semblent les litiges mettant en jeu des règles de droit international public général devant le juge administratifNote2503. .
Appliquer une solution prétorienne, c’est en appliquer les éléments remarquables. C’est donc au travers de l’application de principes généraux du droit international ou de la coutume internationale que l’on peut juger de la place que le juge administratif accorde à la jurisprudence de la CIJNote2504. .
Selon l’article 1er du statut de la CIJ, cette dernière est l’un des organes principaux de l’ONU et les Etats souscrivant à la Charte deviennent automatiquement partie au statut de la CIJ. De là, l’autorité de ses dicta et de ses avis consultatifsNote2505. . Mais les articles 59 du statut de la CIJ et 94 de la Charte inciteraient à une lecture plus restrictive.
Le juge administratif n’eut que rarement à se prononcer sur l’application du droit international non écrit, que ce soient les PGDI ou la coutume internationale. Longtemps conditionné par la nécessaire réception par une norme française, le droit international non écrit souffrait d’une lecture dualiste de l’alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946Note2506. . Pourtant, l’un des premiers commentateurs de ce texte, le professeur Donnedieu de Vabres, y voyait plutôt la consécration du monismeNote2507. . Ultérieurement, la situation fut brouillée par l’article 55 de la Constitution de 1958, ne mentionnant que le droit international écrit, et par la constitutionnalisation du préambule de 1946, source d’interrogation sur la portée de l’alinéa 14 et de ses rapports avec l’article 55.
Après maintes hésitations, la possibilité d’une conformation du droit français à la coutume semble poindre, par l’intermédiaire d’un principe général du droit, dans les conclusions de N. Questiau, commissaire du gouvernement dans l’affaire Société Ignazio MessinaNote2508. . La jurisprudence administrative, à défaut de mentionner explicitement de telles normes internationales, s’en inspire progressivementNote2509. . Selon les conclusions du commissaire du gouvernement Dandelot, dans l’affaire des mines de potasse d’Alsace, l’article 55 prévoit l’application interne du droit international écrit, alors que l’alinéa 14 ne prévoit qu’une volonté de conformation au droit international, en général. Et dans une lecture dualiste, cela expliquerait l’impossibilité d’application du droit international non écrit par le juge. Pourtant, pour certains auteurs, « le pouvoir d’action du juge national n’est nullement conditionné (…) par le consentement de l’Etat à la règle internationale à introduire »Note2510. . L’idée volontariste, soutenue dans la jurisprudence du Lotus selon laquelle la coutume internationale aurait la même autorité juridique que les traités et donc que les Etats n’y seraient liés qu’après acceptation, semble primer.
Avec la décision Société Nachfolger navigation company, du 23 octobre 1987, de la section du contentieux, apparaît une référence explicite aux principes de droit international. Selon le juge, la décision des autorités françaises d’ordonner la destruction d’un navire en haute mer n’a méconnu aucun principe de droit international. La décision reste allusive, mais semble consacrer un revirement de jurisprudence. Et une lecture a contrario pourrait signifier qu’une méconnaissance d’un tel principe peut entraîner la responsabilité de l’EtatNote2511. . La décision d’Assemblée Aquarone de 1997 apporte une pierre supplémentaire à l’édifice. D’après certains auteurs, le juge administratif admettrait implicitement que la coutume internationale a le caractère d’une norme pouvant être invoquée en droit interne et que cette norme peut être appliquée devant lui. Mais il souligne avec prudence cette affirmationNote2512. . Le Conseil d’Etat ne précisant pas le fondement de cette affirmation, on peut constater que le préambule de 1946 apparaît dans les visas de l’arrêt, et que seul l’alinéa 14 est susceptible d’offrir alors un fondement. Cependant, la position hiérarchique de la coutume reste incertaineNote2513. . Vraisemblablement, l’incertitude consensuelle caractérisant le droit international non écrit joue en sa défaveur en droit interne.
Il semble donc difficile de conclure affirmativement sur la portée réelle de la coutume et des principes généraux du droit international dans la jurisprudence du juge administratif français. On peut donc aisément soutenir que la jurisprudence internationale et notamment celle de la CIJ qui détermine ces principes et ces coutumes ne bénéficie pas réellement d’une portée juridique à l’égard du juge administratif. Il resterait à déterminer la portée de ses décisions dans des affaires précises pouvant intéresser le juge administratif. Leur autorité relève de l’influence. D’ailleurs, le commissaire du gouvernement, M. Massot, dans l’affaire Société Nachfolger soulignait que, bien souvent, le juge administratif a accueilli « des règles du droit international qui ne figurent dans aucun traité régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne »Note2514. .
Là encore, il semble difficile de tirer des conclusions. Aucune décision du juge administratif ne semble retenir comme fondement ou accorder un intérêt juridique à une décision de la CIJ. Si l’on peut trouver des exemple dans les domaines du droit communautaire ou du système de la CEDH, ces exemples particuliers ne sont pas transposables à la CIJ. On peut citer, concernant la CEDH, la décision du juge administratif refusant de statuer de nouveau sur une affaire dans laquelle sa position avait été infirmée par la CEDHNote2515. . L’explication réside dans l’absence de texte le prévoyant. On peut donc, avec une certaine prudence, en conclure qu’une décision de la CIJ, en l’absence de texte explicite, ne sera pas prise en compte par le Conseil d’Etat. Mais une telle méconnaissance n’est pas sans risquer d’engager la responsabilité internationale de la France. D’ailleurs, des considérations propres aux systèmes internes ne peuvent faire obstacle à la mise en œuvre d’une décision internationale, notamment par l’Etat directement concernéNote2516. .
Que la France soit partie à une affaire mettant en cause des normes ayant valeur de jus cogens ou qu’elle soit un tiers à l’instance, elle se doit de tenir compte de la décision de la CIJ. Seul le degré de contrainte diffère. Dans le premier cas, les juges nationaux devront se mettre en conformité avec la décision internationale, dans le second cas, en l’état actuel de la jurisprudence, ils ne devront pas adopter un comportement allant à l’encontre de la décision rendue.
Des recoupements, au sein d’une même affaire entre juge administratif français et Cour internationale de Justice, ne sont pas à exclure, même si le cas ne semble pas s’être encore présenté, dans la mesure où la CIJ possède en quelque sorte une compétence subsidiaire. En effet, elle n’hésite pas à attendre que des décisions nationales soient rendues afin de constater le maintien d’une violation d’une obligation internationaleNote2517. .
Le risque de contradiction n’est donc pas absent, bien au contraire. En l’absence de mécanismes clairs, la contradiction est tout à fait envisageable, même si les ouvertures réciproques des juges aux décisions des autres favorisent plus un phénomène de convergence.
Aucun mécanisme n’existe afin de clarifier les relations entre juge administratif français et Cour internationale de Justice ; un même fait dommageable, sanctionné par une norme internationale, pourrait donner lieu à deux procédures, devant chacune de ces juridictions, chacune étant le prétoire privilégié d’un type de requérant ; chacun de ces juges appliquant son propre droit.
A une double compétence pour un même fait, on constate la possibilité d’une application de fondements différents, les uns internationaux, les autres français.
En cas de double procédures, aucun mécanisme ne permet la prise en compte de l’une par l’autre. En cas de double décisions, là encore, la situation ne présente aucune clarté. Le risque d’une justice à œillères semble alors avéré (§ 1er) et incite à déterminer un mécanisme de régulation (§ 2nd).
Ces risques se matérialisent tant au niveau procédural qu’au niveau de la solution et de la sanction de l’Etat. En l’absence de solutions clairement établies, tentons d’esquisser un début de réponse. La prise en compte des décisions d’une des Cours par l’autre, en cas d’identité des parties, pose plus en profondeur la question du monisme et du dualisme, et celle du statut de l’ordre juridique international dans l’ordre juridique français et du statut international de l’ordre juridique français.Note2518.
Concernant la première hypothèse, on peut relever deux exemples illustrant cette affirmation, mais ne donnant en fait qu’un indice sur ce que pourraient être les relations entre la CIJ et la juridiction administrative française : d’une part le juge administratif dans son rapport avec la Cour EDH et d’autre part les relations entre la CIJ et la justice américaine, tout en soulignant les différences en matière de réception et de valeur du droit international dans le système des USA que cette relation implique.
Le juge administratif français refuse de surseoir à statuer lorsque la Cour EDH va rendre une décision, alors qu’il en est encore au stade procédural. Et même si cette décision peut apporter une réponse à l’affaire dont il est saisiNote2519. . Etant donné la particularité des rapports entre les juges français et la Cour EDH, on peut aisément soutenir que si le juge français tient un tel raisonnement, il agira de même face à la Cour internationale de Justice.
Les USA appliquent le droit international et notamment la jurisprudence de la CIJ assez régulièrement et explicitement. Pourtant, ils ne tiennent pas compte d’une procédure pendante devant la CIJ, alors qu’eux-mêmes connaissent des mêmes faits au niveau interne. Dans les affaire Breard, Lagrand et Avena, la Cour internationale de Justice eut l’occasion de préciser ce qu’elle attendait des autorités étatiques en ces cas. Dans l’affaire Breard se posait également le problème des rapports entre une convention et le droit fédéralNote2520. .
L’affaire Breard, concerne l’arrestation d’un citoyen paraguayen, Angel Francisco Breard, en 1992, par les autorités de l’Etat de Virginie, aux USA. Jugé et déclaré coupable d’homicide volontaire, il fut condamné à la peine capitale en 1993Note2521. . Il n’avait pas été informé de ses droits, comme l’exige l’article 36§ 1 (b) de la convention de Vienne du 22 avril 1963, relative aux relations consulaires, et plus précisément du droit de faire connaître sa situation au poste consulaire de son Etat. Et c’est ainsi que son Etat apprit en 1996 sa situation. M. Breard, formant des recours devant des juridictions fédérales, essaya d’obtenir une ordonnance d’Habeas corpus. Suite à des échecs, la date de son exécution fut fixée au 14 avril 1998 par la juridiction qui l’avait condamné. Il saisit la Cour suprême des USA d’une demande d’ordonnance de certiorari. Parallèlement à cela, l’Etat du Paraguay avait saisi les juridictions fédérales des USA dès 1996, afin d’obtenir l’annulation des procédures engagées. Toutes se déclarèrent incompétentes, invoquant une doctrine conférant une immunité souveraine aux Etats fédérés. Les autorités paraguayennes avaient également saisi la Cour suprême des USA d’une demande d’ordonnance de certiorari. Cette dernière considéra qu’elle n’avait aucun titre pour agirNote2522. . Suite à cela, le Paraguay saisit le 3 avril 1998 la CIJ, sur le fondement de la convention de Vienne de 1963, demandant également des mesures conservatoires afin que les USA prennent les mesures nécessaires afin d’empêcher l’exécution de leur ressortissant. La CIJ prit une ordonnance prescrivant de telles mesures et demanda également aux autorités fédérales de la tenir informéeNote2523. .
Plusieurs questions se posaient dans cette affaire, notamment celle de la valeur de l’ordonnance et surtout celle de l’influence d’une instance en cours devant la CIJ sur les autorités judiciaires et politiques d’un Etat fédéré des USA. Pour l’administration du Président Clinton, la décision de se conformer ou non à l’ordonnance relevait uniquement du Gouverneur de la Virginie, de plus elle lui refusait toute force juridiqueNote2524. . L’administration fédérale possède des droits réduits à l’égard du système pénal des Etats fédérés. Seule la persuasion semble permise par la ConstitutionNote2525. . Malgré une attitude positive de l’administration fédérale, le Gouverneur refuse de différer l’exécution.
La doctrine américaine fut partagée. Sans détailler le débat sur la place du droit international dans le droit des Etats fédérés et de l’Etat fédéral, la division de la doctrine s’aligne quelque peu sur lui. Quoiqu’il en soit, et se référant à un observateur extérieur, les juridictions américaines auraient du appliquer l’ordonnance en tant que partie dans la procédure Breard. Le même auteur souligne que l’ordonnance ne faisait aucune injonction, mais demandait seulement que l’exécution soit différéeNote2526. . Pour M. Sastre, la Cour suprême des USA a privilégié une loi fédérale sur un traité, pour des raisons purement internes, sans pour autant remettre en cause le principe de la primauté des engagements internationaux ; il n’y aurait là qu’une vision restrictive des relations entre droit fédéral et droit internationalNote2527. .
Dans une seconde affaire, Lagrand, deux ressortissants allemands, Walter et Karl Lagrand, deux frères, résidant de manière permanente aux USA, furent arrêtés le 7 janvier 1982 pour une attaque de banque à main armée en Arizona, lors de laquelle il y avait eu un mort et un blessé grave. Reconnus coupables, ils furent condamnés à mort le 14 décembre 1984. Nombre de procédures échouèrent. Le consulat allemand ne fut informé de la situation qu’en juin 1992, par les frères eux-mêmes. Et ce n’est que le 21 décembre 1998 qu’ils furent informés de leur droit à communiquer avec leur consulat. Le 15 janvier 1999, la Cour suprême de l’Arizona fixe leur date d’exécution respectivement au 24 février et 3 mars 1999. L’Allemagne échoue dans ses relations avec l’Arizona pour empêcher l’exécution. Le 2 mars 1999, elle saisit la CIJ pour violation de la convention de Vienne de 1963. Très rapidement, le lendemain, la Cour rend une ordonnance prescrivant aux USA de « prendre toute mesure dont ils disposent pour que M. W. Lagrand ne soit pas exécuté tant que la décision définitive en la présente instance [n’aurait] été rendue »Note2528. . L’Allemagne saisit alors la Cour suprême des USA qui rejette la demande de suspension eu égard à la tardiveté de la procédure engagée et aux obstacles juridictionnels que cela soulève. Pourtant, elle disposait d’une possibilité de sursis temporaire. Le Solicitor general, devant la Cour suprême, défendit l’idée selon laquelle cette ordonnance n’avait pas de force obligatoire. Face à l’attitude clairement négative des autorités américaines, la CIJ précise que son ordonnance ne constituait pas une simple exhortation et qu’adoptée en vertu de l’article 41 du statut, elle avait un « caractère obligatoire et mettait une obligation juridique à la charge des Etats-Unis »Note2529. . La Cour s’est également fondée sur l’article 59 de son statut et sur une jurisprudence de la CPJINote2530. . L’ordonnance conservatoire a une force obligatoire, du fait du lien existant entre elle et les décisions au fondNote2531. , ce qui n’est pas sans faire naître nombre d’interrogations, notamment si l’ordonnance est contestée sur le fondement de l’absence de base de compétence à son édiction. En effet, dans l’ordonnance du 8 avril 1993, la Cour souligne que ses ordonnances ne peuvent indiquer que des mesures concernant les droits contestés dans l’affaire, et rien d’autreNote2532. .
Enfin, une troisième affaire, pour des faits identiques, fut jugée par la Cour internationale de Justice, l’affaire AvenaNote2533. . A la différence de la décision au fond dans l’affaire Lagrand, les Mexicains n’avait pas été encore exécutés. Les juges pourront alors opter pour une restitutio in integrum. Il convient cependant de signaler que dans les décisions Lagrand et Avena, les USA doivent réexaminer ou réviser les verdicts et les peines pour les personnes directement concernéesNote2534. . Au-delà de la similarité de certains éléments juridiques entre les décisions Breard, Avena et Lagrand, on peut constater que les USA n’avaient pris aucune mesure pour remédier à ce qui leur avait été reproché précédemmentNote2535. .
Mettant un point final à une incertitude, la CIJ précise la force juridique de ces ordonnances, ce qui semble pour l’instant en contradiction avec la force que leur accordent les autorités judiciaires et politiques des USA. Cette affirmation a eu lieu dans une affaire dont les juridictions nationales et les autorités politiques et judiciaires ont à connaître.
Dans l’hypothèse d’un conflit de solutions au fond, là encore, il semble qu’il y ait une nette séparation entre juge administratif et juge international. La solution française ne dispose d’aucune force juridique contraignante à l’égard du juge international ; elle n’est qu’un fait juridiqueNote2536. . En revanche, elle n’est pas dépourvue d’effet juridique, car elle peut être source d’une saisine de la CIJ et, le cas échéant, de responsabilité internationale, par exemple pour violation d’un traité. Mais en aucune manière le juge international ne s’estime tenu par elle lors de son activité juridictionnelle. Le professeur Santulli précise que dans la décision sur les intérêts allemands en Haute Silésie polonaiseNote2537. , l’influence d’Anzilotti et de Kelsen, refusant de voir dans l’ordre étatique un ordre normatif est largement perceptible. Ce ne serait qu’un phénomène factuelNote2538. . A l’appui de cette affirmation, on peut citer le Tribunal des Nations Unies en Libye, qui, dans sa deuxième décision, relative aux institutions, sociétés et associations visées à l’article 5 de l’accord conclu en date du 28 juin 1951, entre les Gouvernements britannique et italien, concernant la disposition de certains biens italiens en Libye, précise qu’il « n’est pas lié par la législation et la jurisprudence italiennes »Note2539. . Au-delà des controverses sur le monisme, le dualisme ou bien encore l’approche factuelle que le droit international retient du droit interne, il semble tout de même qu’hormis une force d’influence, le droit national, très généralement, ne possède pas de force contraignante dans le système juridique international.
A l’inverse, le droit international en possède une, notamment dans le système juridique français, à tendance dualiste. Les arrêts Fraisse de la Cour de Cassation et Sarran et Levacher du Conseil d’Etat confirment la primauté prévue par l’article 55 de la Constitution et l’infraconstitutionnalité du droit international. Cependant, concernant le droit international non écrit, le Conseil d’Etat ne s’estime pas tenu de prendre en compte une solution d’une juridiction internationale, c’est notamment le cas avec la décision Chevrol-Benkedach du 11 février 2004. A tout le moins, le droit international non écrit ne bénéficie pas de la primauté.
Dans la troisième hypothèse, en matière de sanctions proprement-ditesNote2540. , on serait tenté de penser que, si les juges soit ignorent, soit ne donnent aucune force juridique à une décision, alors, ils ne devraient pas tenir compte d’une sanction déjà prononcée. Là encore, il n’existe pas, semble-t-il, de jurisprudences entre le juge administratif français et la Cour internationale de Justice. Partant d’un autre exemple, on peut cependant esquisser une solution dans la jurisprudence du juge administratif. Lorsqu’un fait dommageable s’analyse en une faute de service et en une faute personnelle, il n’est pas rare que la victime saisisse les juridictions administrative et judiciaire. Il existe donc un risque de double indemnisation. Pour remédier à cela, le juge administratif a développé une jurisprudence. Dans sa décision Marx de 1948, le Conseil d’Etat vérifie que, lors de la détermination de la quotité de l’indemnité qu’il alloue, que sa décision n’ait pas pour effet « de procurer à la victime par suite des indemnités qu’elle a pu ou qu’elle peut obtenir devant d’autres juridictions à raison du même accident, une réparation supérieure à la valeur totale du préjudice subi »Note2541. . La solution retenue est la subrogation de la commune dans les droits des victimes qui peuvent résulter de condamnations prononcées par le juge judiciaire. Ce transfert de créance se fera jusqu’à concurrence de la somme retenue par le juge administratifNote2542. . Aujourd’hui, la situation a évolué avec les arrêts Laruelle et Delville, permettant des actions récursoiresNote2543. . Ceci est en outre prévu par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, comme le confirme l’application qui en fut faite lors de l’affaire PaponNote2544. . Bien évidemment, cette solution ne peut être perçue comme absolument transposable à la relation entre le juge administratif français et la CIJ. Cependant, on peut remarquer que dans la décision Papon, le Conseil d’Etat, s’agissant de la faute personnelle dit : « Considérant que l'appréciation portée par la cour d'assises de la Gironde sur le caractère personnel de la faute commise par M. Papon, dans un litige opposant M. Papon aux parties civiles et portant sur une cause distincte, ne s'impose pas au juge administratif statuant dans le cadre rappelé ci-dessus, des rapports entre l'agent et le service ». Malgré tout, une similitude existe dans la portée juridique donnée à la décision du juge judiciaire et à celle vraisemblablement donnée au juge international. Le Conseil d’Etat ajoute cependant : « Considérant qu'il ressort des faits constatés par le juge pénal, dont la décision est au contraire revêtue sur ce point de l'autorité de la chose jugée ».
On peut alors se demander s’il n’existe pas un mécanisme implicite lorsque le juge, pour déterminer sa compétence, vérifie l’intérêt à agir ou recherche l’existence d’un différend.
La Cour internationale de Justice recherche l’existence d’un différend, au terme de l’article 36§ 2.Dans sa décision relative au Personnel diplomatique et consulaire de l’Ambassade des USA à Téhéran, la CIJ a eu l’occasion d’affirmer « qu’aucune disposition du statut ou du règlement ne lui interdit de se saisir d’un aspect d’un différend pour la simple raison que ce différend comporterait d’autres aspects, si importants soient-ils (…) nul n’a cependant jamais prétendu que, parce qu’un différend juridique soumis à la Cour ne constitue qu’un aspect d’un différend politique, la Cour doit se refuser à résoudre dans l’intérêt des parties les questions juridiques qui les opposent ». Ce qui permet à la Cour de contourner l’argument du différend non justiciable, car politique et non juridiqueNote2545. .
Le différend, pour les juges de La Haye, « est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes »Note2546. .
L’obligation de régler pacifiquement les différends est clairement affirmée en droit internationalNote2547. . Il est donc conseillé aux Etats de négocier avant tout. Il s’agit d’une obligationNote2548. . On peut alors supposer qu’une fois la négociation aboutie, par un traité de paix, par exemple, prévoyant des indemnisations, la CIJ ne peut plus être saisie d’une demande de réparation, sauf en cas d’inexécution de l’accord préalablement négocié. L’aboutissement d’une négociation fait alors obstacle à une procédure de restitutio in integrum ou d’indemnisation devant la CIJ. Mais il convient de distinguer ce qui relève de la demande propre à l’Etat et ce qui constitue une subrogation dans les droits des individus victimes. Et c’est dans ce second cas qu’existe fortement un risque de saisine à la fois de la CIJ par l’Etat et du juge administratif par les victimes directes.
La CPJI, dans sa décision Usine de Chorzow, précise que l’obligation de réparer, au sens large du terme, est la conséquence logique de l’acte illicite. A la formulation de la décision de la CPJI, on peut légitimement penser que si la réparation a eu lieu, à l’initiative de l’Etat source des dommages, alors l’intérêt à agir n’existe pas sur le principe de la réparation. En revanche, il peut persister sur le principe de la hauteur de la rétribution.
« Le principe essentiel, qui découle de la notion même d’acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux arbitraux, est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis. Restitution en nature, ou, si elle n’est pas possible, paiement d’une somme correspondant à la valeur qu’aurait la restitution en nature ; allocation, s’il y a lieu, de dommages-intérêts pour les pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par la restitution en nature ou le paiement qui en prend la place ; tels sont les principes desquels doit s’inspirer la détermination du montant de l’indemnité due à cause d’un fait contraire au droit international »Note2549. .
Dans le cadre de la protection diplomatique, un Etat peut représenter le ou les individus ne pouvant avoir gain de cause devant les juridictions nationales du pays source du dommage. Si, par exemple, un individu ne peut être dédommagé par la justice d’un Etat lui ayant porté préjudice, car une loi exclut l’indemnisation, alors, par le biais de la protection diplomatique, son Etat se substitue à lui devant la CIJ, face à l’Etat source du dommageNote2550. . A contrario, on peut penser que si l’individu avait eu gain de cause, soit son Etat ne serait pas intervenu, soit la Cour aurait constaté l’absence d’intérêt à agir.
Du côté du juge administratif, la recherche de l’intérêt à agir peut jouer un rôle équivalent. Pour agir, notamment dans le plein contentieux, il faut justifier de la lésion d’une situation juridiquement protégée, d’un intérêt moral ou matérielNote2551. . Le juge, dans sa volonté d’éviter la double indemnisation, tient compte, comme on l’a vu, d’éventuelles condamnations déjà prononcées, mais uniquement au regard de la jurisprudence judiciaire française. Dans l’hypothèse de la CIJ, la question est différente, car au-delà du risque de double indemnisation, il y a risque d’une double instance et d’une double reconnaissance de responsabilité de l’Etat. Il n’est pas évident qu’il y ait là violation de la règle non bis in idem, car on se situe dans deux systèmes juridiques différents. Plusieurs hypothèses peuvent cependant laisser penser qu’en présence d’un mécanisme d’indemnisation, le juge administratif estimera la situation réglée ; seule une contestation sur l’application du mécanisme sera source de contentieux, et notamment dans le domaine du refus d’indemnisation.
Si l’on prend les mécanismes d’indemnisation du 28 octobre 1946Note2552. , le juge ne statue qu’en cas de refus ou d’insuffisance d’indemnisation. Dans chaque espèce, la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat n’a pour objet que de permettre l’application de la loi qui présuppose le fait étatique comme condition d’indemnisation. La décision du juge n’est pas là pour revenir sur le principe de la responsabilité étatique pour un fait globalement apprécié par le mécanisme d’indemnisation, mais pour inclure une espèce précise dans le mécanisme global. Il n’est pas possible de dégager de la jurisprudence administrative une solution sur ce problème, les jurisprudences liées aux conflits étant brouillées par les mécanismes d’indemnisations, législatifs ou internationaux. Les indemnisations, en France sur la base de la législation de 1946, notamment en ce qui concerne les faits de guerre par assimilation, vont faire l’objet d’un revirement de jurisprudence de la part du Conseil d’EtatNote2553. . Dans la décision du Conseil d’Etat du 11 juillet 1947, le Conseil rétrécit le champ d’application de la législation de 1946 et soumet les faits de guerre par assimilation au régime de droit commun de la responsabilité administrative. Le juge admet alors la juxtaposition de différents régimes d’indemnisation et de réparation, mais non leur addition. Le requérant choisitNote2554. . On peut alors y voir, en un certain sens, la consécration d’une volonté de permettre un choix entre un mode d’indemnisation ou un autreNote2555. .
A défaut d’un mécanisme juridictionnel ou administratif de liaison entre la CIJ et le juge administratif français, la recherche de l’intérêt à agir ou de l’existence d’un différend offre un palliatif relativement satisfaisant, mais qui n’exclut pas pour autant une procédure double.
Si, bien évidemment, on ne peut pas conclure à une même solution avec le juge international, cela présente l’avantage d’envisager quelle pourrait être la position du juge administratif en un cas semblable. Toutefois, la sanction étatique, en matière de crime contre la paix et la sécurité s’accompagnant généralement de loi d’indemnisation et de traité ayant le même objet, il y a peu de chance pour que de tels cas se posent.
Contrairement à ce qui se passe dans le domaine individuel criminel, la CPI formant un système particulier avec les juridictions criminelles nationalesNote2556. , la règle non bis in idem n’existe pas dans la sphère interétatique.
Si les relations entre les juridictions administratives françaises et la CIJ sont assez floues, il semble que les quelques indices que l’on peut relever n’aillent pas en faveur d’une relation concertée. C’est pourquoi il conviendrait, dans une situation bien plus incertaine que dans le système de la CPI, d’instaurer un mécanisme d’articulation.
A l’instar du système de la CPI existant en matière pénale, pour les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, un même constat peut être fait : l’absence d’un mécanisme clair et équitable de coordination des système français et international. Mais les raisons diffèrent. Dans l’hypothèse de la responsabilité étatique, aucun mécanisme d’articulation, aucune règle de répartition des contentieux n’existe. Un Etat est susceptible d’être poursuivi pour un même fait par un autre Etat subrogé dans les droits de certains de ces citoyens devant la CIJ, et ces mêmes citoyens peuvent saisir le juge administratif français. Le seul mécanisme que l’on peut clairement discerner réside, de la part de chaque juge, dans l’appréciation de l’intérêt à agir qui peut faire défaut en cas de décision judiciaire préalable et satisfaisante de la part de l’une des deux juridictions. Mais rien ne s’oppose à ce qu’en présence même d’une satisfaction, la CIJ, par exemple, apprécie autrement une telle satisfaction et accepte le recours étatique, qui en principe n’a pas pour objet de permettre aux ressortissants de l’Etat requérant d’obtenir gain de cause, mais a pour objet la violation d’un droit propre à cet Etat requérant. Le tout pouvant être compliqué par l’existence d’accords internationaux ou de législations nationales de réparation ou d’indemnisation.
Mais surtout, le mécanisme pouvant résider dans l’appréciation des intérêts à agir peut être inefficace si aucune décision n’est intervenue sur le fond. Par exemple, si la saisine de l’une des juridictions est effectuée alors que l’autre est en cours de traitement de l’affaire.
Si une telle situation est théoriquement concevable, il ne faut pas omettre l’intervention diplomatique ou bien encore les phases préliminaires qui ont lieu devant la CIJ et qui peuvent permettre d’éviter une double procédure. En effet, le déclenchement d’une procédure en France peut permettre de satisfaire les exigences du droit international en matière de réparation.
D’ailleurs, la CIJ, informée d’une procédure au niveau interne, accepte de repousser soit une audience, soit le dépôt de conclusions. Une telle situation est illustrée par l’affaire dite de certaines procédures pénales engagées en France, opposant cette dernière à la RDC. Le représentant du Congo avait demandé un délai de six mois à la CIJ afin d’attendre le résultat d’un pourvoi en cassationNote2557. . Une même attitude est prise par la Cour lors d’un processus de négociation diplomatiqueNote2558. .
Dans l’hypothèse d’une inefficacité de la recherche de l’intérêt à agir sur une éventuelle double procédure, il reste à se demander quel pourrait être un mécanisme satisfaisant. L’instauration d’un mécanisme juridictionnel autre que celui existant n’est pas une solution satisfaisante.
La Cour internationale de Justice, saisie d’une telle affaire, vérifie immanquablement les procédures internes ayant eu lieu, qu’elles soient politiques ou juridictionnelles. Si les procédures suivies sont satisfaisantes, la CIJ conclura vraisemblablement à l’absence d’un différend. Si les procédures sont insatisfaisantes ou inexistantes, alors la Cour prescrira par voie d’ordonnance des mesures à prendre pour remédier à cette situation. Et ce n’est qu’en cas de refus ou d’insatisfaction qu’elle statuera réellement de manière contentieuse. En soi cette méthode évite la double sanction de l’Etat. A l’inverse, la démarche du juge administratif est plus incertaine. Et c’est à ce niveau que l’on peut souligner la nécessité d’un mécanisme articulatoire, qui en définitive, dans la perspective du respect du système juridictionnel administratif ne peut que reposer sur le Conseil d’Etat. Il conviendrait soit de le préciser textuellement, soit de faire confiance au juge, exerçant un certain self-restraint.
Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, ainsi que leurs corollaires étatiques, sont susceptibles de donner lieu à des poursuites devant les juridictions françaises et internationales. Le risque de double procédure est alors avéré. Pour résoudre ce problème, existent en matière criminelle des règles de répartition de compétences. Les Tribunaux pénaux internationaux bénéficient d’une primauté de poursuite et de jugement, tandis que la Cour pénale internationale est un organe intervenant de manière subsidiaire, en cas de défaillance de l’Etat.
En matière étatique, en revanche, les systèmes sont, juridiquement, beaucoup plus étanches. Les relations entre la Cour internationale de Justice et le Conseil d’Etat, s’il doit y en avoir, reposent sur une concertation diplomatique, sur l’information, sur le self-restraint des juges ou bien sur l’appréciation de l’intérêt à agir, mécanisme probable dans le cadre de responsabilités réparatrices.
Tous les problèmes ne sont pas pour autant résolus. Les interférences du droit et du politique, dans ces domaines sensibles touchant à la souveraineté étatique, expliquent certaines incertitudes.
La création de la Cour pénale internationale, entre autres, modifie la structure de la justice criminelle dans le domaine bien particulier des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. S’ensuit la nécessité d’un mécanisme de centralisation de l’interprétation pour donner une cohérence au système de la Cour pénale internationale, si un ajustement naturel et volontaire ne s’opère pas.