Introduction

Le système international, après la Seconde Guerre mondiale, est la scène d’un développement des institutions interétatiques et d’un droit international, progressivement anarchique. Si une unité formelle semble pouvoir être tout de même identifiée, une unité substantielle est pour le moins sujette à interrogationsNote1. Le rôle central de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ne permet pas d’assurer une coordination et une harmonisation entre les différentes branches du système, même si certains voient dans sa Charte une ConstitutionNote2.

Non seulement il existe des organisations proprement internationales, qualifiées parfois d’universelles, comme l’ONU, mais il en existe d’autres comme l’Organisation mondiale du commerce ou bien encore des organisations régionales, comme l’Union européenne ou le Conseil de l’Europe. Cette multiplication des institutions s’accompagne, le plus souvent, d’une multiplication des juridictionsNote3 et des droits pouvant présenter des risques d’incompatibilité.

Ce mouvement expansionniste tend de plus en plus à mettre les Etats, premiers garants du droit international, dans de délicates situations.

Les années 1990 constituent le point de départ d’un phénomène d’intensification des relations entre les systèmes juridiques nationaux et le système juridique international. Non seulement de nouvelles juridictions vont entrer en fonction, comme l’organe de règlement des différends de l’OMCNote4, le Tribunal international de la MerNote5. , les Tribunaux pénaux internationauxNote6. et la Cour pénale internationale, en juillet 2002Note7. , mais le Conseil de sécurité de l’ONU, après une longue période de sommeil, due à des contingences géopolitiques liées à la Guerre Froide, va progressivement assumer son rôle de responsable de la paix et de la sécurité internationales, jusqu’à étendre son champ de compétence notamment avec les événements du 11 septembre 2001Note8. .

Parallèlement à ce phénomène, les Etats voient leur souveraineté se réduire, non pas formellement, mais substantiellement, sous l’influence d’un encadrement de la forme de l’Etat et sous celle des droits de l’Homme. Le dernier obstacle à une relation tendue entre sphère interne et sphère internationale étant en train de céder, le dualisme systémique juridique cède la place à de nouveaux rapports, mais qui diffèrent selon les secteurs juridiques.

Le phénomène semble présenter un visage tout particulier dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et des violations graves du droit international impératif. La mise en cause de la souveraineté de l’Etat paraît la plus touchée dans ce domaine par l’émergence d’un véritable ordre public international, dont l’existence même n’est pas compatible avec l’idée d’une indépendance des ordres publics nationaux.

La densification du droit international et l’intensification des relations entre les systèmes nationaux et le système international constituent la source d’une véritable mutation de la société internationale (section 1ère) qui incite à s’interroger sur la nécessité de nouvelles relations et articulations entre les systèmes (section 2nde).

Section 1ère : L’intensification des relations entre le système juridique international et le système juridique français

Les domaines d’intervention des institutions internationales se développant, il est compréhensible que des interférences plus nombreuses avec les Etats apparaissent. Les prémices d’une société internationale, au début du 20ème siècle, notamment avec la SDN, ont connu une évolution sans pareil dans la seconde moitié de ce siècle afin de remédier définitivement aux affres de la Seconde Guerre mondiale, au profit d’une véritable solidarité internationale favorisant la paix et la sécurité internationales. La paix attendue n’étant pas encore venue, l’un des fleurons du développement international réside dans la répression des violations graves du droit international impératif et des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.

Le développement du droit international a entraîné une véritable mutation de la société internationale (sous-section 1ère), qui, en redéfinissant ses principaux sujets, les Etats, renouvelle leurs relations avec le système international, créant un système intégré (sous-section 2nde).

Sous-section 1ère : Les mutations de la société internationale

Nier l’existence d’une société internationale semble désormais excluNote9. . La qualifier de primitive semble critiquable. Pour autant, cerner ses contours et identifier sa consistance se révèlent délicat. Incontestablement elle existe, mais elle est imparfaite. En pleine mutation depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle connaît un approfondissement accéléré depuis les années 1990, sous l’influence de divers facteurs, dépassant le domaine juridiqueNote10. . Les éléments la caractérisant sont alors multiples. Afin d’en ébaucher les contours et en gardant à l’esprit les limites du sujet étudié, il convient de l’aborder tout d’abord dans une perspective historique et évolutive (§ 1er), avant d’identifier l’existence d’un ordre public international (§ 2nd).

§ 1er : Le passage de la « primitivité » à une organisation plus évoluée

L’existence d’une société suppose une convergence de volontés de la part des sujets qui l’animent. La sphère internationale fut toujours composée d’Etats et d’Empires, en grande partie animés de prétentions peu compatibles avec celles des autres. Et même l’Eglise, si l’on se limite à l’actuel monde occidental et méditerranéen, n’a pu constituer le ferment universaliste propice à l’émergence d’une société internationale stable et durable. L’existence d’entités politiques nouant et dénouant les alliances au gré des intérêts du moment, reconnaissant un embryon de pratiques et coutumes, comme certaines lois de la guerreNote11. , incite à parler de société primitive, se caractérisant pleinement par l’unilatéralisme. L’extension du christianisme cristallise progressivement certaines règles de conduite, comme la guerre juste, notamment avec des auteurs comme Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin, Suarez et Vitoria, avant l’apparition de l’Etat moderne, achèvement d’un processus ayant débuté vers le 12ème siècle. La société internationale se consolide avec le traité de Westphalie en 1648, reconnaissant entre autres l’égalité souveraine des Etats. La primitivité de la société internationale s’évapore progressivement, essentiellement au 20ème siècle, avec l’apparition de véritables structures internationales (A), se réduisant souvent à un forum, et avec l’émergence d’un système normatifNote12. (B).

A : La structuration de la société internationale

Si l’on peut observer des regroupements ponctuels d’Etats avant le 20ème siècle, comme la Sainte Alliance, leur caractère éphémère ne permet pas de conclure à une évolution de la scène internationale. Ce n’est qu’avec la Société des Nations qu’un premier pas est franchi, en 1919. L’initiative américaine de Wilson, désavouée par le Sénat, transforme ce pas en tango argentin. Non seulement la puissance montante que constituent les USA ne participe pas à cette organisation, mais l’inefficacité de l’institution et les conséquences du traité de Versailles, ainsi que la crise économique de 1929, sonnent le glas de cette première tentative. Les aspirations pacifistes de l’entre-deux guerre, le Pacte Briand-Kellog et les projets des juristes restent de papier.

La Seconde Guerre mondiale fait prendre conscience de la nécessité d’instaurer un nouvel ordre mondial. L’ONU est alors créée sur les ruines encore fumantes de la SDN. Mais cette fois-ci, les USA de Roosevelt y adhèrent, forts de leur position dominante et du système économique dont ils se sont assurés la maîtrise grâce à la négociation des accords de Bretton Woods en 1944.

Pourtant, le monde connaît une nouvelle scission entre un bloc occidental et un bloc soviétique, neutralisant déjà la nouvelle institution. Une guerre, souvent larvée, des idéologies, des prouesses techniques, des moyens militaires, de l’industrialisation s’ensuit. Il faut alors attendre le début des années 1990 pour observer un réchauffement véritable, dont la Glasnost avait été un signe avant-coureur. La chute du mur de Berlin en 1989 en est le déclencheur. Il convient de ne pas minimiser non plus l’importance de la décolonisation commençant à la fin des années quarante et bouleversant la scène internationale et le fonctionnement chaotique de l’ONU.

Parallèlement à cette évolution des rapports politiques, la mise en place de structures formelles peut être observée. L’expérience et le temps s’écoulant, elles vont devenir des institutions de coordination et de coexistence des Etats – membres.

Le système international reste étatique, mais il est désormais doté d’organes au sein desquels on peut prendre des décisions et négocier. Pour autant, ce système n’est pas exclusif d’autres initiatives, notamment régionales, comme le prouve la construction européenne.

Ce qui est significatif de l’évolution de la société internationale, c’est l’existence d’une organisation centrale, l’ONU, à laquelle vont progressivement adhérer la plupart des Etats. La structure de cette organisation n’est pas sans rappeler celle des Etats, qui peuvent se considérer comme des modèles sociaux, plus ou moins aboutis. On peut identifier une assemblée générale rassemblant les Etats membres, un Conseil de sécurité, sorte d’exécutif, un secrétaire général, dont les pouvoirs iront croissant, assurant le fonctionnement quotidien de l’organisation, une Cour internationale de Justice, à la compétence relative, ainsi que quelques autres organes, répondant aux besoins du moment, comme le Conseil des TutellesNote13. . Puis, diverses organisations dépendant de l’ONU se développeront, intervenant dans des domaines divers comme l’agriculture, la santé et la culture.

A l’instar des Etats, on voit apparaître sous une forme particulière, les trois pouvoirs que sont l’exécutif, le législatif et le juridictionnel. Les autorités les exerçant ne sont pourtant pas toujours clairement identifiables. Notamment, le Conseil de sécurité, lorsqu’il agit sur le fondement du chapitre VII, à l’instar du Président français agissant sur le fondement de l’article 16 de la Constitution de 1958, bouleverse le fonctionnement classique des pouvoirs. Les créations des TPI et de la Commission d’indemnisation pour le conflit Irak-Koweït, sont à cet égard, révélateurs.

Parallèlement à la création de cette organisation, il y eut les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo, premiers organes judiciaires pénaux de droit international sanctionnant des individusNote14. .

Il ne s’agit pas ici d’approfondir une analyse sur le rôle et le fonctionnement de l’ONU, mais simplement de constater que, d’une société où les Etats observaient quelques règles et où la loi du plus fort était en définitive la meilleure, on perçoit l’apparition d’un consensus sur certaines valeurs et sur la création d’une organisation centrale ayant pour objectif de promouvoir et de garantir la paix et la sécurité internationales.

A cela, il convient d’ajouter les organisations régionales et notamment l’actuelle Union européenne, démontrant ainsi que la sphère internationale, d’une zone de peu de droit, simplement politisée, est devenue une zone de droit, loin d’être dépolitisée.

L’absence d’une autorité centrale, la relative justiciabilité des différends internationaux, l’éclatement du pouvoir normatif soulignent l’imperfection de la société internationale.

Une société ne se réduit cependant pas à des structures, ni même à des sujets ; elle suppose l’émergence d’une communauté, fondée sur une convergence d’idées et d’intérêts. A cet égard, on observe l’existence d’une communauté internationaleNote15. et l’entrée de l’individu, dont le statut varie selon qu’il se place dans la perspective d’un système régional ou du système internationalNote16. . Au sein de ce dernier, il est un sujet passif, notamment dans le domaine du droit international pénalNote17. . Le juge G. Guillaume précise que « la société internationale est avant tout composée d’Etats souverains »Note18. . Mais encore convient-il de bien distinguer acteurs et sujets.

Désormais, la société internationale est dotée de structures de consultation et de coordination, d’une communauté d’Etats, mais également d’une communauté internationale, aux contours encore indécis, mais comprenant ces Etats et les individus, dont les statuts restent inégaux, et enfin, un territoire, qui a minima, comprend celui des Etats membres de l’ONU.

La société internationale, à l’instar des sociétés nationales, connut et connaît toujours une période d’évolution et de structurationNote19. , laissant apparaître des points communs avec ces dernières. C’est pourquoi elle peut être comprise parfois en faisant appel à certains mécanismes juridiques historiques. Mais la naissance de la société internationale « moderne », comme l’Etat moderne, se fera avec l’apparition de structures et de pouvoirs centraux, monopolisant notamment la violence et la sanctionnant par l’intermédiaire d’une justice pénale centraliséeNote20. .

B : L’émergence d’un système normatif encore trop cloisonné

Les Etats sont des « législateurs » depuis longtemps, aujourd’hui concurrencés par le Conseil de sécurité, qui, pour certains auteurs, développe un rôle normatifNote21. . La souveraineté consubstantielle à l’Etat fut définie comme le pouvoir de faire les lois et de les casser. C’est certes là un révélateur de la souveraineté, mais sûrement pas un élément suffisant. Si une définition de la souveraineté ne peut se passer de cet élément, elle ne peut non plus se réduire à une approche strictement normative et juridique. Une approche sociologique, mettant en lumière les pressions des autres sujets et acteurs du système international, ainsi que le pouvoir de coercition, est inévitableNote22. .

Le concept de souveraineté, difficile à définir, ne peut en définitive se comprendre que par une approche substantielle de ses composantes, un faisceau de pouvoirs, de compétences et de qualités, tant juridiques que politiques et matérielles, comme l’autosuffisance alimentaire. D’une approche absolue du concept, nous sommes passés à une vision dite limitée, sous l’influence de l’opposition de l’Homme à l’Etat, de la sphère privée à celle de l’Etat, dans la ligne de pensée de certains philosophes comme J. Locke.

Il n’en reste pas moins que l’Etat ne trouve pas uniquement une limite dans l’Homme, mais également dans l’existence d’autres Etats avec lesquels il convient de concilier, afin de répondre à un impératif sociologique de coexistence dans la sphère internationale. Ceci a donc favorisé la création d’un droit entre les Etats, de structures et finalement d’une société.

Le célèbre adage, ubi societas, ibi jus, à chaque société, un droitNote23. , démontre non seulement le rapport intime qui peut exister entre l’un et l’autre, mais également l’existence de structures normatives. Si la caractérisation de cet adage au sein des Etats est évidente, elle peut faire l’objet de discussions concernant la sphère internationale.

Les sources du droit international sont précisées à l’article 38 du statut de la Cour internationale de JusticeNote24. . Pour le professeur Ascensio, une juridiction internationale spéciale peut s’écarter des sources générales de l’article 38Note25. . Le juge international, notamment pénal, ayant à appliquer des textes parfois généraux, n’est pas qu’un interprète, il crée également du droitNote26. . Son rôle dans l’identification de la coutume illustre ce dernier point. En l’absence d’un législateur clairement identifié, le juge présente une tendance à occuper cette fonction. Il n’existe pas de pouvoir auquel les Etats reconnaissent la compétence générale d’édicter des règles s’imposant à eux.

Ce bref panorama démontre que la société internationale et ses structures, au caractère contraignant variable, du fait de l’égalité souveraine des Etats, constituent une société non pas décentralisée comme le soutiennent nombres d’auteursNote27. mais acentralisée ou polycentraliséeNote28. . Cette dernière expression est sûrement plus adéquate, car elle tient compte des systèmes régionaux dont certains sont centralisés, comme l’Union européenne ; en outre on peut observer, dans la sphère internationale, l’utilisation privilégiée, relativement courante d’un petit nombre de forum comme l’ONU, l’OMC ou bien encore le CICR, dans un autre registre.

Un ordre juridique international existe indéniablement, mais bien moins parfait que les ordres juridiques nationauxNote29. .

Un droit d’origine internationale existe de manière indéniable. La polycentralisation des mécanismes normatifs n’est pas sans entraîner, dans une certaine mesure, une hétérogénéité du droit et parfois des incohérences systémiquesNote30. . La plupart des organisations régionales placent leur action dans le respect de l’ONU ; cela n’est pour autant pas suffisant à assurer l’homogénéité des normes. Le développement d’une légalité internationale permet d’assurer certaines fonctions, au nombre de trois selon un auteur : communication, organisation de valeurs partagées et description et légitimation des comportementsNote31. .

L’émergence de la notion de jus cogens, valeur intransgressible reconnue au profit de la communauté internationale, tend à constituer le ferment minimal de ce droit international, en instituant un ordre public. Ceci n’est pas sans faire apparaître des interrogations sur l’idée de Constitution et notamment sur la dimension constitutionnelle de la Charte des Nations UniesNote32. .

§ 2nd : L’émergence d’un ordre public international

Une société se caractérise par un noyau dur de valeurs communes, sans lesquelles la communauté n’existe pas. La société internationale développe des structures proches de celles des Etats et crée son propre droit, de manière encore anarchique et variablement coordonnéeNote33. . Un noyau dur de valeurs apparaît doté d’un statut, garanti en tout premier lieu par les Etats et le cas échéant par des organes internationaux, comme les juridictions internationales pénales et le Conseil de sécurité.

L’émergence de valeurs acceptées, « universellement », et la mise en place dans la sphère internationale d’une justice en sanctionnant les atteintes confirment le franchissement d’une nouvelle étape par la société internationale. La définition progressive d’un noyau dur d’interdits (A) gagne en effectivité avec la création d’un droit international pénal (B).

A : Le statut de l’ordre public : le jus cogens

La sphère internationale fut et demeure toujours dominée par le monde occidental et donc par son droit et ses valeurs. Mais au-delà d’une approche dichotomique des relations internationales, occident – orient, qui ne rend d’ailleurs sûrement pas compte de la diversité des cultures, il convient de s’interroger sur l’existence de valeurs communes aux diverses civilisations, sachant que l’occident a dominé au 19ème et au 20ème siècle l’ensemble de la planète, ce qui ne fut pas sans influences intellectuelles.

Que ce soit les religions ou les philosophies, on observe deux tendances principales, individualistes et collectives. Hegel les synthétise en disant que l’Homme est pris dans une contradiction entre son intérêt personnel et égoïste et son intérêt résidant dans la communauté à laquelle il appartient.

Malgré ces diversités, on observe quelques valeurs communes, un noyau durNote34. , notamment l’interdiction de la violence, ce qui, en creux, renvoie au respect de l’individu, c’est-à-dire à la vie et à sa personne physique, ceci se déclinant ensuite sous divers aspects. Le professeur Cohen-Jonathan y voit, par le prisme des droits de l’Homme, l’affirmation selon laquelle l’individu possède en propre un ensemble de droits opposables à l’EtatNote35. .

Le droit international reconnaît ces valeurs et en identifie d’autres au regard de l’Etat dit démocratique. Aujourd’hui, on peut distinguer deux moyens d’identifier et de garantir ces valeurs : les droits de l’Homme et le droit international pénal. L’idée d’un ordre public international et de son rapport avec le droit international pénal et le jus cogens fut relevée par le professeur LomboisNote36. . Il souligne d’ailleurs le caractère inapproprié du terme international qu’il propose de remplacer par universel, tout en limitant cette affirmation au vu des différentes civilisationsNote37. . La doctrine offre un éventail très large de réflexions et d’affirmations sur les rapports entre ordre public et jus cogensNote38. . L’un et l’autre sont indubitablement liés.

Il est généralement admis qu’il n’existe pas de hiérarchie des normes en droit international, contrairement aux systèmes nationaux comme le système juridique français. Dans un tel système, les valeurs fondamentales sont reconnues et protégées par la norme constitutionnelle et se voient attacher un statut particulier par l’intermédiaire de l’ordre public. L’absence de hiérarchie des normes en droit international constitue un premier obstacle, la notion d’ordre public étant largement incertaine. L’apparition de la notion de jus cogens semble y remédier, présentant le moyen d’assurer ces deux élémentsNote39. . Pour autant, faut-il y voir un élément de l’évolution de la société internationale et de son fonctionnement ou bien un intrus en contradiction avec le système, comme le suggère le professeur CombacauNote40.  ? Prenant acte de l’existence du concept, le professeur P.-M. Dupuy y voit notamment un critère matériel de légalité des faits et situationsNote41. , mais également le point de friction entre unité formelle et unité substantielle de l’ordre juridique internationalNote42. . Il est cependant indéniable qu’avec la notion de jus cogens, la nature même des relations entre sujets évolue, passant du bilatéralisme au multilatéralisme, voire à l’universalismeNote43. .

La doctrine et les juges vont entretenir une situation obscure concernant les rapports des crimes et du jus cogens, mais également avec les normes impératives, normes auxquelles on ne peut déroger et qui sont intransgressiblesNote44. . Le professeur Kolb souligne l’utilisation surprenante des idées d’indérogeabilité, d’intransgressibilité et d’impérativité des normes de jus cogens, car toute norme juridique doit être considérée par principe comme répondant à ces caractères. Il considère qu’il y a là matière à s’écarter d’une interprétation littérale de ces termes et à en chercher la signification profondeNote45. .

Pour le professeur Barboza, le droit international pénal est le droit pénal de la communauté internationale ou bien encore le « Public sector » du droit internationalNote46. . Il établit un rapport entre le jus cogens et le droit international pénalNote47. . Les statuts des juridictions internationales pénales, le projet de code de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de la CDI de 1996, ainsi que les anciens crimes de l’article 19, du projet de la CDI de 1976, et les actuelles violations graves d'obligations découlant de normes impératives du droit international du projet de 2001 semblent se rassembler derrière la notion de jus cogensNote48. .

L’article 48§ 1 b) du dernier projet fait référence aux obligations dues à «  la communauté internationale dans son ensemble » ; ce sont des obligations erga omnes partesNote49. . Le professeur Simma semble assimiler ces obligations erga omnes et les crimes. Il distingue deux catégories en leur sein. Celles dont la violation porte atteinte directement et matériellement à un ou plusieurs Etats, comme la prohibition de l’agression. Puis celles portant atteinte non pas à des Etats, mais à des individus ou groupes d’individus ou à des personnes protégéesNote50. .

Il semblerait que les obligations envers la communauté internationale, les règles impératives de droit international général et les règles de droit international humanitaire qui ont un caractère intransgressible soient toutes des règles impératives et du jus cogens, car il y a beaucoup de recoupements substantielsNote51. . Tout cela traduit la naissance d'un ordre public international, d'une conscience d'une communauté internationaleNote52. .

Par exemple, sont des normes impératives l’interdiction de l’agressionNote53. et celle du crime de génocideNote54.  ; l’interdiction de la torture est qualifiée de jus cogensNote55. par le TPIYNote56. . Les règles fondamentales du droit international humanitaire, qui ont un caractère intransgressible rejoignent également cette catégorieNote57. .

La corrélation entre le jus cogens et les crimes d'Etat est évidente. Prenons l'article 5 du statut de la CPI qui reconnaît la compétence de la Cour à l'encontre « des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale », c’est-à-dire les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, le génocide et l'agression. On ne peut qu'être frappé par la parenté des termesNote58. , et cela d’autant que l’article 19 du projet de 1976 qualifiait de crime la violation d’obligations jugées essentielles par la communauté internationale.

La notion de crime est absente du dernier projet d'article, il n'est plus question que de violations graves d'obligations découlant d'une norme du droit international général. Toute la glose antérieure sur le crime laisse cependant des traces et nul ne peut nier que cette nouvelle formulation est son héritière. La formulation de l'article 19 de 1976, dans son troisième paragraphe dit qu'un crime peut résulter, notamment, « d'une violation grave d'une obligation internationale d'importance essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales », comme par exemple l'agression, mais encore « d'une violation grave d'une obligation internationale d'importance essentielle pour la sauvegarde du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, comme celle interdisant l'établissement ou le maintien par la force d'une domination coloniale », « d'une violation grave d'une obligation internationale d'importance essentielle pour la sauvegarde de l'être humain, comme celles interdisant l'esclavage, le génocide, l'apartheid » ou « d'une violation grave d'une obligation internationale d'importance essentielle pour la sauvegarde et la préservation de l'environnement humain ». La similitude entre les expressions est évidente. Le professeur Dupuy, dans son cours à La Haye, en 1984 déclare clairement, « celles-ci (les obligations d'importance essentielle pour la communauté internationale dans son ensemble) sont (…) dotées, comme le jus cogens, avec lequel elles se confondent en réalité, d'un caractère d'ordre public »Note59. . Pour le rapporteur Crawford, les normes impératives du droit international général et les obligations envers la communauté internationale dans son ensemble, à défaut de pouvoir dire que ce sont des aspects différents d’un même concept, sont des notions qui se recoupent de façon substantielleNote60. . Normes impératives, normes auxquelles on ne peut déroger, intransgressiblesNote61. , etc… autant d'expressions alimentant les controverses doctrinales.

La notion de jus cogens ne peut être contestée. Elle présente l’avantage d’offrir un statut à certaines valeurs. Un obstacle existe cependant à sa totale efficacité et reconnaissance : l’éclatement du système normatif et du système judiciaire international. Car pour reconnaître une telle norme, il faut posséder une légitimité suffisante.

B : Le droit international pénal

Le droit international pénal est une discipline émergente qui permet au droit criminel d’investir le domaine des relations internationalesNote62. . Il est le révélateur de l’apparition d’une société internationaleNote63. , car l’existence d’une répression constitue un indice d’un dérèglement social contre lequel la société réagitNote64. . La Cour de cassation française, parlait en 1983, à l’occasion de l’affaire Barbie, d’un ordre répressif international, auquel le Gouvernement français adhèreNote65. .

Il convient de ne pas confondre le droit international pénal et le droit pénal international, dont les contours ne sont pas toujours clairsNote66. . Des recoupements substantiels et fonctionnels peuvent être observés. Ils garantissent la dimension horizontale des droits de l’Homme, avec le droit international des droits de l’Homme, sous la surveillance des Etats, par le biais d’obligations positivesNote67. .

Deux expressions peuvent être rencontrées, celle de droit international pénal et celle de droit pénal international, afin de désigner plus ou moins exactement le même domaineNote68. . Il convient alors de déteminer si les deux expressions doivent être considérées comme synonymes, quitte à en exclure une. Les professeurs Ascensio, Decaux et Pellet dirigent un ouvrage intitulé droit international pénalNote69. , le professeur. Bassiouni a produit un ouvrage intitulé Introduction au droit pénal internationalNote70. , M. Huet et Mme Koering-Joulin, un ouvrage de droit pénal internationalNote71. et le professeur Lombois, un manuel de droit pénal internationalNote72. . Ce ne sont là que quelques exemples. Une différence d’appellation est également observable pour les TPI et la CPI, soit juridictions internationales pénales, soit juridictions pénales internationalesNote73. .

Le sujet est loin d’être anodin puisque chaque auteur ou groupe d’auteurs se justifie et consacre des développements sur ce point. Pour le professeur Bassiouni, le droit pénal international « est une discipline juridique complexe composée de différentes sources de droit qui, prenant naissance dans le système juridique international et s’appliquant principalement à travers les systèmes de droit interne, se recoupent et se chevauchent »Note74. . Et l’auteur précise qu’il a un régime essentiellement international, ayant vocation à être appliqué en tout premier lieu par les Etats. International par son mode de création, international par son objet, international par ses modalités d’application, il ne peut se passer des organes politiques et judiciaires étatiques

Hormis avec les tribunaux de Nuremberg, de Tokyo et les TPI, la répression des infractions graves était laissée aux Etats. Depuis le 1er juillet 2002, il existe un organe permanent, la Cour pénale internationale. Tant que les Etats étaient chargés de la répression d’infractions pénales d’origine textuelle internationale, on était, en réalité, dans le champ de la discipline du droit pénal international. Aujourd’hui, les juridictions internationales pénales permettent de parler pleinement de droit international pénalNote75. .

Le droit international pénal est une branche pénale du droit international public. C’est un droit d’origine internationale s’insérant dans le système juridique international, avec ses éléments d’effectivité, comme l’existence d’une juridiction internationale pénale sanctionnant sa violation. Le droit pénal international est une branche du droit pénal national qui règle l’ensemble des problèmes pénaux qui se posent au plan international. C’est un droit pénal sanctionnant une infraction comportant un élément d’extranéitéNote76. .

Les réflexions du professeur Lombois conservent d’ailleurs toute leur pertinence. Il distingue deux branches de droit pénal international. Il y aurait le droit pénal de l’ordre international et l’application internationale du droit pénal interneNote77. . C’est au niveau de la première branche que se focalise aujourd’hui la controverse. Conscient de la controverse sémantique, l’auteur se demande si ce n’est pas accorder trop d’importance à la simple place d’un épithète. Il propose néanmoins l’expression de droit des infractions internationales, non sans relever les critiques possiblesNote78. .

Les développements pourraient être longs, selon les critères retenus pour analyser le champ de cette discipline. L’expression « droit international pénal » présente le triple avantage de marquer l’origine systémique de la norme, de préciser que la valeur protégée dépasse l’Etat et enfin de rappeler que la plupart de ces infractions se produisent lors d’une situation présentant un caractère d’internationalité. Soulignons que le professeur Lombois critique le terme « international », auquel il propose le substitut d’ « universel »Note79. .

Le professeur Ascensio, parlant du droit international pénal et de son application, distingue trois cyclesNote80.  : le premier débuterait avec les conférences de 1899-1907 de La Haye et s’achèveraient avec les articles 227 à 230 du traité de Versailles de 1919, ce serait la période des espoirs pacifistes ; le deuxième commencerait pendant l’entre-deux guerres avec les projets doctrinaux de l’Association internationale de droit pénal et de l’Union parlementaire et prendrait fin avec la reconnaissance des principes de Nuremberg les 13 février et 11 décembre 1946 par l’Assemblée générale de l’ONU et codifiés par la CDI ; le troisième cycle s’ouvre avec l’élaboration des grandes conventions telles celle sur le génocide de 1948. L’auteur s’interroge sur le cycle dans lequel nous nous trouvons actuellement, à savoir si la création de la CPI marque la fin de ce troisième cycle ou bien si c’est « le début d’un quatrième, qui connaîtrait déjà son conflit majeur avec la lutte contre l’ « hyper-terrorisme » commencée à la suite des attentats du 11 septembre ? »Note81. .

A la théorie en trois, voire en quatre temps développée par le professeur Ascensio, peut être opposée une autre en deux cycles, fondée non pas uniquement sur les normes de droit international pénal et sur les juridictions internationales pénales, mais sur leur conformité aux critères généralement admis de justice et de justice pénale, à savoir, entre autres, l’indépendance, l’impartialité et la non rétroactivité, tant de la légalité que de la compétence.

Le premier cycle débuterait avec les origines des conflits entre les groupes humains jusqu’à l’après jugements de Nuremberg et de Tokyo ; ce serait ce que l’on pourrait appeler le « temps de la loi du vainqueur ». Ce dernier est seul maître de l’utilisation du pouvoir que lui donne la victoire, et ce malgré la doctrine chrétienne qui limite sous certaines conditions le pouvoir du plus fort. Le second temps débuterait sous les effets conjugués du procès de Nuremberg et des premières grandes conventions comme celle sur le génocide. Ce serait le temps de la juridictionnalisation de la Justice et de la sanction du vaincu. Les procès de Nuremberg et de Tokyo constitueraient la période de transition entre les deux, à la fois dernier exemple de justice des vainqueurs et prémisses de l’ère de la juridictionnalisation.

En effet, lors de la première phase, le vainqueur, surtout s’il fut l’agressé, choisissait la sanction : paiement d’un dédommagement, de frais de guerre, prise d’otages, annexion territoriale, jugement du souverain ennemi dans certains cas. Les procès de Nuremberg et Tokyo en sont un exemple, dans lequel les vainqueurs choisirent de créer des juridictions et un texte servant de fondement aux sanctions. Ces procès constituent un mélange de justice des vainqueurs et de volonté de soumettre les vaincus au droit. Mais la façon de procéder ne peut pleinement recueillir le qualificatif de justice. Dans la seconde phase, qui trouve une réalisation concrète avec la Cour pénale internationale, la juridiction est dotée d’un statut et de juges désignés à l’avance, avec une procédure respectant le procès équitable. Cette seconde phase ne peut qu’être une phase de juridictionnalisation de la responsabilité et des sanctions des vaincus, mais encore imparfaite, car la CPI ne possède pas de pouvoir contraignant propre ; pour assurer pleinement l’effectivité de sa mission, elle doit concilier avec la souveraineté étatique. Les TPI ou bien encore la commission d’indemnisation du conflit Irak-Koweït apparaissent comme des scories de la première phaseNote82. .

Sous-section 2nde : Des relations renouvelées : vers une « intégration » des systèmes

Le système international, en procédant à un élargissement de ses sujets et de ses champs d’action et en créant un ordre public qui lui est propre, possède désormais des points communs avec les systèmes nationaux. Ceci, complété par sa primauté sur les droits internes, vidant progressivement la souveraineté étatique de son contenu, tend à substituer à la dialectique classique entre l’ordre juridique international et l’ordre juridique national un système unique à géométrie variable, dont la densité varie selon les secteurs juridiques.

Les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité constituent un point commun entre le droit pénal national et le droit international pénal. Ils font partie des infractions les plus sévèrement poursuivies et réprimées. Ils forment le noyau dur de l’ordre public international et trouvent un corollaire étatique dans les violations graves d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général (art. 40 du projet de la CDI de 2001). S’ajoute à cela un recoupement substantiel avec les droits de l’Homme.

Le principe d’une justice pénale confiée à des organes supra-étatiques n’est pas sans influence sur la souveraineté de l’Etat dont la justice pénale est un élément primordial (§ 1er). Les expériences en cours fonctionnent d’après deux types de relations : la primauté pour les TPI et la complémentarité pour la CPI. Dans le second cas, divers indices incitent à penser que les relations entre la justice répressive française et la CPI donnent naissance à un système intégré (§ 2nd).

§ 1er : « L’effritement » des souverainetés

Les rapports entre les ordres juridiques, interne et international, sont la source de nombreuses discussions doctrinales aux confins du juridique et du politiqueNote83. , incitant un auteur à y voir un « ponts aux ânes »Note84. . A l’évidence, un tel sujet est aujourd’hui toujours sources de réflexions et d’évolutions, notamment du fait des phénomènes d’internationalisation et de globalisation. L’émergence d’un ordre public international appelle une vision renouvelée des rapports des ordres. Dans le domaine spécifique de la répression des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, les TMI et les TPI sont des exemples marquants ; cependant, la véritable institutionnalisation internationale d’une justice répressive n’apparaît qu’avec la Cour pénale internationale qui est un organe permanent et non plus ad hoc. Si les solutions ponctuelles précédentes ont été considérées comme pouvant réduire la souveraineté étatique, la permanence de la Cour criminelle de La Haye entérine cette constatation (A), au point de porter en elle, la touche finale d’un mouvement complété par les droits de l’Homme : l’encadrement de la nature étatique (B).

A : Justice internationale et souveraineté

Selon le professeur Bassiouni, « le droit pénal international se trouve à la confluence de trois courants idéologiques : 1) l’intérêt mutuel des Etats à la coopération internationale, 2) le protectionnisme de la souveraineté nationale, et 3) l’impulsion des valeurs humanistes et humanitaires »Note85. .

La faculté de déterminer une politique pénale, d’ériger certaines valeurs en valeurs sociales et de poursuivre les criminels est considérée comme l’apanage du souverainNote86. . A cet égard, le professeur Cassese s’interroge sur l’existence d’un conflit, potentiellement insurmontable, entre souveraineté des Etats et justice pénale internationaleNote87. .

Cette interrogation est d’autant plus primordiale que les concepts clés de l’Etat sont atteints. Un Etat qui doit rendre des comptes, dont les actes des dirigeants peuvent être soumis à un droit accepté mais de source internationale et appliqué par une juridiction internationale, subit une atteinte à sa souveraineté.

Selon R. Abraham, interrogé par une commission du Sénat : « Ma réponse ne serait pas réaliste car une fois que l'Etat a ratifié, il est soumis, dans les limites prévues par le traité, à la volonté d'organes de caractère international ou supranational dont ils n'a pas la maîtrise des décisions. Indiscutablement, c'est une limitation de la souveraineté nationale que les Etats considèrent comme nécessaire à l'édification d'un ordre juridique international qui peut contribuer à la paix et à la défense d'un certain nombre de principes fondamentaux de protection des droits de l'homme sur lesquels repose la société internationale. Tout le problème est de trouver un équilibre entre la souveraineté des Etats et l'édification de cet ordre juridique international »Note88. .

Le professeur Cassese reconnaît clairement que la création de ces tribunaux limite le monopole des Etats en matière de répression pénaleNote89. . En effet, des organes internationaux comme la CPI exerceront une telle compétence, mais uniquement en cas de carence ou de mauvaise foi d’un Etat (art. 17 du statut de la CPI). A cet égard, si la complémentarité joue, il convient alors d’y voir une réprobation du comportement étatiqueNote90. . Autre élément probant, la décision Furundzija qui, en érigeant l’interdiction de la torture comme une règle de jus cogens, aboutit à la conclusion que les Etats ne peuvent adopter de lois d’amnistie, considérées comme un attribut de souverainetéNote91. . Le professeur Cassese n’y voit en fait qu’un phénomène d’apparence et il ajoute qu’un moyen de concilier souveraineté et justice internationale serait la compétence universelle des juges nationauxNote92. .

Comme le souligne un autre auteur, ce n’est pas tant le transfert de compétences pénales qui atteint la souveraineté étatique, dans la perspective de la CPI, que l’appréciation que la CPI portera, le cas échéant, sur la compétence ou la mauvaise foi d’un Etat à assurer sa compétence répressiveNote93. .

B : L’encadrement de la nature étatique

Le dépérissement de l’Etat annoncé est loin d’être réalisé. Le professeur P.-M. Dupuy le nie de façon catégoriqueNote94. . Le professeur Pastor Ridruejo le formule quelque peu différemment lorsqu’il écrit que les Etats restent les acteurs principaux de la société internationaleNote95. , mais que l’égalité souveraine les caractérisant n’est que formelle, cédant à une inégalité réelleNote96. .

M. Henzelin, conscient du rapprochement entre système international et système étatique, dit que « la communauté internationale ne fait que reproduire les schémas applicables en matière de défense sociale interne »Note97. . En bref, on peut observer une contestation de l’autorité étatique, tant dans les systèmes internes que dans le système international.

L’Etat est l’acteur principal de la sphère internationale. Si l’absolutisme de la souveraineté étatique est aujourd’hui considéré comme caduque, répondant à divers facteurs comme la coexistence des Etats, l’égalité souveraine, les inégalités en terme de puissance militaire ou de ressources énergétiques, entre autres, il n’en reste pas moins que cette souveraineté produit diverses conséquences. L’Etat est notamment libre de fixer son organisation et de choisir ses politiques, mais à la condition de ne pas violer une obligation de droit internationalNote98. . Il reste à déterminer le contenu de ses obligations. Une conjonction d’éléments idéologiques, philosophiques et politiques tend vers le rejet des régimes autoritaires au profit de régimes démocratiques, ce qui est renforcée par la philosophie des droits de l’Homme.

Si l’état actuel du système international démontre que tous les Etats ne sont pas démocratiques, une tendance à favoriser de tels modèles est clairement affichée de la part de la communauté internationale et plus précisément de l’ONU et de ses organes, et de l’Union européenne et de ses Etats-membresNote99. . La notion de démocratie est bien évidemment discutable, mais on peut sans danger classer des Etats tels que la Corée du Nord ou bien l’Irak dans les Etats autoritaires.

Cette préférence pour les Etats démocratiques est à mettre en relation avec la délimitation de la compétence des autorités étatiques et la création d’une sphère exclusive au profit des individus et parfois des minorités. On retrouve les idées développées par certains philosophes selon lesquels l’Etat n’a pas vocation à régir de manière autoritaire la vie de ses citoyens. Il s’agit de la victoire de Locke sur celle de Hobbes. Le premier de ces auteurs, reconnaissant l’existence d’une loi naturelle dictée par la raison, en déduit la limitation du pouvoir de l’Etat, par l’intermédiaire d’un contrat et du mandat délégué par le peuple. A l’inverse, le contrat proposé par Hobbes constitue un pacte de sujétion totale.

A l’évidence, diverses instances internationales tendent à ne reconnaître que le modèle démocratique. Pour cela, et passant outre les idéologies diverses qui se succédèrent et qui composèrent l’opinion dominante dans la doctrine de droit international tout au long du 20ème siècle, trois exemples seront pris. Le premier réside dans l’imposition de modèles étatiques par les Etats vainqueurs lors de la Première et de la Seconde Guerre mondialeNote100. , le deuxième est contenu dans la jurisprudence des TPI et le troisième apparaît dans certaines résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.

Lors des défaites allemandes de 1918 et 1945, les coalitions victorieuses adoptèrent, entre autres sanctions, certaines mesures destinées à réduire l’importance politique du vaincu. Non seulement l’Empire allemand fut démantelé, mais il y eut une volonté de sanctionner personnellement les dirigeants étatiques, ce qui peut être analysé à la fois comme une modalité de sanction du fait internationalement illicite, mais surtout comme la sanction de violation d’obligations protégeant les individus.

Il ne s’agit pas ici de détailler les divers traités démantelant l’Empire allemand, que ce soit celui de Guillaume II ou d’HitlerNote101. . Soulignons juste l’importance du traité de paix de 1919 de Versailles qui prescrivait des cessions territoriales, ainsi qu’une limitation des pouvoirs politiques et qui surtout sonnait le glas de l’Empire au profit de la République de Weimar. Après la défaite de 1945, et après répartition d’une partie des territoires repris aux Allemands entre les vainqueurs, l’Allemagne fut scindée en deux parties, formant la République fédérale allemande et la République démocratique allemande. Un statut d’occupation définissant les pouvoirs conservés par les autorités occupantes fut également signé à Washington le 8 avril 1949. Ce dernier fut remis en cause par d’autres accords en 1952 et 1954Note102. . Une fois encore, le régime de l’Empire fut remplacé par une République, sous la surveillance et sous le contrôle, dans certains domaines, de la Haute commission alliée. Il s’ensuivit en 1949 l’adoption de la Loi fondamentale allemande, encore en vigueur aujourd’hui.

Pour illustrer cette tendance à imposer un type de régime démocratique, la situation actuelle en Irak peut être soulignéeNote103. . Après l’intervention de la coalition menée par les USA et la Grande-Bretagne, un gouvernement et une assemblée transitoires furent mis en place afin d’élaborer une nouvelle constitution. La coalition, dénommée autorité d’occupation par le Conseil de sécurité, notamment dans les résolutions 1483 et 1511 (2003) prises sur le fondement du chapitre VII, ne se retirera que lorsqu’un Etat démocratique sera mis en place définitivement, ce qu’affirme très clairement la résolution 1511. Il y est ajouté que le Conseil de gouvernement provisoire et ses ministres sont les principaux organes de l’administration iraquienne, laquelle incarne la souveraineté de l’Etat iraquien. Reste à savoir si après le départ de la coalition, un tel Etat demeurera ? L’exemple de l’Afghanistan incite à s’interroger de la sorte.

Le deuxième point confirmant cette tendance à promouvoir le modèle démocratique réside dans la jurisprudence des TPI, notamment la décision Kamdanda, du 4 septembre 1998, du TPIR. Jean Kambanda fut Premier ministre intérimaire du Rwanda du 8 avril au 17 juillet 1994. Il « exerçait une autorité et un contrôle de jure sur les membres de son gouvernement » et « en sa qualité de Premier ministre, il exerçait également une autorité de jure et de facto sur les hauts fonctionnaires et sur les officiers supérieurs de l’armée »Note104. . Les juges ont considéré qu’il assumait la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité au Rwanda et qu’il a abusé de la confiance de la populationNote105. . Il a failli à son obligation de prendre toute les mesures pour faire cesser les comportements criminels.

La décision Kambanda condamne un Premier ministre, non seulement pour la commission de crimes contre la paix et la sécurité mais elle le sanctionne au regard de fondements politiques liés à sa fonction. Les juges établissent un rapport avec la fonction de maintien et de sauvegarde de l’ordre public, et se placent sur le terrain de la théorie de l’Etat, en faisant référence à l’abus de confiance envers la population civile. Ils jugent donc par rapport à un modèle étatique, démocratique et respectueux des droits et libertés des hommes et des citoyens. Il en ressort une nette réprobation des modèles étatiques positivistes dans lesquels des théories criminelles seraient justifiées.

Enfin, un troisième élément en faveur de l’Etat démocratique peut être relevé dans certaines résolutions du Conseil de sécurité. Lors d’une situation conflictuelle entraînant l’intervention de l’ONU afin d’autoriser une action coercitive ou en prenant acte, on peut observer que le Conseil souligne que cette autorisation, et donc l’occupation ou la présence de forces agissant sous l’égide de l’ONU, prendra fin dès le rétablissement de la paix et surtout dès l’instauration d’un régime représentatif et internationalement reconnu. On peut citer la résolution 940 de 1994, concernant HaïtiNote106. et la résolution 1511 concernant l’Irak.

A cela, et rejoignant les points précédents, peut être ajoutée l’internationalisation du pouvoir constituant et donc des constitutionsNote107. . Il s’agit alors d’une exception au principe de non-ingérence et d’un aboutissement de l’évolution du droit et de la société internationale. Par un effet de vase communiquant, l’Etat accepte de se limiter et la communauté internationale s’approprie ces compétences souverainesNote108. . Un auteur distingue l’internationalisation du pouvoir constituant dérivé, de celle, moins étendue, du pouvoir constituant originaireNote109. . Ces phénomènes sont très perceptibles dans des cas comme la Palestine, le Timor Oriental, la Bosnie-Herzégovine ou le CambodgeNote110. . L’auteur distingue les encadrements conventionnels lors du retour à l’indépendance, la stabilisation et la démocratisation de certains Etats ou bien encore l’encadrement du pouvoir constituant comme résultat d’une situation de fait, citant l’exemple de la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’occupation de l’AllemagneNote111. .

Ce sont là quelques éléments illustrant cette tendance à revenir sur le libre choix par un Etat de son régime politique. La démocratie est clairement soutenue. Ceci trouve une confirmation dans le développement des droits de l’Homme, au niveau international.

Les systèmes de droits de l’Homme, les systèmes de droit pénal et de droit international pénal et celui de droit international public diffèrentNote112.  ; pourtant, dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, ils convergent vers la protection des mêmes valeursNote113. . Le droit pénal devient un moyen d’assurer le respect des droits de l’HommeNote114. . Les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme influencent d’ailleurs les tribunaux pénaux internationauxNote115. .

Le point de convergence des droits précités semble résider dans la notion de jus cogens. Mais des différences fondamentales persistent. Le droit international public est un droit interétatique, le droit pénal, qu’il soit national ou international est le droit d’une société, et les droits de l’Homme reposent sur des caractères inhérents à la personne humaineNote116. . Ils constituent une limite à la souveraineté étatiqueNote117. .

Au niveau international, il n’existe pas réellement d’instance de garantie des droits de l’Homme. Certes existent la déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée des Nations Unies le 10 décembre 1948 ou bien encore le Pacte international des droits civils et politiques de 1966. Des organes de surveillance, comme la Commission des droits de l’Homme de l’ONU ou l’OSCE interviennent. Mais les mécanismes les plus aboutis existent seulement au niveau régional avec notamment la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour interaméricaine des droits de l’Homme.

La doctrine internationaliste demeure divisée sur le rapport du droit international et des droits de l’HommeNote118. . Plusieurs courants sont identifiables au sein de chaque discipline. Pour s’en tenir au professeur Pellet qui dresse un état des lieux de la situation, le droit international des droits de l’Homme ne serait pas un droit autonome. Sans nier les apports de ce droit qui ont permis de séparer nettement l’Homme de l’Etat, il y voit plutôt un élément d’enrichissement du droit international publicNote119. . Le professeur Cohen-Jonathan considère que le droit international des droits de l’Homme fait partie intégrante du droit internationalNote120. .

Par leur caractère transcendant, les droits de l’Homme exercent une influence sur toutes les disciplines juridiques. Ils deviennent une justification, encore résiduelle, de remise en cause du principe de non-ingérence et de non-intervention, y compris militaire, dans les affaires intérieures d’Etats violant gravement ces droits. L’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999 peut l’illustrer, ce qui n’empêche pas le professeur Dupuy d’émettre des critiques sur la légitimité de tels fondements au regard du droit international publicNote121. .

La création de Tribunaux pénaux internationaux par le Conseil de sécurité sur le fondement du chapitre VII, et de la Cour pénale internationale, et au vu des infractions sanctionnées, constitue des instruments de sanction des violations des droits de l’Homme, mais sous un vocable différentNote122. . En ce sens, ils viennent conforter cette limitation de l’Etat, par l’intermédiaire de la sanction de politiques criminelles qui pourraient être décidées et mises en œuvres par les organes étatiques. Cette limitation de l’Etat sous l’influence croisée, substantielle, des droits de l’Homme et du droit pénal et humanitaire est confirmée par la Cour internationale de Justice, notamment dans son avis du 8 juillet 1996 relatif à la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires faisant référence aux règles fondamentales pour le respect de la personne humaine et aux considérations élémentaires d’humanité.

§ 2nd : L’apport de la CPI

La pemanence de la Cour pénale internationale permet de donner une véritable assise au système international répressifNote123. . Le droit international pénal répond enfin clairement aux grands principes de la légalité pénale. Le professeur Ascensio y voit l’« incarnation d’une sorte d’ordre public du droit des gens »Note124. . En outre, la compétence complémentaire de la CPI constitue un second point important.

Pour présenter simplement la situation, la Cour pénale internationale n’intervient qu’en cas d’inaction volontaire des juridictions nationales ou due à la désorganisation du système. La situation ainsi créée présente une figure originale qui ne correspond ni à une procédure d’appel, ni à une procédure de cassation, ni même au système de la Cour européenne des droits de l’Homme. A y regarder de près, on peut y retrouver une logique proche, non d’un pas du fonctionnement d’un système juridictionnel, mais d’un système constitutionnel fédéral (A), créant un système à géométrie variable (B).

A : Le « fédéralisme juridictionnel » du système de la Cour pénale internationale

Si l’on tente l’expérience d’appliquer aux relations entre les juridictions répressives nationales et la CPI les trois lois du fédéralismes (participation, juxtaposition, autonomie), une similitude avec les systèmes constitutionnels fédéraux peut être observée, la CPI étant au sommet. L’article 17 relatif à la compétence de la Cour détermine une compétence subsidiaire de la CPI.

Même si la dialectique système national – système international semble disparaître au profit d’un système, encore flou, en matière de répression des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, on peut observer la juxtaposition de justices nationales et d’une justice internationale répressive. Le préambule du statut de la CPI dispose que la Cour est indépendante et que sa juridiction est complémentaire de celle des Etats. En outre, l’article 98, relatif à la coopération en relation avec la renonciation à l’immunité, souligne que la Cour ne peut forcer les Etats à violer certaines obligations qu’ils tiennent du droit international, ce qui confirme la reconnaissance de deux ordres juridiques encore distincts et autonomes, mais perméables.

Enfin, le principe même de l’association des juridictions nationales, premier garant de la justice internationale, et de juridictions internationales illustre le principe de participation.

B : Un système à géométrie variable

De manière générale, les auteurs s’accordent pour réfuter l’approche pyramidale des relations normatives de Kelsen. Dans une double perspective institutionnaliste et normativiste, le schéma qui se dessine aujourd’hui révèle des boucles étranges et l’apparition d’un réseauNote125. . Le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et de leurs corollaires étatiques illustrent ce phénomène.

Les crimes de droit international pénal, définis par le statut de la CPI, sont sanctionnés en premier lieu par les juridictions nationales des Etats parties.

Ces crimes traduisent la volonté de la communauté internationale de délimiter le champ de l’action de l’Etat et de garantir les droits des individus et des minorités. La sanction de la violation de tels intérêts entraîne inévitablement une mise sous contrôle du monopole répressif en ce domaine. L’article 17 du statut de la CPI permet à la Cour d’obtenir un titre à intervenir et à se substituer à l’Etat. Reste à déterminer les éléments soit de cette carence, soit de cette mauvaise foi. Si certains éléments peuvent être relevés, une part de subjectivisme est indéniablement présente. Les juges de la CPI porteront une appréciation sur la politique de l’Etat.

Il convient alors pour les autorités nationales, essentiellement les juges, non seulement de poursuivre, mais également de juger conformément à ce que la Cour aurait pu juger afin d’éviter tout doute. Ceci induit une mise en corrélation du droit français avec le droit de la CPI, tel qu’interprété par elle. Le professeur Cassese et le Président Kirsch, à cet égard, constatent que les Etats seront amenés à renforcer leurs législationsNote126. , et ajouterions-nous, à les mettre en adéquation.

Dans le domaine précis des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, on peut alors soutenir qu’existe, implicitement, une obligation pour les Etats membres de se mettre en harmonie avec la Cour pénale internationale. A la fois, la Cour s’intègre au système français et les juridictions nationales s’intègrent à son système.

Section 2nde : La nécessaire articulation entre le système juridique international et le système juridique français

Au-delà de la classique configuration duale entre système international et systèmes nationaux, certains domaines spécifiques comme celui de la répression des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité transcendent cette dichotomie. Pour autant, on ne peut pas encore conclure à l’émergence d’un droit unique en ce domaine. Des interactions subsistent donc entre des droits d’origine internationale et des droits d’origine nationale, mais également entre les institutions.

Après avoir souligné les effets de ces interactions (sous-section 1ère), il convient de proposer les moyens d’une articulation (sous-section 2nde).

Sous-section 1ère : Les effets des interactions

Si l’on se limite aux relations entre le système international et le système français, dans le domaine de la répression des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et des violations graves, on peut observer des conflits de lois et de compétences (§ 1er), dont la résolution n’est pas aisée du fait de l’hétérogénéité des logiques systémiques ; la relation entre le système français et le système international constitue un bon exemple (§ 2nd).

§ 1er : Les conflits de lois et de compétences

Si la recherche de la responsabilité d’un Etat ou d’un individu ne doit pas aboutir à de multiples condamnations pour un même fait, différentes autorités peuvent posséder un titre à intervenir et parfois hésiter quant au droit à appliquer, national ou international. Cette situation peut être relevée de manière globale dans le système international et dans le domaine plus précis de la répression des crimes internationaux. Des conflits de compétences (A) et des conflits de lois et de sentences (B) peuvent donc être observés.

A : Une multiplication des juridictions propice aux conflits de compétences et d’interprétations

Le juge G. Guillaume constate et déplore la multiplication des juridictions internationalesNote127. , qui occasionne un risque de rupture de l’unité du système et surtout un risque de chevauchement des compétencesNote128. . Par exemple, La CIJ comme le TIDM peuvent avoir vocation à se prononcer sur la convention de Montégo BayNote129. .

Dans le domaine de la répression des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, les premiers garants sont les juridictions nationales, mais à ce stade, on peut déjà s’interroger sur la compétence de la juridiction du forum commissi delicti ou de celle du criminel si ce n’est pas la même. En fait deux types de conflits peuvent être distingués, le conflit de systèmes et le conflit de compétences juridictionnelles, les deux ayant tendance à se superposer. Avec les TPI et la CPI s’ajoutent des interrogations supplémentaires, qui sont d’autant plus importantes que la compétence juridictionnelle peut être conditionnée par un droit à agir plus ou moins réduit des victimes. Au contraire, certaines législations nationales, reconnaissant une compétence universelle à leurs juridictions, peuvent être source de forum shopping.

Dans les crimes de masse, une action en justice inorganisée peut aboutir à un réel conflit de compétences le plus souvent positif, mais également négatif. Ces quelques éléments plaident pour une rationalisation et une clarification du système de répression en ce domaine. Il reste alors à déterminer la règle de conflit en cas d’une impossibilité des juridictions à s’accorder. Si le problème révèle une réelle difficulté entre deux juridictions nationales étrangères, entre les juridictions française, par exemple, et internationale, notamment la CPI, la règle est contenue à l’article 17 du statut de la CPI, reconnaissant une compétence subsidiaire.

La multiplication des juridictions amenées à appliquer de mêmes règles de droit, n’est pas non plus sans faire craindre des divergences d’interprétationsNote130. , ce qui est accentué par les différences des systèmes juridiques d’origine.

B : Les conflits de lois et de sentences

Une fois la juridiction compétente déterminée, deux autres conflits peuvent surgir : le conflit de lois à appliquer, nationale ou internationale ou encore, au sein du système international, droit général ou droit spécial. Un conflit de sentences est également envisageable si une même affaire relative à un crime de masse a été jugée partiellement par deux juridictions différentes et que leur application révèle des incompatibilités.

La règle de conflit dans les rapports entre des juridictions internes n’existe pas réellement. Affirmer la prévalence des critères traditionnels sur une compétence universelle ou la compétence des juridictions du forum commissi delicti sur les juridictions de l’Etat sur le territoire duquel le suspect a été appréhendé présente le risque de méconnaître certains obstacles politiques, comme l’inaptitude temporaire de la juridiction du lieu de commission du crime pour cause de désorganisation du système judiciaire ou encore la volonté de faire échapper le suspect à la Justice ou à l’inverse de le punir plus sévèrement ; à moins d’ériger ces éléments en règle supplétive de règlement de conflit.

De manière générale, dans les rapports entre le droit international et le droit français, la primauté revient au droit international, selon l’article 55 de la Constitution de 1958, sous certaines conditions. Au sein du système international, l’article 103 de la Charte règle les conflits au profit du droit de l’ONU.

Le second point réside dans le conflit potentiel de sentences, à la fois de sentences pénales et civiles portant sur les criminels, mais également de sentences civiles relatives à la responsabilité étatique, par exemple, dans ce dernier cas, entre une décision du juge administratif français et une décision de la CIJ. Bien évidemment, seules les sentences d’un même type peuvent être en conflit, lorsqu’elles poursuivent un objectif identique.

Il conviendra de les harmoniser et notamment, dans le domaine civil, de se limiter à une réparation intérgrale. Il faudra également préciser les règles de reconnaissance des sentences, d’un système juridique à l’autreNote131. .

La multiplicité des droits, à l’origine des conflits de lois, entraîne des risques de divergence, de complexité et, dans certains cas, une rupture entre le droit général et le droit spécial. La décision Tadic du TPIY, du 15 juillet 1999, retenant une règle quelque peu différente de celle formulée dans la décision de la CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua de 1986Note132. en est une illustration.

§ 2nd : L’hétérogénéité des systèmes : l’exemple de l’antagonisme de la France et du système international

Ces deux systèmes sont amenés à collaborer dans le domaine précis des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Il convient de recentrer le problème sur certains aspects politiques et juridiques. Deux points illustrant l’essentiel des antagonismes méritent d’être précisés : la divergence de logiques et fondements systémiques (A) et la différence de maturité des sociétés française et internationale (B).

A : L’hétérogénéité des logiques systémiques : les antagonismes entre la France et la société internationale

Les éléments différenciant ces deux systèmes sont nombreux et peuvent être illustrés par quelques exemples : les sujets juridiques, l’absence de pouvoirs clairement définis, l’existence d’un bloc de normes suprêmes et l’affrontement des systèmes de common law et de civil law entraînant la naissance d’un système hybride.

Le premier constat réside dans la subjectivité des deux systèmes. Le système français reconnaît un statut de sujet actif à l’individu et à l’Etat. Le système international est en revanche fondé sur les Etats et ne reconnaît que depuis peu un statut de sujet passif à l’individu, hormis certaines hypothèses liées aux systèmes de garantie des droits de l’Homme. Selon le professeur Cohen-Jonathan, « il ne s’agit pas de conférer à l’individu une capacité juridique générale comparable à celle de l’Etat, mais une capacité fonctionnelle et limitée, affectée à des fins déterminées… »Note133. .

Le deuxième aspect réside dans les différences de structures des systèmes. Le système français se caractérise par la différenciation claire des trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaireNote134. . Dans le système international, ces trois fonctions existent, mais les entités les exerçant sont bien moins clairement définies. En tant que société polycentralisée, ces trois fonctions sont éclatées. Seul le judiciaire est clairement défini, bien qu’il ne possède pas de monopole de compétence en son domaineNote135. . Distinction faite entre les organes judiciaires étatiques et pénaux individuels, on peut constater un degré moindre d’organisation et de clarification de leur fonctionnement.

A cela, il convient d’ajouter l’absence de législateur. En effet, malgré l’existence de l’ONU, seuls les Etats peuvent créer du droit. L’obligation de le faire au sein d’une structure formelle, comme le Parlement français, est absente. Le relativisme en ce domaine est à son paroxysme. L’Assemblée générale de l’ONU relève largement plus du forum que du Parlement.

Le Conseil de sécurité, par ses résolutions prises sur le fondement du chapitre VII, peut adopter des normes aux effets contraignants.

En l’absence d’un organe législatif permanent et représentatif, on comprend aisément que le juge international se trouve face à un certain vide lorsqu’il doit statuer sur une affaire nécessitant l’application d’un régime général juridique, comme celui de la responsabilité qui est essentiellement jurisprudentiel et coutumier, et surtout en voie d’élaboration devant la Commission du droit international. Il est difficile d’affirmer que le juge n’est pas un créateur de droit. Et si la critique existe et semble fondée, ce comportement n’en répond pas moins à une lacune de l’organisation politique du système international. Le pouvoir du juge répond aux carences des autres pouvoirs.

La création normative et l’application juridictionnelle du droit international ne bénéficient pas d’une unité. La multiplicité de normateurs entraîne le risque d’un droit hétérogène, ce risque étant nul ou du moins extrêmement réduit dans les Etats, ce qui renvoie à la recherche d’un élément assurant cette unité, comme une constitution. Au-delà de cet aspect, la multiplicité d’organes juridictionnels fait courir le risque d’une fragmentation de l’interprétation. Ce risque est soulevé par certains ou minimisé par d’autresNote136. . Cela renvoie donc à deux éléments, l’existence d’un organe suprême, formalisant les grandes lignes fondamentales de la société internationale et centralisant l’interprétation, et d’un texte de même valeur.

Concernant l’organe suprême du système international, la CIJ et la CPJI ont longtemps joué ce rôle de facto. La CIJ est aujourd’hui concurrencée, dans un domaine autre que le sien, le droit international pénal. A cet égard, on peut remarquer qu’en France, le dualisme juridictionnel n’est pas un réel obstacle à l’existence d’un système cohérent ; cependant, en cas de recoupement dans une affaire ayant un double aspect, pénal et administratif, une cohérence globale du traitement juridictionnel de l’affaire est souhaitable. Et c’est à ce niveau là que l’on peut retranscrire cette remarque dans le système international.

Les implications du rapport soldat – Etat sont telles que lorsque la CIJ et la CPI auront à se prononcer sur de mêmes faits, des divergences d’interprétation et de qualification juridique peuvent se faire jour. En ce cas, l’existence d’un mécanisme de centralisation de l’interprétation serait nécessaire. Pour l’instant, tout repose sur le self-restreint des juges.

Sur le point de l’existence d’une norme suprême, la logique du système national français n’est pas réellement transposable. Le pouvoir constituant originaire n’est pas clairement identifié. Réside-t-il dans l’ensemble des Etats ou dans la communauté internationale ? Le problème d’une existence de normes hiérarchisées se pose également.

On peut dès lors se demander si la Charte des Nations Unies constitue une sorte de constitutionNote137. . Le professeur Dupuy ne semble pas enclin à répondre de manière positiveNote138. . Il est évident que la Charte, par sa dimension morale, n’a pas la même place que les autres traités, d’autant plus qu’elle lie quasiment tous les EtatsNote139. . La doctrine germanique paraît soutenir cette position constitutionnelleNote140. .

Il conviendrait d’analyser plus en détail la Charte sous l’angle formel puis substantiel. L’article 103 de la Charte en tant que règle de conflit donne la primauté au droit de l’ONU.

La décision relative aux plates-formes pétrolières iraniennes de la CIJ de 2003, par la méthode retenu, vérifie un rapport de conformité d’un traité spécial à la règle de droit international général. Mais surtout, sans se prononcer explicitement sur la notion de jus cogens, elle semble appliquer une primauté du droit international généralNote141. . Enfin, on peut se demander si la notion de jus cogens ne constitue pas ce noyau dur établissant une hiérarchie des normes, assez semblable aux effets d’une constitution interne.

Ce sont autant d’éléments qui nourrissent une réflexion sur ce sujet.

Enfin, l’affrontement civil law - common law est largement perceptible, notamment dans les statuts et la jurisprudence des TPIY et de la CPI. Les juges et des juristes de ces institutions le confirment. Une hybridation de ces systèmes est avéréeNote142. . Cette dernière présente peut-être des avantages politiques, mais l’inconvénient d’une certaine insécurité juridique pour les accusés et leurs représentantsNote143. . Ceci complique surtout l’articulation avec les systèmes pénaux nationaux qui relèvent soit du système de common law soit de celui de civil law.

B : L’écueil des différences de maturité des sociétés internationale et française

Traiter de la société implique de sortir du domaine purement juridique. Si l’on prend momentanément le risque d’une comparaison avec l’Etat, afin d’ébaucher quelques réflexions, on peut partir de la définition suivante sur l’Etat initial : « l’Etat initial est une organisation sociopolitique centralisée qui assure la régulation des relations sociales dans une société complexe, hiérarchisée, divisée en au moins deux groupes fondamentaux, ou en classes sociales émergentes – les dominants et les dominés – dont les relations sont caractérisées par la domination politique des premiers et les obligations tributaires des secondes, légitimée par une idéologie commune dont la réciprocité constitue le principe fondamental »Note144. .

Selon le professeur Kolb, le 20ème siècle est marqué par une tentative de communautarisation du droit international, tentant de succéder à l’individualisme étatiqueNote145. . Une partie de la doctrine a essayé de constitutionnaliser la Charte des Nations Unies et d’ériger le jus cogens en droit supra-constitutionnel. L’effet de communautarisation se singularise par une sorte de fédéralisme normatif et par un relativisme organiqueNote146. . Cette société est donc pour l’instant imparfaite, les aspirations communes étant laissées à la discrétion de chacun, ainsi que la sanction de leur violation. L’auteur parle d’ailleurs d’une « société précaire, traversée par des luttes de pouvoirs » et constate surtout que « l’effort du droit, lors de son transit de sociétés primitives vers des sociétés plus évoluées, se concentre à limiter et policer les pouvoirs détenus par chaque membre au regard des exigences de la communauté »Note147. . Mais actuellement, la société internationale présente une tendance, paradoxale, à revenir vers une justice privée, anarchique, pour assurer les intérêts de la communautéNote148. . Le professeur Kolb finit par établir un parallèle entre l’état actuel de cette société et celui de l’Europe au 19ème siècle, voyant apparaître des directoires formés par les Puissances, dans des domaines hautement politiquesNote149. .

Refusant le qualificatif de primitif pour caractériser l’état de la société internationale, le professeur Kolb ajoute qu’une comparaison avec l’Etat, notamment occidental, au 19ème et au début du 20ème siècle n’aboutirait qu’à des distorsionsNote150. . Les caractères allégués de primitivité sont, entre autres, coordinatif et décentralisé, inorganique, fragmentaire, lacunaire et fusionnant les fonctions.

La société française possède des institutions et un système juridique lisible. Tel n’est pas le cas de la société internationale. Cette différence peut s’expliquer de deux façons, soit cette dernière a vocation à développer une organisation propre, différente de celle des Etats, soit à terme elle s’organisera à l’identique, et actuellement elle se situe à un stade d’évolution beaucoup moins développé, expliquant sa structure. La société internationale se caractérise par une évolution moindre que celle d’Etats démocratiques comme la France. Certains éléments ont été abordés précédemment. Le professeur Kolb constate que le droit international s’inspire beaucoup des formes d’organisation du Moyen-Âge occidental, notamment par l’existence d’un pouvoir décentralisé, par une juxtaposition de pouvoirs autonomes, par le fait que la sanction relève avant tout de la justice privéeNote151. .

La société internationale, sortie de la primitivité, est en évolution. Sur un modèle encore instable, d’intégration normative et d’éclatement organique, elle est le fruit des politiques étatiques souveraines. Mais cette lutte pour le pouvoir, dénoncée comme un facteur faisant obstacle à une organisation plus approfondie, ne lui est pas caractéristique. On observe des luttes identiques dans les sociétés nationales et même dans les Etats jugés démocratiques. Une comparaison entre société internationale et nationale, française, ne peut donc se faire que par l’intermédiaire d’une approche organique. De manière allusive, nous soulignerons la confusion-indifférenciation des trois pouvoirsNote152. .

A l’inexistence d’une différenciation claire des fonctions et des pouvoirs, s’ajoute l’existence d’une confusion. L’exemple le plus prégnant de cette situation réside dans l’action du Conseil de sécurité. Grand directoire créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est en charge de la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales (art. 24 de la Charte).

Par l’intermédiaire du chapitre VII, une fois son fonctionnement rétabli dans les années 1990, et par une interprétation extensive des articles 39 et suivants, il a considérablement augmenté ses modalités d’intervention. Non seulement il autorise des actions militaires, comme un pouvoir exécutif, il possède la possibilité de prendre des résolutions, créant ainsi un droit sanctionné et incontrôlable. Surtout, il crée des tribunaux pénaux internationaux avec leur statut, ainsi qu’une commission d’indemnisation suite au conflit Irak-Koweït, posant comme postulat de son fonctionnement la responsabilité de l’Irak, s’érigeant en jugeNote153. .

Le professeur Combacau a souligné la double fonction du Conseil, celle d’exécution de la loi dans la mesure où elle lui confère une compétence, et la création du droit « dans la mesure où il reconnaît dans les faits de l’espèce un cas d’application de la loi et concrétise ainsi ce qu’elle avait laissé dans le vague »Note154. . Le contrôle du Conseil reste pour l’heure hypothétique ainsi que la délimitation de ses compétencesNote155. . Sa nature politique demeure un obstacle difficilement franchissable.

Paradoxalement, certains Etats s’affranchissent de son autorité, comme la Coalition en Irak, par une interprétation critiquable d’un droit à la légitime-défense. Bien évidemment, il convient de distinguer le politique du juridique.

L’élément hiérarchique de la définition retenue plus haut sur l’Etat initial semble se réaliser par l’existence d’un groupe d’Etats, membres permanents du Conseil de SécuritéNote156. , que l’on retrouve également au sein d’organes comme le G 8 et qui font donc partie des pays les plus riches et les plus industrialisés, par opposition à des Etats en voie de développement.

Manquant d’une assise démocratique pour ne pas dire « étatocratique », la société internationale fonctionne et surtout règle ses différents violents d’une manière qui fait apparaître à la fois une confusion et une dispersion des autorités et des procédures, contrairement aux sociétés nationales. A certains égards, on retrouve des mécanismes ou phénomènes ayant existé antérieurement dans les Etats les plus développés.

Ceci n’est pas sans influer sur les rapports entre des Etats comme la France et les institutions internationales comme l’ONU, la CIJ et la CPI, ce qui peut, par moment, occasionner une incompréhension ou une gêne lorsque les deux systèmes sont amenés à collaborer.

Sous-section 2nde : Les moyens de l’articulation

La répression des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, dans une perspective individuelle et étatique, se caractérise par de multiples interventions juridictionnelles et par l’application de droits divers et pas toujours totalement compatibles. Dès lors, dans l’hypothèse où des affaires seraient menées parallèlement par ces juridictions et que des décisions seraient rendues, il convient de s’interroger sur des mécanismes de coopération et de mise en compatibilité, afin d’assurer une meilleure répression.

L’objectif principal réside alors dans l’édification d’un système répressif rationalisé (§ 1er), mais afin d’en cerner plus précisément les enjeux et les besoins, il convient de délimiter les hypothèses de réflexions, en se limitant à l’exemple des responsabilités du militaire et de l’Etat français en matière de commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (§ 2nd).

§ 1er : L’édification d’un système répressif en matière de répression des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et des violations graves du droit international impératif

Si l’on se limite aux crimes pouvant être commis par les militaires français, on perçoit aisément qu’au-delà de leur responsabilité propre, celle de l’Etat est susceptible d’être engagée. Par conséquent, il ne s’agit pas seulement d’apprécier globalement le système répressif englobant les juridictions nationales et la CPI, mais d’y adjoindre une réflexion également dans la perspective d’une intervention de la CIJ et du juge administratif français. S’inspirant des propos du professeur Lombois, on peut distinguer la nécessité d’une coopération et d’une coordination institutionnelleNote157. (A) et on peut s’interroger plus spécifiquement sur l’avenir des droits applicables, à savoir une unification ou une harmonisation (B).

A : La rationalisation de la coopération juridictionnelle

Lorsque de mêmes faits sont traités par différentes juridictions, il peut s’ensuivre des dysfonctionnements ou au contraire des doublons. Les juridictions étatiques possèdent toute une administration à leur service pour effectuer les actes d’enquêtes, de récolte de preuves… Au sein d’un Etat, les juridictions appartenant à des ordres différents ont des relations en général bien rôdées. Mais dès qu’une affaire dépasse les frontières de l’Etat, des difficultés surgissent, notamment en matière de preuves, d’enquête ou bien encore d’extradition. Ceci peut être réglé par des conventions ou bien, au sein de certaines organisations régionales, par des mécanismes communs tels que le mandat d’arrêt européen.

La situation est cependant différente pour les juridictions internationales. Les TPI et la CPI possèdent des services d’enquête, mais ils sont tout de même tributaires du bon vouloir des Etats. Les TPI bénéficient de l’aura du chapitre VII de la Charte de l’ONU, mais la CPI semble plutôt démunie, à moins d’en référer à l’assemblée des Etats parties, qui est d’un maniement assez lourd (art. 112§ 2 f).

Au-delà des actes de procédure, un même objectif de rationalisation et de coopération existe concernant les sentences et le droit applicable, à tel point que, dans la sphère internationale, certains auteurs proposent une réforme du système judiciaire, avec la CIJ en Cour suprêmeNote158. . Dans les relations entre les juridictions nationales et la CPI, on pourrait également proposer d’ériger la CPI en organe d’harmonisation des répressions. Dans les deux cas, cela pourrait, par exemple, se faire par le biais de questions préjudicielles ou d’un contrôle proche de celui de la cassation.

B : L’harmonisation des droits applicables

Au sein des juridictions internationales pénales, appliquant un droit en construction, l’hybridation des droits criminels, substantiels et procéduraux, semble avoir été choisie, malgré une domination de la culture anglo-saxonneNote159. .

Deux autres points sont à considérer : les rapports entre droit international général et droit international pénal, et les rapports entre droit international pénal et droit pénal national. Il convient alors de choisir entre l’harmonisation ou l’unification.

Dans la première de ces hypothèses, considérer ces deux droits comme autonomes, l’un tourné vers l’Etat et l’autre vers l’individu, ne pose pas de problèmes. Le plus récent des deux emprunte indéniablement au plus ancien, en ce cas, quelle est sa marge de manœuvre, liée à sa spécificité ? L’unité n’a pas de sens, en elle-même, du fait des différences de fonction, c’est pourquoi une harmonisation doit être recherchée.

Dans les rapports entre droit répressif national et droit international pénal, l’unification là encore semble pouvoir être rejetée, d’une part car les systèmes internes et international reposent sur des fondements différents, mais surtout parce que chaque système national est le fruit d’une longue maturation historique, propre à chaque pays. Pour autant rien n’empêche d’opter pour une unification, dans le domaine précis des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, dont la répression présente la particularité d’être commune à tous les EtatsNote160. .

Quoiqu’il en soit, en attente d’une décision politique qui opterait pour une unification des droits et procédures, on ne peut que proposer une harmonisationNote161. .

§ 2nd : L’illustration des difficultés de mise en place d’un système par l’exemple des responsabilités du militaire et de l’Etat français en cas de commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité

Etudier la répression des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité par le prisme des responsabilités du militaire et de l’Etat français présente deux avantages : d’une part, envisager la répression de comportements criminels d’agents étatiques, pouvant à ce titre entraîner la responsabilité de leur Etat ; d’autre part, étudier une structure hiérarchisée permettant d’identifier plus clairement les rôles et pouvoirs de chacun, du simple soldat au dirigeant étatique.

Le militaire est l’archétype de l’agent étatique symbolisant la puissance de l’Etat et sa dimension internationale. Rempart contre l’agression, il constitue également le bras de la réaction. Limiter le rôle du militaire à l’utilisation de la force armée et l’opposer radicalement à la menace externe semble être un schéma aujourd’hui réducteur et obsolète. La fin de la Guerre Froide et les événements du 11 septembre 2001 ayant incité à l’abandon de la classique dichotomie menace intérieure et menace extérieure au profit d’une approche combinatoire adaptée aux nouveaux modes de violences. L’armée est alors considérée comme un élément ayant vocation à assurer une défense du territoire contre divers types de menaces, comme le prouve le plan vigie-pirate. Elle devient également un instrument d’action humanitaire, d’interposition et d’intervention pacificatrice. Si l’armée française correspond assurément aujourd’hui à une telle vision, il serait inopportun de ne pas y voir non plus une arme agressive.

Le second avantage réside dans la structure hiérarchisée de l’armée, dans l’existence de grades et d’une chaîne de commandement, qui permet d’identifier le rôle et les responsabilités de chacun, et dans l’association de militaires et du pouvoir exécutif, à sa têteNote162. . La structure hiérarchique est définie par la loi portant statut des militaires du 24 mars 2005 et par le règlement de discipline générale des armées (RGDA) de 1975.

L’institution militaire présente un autre avantage. Fortement imprégnée du devoir envers la nation et étant une armée d’un pays développé, elle se caractérise par la volonté d’être un outil d’intégration sociale et de formation. Notamment, ses membres, du simple soldat aux officiers généraux, à divers stades de leur carrière, et en fonction de leur grade et responsabilités, sont amenés à être régulièrement l’objet d’un enseignement de multiples disciplines dont le droit international humanitaire et le droit pénal.

Cet élément de l’enseignement est important, car, d’un point de vue pénal, il permet de considérer le militaire comme un agent connaissant le droitNote163. , un professionnel, même si à l’évidence, les situations dans lesquelles il est amené à évoluer se caractérisent par une situation psychologique devant être prise en compte.

Au-delà des deux principaux avantages précités, le choix de l’armée française permet d’étudier la responsabilité d’un service public régalien dont l’action est partagée entre le droit français et le droit international, largement accepté par la France (A) et tout particulièrement dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et des violations graves du droit international impératif (B).

A : Une action partagée entre le système national et le système international

L’armée française peut intervenir soit au nom de la France, soit sous l’égide d’organisations internationales, comme l’ONU, l’OTAN et l’UE. A ce titre, elle va être soumise à différents régimes juridiques. L’intervention au nom d’une organisation internationale donne lieu à des accords ponctuels. Mais les membres de l’armée et l’Etat restent toujours soumis au droit français, ainsi qu’au droit international. Ces droits peuvent donc interagir, ainsi que leurs interprètes privilégiés : le juge pénal français, la Cour pénale internationale, le juge administratif et la Cour internationale de Justice.

Les forces armées françaises comprennent l’armée, au sens courant du terme, et la gendarmerie. Nous nous limiterons essentiellement à l’armée au sens strict du terme. L’article 1er de l’ordonnance du 7 janvier 1959Note164. , portant organisation générale de la Défense, précise que la défense a pour objet d’assurer en tous temps et en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population. A ces fins, l’armée et la gendarmerie se voient confier des missions de natures différentes. Une première approche de la distinction opérée tendrait à constater que la gendarmerie nationale est compétente en matière de sécurité intérieureNote165. , et l’armée, compétente en matière de sécurité extérieure. La réalité est légèrement plus complexe.

Traditionnellement, l’armée sert à protéger le territoire, les biens, les personnes et le pouvoir en place. Elle a servi à faire la guerre en dehors du territoire pour développer ce dernier et étendre le pouvoir et les richesses de la France, mais également pour régler les différends personnels des hommes au pouvoir.

La politique de sécurité et de défense de la France consiste donc à protéger les intérêts fondamentaux de la nation, c’est-à-dire les intérêts vitaux, les intérêts stratégiques et les intérêts de puissance, à contribuer également à la stabilité internationale et à développer le deuxième pilier européen. Pour cela, elle met en œuvre quatre grandes fonctions stratégiques, la dissuasion, la projection, la prévention et la protection. Elle a principalement quatre missions : la défense, l’aide humanitaire, l’aide aux services publics et les missions d’assistance.

L’ordonnance du 7 janvier 1959, portant organisation générale de la défense, prévoit que les forces armées doivent assurer la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population. Cette défense est avant tout une défense contre des menaces et attaques provenant de l’extérieur. L’armée française est là pour assurer la défense civile, militaire et économique de la France. Elle possède également certaines compétences en matière de sécurité intérieureNote166. , plus généralement, en matière de défense civile, ce qui comprend la sécurité publique et la sécurité civile. La sécurité publique vise à combattre les menaces susceptibles de porter atteinte au fonctionnement normal de l’Etat, cela concerne surtout l’ordre public.

Depuis le 11 septembre 2001, la sécurité civile connaît trois nouveaux axes de développement : la coopération civilo-militaire, l’actualisation de la planification de défense et de sécurité, et la protection des populations et la réponse aux menaces nouvelles.

Dans le cadre de l’ONU, les troupes françaises peuvent intervenir pour mettre en œuvre une autorisation à recourir à la force, ou bien encore dans le cadre d’opération de maintien de la paix ou d’opérations humanitaires. L’UE s’oriente, quant à elle, plus vers des missions de type humanitaire, par référence aux missions de Petersberg.

Les membres de l’armée française sont soumis au droit français, quelle que soit la mission qu’ils effectuent. Seules des dérogations justifiées par la nature des actions coercitives menées peuvent constituer une exception à l’application du droit pénal. Mais la commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité n’est pas justifiable, même lors de telles opérations.

Par principe, un Français ou un membre de l’armée française, en dehors du territoire français, ne peut commettre un crime sanctionné en France (art. 689 CPP et 113-6 CP).

Reste à savoir ce qu’il en est du droit international pénal. La décision du 19 novembre 2004 du Conseil constitutionnel, relative au traité portant constitution de l’Union européenne, réaffirme clairement la suprématie de la Constitution et distingue le droit communautaire du droit international général. Le droit international général dépend toujours de l’article 55 de la Constitution. L’alinéa 14 du préambule de 1946 reste d’application résiduelle. Par principe, l’article 55 de la Constitution prévoit que tout traité ou convention régulièrement introduit en droit français possède une valeur supérieure à la loi. Pour les juges judiciaireNote167. et administratifNote168. , l’article 55 assure la primauté du droit international et la Constitution reste la norme suprême. En outre, l’arrêt Nicolo permet d’évincer la loi contraire au droit international, afin de permettre le respect de ce dernierNote169. . Encore faut-il que le droit international soit régulièrement introduit dans l’ordre juridique interneNote170. et qu’il possède un effet direct.

Le traité de Rome du 17 juillet 1998 entre dans cette catégorieNote171. . Par principe, le juge national appliquera les infractions correspondantes contenues dans le code pénal françaisNote172. . Mais, par exemple, les crimes de guerre n’étant pas clairement définis en droit français, on peut supposer que le juge se référera au statut de la CPI, en référence à l’article 627 du code de procédure pénale. En effet, les articles 7, 8 et 9-1 du RGDA font référence au droit international applicable lors des combats, sans en donner un contenu précis, et sans créer de lien avec les conventions de droit international humanitaire. L’article 8 de la loi de 2005 portant statut des militaires contient la même formulation. Les conventions de Genève d’août 1949, ainsi que leurs protocoles additionnels de juin 1977 ne visent que les Etats et ne produisent donc pas d’effet direct à l’égard des individusNote173. . Or la jurisprudence criminelle accepte de s’en servir comme fondement d’une condamnation, en passant par l’intermédiaire de textes comme les résolutions de l’ONU relatives au TPI, pour des faits en relation avec leurs compétencesNote174. . On peut donc penser qu’il en sera de même pour le statut de la CPI. Ces résolutions avaient été introduites par la loi du 2 janvier 1995 relative à la résolution 827, créant le TPIY, et par la loi du 22 mai 1996, relative à la résolution 955 créant le TPIR.

En cas d’application par le juge français de ses propres textes répressifs, se posera le problème d’une mise en adéquation de ces textes avec le statut de la CPI tel qu’interprété par ses juges.

Une forte partie du droit en ce domaine est d’origine coutumière, tant en matière de répression pénale que de responsabilité étatique. En matière pénale, les exigences de la Cour de cassation sont les suivantes. Il faut que la norme coutumière définisse l’infraction, ainsi que sa sanction. En cas contraire, son incomplétude n’en fait pas une norme effectiveNote175. .

Pour le juge administratif, par principe, cette norme s’applique, mais son caractère non écrit fait obstacle à sa primauté sur le droit interne et surtout sur la loiNote176. .

B : La répression des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et des violations graves du droit international impératif

L’action de l’armée ayant principalement eu lieu lors de conflits internationaux, situations aujourd’hui largement remises en cause par la multiplication des conflits internes, le droit international se saisit très tôt de ces comportements. Dès la fin du 19ème siècle, plusieurs déclarations et conventions eurent pour objectif de réglementer l’action des forces armées. Notamment, la conférence de Bruxelles de 1874 réunie à l’initiative du Tsar de Russie relative aux lois et coutumes de la guerre, les conventions de La Haye de 1899 et 1907 sur le même thème ou bien encore la convention de Genève de 1864 sur l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne et les conventions de Genève de 1929. Mais la définition de ces interdits ne comporte pas ou peu de modalités de sanction. Toujours au 19ème siècle apparaissent les codes militaires « modernes », notamment le code Lieber Note177. incriminant les violations des lois et coutumes de la guerre et le manuel d’Oxford de l’Institut du droit international de 1880Note178. . La prohibition, à tout le moins la réglementation, du jus ad bellum et du jus in bello n’est ni un apport des 19ème et 20ème siècle, ni même la résultante des écrits de Grotius, de Vattel ou de Kant, mais provient de penseurs cléricaux, comme Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin, Ayala, Suarez, Vitoria ou Fénelon, pour ne citer qu’euxNote179. .

L’échec de la Société des Nations, la crise financière de 1929, le traité de paix de 1919, les nationalismes exacerbés constituent autant de facteurs ayant entraîné la Seconde Guerre mondiale. La généralisation d’un conflit gagnant en intensité grâce à la modernisation des instruments de guerre, les horreurs de cette guerre, affrontement d’idéologies plus que de prétentions matérielles, seront le catalyseur d’un renouvellement et d’un approfondissement du droit international. Les conventions de Genève du 12 août 1949, ainsi que leurs protocoles additionnels du 8 juin 1977, la convention relative à la prévention et à la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, la codification des principes de Nuremberg en 1946, l’organisation même des procès de Nuremberg et de Tokyo, et la création de l’Organisation des Nations Unies constituent un pas supplémentaire vers les projets utopiques de paix universelle et perpétuelle. Mais cet approfondissement du système international, consolidant l’embryon de société internationale apparue dans l’entre-deux guerres, se double d’une bipolarisation du monde, entre libéraux et communistes.

La Guerre Froide apparaissant, les pressions militaires furent exacerbées, provoquant la neutralisation des Nations Unies et de son Conseil de Sécurité, responsable de la paix et de la sécurité internationale. Ce n’est qu’au début des années 1990, après l’effondrement du bloc soviétique, à tout le moins une ouverture vers le monde libéral, que le système mis en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale commence à fonctionner, notamment lors de la première crise iraquienne. Mais les Etats autocratiques et les conflits sont toujours bien présents, alimentant la critique de l’échec des Nations Unies et du système de paix et de sécurité internationale.

L’armée reste alors un élément indispensable aux Etats, tantôt utilisée par les Etats eux-mêmes pour affirmer et conforter leur pouvoir, jusqu’à des extrémités criminelles, tantôt par certaines organisations internationales comme l’ONU, l’OTAN ou l’Union européenne pour promouvoir et garantir les objectifs de sécurité et de paix internationales.

L’objectif n’ayant pas encore été atteint, un véritable arsenal criminel est aujourd’hui déterminé et relativement effectif grâce au droit international pénal et aux violations graves. Afin de délimiter le champ de réflexions et de le mettre en adéquation avec le sujet de la responsabilité des militaires français, ne sont retenus que les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, tels qu’envisagés dans le projet de code du même nom de la Commission du droit international de 1996 et dans les statuts des juridictions internationales pénales. Mais les crimes internationalement définis sont bien plus nombreux et visent, par exemple, la traite des êtres humains et l’esclavage, la pédophilie, les disparitions forcéesNote180. . Le terrorisme, actuellement, fait l’objet d’une tentative de rattachement aux infractions de droit international humanitaire.

Le projet de code de la CDI comporte cinq infractions, l’agression (art. 16), le crime de génocide (art. 17), le crime contre l’humanité (art. 18), les crimes contre le personnel des Nations Unies et le personnel associé (art. 19) et les crimes de guerre (art. 20). Nous exclurons cependant l’article 19, car il fait l’objet de controverses et ne relève pas de la même logique que les autresNote181. .

L’expression de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité trouve son origine dans une proposition des USA faite en 1946 à l’Assemblée générale des Nations Unies concernant « la codification générale des délits contre la paix et la sécurité de l’humanité » et dans la résolution 177 de l’Assemblée chargeant la CDI de l’élaboration d’un projet de code sur ce sujetNote182. . Après un débat sur le contenu, ce projet fut élaboré parallèlement à celui relatif à la responsabilité internationale des Etats pour fait internationalement illicite. Le code est réputé ne pas épuiser la liste des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanitéNote183. . Les crimes retenus acquirent une valeur juridique par l’intermédiaire de conventions, comme celle du 9 décembre 1948, relative à la prévention et à la répression du crime de génocide, les conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs protocoles additionnels de juin 1977, ainsi que les statuts des juridictions internationales pénales, à savoir les Tribunaux pénaux internationaux et la Cour pénale internationale. A cela ajoutons le code pénal français entré en vigueur en 1994, la jurisprudence française antérieure relative aux événements de la Seconde Guerre mondiale et certains textes concernant uniquement les militaires et reprenant implicitement ces infractions, comme la loi portant statut des militaire de mars 2005 et le règlement de discipline générale des armées du 28 juin 1975.

Chacun des crimes étudiés est défini par divers textes internationaux et nationaux, occasionnant des nuances ou des divergences de définitions. Seuls les grands points de variation seront soulignés. Par conséquent, nous nous contenterons, pour une vision exhaustive de chacun de ces crimes, de renvoyer à quelques ouvrages sur la questionNote184. . Les définitions des textes retenues se trouvent dans le code pénal français, le code de justice militaire, les statuts des Tribunaux pénaux internationaux et celui de la Cour pénale internationaleNote185. .

Ces longs développements introductifs, bien que très sommaires, avaient pour objectif de démontrer que le militaire, l’un des agents étatiques ayant vocation à intervenir en dehors de la sphère étatique et représentant la puissance et la force armée de l’Etat, était pris en compte et encadré par le droit international et par son droit national, l’un et l’autre n’étant pas sans liens. Une telle situation permet d’éprouver les relations entre les deux systèmes et leurs articulations.

Le sujet traité sera alors perçu comme une illustration de ces phénomènes et interrogations dans un des domaines les plus avancés et les plus sensibles, celui de la responsabilité des Etats et des militaires pour la commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. La confrontation des droits pénal et administratif français et des droits internationaux public et international pénal, par les différentes logiques, constituent une première difficulté à franchir.

Deux situations seront distinguées, celle d’une politique criminelle menée par l’Etat et celle d’actes criminels perpétrés par un groupe de militaires. Les réflexions seront menées au regard de la situation constitutionnelle, législative et réglementaire actuelle, car ce sont-là les seuls éléments utilisables. Il sera cependant fait appel à quelques exemples historiques significatifs en cas de besoin.

En outre, l’étude de tels crimes dans le contexte légal actuel pourrait à juste titre être critiquée, car bien souvent, ils sont commis en temps de conflits, pouvant déclencher la mise en place de régimes spéciaux ; certains exemples historiques, comme celui du Troisième Reich, prouvent cependant la persistance du régime juridique en vigueur au moment des faits, ainsi que des grandes institutions d’Etat. Seules quelques lois spécifiques furent prises et quelques organes administratifs créés afin de mettre en œuvre la politique et l’idéologie nouvelle prônée par les nouveaux dirigeants étatiques, la Constitution de Weimar n’ayant pas été abrogée. A l’inverse, on peut observer des révolutions, abolissant les constitutions et administrations existantes ; en ce cas, il serait impossible de mener une étude prospective.

L’évolution actuelle du droit international pénal soulève nombre de questions que le professeur Bassiouni énumère ainsi :

« 1. La responsabilité pénale de l’Etat peut-elle être établie sans que soit établie la responsabilité pénale individuelle des décideurs et des principaux exécutants ?

2. Si la responsabilité pénale des décideurs et des principaux exécutants est exigée, i) quels sont les éléments constitutifs de la responsabilité pénale applicables à ces personnes et, ii) la responsabilité pénale de l’Etat est-elle une conséquence de la responsabilité pénale individuelle ou un élément séparé, différent de celle-ci ?

3. Dès lors que la responsabilité pénale de l’Etat est établie, peut-elle servir de fondement à la responsabilité pénale individuelle d’autres personnes que les décideurs et les principaux exécutants et, dans ce cas i) quels sont les éléments constitutifs de cette responsabilité pénale individuelle dérivée et ii) comment celle-ci peut-elle naître ?

4. Comment la responsabilité pénale de l’Etat peut-elle exister sans devenir une forme de responsabilité pénale collective, ce qui va à l’encontre du principe fondamental de justice pénale individualisée ?

5. Est-ce que des peines applicables en cas de responsabilité pénale de l’Etat peuvent être élaborées sans frapper les individus qui n’ont pas pris part à la conduite pour laquelle la responsabilité pénale de l’Etat peut être retenue ? »Note186. .

Sans adhérer à l’idée d’une responsabilité pénale de l’EtatNote187. , les problématiques ainsi soulevées par le professeur Bassiouni peuvent être regroupées en trois axes. Partant de l’hypothèse qu’un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité a été commis par un militaire français, une qualification multiple de ce fait peut être observée, générant des responsabilités individuelles et étatiques, françaises et internationales. Dès lors, plusieurs juridictions sont compétentes, qui peuvent prononcées des sanctions s’entrecoupant.

Le sujet traité a pour objectif d’illustrer trois interrogations essentielles :

1. la définition d’une responsabilité internationale pénale de l’individu influe-t-elle sur le régime de responsabilité internationale de l’Etat ? Et le cas échéant, doit-elle inciter à une révision de la seconde ?

2. les droits nationaux et internationaux, dans le domaine des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, doivent-ils s’articuler ?

3. les organes judiciaires nationaux et internationaux doivent-ils développer des mécanismes de coopération en vue d’une articulation de leurs actions ?

Pour déterminer les réponses à ces questions, le sujet de la responsabilité du militaire et de l’Etat français en cas de commission de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité sera traité en trois points : l’imputabilité de l’acte criminel commis par le militaire français (partie 1ère), l’engagement du processus juridictionnel (partie 2ème) et enfin, la mise en œuvre du règlement des responsabilités du militaire et de l’Etat français (partie 3ème).